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Trois jours après avoir été mis en arrêt de travail à cause d’un lockout décrété le 24 janvier dernier par la direction de Quebecor, les 253 journalistes et employés de la rédaction du Journal de Montréal ont rejeté les concessions exigées par l’employeur et déclenché une grève générale illimitée.
Quebecor Media Inc., l’un des plus importants conglomérats médiatiques au Canada, exige notamment :
* la liberté de publier les articles des journalistes et chroniqueurs dans tout l’éventail de publications du conglomérat, y compris ses magazines, ses autres quotidiens et ses sites Internet ;
* la possibilité de recourir à la sous-traitance dans toutes les tâches ;
* la suppression de quelque 75 postes ;
* l’augmentation de 25 pour cent du nombre d’heures travaillées sans aucune compensation salariale ;
* la réduction de 20 pour cent des avantages sociaux ;
* l’abolition des définitions de tâches et l’imposition de nouvelles tâches et nouvelles rémunérations sans préavis.
Cela fait partie d’une stratégie visant à réduire drastiquement les salaires et conditions de travail des employés à la grandeur du conglomérat. Le développement des nouveaux médias (Internet) et la pression accrue sur les médias traditionnels sont invoqués par la direction pour procéder à un large assaut sur ses travailleurs et réduire au minimum les entraves à la réutilisation du contenu et au recours à la sous-traitance. Il faut toutefois noter que Quebecor a réalisé 50 millions de dollars de profits l’an dernier seulement avec le Journal de Montréal, et que son directeur général, Pierre Karl Péladeau, s’est octroyé une hausse de salaire de près de 30 pour cent.
Le World Socialist Web Site donne son appui aux travailleurs qui ont rejeté massivement, dans une proportion de 99,4 pour cent, les demandes patronales et ont voté la grève générale illimitée à 99,6 pour cent. En guise de protestation, les travailleurs mis en lockout, qui sont représentés par le Syndicat de travailleurs de l’information du Journal de Montréal (STIJM), affilié à FNC-CSN (Fédération nationale des communications - Confédération des syndicats nationaux), ont mis sur pied leur propre site Internet de nouvelles (www.ruefrontenac.ca).
Malgré tout, le Journal de Montréal continue d’être publié grâce au travail de cadres non syndiqués et de certains pigistes qui n’ont pas cessé leur collaboration avec le Journal. La direction du Journal de Montréal avait même fait circuler un document au début du conflit demandant à ses journalistes et chroniqueurs d’autres publications de Quebecor Media de céder « tous les droits, titres et intérêts (y compris les droits d’auteur) » à l’entreprise pour que celle-ci puisse réutiliser leur travail dans le quotidien touché par le conflit. Le Code du travail du Québec interdit le recours à des briseurs de grève mais permet aux cadres de l’établissement en conflit de faire justement cela.
Face à Quebecor, qui a démontré qu’elle était impitoyable lorsqu’il s’agit d’imposer ses diktats, la direction syndicale plie l’échine et abandonne toute défense des intérêts de ses membres. Les leçons doivent être tirées des défaites des luttes ouvrières des dernières décennies et du rôle de la bureaucratie syndicale dans ces défaites. À ce propos, un retour sur le conflit au Journal de Québec, un autre quotidien appartenant à Quebecor, s’impose, étant donné la similitude de cette lutte avec le conflit actuel.
La grève au Journal de Québec avait été provoquée par le même genre de concessions brutales exigées par la direction de Quebecor : la possibilité de reproduire à volonté du matériel sur l’une ou l’autre plateforme médiatique de Quebecor (papier, TV, Internet) ; le recours à la sous-traitance pour tous les emplois ; et la prolongation de la semaine de travail, de 32 heures à 37,5 heures, sans compensation. Incapable de faire accepter ces concessions à ses travailleurs, la direction a déclaré un lockout au Journal de Québec en changeant les serrures, en installant de nouvelles caméras, en embauchant des gardes de sécurité et en congédiant ses travailleurs des TI (technologies de l’information).
Les travailleurs avaient démontré leur détermination à ne pas céder devant l’arrogance de leur employeur et avaient fait durer le conflit 16 mois (il a pris fin en août dernier), devenant ainsi le plus long conflit dans un quotidien de langue française au Canada. Durant ce temps, les travailleurs en grève (employés de bureau, rédaction et pressiers) avaient mis sur pied leur propre quotidien imprimé, le MédiaMatinQuébec. La direction a cependant été en mesure de poursuivre la publication du Journal de Québec, notamment en transférant l’impression dans la ville de Mirabel, en relocalisant son service d’annonces classées à Kanata en banlieue d’Ottawa et en ayant recours à des briseurs de grève. Mis à part les cadres du Journal de Québec, le tribunal de la Commission des relations du travail a jugé que Quebecor avait eu recours durant le conflit au travail d’au moins une douzaine de briseurs de grève.
Mais la détermination seule n’était pas suffisante. Tout au long du conflit, les chefs syndicaux ont maintenu la grève complètement isolée. Les travailleurs durent en fin de compte accepter les principales exigences de Quebecor : la nouvelle convention collective d’une durée de cinq ans n’imposait aucune balise sur le travail « multiplateformes », prolongeait la semaine de travail à 37,5 heures et accordait une augmentation salariale limitée à 2,5 pour cent par année. Luc Lavoie, porte-parole de Quebecor, avait déclaré que la direction était « pleinement satisfaite » des conditions obtenues. Tentant de présenter cette amère défaite comme une victoire, le président de la FTQ (Fédération des travailleurs du Québec) Michel Arsenault avait lancé : « Il faudra retenir que c’est à la table des négociations que se règlent les conflits. Le lockout au Journal de Québec aura démontré une fois de plus que la solidarité, l’entraide et l’imagination des travailleurs et des travailleuses peuvent faire la différence ».
Encore plus flagrante avait été la collaboration de la bureaucratie syndicale avec l’employeur dans la lutte en 2002-2003 qui avait opposé Quebecor et 2200 employés de son câblodistributeur Vidéotron. L’éclatement de la bulle spéculative informatique et la réévaluation de la valeur des actifs dans le secteur informatique et des télécommunications avaient grandement porté atteinte à la viabilité de l’acquisition, au prix exorbitant de 5,4 milliards de dollars, de Vidéotron par Quebecor. Cette acquisition, vigoureusement défendue par le Parti québécois (PQ) pour empêcher que le concurrent ontarien Rogers ne s’empare lui-même de Vidéotron, s’était faite avec le financement de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Cette dernière, un organisme gouvernemental basé sur les milliards des fonds de retraite des travailleurs québécois, détient 45 pour cent des actions de Quebecor Media Inc.
La bureaucratie syndicale, étroitement associée au PQ, avait elle aussi soutenu à sa manière la grande entreprise québécoise. Durant la grève chez Vidéotron, des centaines d’emplois de techniciens avaient été transférés vers des travailleurs syndiqués affiliés à la FTQ. Non seulement la FTQ a-t-elle permis que des briseurs de grève syndiqués de la FTQ viennent prêter main forte à l’employeur durant le conflit, mais de plus l’entreprise Alentron, créée tout de suite après le début du conflit, était une filiale de la compagnie Entourage, elle-même mise sur pied par le Fonds de solidarité de la FTQ en 1996. Mille techniciens congédiés par Bell, un géant des télécommunications, avaient alors été embauchés par Entourage pour faire le même travail, en tant que sous-traitants pour Bell mais avec des salaires et des conditions de travail beaucoup moindres. À l’époque, la position du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et de la FTQ avait été clairement exprimée par le président de la FTQ, Henri Massé : « Cette compagnie-là, on va la sauver », parlant de Quebecor et de Vidéotron.
Dans le conflit actuel au Journal de Montréal, la bureaucratie syndicale adopte une position identique. Les paroles du président du STIJM, Raynald Leblanc, qui dit avoir tout fait pour privilégier la négociation avec l’employeur, démontrent où se situent les véritables préoccupations du syndicat : « On avait déjà plié beaucoup. On avait plié sur la durée de la semaine de travail, sur le temps supplémentaire accordé, sur le multiplateforme et le multitâches. On avait fait preuve d’ouverture, mais l’employeur est resté sur ses positions. »
Qu’oppose la bureaucratie syndicale à la détermination et au caractère impitoyable de la direction de Quebecor ? Dans les premiers paragraphes d’un document publié sur le web et intitulé « Le conflit en 13 questions et 13 réponses », le STJIM soutient qu’il « demande simplement la tenue d’une véritable négociation » et qu’il souhaite « pouvoir apporter des pistes de solution qui permettraient à Quebecor de maintenir les importantes marges de profit que le Journal a générées au fil des ans, tout en protégeant au maximum nos emplois et nos conditions de travail. »
Les amères défaites subies par les travailleurs au Journal de Québec, à Vidéotron et dans d’autres conflits de travail au cours des dernières décennies démontrent que les syndicats ne sont nullement voués à la protection de « nos emplois » et de « nos conditions de travail ». Ces mots expriment plutôt le chauvinisme propre à la bureaucratie ouvrière qui s’en sert pour diviser les travailleurs selon des lignes nationales ou régionales. Le STIJM a accueilli avec joie le fait que Bernard Landry – ancien chef du Parti québécois et premier ministre du Québec ayant poursuivi avec ferveur le démantèlement de l’État-Providence au nom du déficit zéro – cesse sa contribution au Journal. Landry a dit qu’il avait pris sa décision, non pas par solidarité avec les travailleurs, mais après avoir appris que la direction du quotidien faisait maintenant faire la mise en page du Journal non pas à Montréal mais à Toronto.
En opposition à la soumission aux diktats de la grande entreprise et à la subordination politique au Parti québécois prônée par la bureaucratie syndicale, les travailleurs doivent défendre leurs propres intérêts de classe en liant leur lutte à celles de leurs frères et sœurs de classe au Canada et internationalement qui affrontent les mêmes types d’attaques.
La pire crise du système capitaliste depuis la Grande Dépression fait maintenant rage et des sections entières de l’économie sont ravagées par des pertes d’emplois massives et des attaques sans précédent sur les salaires et conditions de vie. Les travailleurs en grève du Journal de Montréal doivent lancer l’appel le plus large pour une riposte commune de la classe ouvrière contre cette offensive généralisée sur les emplois et les salaires. Une telle riposte doit être associée à une lutte politique consciente pour la réorganisation de l’économie sur une base égalitaire, démocratique et rationnelle, c’est-à-dire pour le socialisme.
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