En analysant les ordres signés le 22 janvier par le
président américain Barack Obama, on peut voir que les Etats-Unis vont
continuer à être fortement impliqués dans des pratiques illégales telles le
kidnapping, la détention secrète et la torture. Ces ordres mettaient
apparemment fin à la torture et à un réseau de camps de prisonniers de la
Central Intelligence Agency (CIA).
Le Los Angeles Times a cependant publié un article
sur ces ordres qui montre qu’ils vont encore permettre le recours à la
« restitution extraordinaire » par la CIA. Par cette pratique, les
Etats-Unis kidnappent des individus qui sont prétendument des terroristes et
les envoient dans des pays qui pratiquent la torture.
Obama n’envisage pas seulement de conserver ce type de
restitution, mais il prévoit l’utiliser encore plus que l’administration Bush.
Le Los Angeles Times a cité anonymement des officiels du renseignement
américain qui affirment que, « Le programme de restitution pourrait être
sur le point de jouer un rôle plus important dans l’avenir car c’est le
principal mécanisme qui existe encore, à part les frappes de missiles Predator,
permettant de retirer de présumés terroristes de la circulation. »
Le journal cita aussi anonymement un officiel de
l’administration Obama défendant la restitution extraordinaire. « Certains
outils doivent évidemment être maintenus : on doit pouvoir encore s’en
prendre aux terroristes », a-t-il déclaré. « Les conseillers
juridiques qui travaillent là-dessus ont considéré la restitution
extraordinaire. C’est un sujet controversé dans certains milieux et ça a provoqué
toute une réaction en Europe, mais si certaines conditions sont respectées,
c’est une pratique acceptable. »
Ces révélations soulignent le véritable contenu des ordres
signés par Obama lors de ses premiers jours à la présidence, qui ont été
présentés en grandes pompes par les médias comme la répudiation de la politique
étrangère de l’administration Bush. En fait, ces ordres laissent intacts le
cadre légal et les pratiques criminelles justifiés par « la guerre contre
le terrorisme ».
La restitution extraordinaire est l’une des pratiques les
plus infâmes de l’impérialisme américain. Parce que les Etats-Unis insistent
qu’ils n’ont pas à dévoiler les noms de ceux qui ont été enlevés, il est
difficile de connaître le nombre de cas de restitution. Ce nombre se situe
probablement dans les milliers. Une enquête menée par le Parlement européen a
déterminé que la CIA avait procédé à 1245 vols dans l’espace aérien européen ou
fait des escales à des aéroports européens entre 2001 et 2005.
La restitution est clairement illégale sous la loi
internationale et américaine ainsi que selon les lois des pays où celui qui a
été enlevé se trouvait. Les victimes de restitutions extraordinaires n’ont
aucun moyen de protester leur enlèvement ou même de connaître les accusations
ou les preuves contre eux. Il y a eu plusieurs cas documentés où l’identité de
la personne s’est avérée ne pas être la bonne. De plus, on sait que ceux qui
sont enlevés ont été envoyés dans des pays où ils ont été torturés, tels
l’Afghanistan, la Syrie, la Jordanie, l’Égypte et le Maroc.
Dans un des cas, un citoyen allemand, Khaled Masri, fut capturé
en Macédoine en 2003 et remis à la CIA. Masri a décrit
son supplice en 2007 : « J’ai été remis à la CIA et j’ai ensuite été
déshabillé, battu sauvagement, enchaîné, on m’a mis une couche, on m’a drogué,
enchaîné au plancher d’un avion et envoyé en Afghanistan où j’ai été emprisonné
dans une cellule épouvantable pendant plus de quatre mois. » Le compte
rendu de Masri de son enlèvement concorde avec les autres témoignages de ceux
qui ont réussi à sortir des goulags de la CIA.
En 2002, un citoyen canadien, Maher Arar, a été arrêté à
l’aéroport JFK de New York. Selon le site web d’Arar (www.maherarar.ca), « Douze jours plus tard,
il fut enchaîné et envoyé par avion jusqu’en Syrie, où il fut détenu dans une
étroite cellule qui ressemblait à une « tombe » pendant dix mois et
dix jours avant d’être déplacé vers une meilleure cellule dans une prison
différente. En Syrie, il fut battu, torturé et on le força à faire de fausses
confessions. » Une commission d’enquête canadienne a ultimement déterminé
qu’Arar avait été arrêté à tort.
Dans un autre cas tristement célèbre, un ecclésiastique
égyptien résidant en Italie, Abou Omar, fut enlevé et envoyé dans son pays
natal où il fut torturé. Les agents de la CIA qui ont réalisé l’opération sont
poursuivis au criminel en Italie, mais ils ont fui le pays pour éviter les
poursuites judiciaires.
Pendant ce temps, l’ordre d’Obama, qui ferme prétendument
le réseau de prisons secrètes de la CIA, permet une exception pour « les
établissements qui servent uniquement à détenir les individus à court terme,
sur une base transitoire ». L’expression « court terme » n’est
pas définie.
Cette clause permettra au système de prison secrète de la
CIA de fonctionner plus ou moins comme elle le faisait sous l’administration
Bush. Alors que sous cette administration, les prisonniers pouvaient être
détenus indéfiniment dans les trous noirs de la CIA, dans de nombreux cas les
prisons de la CIA (plusieurs d’entre elles étaient situées en Europe de l’Est)
servaient de stations transitoires pour les prisonniers qui devaient être
envoyés à des régimes où les détenus étaient soumis à la torture.
Obama n’a pas remis en question la
prétention de l’administration Bush, justifiée de façon pseudo-légale, que le
président peut déclarer tout individu (citoyen américain ou non) comme étant un
« combattant ennemi », le faire arrêter secrètement et l’emprisonner
indéfiniment, tout cela sans même qu’un juge puisse réviser les décisions.
Obama n’a pas non plus abrogé le système de tribunaux militaires irréguliers
pour juger ceux que les Etats-Unis attrapent dans leurs filets.
En ce qui a trait à l’usage de la torture
par l’armée américaine et la CIA, Obama s’est gardé une bonne marge de
manœuvre. Alors qu’un ordre affirme de mettre fin au genre d’interrogatoire qui
ne sont pas autorisés par le manuel des règles de l’armée, Obama a proposé que
soit créé un comité qui étudiera les façons de changer le manuel pour permettre
de nouvelles façons de mener les interrogatoires.
Même l’ordre largement acclamé de fermer la
prison de Guantanamo n’a rien changé dans les faits. Les prisonniers actuels de
Guantanamo, tout comme les futurs « prisonniers », pourront être le
sujet d’une restitution extraordinaire sur un simple ordre du bureau exécutif.
De plus, Obama a donné l’assurance que son
administration ne va pas enquêter ou poursuivre les hauts responsables, y
compris des membres de l’administration Bush comme Dick Cheney, Donald Rumsfeld
et Alberto Gonzales, qui portent la responsabilité des politiques de torture et
de détention illégale.
L’administration Obama demande à un juge
d’une cour fédérale de San Francisco de mettre fin aux procédures contre l’ancien
responsable du ministère de la Justice, John Yoo, qui a écrit les célèbres
mémos justifiant la torture pour l’administration Bush. La cause a été amenée
par José Padilla, ce citoyen américain qui a été détenu sur un navire de la
marine américaine et torturé pendant des années. Le département de la Justice
cherche aussi à mettre un terme à une autre cause liée à Padilla dans laquelle
sont impliqués l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, l’ancien
adjoint au secrétaire à la Défense, Paul Wolfowitz et l’ancien procureur
général, John Ashcroft.
Tant que la « guerre contre le
terrorisme » continuera (et Obama a promis que ce sera le cas), tous les
gestes illégaux qui y sont liés vont eux aussi continuer. La guerre contre le
terrorisme est en fait un euphémisme pour l’intensification par Washington de
la violence à l’étranger et pour les attaques contre les droits démocratiques
aux Etats-Unis mêmes, mesures implémentées pour défendre les intérêts du
capitalisme américain.
Le fait qu’Obama défende et préserve les
éléments criminels de la guerre contre le terrorisme, bien que présentés sous
une forme différente, ne doit surprendre personne. La torture, la restitution
extraordinaire, les tribunaux militaires, les prisons secrètes, tout cela fait
en réalité l’objet d’un consensus au sein de l’élite dirigeante américaine,
défendue par le Parti démocrate tout autant que le Parti républicain.
L’information sur ces mesures a été donnée aux dirigeants démocrates au
Congrès, qui les ont approuvées, sous l’administration Bush. Les démocrates
n’ont rien fait pour changer ces politiques après leur victoire écrasante lors
des élections au Congrès en 2006 et ils ne feront rien cette fois encore.