WSWS : Nouvelles et analyses : Europe
La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) tiendra un congrès extraordinaire du 5 au 8 février pour se dissoudre et, à la place, fonder le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Selon les propres documents de la LCR, le NPA renoncera à une orientation socialiste en direction de la classe ouvrière et à la lutte révolutionnaire pour un gouvernement ouvrier, pour s’orienter vers un milieu politique plus large comprenant des tendances qui s’opposent ouvertement à la révolution.
La plateforme politique proposée au congrès par la majorité du comité politique de la LCR explique : « Le NPA ne revendique pas de filiation spécifique avec le Trotskysme, mais une continuité avec celles et ceux qui ont affronté jusqu'au bout le système depuis deux siècles. Le NPA est un parti pluraliste et démocratique. Le processus constituant a commencé "par en bas", puis il y a eu un réel élargissement politique avec la participation de camarades venant de diverses composantes du mouvement social, de la gauche antilibérale, de l'écologie politique, de camarades issus du PS, du PCF, du mouvement libertaire, de la gauche révolutionnaire. Sans s'affadir, le NPA a tout à gagner en s'ouvrant plus encore. »
L’explosion, cet automne, d’une crise mondiale du capitalisme, qui pose une fois de plus la question de la révolution sociale, a pris la LCR au dépourvu. Comme toujours, la réponse de la LCR obéit cependant à une logique : l’évolution d’une organisation non marxiste est à la croisée des besoins changeants de la politique bourgeoise.
Des voix qui font autorité s’élèvent dans la bourgeoisie européenne pour appeler à une réorganisation de la gauche. Dans un article du 5 janvier, « Réinventer la gauche européenne », le Financial Times affirmait : « Les partis de gauche européens restent prisonniers de leur passé, obsédés par une idéologie anachronique… » L’article appelle ces partis de gauche à lancer de nouveaux appels politiques à la population, puis se termine par : « Il est possible qu’une partie de ce nouvel ordre du jour n’ait qu’un lien ténu avec le socialisme de la vieille école. Et c’est tant mieux. »
Particulièrement avec le développement de la crise économique et l’explosion de manifestations populaires massives à travers l’Europe contre la politique d’austérité sociale et la criminalité financière, le projet de trouver de nouvelles barrières politiques contre la mobilisation de la classe ouvrière devient vraiment urgent. Le chroniqueur français de droite Guy Sorman a écrit dans un éditorial du quotidien britannique Guardian que « Vider le socialisme de son contenu a une conséquence. Pour paraphraser Marx, un spectre hante l’Europe – le spectre du chaos. »
Pour faire partie du réarrangement de la gauche par la bourgeoisie, la LCR doit montrer clairement qu’elle rompt tous les liens, aussi ténus soient-ils, qu’elle a pu avoir avec une politique révolutionnaire. Dans la mesure où la LCR est associée au Trotskisme dans l’esprit du public, cela constitue un obstacle au fort virage à droite qu’elle prévoit d’effectuer en collaboration avec les syndicats, le Parti socialiste (PS), et les autres forces de l’establishment politique français.
L’objectif réel de la LCR en se liquidant, est en fait de liquider l’héritage politique de Trotsky, c’est-à-dire l’insistance sur l’indépendance politique complète de la classe ouvrière, l’internationalisme révolutionnaire, et une opposition indiscutable à la collaboration avec l’Etat bourgeois, les bureaucraties stalinienne et social-démocrate ainsi que toutes les variantes du nationalisme bourgeois et du radicalisme petit-bourgeois.
Le choix par la LCR de l’anticapitalisme comme guide idéologique constitue, dans le contexte politique européen et, à plus forte raison, français, un pas en arrière colossal et vers la droite, vers le plus petit dénominateur commun. Politiquement vague, ce terme englobe toutes sortes de mécontentements sociaux, indépendamment de leur base sociale ou de leur orientation. Il peut être adopté par de larges sections de la petite bourgeoisie, de droite comme de gauche — il recouvre tout ce qui se trouve entre l’anarchisme proposé par Pierre-Joseph Proudhon au milieu du dix-neuvième siècle et le violent mouvement protestataire populiste de droite de Pierre Poujade au milieu du vingtième siècle.
Avec les appels du président Nicolas Sarkozy à un « nouveau monde, nouveau capitalisme », dénigrant une « crise du capitalisme financier » et cherchant à « refonder » le capitalisme, il semblerait que parmi les sympathisants secrets de l’anticapitalisme il y aurait le Président lui-même !
L’abandon politique par la LCR de la « relation avec Trotsky » marque un tournant politique, mais il émane naturellement de l’histoire politique de la LCR. Examinée à la lumière des principes développés par Trotsky durant la lutte contre le stalinisme et pour fonder la Quatrième Internationale, la LCR n’a jamais été un parti trotskyste. En fait, la LCR est le résultat d’une scission de la Quatrième Internationale en 1953.
Le prédécesseur de la LCR, une minorité au sein du Parti communiste internationaliste (PCI) sous la direction politique de Michel Pablo, Ernest Mandel et Pierre Frank, avait rompu avec le trotskysme sur la base d’une orientation en direction des partis staliniens. Ils rejetaient l’analyse que faisait Trotsky de la bureaucratie soviétique comme force contre-révolutionnaire : ils affirmaient que la bureaucratie soviétique pouvait être poussée vers la gauche. En conséquence de cet abandon international de la lutte pour construire des partis révolutionnaires indépendants, et définissant la Quatrième Internationale comme un groupe de pression sur les partis de masses existants, le PCI s’orienta principalement vers le PCF.
La politique opportuniste du PCI – ses méthodes consistant à s’adapter sans question à l’état d’esprit dominant dans les mouvements de masse existants – avait préparé l’adaptation au radicalisme petit-bourgeois et aux mouvements étudiants protestataires tels qu’ils avaient émergé dans les années 60. Ceci permit au PCI de fusionner avec des groupes ayant fait scission d’avec la politiquement hétérogène UEC (Union des étudiants communistes, un mouvement de jeunesse stalinien, dont certaines sections étaient également attirées par les politiques de Mao ou de Che Guevara). Le futur dirigeant de la LCR, Alain Krivine avait été expulsé de l'UEC en 1965 et avait fondé les JCR (Jeunesses communistes révolutionnaires) l'année suivante. Après quelques changements de noms, l'organisation qui émana de la fusion du PCI et de cette fraction de l'UEC s’appelle la LCR depuis les années 1970.
Cependant, l’essentiel de son programme divergeait et même répudiait les conceptions de Trotsky, la LCR prenait soin néanmoins de conserver une certaine association avec l’image du grand dirigeant révolutionnaire. Cela donnait du prestige à la LCR et l’aidait à maintenir son autorité parmi certaines sections d’ouvriers ou d’étudiants radicalisés pour qui Trotsky représentait, au contraire du PCF, un idéal et un programme authentiquement révolutionnaires. Cette association avec Trotsky avait cependant un caractère tout à fait superficiel.
La LCR est restée une organisation petite-bourgeoise — de par sa composition, son orientation sociale, et son programme politique. Le PCI, tout comme l’UEC, était fortement orienté vers le nationalisme bourgeois, et Pablo lui-même devint conseiller du Front de libération national algérien et du PASOK bourgeois en Grèce. Le « trotsko-guévarisme » de la LCR comme on l’appelait couramment, les conduisit à soutenir toutes sortes de politiques identitaires et environnementalistes des classes moyennes.
La direction de la LCR elle-même admet que sa dernière mutation est la conséquence d’une orientation petite-bourgeoise bien établie. Dans une déclaration de décembre 2008, « De la LCR au NPA » ses dirigeants principaux (dont Alain Krivine, François Sabado, le philosophe Daniel Bensaïd, et sa porte-parole Roselyne Vachetta) écrivaient : « Ce n'est pas par hasard si, dans la gauche révolutionnaire française et même internationale, c'est la LCR qui a pris une telle initiative. C'est que nous sommes le produit d'une certaine histoire du mouvement révolutionnaire, d'une fusion entre un courant du trotskysme et la radicalisation de la jeunesse dans les années 60. »
Ils ajoutaient « A la différence d'autres courants, nous nous sommes efforcés d'incorporer à notre héritage politique, les changements du capitalisme de l'après-guerre, une solidarité forte avec les révolutions coloniales et les mouvements anti-bureaucratiques à l'Est, l'analyse de nouveaux mouvements sociaux comme le mouvement des femmes, aujourd'hui la prise de conscience écosocialiste face à la crise écologique, et surtout une réflexion et un enrichissement d'un des points clé de notre programme : la démocratie socialiste. »
Un autre élément important dans le virage de la LCR vers « l’anticapitalisme » tient à l’important réseau de contacts aux plus hauts niveaux des médias et de l’appareil politique bourgeois français qu’ils ont développés durant les années 1980 et 1990. La présidence de Mitterrand de 1981 à 1995 a marqué un net changement de climat politique par rapport aux années 1970. Les immenses espoirs que les masses plaçaient dans l’élection de Mitterrand ont été trahis lorsqu’il s’est lancé en 1983 dans une politique d’austérité pour limiter les augmentations de salaire. À cette période, la LCR commença à évoluer, comme d’autres groupes d’anciens étudiants radicaux, pour devenir une organisation hermaphrodite ayant à la fois les aspects d’un groupe protestataire et ceux d’un parti de l’establishment.
De nombreux membres de la LCR allèrent rejoindre le PS, où ils occupent maintenant des postes importants : Henri Weber, aujourd’hui un allié de l’ex-premier ministre Laurent Fabius ; Julien Dray, l’ex dirigeant de l’organisation de jeunesse de la LCR, le Mouvement d’action syndicale (MAS), et maintenant l’un des principaux conseillers de la candidate PS à la présidentielle, Ségolène Royal ; Gérard Filoche, qui a quitté la LCR au début des années 1990 et qui joue maintenant un rôle important dans les contacts du PS avec les dirigeants syndicaux. Un autre membre de la LCR, Edwy Plenel, qui l’a quitté au début des années 1980, est devenu l’éditeur du quotidien français de référence Le Monde.
Le tournant à gauche du climat politique après les grèves massives des cheminots de novembre-décembre 1995 a amené la LCR à collaborer directement avec les principaux partis bourgeois français. Une indication de la duplicité fondamentale de la LCR est qu’elle ne discute jamais dans sa presse ou devant sa base de ses arrangements avec les partis bourgeois, mais par contre affiche souvent une opposition intransigeante envers le PS. Ces relations sont rarement mentionnées dans les médias bourgeois français, mais sont très bien détaillées dans des livres sur la LCR, y compris ceux qui sont vendus dans la propre librairie de la LCR.
Le gouvernement du Premier ministre socialiste Lionel Jospin de 1997 à 2002 s’étant discrédité par ses programmes d’austérité et de privatisation, il entama des négociations avec la LCR. Il faut noter que Jospin lui-même était parvenu au poste de Premier ministre après avoir débuté sa carrière politique au sein d’un autre parti révisionniste, anciennement trotskyste, l’Organisation communiste internationaliste (OCI) dirigée par Pierre Lambert – aujourd’hui le Parti ouvrier indépendant (POI).
Lors de négociations secrètes précédant les élections présidentielles de 2002, la LCR avait adopté le rôle de couverture politique du PS. Le PS avait accepté d’aider le candidat de la LCR, Olivier Besancenot, à obtenir les 500 signatures requises et à organiser une couverture médiatique en sa faveur si en échange la LCR promettait d’entretenir l’image de Jospin auprès des électeurs de gauche dans ses déclarations en vue du second tour des élections. Dans les faits, le PS et la LCR avaient mal calculé leur opération et l’impopulaire Jospin avait été éliminé au premier tour, entraînant un second tour entre le conservateur Chirac et le néo-fasciste Le Pen.
Au lieu d’appeler à un boycott au moment où le système électoral était discrédité aux yeux d’une grande partie de la population, la LCR s’était alignée sur la bourgeoisie en appelant à voter Chirac.
Après l’élection de Chirac, la LCR trahit les mouvements de grève de masse contre la politique sociale du gouvernement de Chirac. Bien qu’elle fût considérée comme une voix politique importante à « l’extrême gauche », elle s’abstint prudemment de lutter pour arracher la direction des luttes des mains de la bureaucratie syndicale qui très vite trahit les grèves. Pendant ce temps, Besancenot bénéficiait d’une couverture médiatique non-stop aux informations et même dans les émissions de « chat show people » à la télévision et dans d’autres médias de masse.
Comme l’expliquait François Sabado, de la LCR, dans un article publié en novembre 2004 et intitulé « Situation politique, parti anticapitaliste et parti révolutionnaire en Europe », la LCR insistait pour dire que sa tâche principale était d’organiser une stratégie commune avec les syndicats et la gauche bourgeoise française. Tout en étant disposée à émettre quelques critiques limitées sur ce qu’elle appelait l’inaction des syndicats et du PS, qui étaient tous deux fondamentalement hostiles aux grèves des travailleurs contre Chirac, elle refusait d’entreprendre une quelconque action qui puisse entraîner une rupture définitive avec les uns comme les autres.
Bien sûr, Sabado sait parfaitement que le PS est un parti bourgeois discrédité devant les masses. En adoptant le style cynique de l’obscurcissement, élaboré par des professeurs d’université abreuvés de Foucault et de Derrida et adoptée tout entier par la LCR, il écrivait : « Ce que nous avons expliqué, et que nous maintenons, c’est que sous la pression de la mondialisation capitaliste libérale, la social-démocratie connaît un processus de "social-libéralisation", de "droitisation" de sa politique, d’une interpénétration sociale poussée de sa direction avec la haute administration et les sommets capitalistes. Nous avons constaté, avec des développements inégaux, que ce processus provoque le décrochage de secteurs importants des classes populaires vis-à-vis des organisations de la gauche traditionnelle. »
Toute l’histoire, ainsi que la perspective de la LCR, sont toutefois construites sur une collaboration complexe avec les partis bourgeois et qui figure également au cœur du projet du NPA. Dans une partie intitulée « Politique anticapitaliste », Sabado écrivait que les révolutionnaires « doivent réaffirmer une politique d'unité et d'indépendance de classe... Notre politique contre le gouvernité d'action de toute la gauche sociale, syndicale et politique — s'est d'abord concrétisée, dans les luttes ». Au cas où certains n’auraient pas compris que ceci signifiait l’unité avec le PS aussi, Sabado avait ajouté, « Nous ne pensons pas que les partis socialistes [d’Europe] sont devenus des partis bourgeois. »
C’est tout simplement une déclaration absurde. Les vieux partis socialistes, comme le soulignaient les révolutionnaires de l’époque, avaient irrévocablement prouvé leur caractère bourgeois en 1914 en votant les crédits de guerre au début de la Première Guerre mondiale. Toutefois, par rapport à ces vieux partis de masse, le PS d’aujourd’hui marque un virage décisif à droite : il fut fondé en 1971 au Congrès d’Epinay pour devenir l’appareil électoral personnel d’un politicien bourgeois, François Mitterrand dont la carrière politique douteuse avait débuté dans des organisations antisémites de droite et incluait un passage, en tant que fonctionnaire de second rang, dans le régime collaborationniste de Vichy pendant l’Occupation.
Le contexte plus immédiat au lancement du projet du NPA a été un alignement temporaire sur la droite bourgeoise, à savoir, la collaboration politique de la LCR avec le ministre de l’Intérieur d’alors (le président d’aujourd’hui), Nicolas Sarkozy. En 2006, tous deux cherchaient à obliger le premier ministre Dominique de Villepin, principal rival politique de Sarkozy dans la droite française, à retirer le projet de loi instaurant le Contrat Première Embauche (CPE). Villepin fut finalement obligé de retirer la réforme en pleine vague de grèves et sous la pression de Sarkozy qui avait lancé un appel à négocier avec syndicats ; ce dernier en était sorti considérablement renforcé politiquement.
Bien que Sarkozy projetât clairement de s’allier aux syndicats dans le but de poursuivre un programme encore plus droitier que Villepin, la LCR proclama que la lutte contre le CPE avait été une grande victoire. En contrepartie, dans la période précédant les élections présidentielles de 2007, Sarkozy lança un appel public aux élus locaux pour qu’ils donnent leurs signatures et permettent ainsi à Besancenot de se présenter à nouveau aux élections.
La LCR lança le projet du NPA aussitôt après que Sarkozy eut battu la candidate du PS, Ségolène Royal, lors du deuxième tour des élections présidentielles en mai 2007. La presse bourgeoise parlait joyeusement de « rupture » dans le modèle social que Sarkozy comptait organiser. Le projet du NPA ne se fondait pas clairement sur une opposition de principe de la LCR ni contre Sarkozy ni contre le PS avec lequel elle avait collaboré. Au contraire, ils sentaient que le gouvernement Sarkozy révèlerait de manière encore plus nette qu’avant le vide existant à gauche et ils cherchèrent, au moyen du NPA, à opérer un certain regroupement au sein de l’establishment de gauche français.
Les références répétées au gouvernement de Front populaire de 1936-1938 et favorables à son égard, faites par la direction de la LCR, sont une indication de ce qu’ils escomptent d’un tel rassemblement. Le Front populaire était en fait l’un des chapitres les plus tragiques et les plus honteux de l’histoire de la classe ouvrière. Selon la stratégie du Front populaire, défendue par la bureaucratie stalinienne et adoptée par les politiciens bourgeois d’Europe de l’Ouest, les partis de masse de la classe ouvrière devaient s’allier à la gauche bourgeoise, ostensiblement pour faire obstacle au fascisme. En France, le Parti socialiste (avec la collaboration tacite du PCF) rejoignit au gouvernement le Parti radical bourgeois en 1936. Avec l’aide du PCF, il fit cesser une grève générale en forçant les travailleurs à reprendre le travail, en échange de concessions sociales officialisées dans les accords de Matignon.
Cette défaite engendra une atmosphère d’intense démoralisation dans la population et un regain de sentiments ouvertement fascistes au sein du corps des officiers français et de la bourgeoisie en général qui parlaient de « tuer la gueuse », autrement dit, la République qui, contrairement au régime nazi, avait été incapable d’empêcher et d’étouffer complètement l’ensemble des mouvements de la classe ouvrière. En Espagne, le Front populaire avait lié les travailleurs révolutionnaires au gouvernement bourgeois de la République espagnole et les avait conduits à la défaite dans la guerre civile. En retirant de l’ordre du jour politique immédiat la révolution en Europe, ces événements avaient grandement stabilisé le régime nazi d’Hitler et ouvert la voie à la Deuxième guerre mondiale, à la capitulation de la bourgeoisie française aux nazis et à sa collaboration durant l’Occupation.
Les formulations ambiguës et évasives de la LCR quant au Front populaire et au pouvoir ne peuvent toutefois dissimuler leurs préparatifs d’entrée dans des gouvernements bourgeois.
En juin 2008, lors d’une interview avec le porte-parole du PCF Olivier Dartigolles, Sabado disait : « Il ne s’agit pas de refuser toute participation gouvernementale, nous nous situons clairement dans une optique de gouvernement, mais un gouvernement qui soit le produit des mouvements sociaux, des rapports de forces politiques. » Et Sabado d’ajouter, « Les principales conquêtes dans le pays ont parfois été enregistrées par tel ou tel gouvernement, mais elles sont le produit de grèves générales, de situations révolutionnaires ou prérévolutionnaires. » Il a donné l’exemple des « congés payés, la semaine de 40 heures ou les nationalisations » accordés par le Front populaire.
Lors d’une table ronde en décembre 2007 avec plusieurs politiciens PS, y compris l’ancien membre de la LCR, Henri Weber, Krivine avait formulé, avec un mélange de malhonnêteté et de cynisme dont il est passé maître, la même perspective : « La première question que je pose : peut-on résorber [l'inégalité sociale] par des mesures concrètes qui impliquent une nouvelle répartition des richesses ? La deuxième question est celle des moyens : toutes les grandes réformes en France, celles du Front populaire, celles de la Libération, celle de 68, la victoire sur le CPE, ne sont jamais venues directement des parlementaires. C’est parce que des millions de gens sont descendus dans la rue, ont fait la grève générale, vous ont botté les fesses. »
Toutes ces déclarations démagogiques omettent de dire que la grève générale de 1936 fut trahie par le stalinisme et la CGT, que la bourgeoisie se maintint au pouvoir et que la voie fut ouverte aux défaites ultérieures. De par ces déclarations, la LCR montre qu’elle se trouve de l’autre côté des barricades. Trotsky avait dénoncé le Front populaire comme une alliance contre-révolutionnaire du libéralisme bourgeois avec la GPU, la police secrète stalinienne. Il avait implacablement critiqué sa politique pour être une trahison des intérêts historiques et révolutionnaires de la classe ouvrière et la forme la plus complexe et la plus dangereuse de la stratégie contre-révolutionnaire.
La déclaration la plus complète concernant les projets de la LCR fut donnée peu après le lancement du projet du NPA, dans une déclaration publiée en mars 2006 et intitulée « Quelques éléments clés sur la stratégie révolutionnaire dans les pays capitalistes avancés. »
Cette déclaration commence par nier la probabilité d’une crise mondiale du capitalisme, en citant Ernest Mandel : « Lorsqu’on évoque l’époque des révolutions, cela ne signifie pas du tout qu'aucun développement ultérieur des forces productives ne serait plus possible sans la chute de ce mode de production. Cela signifie seulement que, de ce point de vue, les forces productives qui continuent à se développer entrent en rébellion de plus en plus ouverte avec le mode de production existant et concourent à sa perte. » Il ajoute : « Mandel rejette toute interprétation mécanique et catastrophiste des formules de Marx. »
Ayant prématurément rejeté la probabilité d’une crise capitaliste, la déclaration enchaîne sur la nécessité d’une alliance politique avec la bourgeoisie « sociale libérale ». « La question du front unique est une question centrale dans un pays comme la France de 2006, mais elle ne se pose pas dans les mêmes termes avant 68, après 68 ou aujourd’hui avec l’évolution sociale libérale du mouvement ouvrier, la crise des PC et les nouveaux espaces pour une politique anticapitaliste. » En dépit du caractère « social-libéral », autrement dit bourgeois, de ces forces, ajoute la déclaration, « la recherche de l’unité des travailleurs et de leurs organisations est une donnée permanente de la politique des révolutionnaires ».
La déclaration décrit ensuite longuement sa conception théorique de la manière de mener une lutte politique. Elle commence par la grève générale qu’elle décrit comme « une figure centrale dans notre stratégie ». Bien que la France eût connu à cette époque deux mouvements de grève ayant mobilisé des millions de personnes au cours des cinq dernières années, et que des grèves de grande envergure allaient se produire durant chacune des trois années suivantes, la déclaration affirme carrément : « Aujourd’hui, les rapports de forces entre les classes en Europe ne mettent pas à l’ordre du jour l’éclatement de telles grèves générales. »
Elle fait remarquer que la grève générale soulève immédiatement la question d’une « perspective de pouvoir gouvernemental ». Toutefois, ne voulant pas détruire trop d’illusions concernant la politique de protestation, elle ajoute : « Bien entendu, dans toute l'histoire des luttes sociales, nombre de réformes, de nouveaux droits, de conquêtes sociales ont été obtenues sous la pression de rapports de forces et de mobilisations sociales... sans prendre le pouvoir ! »
Cette perspective consistant à ne pas défier la bourgeoisie se révèle le plus clairement dans la définition que donne la LCR d’un gouvernement ouvrier.
Dans le vocabulaire marxiste, la signification d’un gouvernement ouvrier est tout à fait claire : il s’agit d’un Etat fondé sur des organes populaires créés par la classe ouvrière au cours des luttes de masse contre le capitalisme. La LCR, bien évidemment, a une interprétation différente : « Le gouvernement ouvrier est une formule transitoire de gouvernement, dans une situation de crise où les institutions du vieil appareil d’Etat ne sont pas encore détruites. Ce n’est pas encore le pouvoir des organismes populaires ou de la "dictature du prolétariat", mais ce n’est plus le fonctionnement normal des institutions bourgeoises. [...] C’est une possibilité de gouvernement intermédiaire vers la conquête du pouvoir par les travailleurs. »
Trotsky avait été confronté à ce genre d’affirmation il y a bien longtemps. Il avait intégré la revendication pour un gouvernement ouvrier dans le Programme de transition, le document fondateur de la Quatrième Internationale, dans le but de populariser la notion de la lutte du prolétariat pour le pouvoir. Il avait explicitement rejeté l’affirmation qu’un gouvernement ouvrier représentait un compromis liant la classe ouvrière à l’Etat bourgeois.
Ne pouvant passer sous silence le fait qu’une alliance avec les partis dirigeants de la bourgeoisie française constituait une rupture totale avec le marxisme révolutionnaire, la déclaration de la LCR affirme que les expériences révolutionnaires faites dans le passé sont sans rapport avec la période actuelle : « C’est, en faisant référence à la Russie de février à octobre 17, et l’Allemagne en 18 et 23, que Trotsky utilise ses formulations "exigeant des partis ouvriers la rupture avec la bourgeoisie". Mais ces formules sont aujourd’hui frappées de relativité historique. »
Ce programme réactionnaire expose les grandes lignes de la volonté de la LCR de jouer un rôle ouvertement contre-révolutionnaire conjointement avec le PS, le PCF et d’autres organisations de l’establishment de gauche français, à l’encontre d’une population de plus en plus radicalisée. Dans les luttes de masse qui vont inévitablement arriver en France, le NPA se révèlera être un défenseur résolu de l’Etat bourgeois et un ennemi implacable de la classe ouvrière.
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