En janvier
dernier, 129 000 emplois ont été abolis au Canada, la perte la plus
importante jamais enregistrée en un mois et le troisième mois consécutif de baisse
marquée de l’emploi. Le secteur manufacturier a éliminé à lui seul
101 000 emplois, qui s’ajoutent aux dizaines de milliers supprimés
au cours des derniers mois. La saignée a fait grimper le taux de chômage, qui
est passé en janvier de 6,6 pour cent à 7,2 pour cent, son plus haut niveau en
4 ans. « D’autres pertes d’emplois … sont à prévoir au
cours des prochains mois au Canada », a souligné un économiste de la
Banque Laurentienne, Sébastien Lavoie.
L’économie
canadienne est particulièrement touchée par l’effondrement du commerce
mondial. Les exportations canadiennes ont chuté de 9,7 pour cent en décembre, entraînant
le pays dans son premier déficit commercial depuis mars 1976. Un facteur majeur
a été la dégringolade du prix des matières premières, du pétrole en particulier.
Le principal marché d’exportation du Canada, les États-Unis, n’a
pas été épargné : les livraisons au sud de la frontière ont baissé de 10
pour cent.
Tous les indicateurs
économiques montrent qu’il s’agit d’une crise profonde et
structurelle. Les ventes de détail sont en baisse partout au pays. Les mises en
chantier en milieu urbain ont baissé de 40 pour cent en janvier par rapport au
même mois l’année dernière, tandis que les transactions sur le marché
immobilier ont baissé de 17 pour cent en 2008 pour la deuxième année de suite. Selon
le CERI (Canadian Energy Research Institute), jusqu’à 100 milliards de
dollars d’investissements dans les sables bitumineux de l’Ouest
canadien risquent de ne jamais se matérialiser. On peut aussi noter que le
nombre de faillites personnelles a augmenté de 13,5 pour cent par rapport à l’année
précédente.
La morosité
s’installe partout. Selon une enquête réalisée pour le compte de la
Banque Royale du Canada, moins de 2 pour cent des chefs d’entreprise
canadiens se disent optimistes, contre 63 pour cent l’an dernier. Un bon quart
des Canadiens craignent pour leur emploi selon un sondage de Ipsos Reid. Et
pour cause : la liste des mises à pied et licenciements annoncés ces
derniers jours seulement est longue :
* Bombardier
Aéronautique abolit 1360 postes, ou 4,5 pour cent de son effectif total, dont
710 dans la région de Montréal, 300 à l’usine de Belfast en Irlande du
Nord, et 210 à celle de Wichita, aux États-Unis.
* Pratt
& Whitney Canada, qui comptait 5000 employés à son site principal de Longueuil
et 10 000 au total, en congédie 1000 dans le cadre d’une
« série de mesures afin de réduire les coûts », selon le porte-parole
patronal Pierre Boisseau. Ces mesures comprennent une dizaine de congés non
payés dans l’année et un gel de l’embauche.
* Le
constructeur automobile Chrysler ferme pour deux semaines son usine de Brampton
en Ontario et élimine pour trois semaines un de ses trois quarts de production
à son usine de Windsor, aussi en Ontario.
Peut-être le
cas le plus symbolique est celui de Nortel, qui fut un temps le leader mondial
des équipements de télécommunications et la plus grosse firme canadienne.
Depuis l’effondrement de la bulle technologique en l’an 2000, Nortel
a réduit ses effectifs des deux tiers – de 90 000 employés à moins de 30 000
– et son action sur la bourse de Toronto est passée de 124,50 $ à 11
cents. Criant faillite à la mi-janvier, la compagnie a annoncé une restructuration
en profondeur qui va de nouveau mettre la hache dans les emplois.
Les milieux
dirigeants canadiens sont aussi impuissants que leurs homologues américains ou
européens à contrer les effets dévastateurs de la crise qui frappe de plein
fouet l’économie mondiale.
La Banque du
Canada a réduit son taux directeur au niveau jamais vu de 1 pour cent sans que
cela ne freine aucunement la dégringolade de l’économie canadienne.
Quant au
supposé plan de relance du gouvernement conservateur de Stephen Harper, il ne
contribuera aucunement à relancer l’économie, encore moins à protéger les
Canadiens ordinaires des effets de la crise. Les montants initialement annoncés
– une injection gouvernementale de 40 milliards de dollars sur deux ans,
censée créer 190 000 nouveaux emplois – ne seraient même pas
suffisants pour recouvrer les emplois perdus au Canada au cours des trois
derniers mois.
Sans compter
que les montants inclus dans ce plan ont été manipulés à la hausse.
Comparaissant la semaine dernière devant le comité des finances de la Chambre
des Communes, le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, a indiqué qu’il
fallait retrancher huit des quarante milliards annoncés pour tenir compte de la
reconduction de certaines dépenses et de l'ajustement des primes
d'assurance-emploi, deux mesures qui ne permettent pas de stimuler davantage
l'économie. Le plan de relance ne permettrait donc de créer que 120 000 emplois
au pays, soit moins que le total perdu rien qu’en janvier. De plus, 25
pour cent de la somme restante ne serait disponible que si les gouvernements
provinciaux et municipaux peuvent ou veulent égaler les montants planifiés par
Ottawa, ce qui est loin d’être garanti.
Le but
principal du plan de relance est de piger dans les ressources de l’État
pour protéger les sections menacées du grand capital canadien dans un contexte
ou leurs rivales américaines, européennes et asiatiques reçoivent des centaines
de milliards de leurs gouvernements respectifs . D’intenses pressions ont
été exercées par la grande entreprise sur Harper, qui niait jusqu’à tout
récemment l’impact de la crise mondiale sur l’économie canadienne
et refusait toute intervention gouvernementale. Il en a résulté en décembre
dernier une crise politique qui a mené le gouvernement conservateur à un
doigt d’être renversé par les partis d’opposition : seul le
recours à une mesure anti-démocratique – la prorogation du Parlement pour
éviter un vote de confiance qu’il était certain de perdre – a
permis à Harper de sauver sa peau.
Le plan de
relance auquel a dû consentir le gouvernement conservateur est toutefois loin de
satisfaire toutes les sections de l’élite économique. Les derniers
chiffres sur la montée en flèche du chômage ont amené de nouvelles demandes d’aide
en faveur de l’industrie et du secteur financier, ce qui a visiblement
ébranlé le gouvernement: le ministre des Finances Jim Flaherty s’est dit
ouvert à bonifier le plan de relance, pour se faire contredire par un Harper
refusant net toute nouvelle injection de fonds avant de concéder qu’Ottawa
« n’écartait pas » de nouvelles mesures de stimulation.