Le texte qui suit est la deuxième partie d'une conférence de Nick Beams,
secrétaire national du Socialist Equality Party (Australie) et membre du
Comité de rédaction international du World Socialist Web Site, devant des
auditoires à Sydney et à Melbourne en novembre 2009.
La
première partie a été affichée le 3 décembre 2009.
Dix ans après le Traité de Versailles, dans une situation où les
principales économies européennes venaient à peine au cours des deux années
précédentes de retrouver le niveau de rendement économique qu’elles avaient
atteint en 1913, la dernière année de paix, ce château de cartes économique
s’écroulait et l’économie mondiale était précipitée dans la Grande
Dépression. Les tensions économiques entre les grandes puissances
capitalistes qui s’ensuivirent, attisèrent la poussée vers la guerre.
Chacun des principaux adversaires dans la guerre qui devait éclater en
1939 avait de puissants intérêts à défendre et à mettre en avant, des
intérêts qui menèrent inévitablement à des conflits les uns avec les autres.
Examinons-les, chacun à leur tour.
En Allemagne, l’effondrement de l’économie mondiale signifia que la
conquête militaire était remise à l’ordre du jour. Ceci fut exprimé dans le
programme de Hitler et du parti nazi dans la doctrine du Lebensraum
(espace vital). Hitler considérait qu’il était futile de promouvoir les
intérêts de l’Allemagne en entrant en compétition sur le marché mondial avec
l’empire britannique. Préférant aboutir à un accord avec la Grande-Bretagne,
Hitler était bien plus préoccupé par les Etats-Unis. Une campagne continue
était en cours en Allemagne pour le rétablissement de ses frontières
d’avant-guerre, l’Allemagne ayant perdu une grande part de son territoire du
fait du Traité de Versailles. Mais, pour Hitler ceci ne suffisait pas. Même
en cas de restitution de ces régions, l’économie allemande était trop petite
pour concurrencer les Etats-Unis dont la prééminence économique était
exprimée avant tout dans l’industrie automobile.
Dans son second livre inédit, Hitler avait défini sa perspective comme
suit : « Mis à part le fait qu’en plus des Etats européens qui sont en train
de lutter pour le marché mondial en tant que nations exportatrices, l’union
américaine est à présent aussi le plus fort concurrent dans de nombreux
domaines. La dimension et la richesse de son marché intérieur permet des
niveaux de production et donc des possibilités de production qui baissent
les coûts de production à un degré tel qu’en dépit de salaires énormes,
vendre moins cher ne semble plus du tout possible… [L]a taille du marché
interne américain et la richesse de son pouvoir d’achat et aussi…les
matières premières assurent à l’industrie automobile américaine des chiffres
de ventes intérieures qui à eux seuls permettent des méthodes de production
qui seraient tout simplement impossibles en Europe en raison du manque de
potentiel de vente intérieure. » Seul un marché de taille comparable
pourrait être à la hauteur du danger économique américain.
Mais, insistait Hitler, un mouvement paneuropéen, un genre d’unification
formelle, ne serait pas en mesure de contrecarrer la puissance des
Etats-Unis. Il fallait que l'unification européenne soit réalisée sous la
direction d’une nation dominante, l’Allemagne. « A l’avenir, » écrivait-il,
« le seul Etat qui sera capable de se défendre contre l’Amérique du Nord
sera un Etat qui a compris comment, de par le caractère de sa vie interne
ainsi que par la substance de sa politique étrangère, élever la valeur
raciale de son peuple en l’adaptant, à cette fin, à la forme pratique
nationale… C’est… le devoir du mouvement national-socialiste de renforcer et
de préparer notre propre patrie au plus haut degré possible pour cette
tâche. » [6] Hitler n’a pas inventé la
doctrine du Lebensraum obtenu par la conquête militaire et visant à
élever l’Allemagne au statut de puissance mondiale. C’était le programme
d’une section déterminée de la bourgeoisie allemande. Il fut imposé en 1918
par le Traité de Brest-Litovsk à l’Union soviétique, nouvellement née,
permettant à l’Allemagne de s’approprier des régions de l’Ukraine et de la
Russie riches en ressources.
L’impérialisme britannique ne fut pas moins impitoyable que l’Allemagne
dans la poursuite de ses intérêts, la différence cruciale étant que la
puissance mondiale économique et militaire de la Grande-Bretagne reposait
sur un vaste empire déjà acquis. Considérant la Grande-Bretagne comme un
exemple qu’il fallait admirer et suivre, Hitler parlait souvent de la Russie
comme devenant « notre Inde » alors qu’il anticipait la conquête militaire
de l’Union soviétique.
La position de la Grande-Bretagne fut très clairement résumée en 1934 par
le Premier Lord de la Mer (First Sea Lord), Sir Ernie Chatfield : « Nous
sommes dans la remarquable position de ne vouloir nous quereller avec
personne parce que nous possédons déjà la plus grande partie du monde, ou
bien ses meilleures parties, et nous ne voulons que conserver ce que nous
avons et empêcher les autres de nous le prendre. » [7]
La Grande-Bretagne n’était pas opposée à ce que l’Allemagne renforce sa
position sur le continent européen. En effet, elle considérait qu’un tel
développement était un contrepoids à la France tout en gardant l’espoir que
l’Allemagne attaquerait l’Union soviétique. Ce ne fut que lorsqu’il devint
évident que la montée de l’Allemagne menacerait la position de la
Grande-Bretagne même, que la guerre fut déclarée. Et, tout au long de la
guerre, la Grande-Bretagne s’était battue non pas pour défendre la
démocratie mais pour préserver son empire.
Avec l’entrée de l’Union soviétique dans la guerre en 1941, la
Grande-Bretagne retarda l’ouverture d’un second front aussi longtemps que
possible, ce qui eut pour conséquence que quelque 65 pour cent des pertes
militaires alliées furent subies par l’Union soviétique. Plutôt que d’ouvrir
un second front, Churchill préféra entreprendre des opérations militaires en
Afrique du Nord dans le but de protéger les intérêts britanniques au
Moyen-Orient et en Méditerranée. Durant les derniers jours de la guerre, il
avait même envisagé d’organiser une opération en utilisant les divisions
alliées et les restes des armées de Hitler pour chasser les Russes de la
Pologne. Une telle entreprise se serait soldée par un désastre… mais le
sacrifice d’innombrables vies ne fut jamais un problème pour Churchill dès
lors qu’il s’agissait de la défense de l’Empire.
Le Japon avait annoncé son apparition comme puissance mondiale avec la
défaite de la Russie dans la guerre de 1904-05. Dans la Première guerre
mondiale il était l’allié de la Grande-Bretagne contre l’Allemagne.
L’effondrement de 1929 avait eu un effet dévastateur sur l’économie
japonaise. Son principal marché d’exportation, la vente de la soie aux
Etats-Unis, avait disparu presque du jour au lendemain. Pour le Japon, comme
pour l’Allemagne, la voie de l’expansion économique ne passait pas par le
marché mondial, et 1933, ceci avait quasiment disparu du fait du
resserrement de deux tiers du commerce international par rapport aux niveaux
de 1929. Alors que l’Allemagne se tournait vers l’Est pour les ressources de
l’Ukraine et de la Russie, le Japon se tournait vers l’Ouest, la Chine.
L’invasion et l’occupation japonaises de la Mandchourie en 1931 furent
suivies en 1937 par son invasion du reste du pays. Toutefois, ceci fit que
le Japon entra en conflit avec les Etats-Unis qui rejetaient la fermeture de
l'accès à la Chine et la montée de l’empire japonais dans le Pacifique.
L’océan devait devenir un lac américain et non japonais.
De toutes les grandes puissances capitalistes, les Etats-Unis semblaient
être la seule à ne pas être à la recherche d’un empire. Mais
l’« anti-impérialisme » des Etats-Unis n’était pas moins l’expression de ses
intérêts économiques fondamentaux que l’impérialisme de ses rivaux. Etant
arrivés relativement tard sur la scène mondiale, ils avaient proclamé le
principe de « la porte ouverte » étant donné qu’ils cherchaient à démanteler
les empires existants. Les Etats-Unis étaient « anti-impérialistes » tout
comme la Grande-Bretagne l’était quand elle était la puissance économique
dominante au dix-neuvième siècle, le champion du « libre échange »,
cherchant à ouvrir les marchés du monde à ses exportations.
Les Etats-Unis étaient devenus une puissance par l’exploitation des
ressources d’un continent entier. Mais, à présent ni la richesse du Nord ni
celle du Sud de l’Amérique n’était plus suffisante. Les Etats-Unis étaient
intervenus dans la Première guerre mondiale pour s’assurer d’avoir leur mot
à dire dans l’établissement de l’ordre économique et politique mondial
d’après-guerre. Après une expansion économique énorme durant les années
1920, l’effondrement économique des années 1930 et surtout l’échec du New
Deal, avaient révélé que les problèmes auxquels était confronté le
capitalisme américain ne pourraient être résolus qu’à une échelle mondiale.
Le dynamisme et le degré de productivité de l’industrie américaine étaient
tels qu'elle ne pouvait continuer dans un monde restreint par les empires
des autres puissances impérialistes.
En 1914, Léon Trotsky écrivait, que l’Allemagne était entrée en guerre
dans le but d’organiser l’Europe. L’Amérique était à présent confrontée à la
tâche d’organiser le monde. Avec le développement de nouveaux systèmes de
gestion et de chaînes de montage, le capitalisme américain avait augmenté la
productivité du travail et atteint de nouveaux niveaux, mais partout son
expansion était bloquée. « Chacun se défend contre tous les autres, »
écrivait Trotsky en 1934 dans son article Nationalisme et vie économique,
« se protégeant derrière des murailles douanières et une rangée de
baïonnettes. L’Europe n’achète pas de biens, ne paie pas ses dettes, et,
par-dessus le marché, s’arme. Avec cinq misérables divisions, le Japon
affamé s’empare de tout un pays. La technique la plus avancée au monde
semble impuissante devant des obstacles qui reposent sur une technique bien
inférieure. La loi de la productivité du travail semble perdre de sa
vigueur. Mais ce n’est qu’une apparence. La loi fondamentale de l’histoire
humaine doit inéluctablement se venger des phénomènes secondaires et
annexes. Tôt ou tard, le capitalisme américain devra s’ouvrir à lui-même, en
long et en large, notre planète tout entière. Au moyen de quelles méthodes ?
De toutes les méthodes. Un coefficient élevé de productivité signifie
également un coefficient élevé de forces destructrices. Suis-je en train de
prêcher la guerre? Pas le moins du monde, je ne prêche rien. J’essaie
seulement d’analyser la situation mondiale et de tirer des conclusions des
lois de la mécanique économique. »
La Deuxième guerre mondiale n’avait pas été une guerre de la démocratie
contre le fascisme mais une lutte entre les principales puissances
impérialistes pour le repartage du monde. L’impérialisme allemand cherchait
à conquérir l’Europe, et avant tout, la défaite de l’Union soviétique afin
de s’assurer une base économique à partir de laquelle elle pourrait
concurrencer les Etats-Unis. L’impérialisme japonais cherchait à établir un
empire à l’Est pour exploiter les ressources de la Chine et de l’Asie du
Sud-Est. La Grande-Bretagne avait déjà un empire et cherchait à le préserver
contre d’éventuels usurpateurs. Les Etats-Unis, après être devenus trop
grands pour leurs débuts continentaux, avaient à présent besoin du monde
entier pour sauvegarder la continuation de leur expansion économique. Ils
étaient hostiles à l’impérialisme allemand, à l’impérialisme japonais et,
comme Churchill l’avait découvert, ils cherchaient à démanteler l’empire
britannique.
La guerre avait pris la forme politique d’un conflit entre la
démocratie et le fascisme et le militarisme pour des raisons clairement
discernables. La démocratie de la Grande-Bretagne n’était pas le
résultat de la sainteté des longues traditions de liberté anglaise mais
reposait sur les ressources matérielles de l’empire. Les concessions
faites par la classe dirigeante à l’intérieur du pays étaient rendues
possibles par les ressources qu’elle extrayait grâce à sa domination
coloniale auprès de centaines de millions de personnes de par le monde.
La démocratie en Grande-Bretagne reposait sur le refus de la démocratie
aux masses du sous continent indien. Les Etats-Unis furent capables de
faire des concessions politiques et de conserver des formes
démocratiques en raison de la richesse qu’ils extrayaient d’un vaste
continent. Tous les efforts des démocraties visaient à maintenir leur
position privilégiée par rapport à leurs adversaires. Les classes
dirigeantes étaient plus que disposées à abandonner la démocratie et à
s’arranger avec le fascisme en cas de besoin. Ce fut la grande leçon de
la France, à bien des égards le lieu par excellence de la démocratie
bourgeoise moderne, où la bourgeoisie capitula immédiatement devant
Hitler en juin 1940 pour mettre en place le régime fantoche de Vichy
plutôt que de risquer d’ouvrir la voie à la prise du pouvoir de la
classe ouvrière. Il valait mieux endurer les désagréments du nazisme que
risquer de tout perdre.
Tout au long des années 1930, Trotsky avait insisté à maintes
reprises pour dire que la guerre ne pourrait être évitée à moins qu’il y
ait une révolution socialiste. La guerre ne pourrait pas être stoppée
sans le renversement des vieilles classes dirigeantes, quelle que soit
l’ampleur des sentiments anti-guerre des masses, quel que soit le degré
d’horreur au vu de la mort et de la destruction qu’elle causerait, parce
qu’elle survenait des contradictions intrinsèques et des forces motrices
du système capitaliste même.
Ceci signifiait que la lutte pour résoudre la crise de la direction
prolétarienne était la question décisive et c’est pourquoi Trotsky avait
insisté, en dépit du rôle gigantesque qu’il avait joué dans la
Révolution russe, que la fondation en 1938 de la Quatrième
Internationale, le parti mondial de la révolution socialiste, était
l’œuvre la plus importante de sa vie. Tant que la direction de la classe
ouvrière restait entre les mains de la social-démocratie et du
stalinisme, la guerre était inévitable. Ce furent les trahisons de ces
directions qui accélèrent la poussée vers la guerre.
Si les classes dirigeantes redoutaient d’une façon ou d’une autre ce
que le déclenchement d’une guerre pourrait déchaîner, ces craintes
furent grandement soulagées par les événements d’Espagne et de France en
1936. La Révolution espagnole qui avait commencé en 1936, et la guerre
civile qui se poursuivit jusqu’en 1939, ne furent pas mise en échec. La
Révolution fut trahie. Les staliniens et les escadrons d’assassins de la
police secrète de l’Union soviétique, le GPU, oeuvraient sciemment à la
défaite de la classe ouvrière. Telle était la garantie offerte par
Staline à la bourgeoisie mondiale de son opposition à toute extension
internationale de la révolution socialiste. Dans le même temps, les
centristes et les anarchistes évitèrent la tâche critique de mettre en
avant la lutte pour le pouvoir, entrèrent dans des gouvernements
bourgeois et préparèrent ainsi la voie à la victoire de Franco.
En France, la situation potentiellement révolutionnaire qui s’était
développée avec la grève générale de 1936 fut sabotée par la subordination
de la classe ouvrière au gouvernement bourgeois de Front populaire. Au lieu
d’empêcher le fascisme, le front populaire lui ouvrit la porte, comme le
montrent si clairement les événements de mai 1940 en France.
Le danger d’une nouvelle guerre mondiale
Ces leçons ont une signification cruciale pour la situation actuelle. En
revoyant l’histoire de la Première et de la Deuxième guerre mondiale, la
question qui vient immédiatement à l’esprit est la suivante : cela
pourrait-il se produire à nouveau ? Examinons à nouveau la question
soulignée par Lénine. La paix émane de la guerre et dans le même temps la
paix prépare le terrain à de nouvelles guerres.
En 1945, le conflit sanglant de 30 ans et qui avait débuté en Europe en
1914 pour ensuite embraser le monde entier, se terminait par la victoire des
Etats-Unis et des alliés, et de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie et
le Japon. L’ordre d’après-guerre qui établissait la paix parmi les
puissances impérialistes, parallèlement à l’expansion économique, reposait
sur deux fondements : la domination économique des Etats-Unis sur ses
adversaires impérialistes et la Guerre froide qui servit du moins à réguler
les conflits entre les puissances impérialistes, sans pour autant les
supprimer totalement. La division de l’Europe en Est et Ouest réglait la
« Question allemande », l’étincelle qui avait provoqué deux conflits
mondiaux.
Ces deux piliers que l’on pourrait appeler Pax Americana se sont
effondrés. La conséquence en a été le développement, au cours de ces 20
dernières années, d’une violence militaire et d’activités vraiment
criminelles jamais vues depuis les années 1930. Revenons une fois de plus
sur l’analyse de Lénine. Une paix générale, établie soit par la domination
d’une seule puissance impérialiste soit par un accord entre plusieurs de ces
puissances ne peut durer indéfiniment. La raison en est que le développement
capitaliste se fait inégalement et que les rapports économiques existant
entre les puissances qui ont établi l’accord changeront inévitablement.
C’est ce qui se produit depuis la Deuxième guerre mondiale.
La prédominance économique des Etats-Unis s’est progressivement érodée
depuis 1945 en raison surtout de l’expansion même de l’économie capitaliste
mondiale rendue possible par les arrangements d’après-guerre. L’essor
économique des puissances vaincues, Allemagne et Japon, processus nécessaire
à la stabilité économique du capitalisme américain même, a conduit au déclin
de la suprématie relative des Etats-Unis. Un tournant charnière dans ce
processus survint en 1971 quand, après une augmentation continue du déficit
de la balance des paiements, le gouvernement Nixon résilia la convertibilité
en or du dollar américain et fit voler en éclats le système monétaire de
Bretton Woods qui avait été un pilier de l’ordre économique mondial. A la
fin des années 1980, les Etats-Unis, autrefois première nation créditrice du
monde, était devenue son plus grand débiteur.
De nos jours, non seulement la décrépitude et la pourriture interne au
cœur du système financier américain ont été révélées, mais ce dernier est
confronté à la montée de nouvelles puissances, la Chine et l’Inde, ainsi
qu’à la réapparition d’anciennes qui réclament leur place au soleil. Comme
l’expliquait Lénine, le développement inégal du capitalisme même a fait
voler en éclats les fondations sur lesquelles reposaient les anciens
rapports politiques. De nouvelles relations ne s’établiront pas
pacifiquement mais au moyen de conflits.
En fait, le processus est déjà bien engagé. Telle est la signification de
l’éruption de la violence impérialiste durant ces deux dernières décennies.
Les Etats-Unis ont profité de l’effondrement de l’Union soviétique au début
des années 1990 pour contrecarrer leur déclin économique au moyen de leur
prépondérance militaire. C’est ce que signifie le soi-disant moment
« unipolaire. » Dès lors, les Etats-Unis ont lancé une série de guerres. La
Guerre du Golfe en 1990 fut suivie par le démembrement de la Yougoslavie
tout au long de la décennie, puis le déclenchement de la guerre contre la
Serbie en 1999. Le gouvernement Clinton avait failli déclencher une seconde
guerre contre l’Irak en 1998. Survinrent les événements du 11 septembre 2001
dont se saisit le gouvernement Bush pour mettre en route des plans bien
élaborés pour l’invasion de l’Afghanistan, suivi de la guerre contre l’Irak
en 2003. A présent, sous le gouvernement Obama, la guerre en Afghanistan est
intensifiée et étendue aussi au Pakistan. Avec les efforts déployés par les
Etats-Unis en vue de contrôler les vastes ressources d’Asie centrale, rien
ne ressemble autant à ses actions que celles de l’Allemagne nazie durant la
décennie des années 1930.
Les véritables questions qui se posent à nous ne concernent pas tellement
l’éventualité d’une autre guerre mondiale, mais plutôt combien de temps il
reste avant qu’elle n’éclate et ce que l'on peut faire pour l’empêcher.
Pour illustrer les questions en jeu, j’aimerais me reporter à un livre
publié récemment sous le titre Imperialism and Global Political Economy
d’Alex Callinicos. M. Callinicos est membre dirigeant du Socialist
Workers Party (SWP) de Grande-Bretagne et se considère lui-même comme un
marxiste, un léniniste et un révolutionnaire. Après un examen théorique et
historique de l’impérialisme, il arrive à la conclusion suivante : «Le fait
que se poursuive l’hégémonie américaine sur les autres régions du
capitalisme avancé apporte un soutien considérable à la conclusion de
Serfati qu’il ‘n’y a aucun risque que les rivalités économiques
inter-capitalistes des pays de la zone transatlantique ne débouchent sur des
affrontements militaires, comme ce fut le cas avec les rivalités
inter-impérialistes du vingtième siècle qui aboutirent aux guerres
mondiales.’ » [8] Et voilà. Tout le
monde peut dormir tranquille.
Selon Callinicos, les facteurs qui rendent une guerre inter-impérialiste
« improbable » sont l’écrasante supériorité militaire des Etats-Unis,
l’interdépendance des économies avancées, la solidarité politique qui les
relie et l’existence d’armes nucléaires en raison de leur effet dissuasif
contre la guerre. A l’exception des armes nucléaires, tous ces facteurs
avaient été cités dans la première décennie du vingtième siècle par
l’écrivain Norman Angell, entre autres. Mais la guerre avait tout de même
éclaté.
Quelles sont les expériences de la crise financière de 2007-2008 ? En
dépit de toutes les affirmations faites par divers universitaires de
« gauche » soi-disant « marxistes » selon lesquelles l’analyse de Lénine
n’est plus valable, et qu’il n’est plus possible d’identifier des puissances
capitalistes en particulier à des intérêts financiers et corporatifs
définis, on peut se demander ce qui s’est passé lors de la plus grande crise
économique de ces soixante quinze dernières années ? Comment ces arguments
ont-ils résisté à l'épreuve des événements? Tous les principaux
gouvernements se sont précipités pour défendre leur propre système bancaire
et leurs propres entreprises, en même temps qu'ils souscrivaient en parole à
la nécessité d’une réponse internationale coordonnée.
Callinicos ne nie pas que les Etats-Unis projettent leur puissance
militaire. Mais il signale que cette puissance est projetée « vers
l’extérieur au nom de la 'communauté internationale', au-delà des frontières
du capitalisme avancé en zones frontalières dangereuses. » Comme tout
étudiant d’histoire le sait au sujet de la Première guerre mondiale et de la
Deuxième guerre mondiale, et comme Callinicos lui-même le sait très bien,
ces conflits inter-impérialistes avaient précisément commencé dans les
« zones frontalières. » Ni les Balkans, ni la Pologne, ni la Mandchourie
n'étaient au centre de l’économie capitaliste mondiale. Et de nos jours, la
Géorgie ne l’est pas non plus, mais l’on devrait se rappeler les tensions
qui y surgirent en 2008 en plein conflit avec la Russie. C’est dans les
soi-disant « zones frontalières » que les intérêts des différentes
puissances impérialistes se croisent et entrent en collision. C’est le cas
au Moyen-Orient, en Afghanistan, en Asie centrale, autour de la Mer
Caspienne, sur le continent africain et à de nombreux points chauds de par
le monde. Callinicos se présente comme un adversaire du capitalisme et de
l’impérialisme. Mais quelle perspective avance-t-il ? Il est « improbable »,
conclut-il, que le vingt et unième siècle soit caractérisé par une
concordance consensuelle des grandes puissances. Le remède est de
« remplacer le capitalisme par une alternative démocratique et
progressiste » et non, notons-le, par le renversement du capitalisme et
l’établissement du socialisme international.
Les tensions mondiales économiques et politiques croissantes signalent le
danger d’une nouvelle guerre mondiale. Comment peut-on l’empêcher ?
Seulement par l’intervention des masses dans le processus historique.
Pourtant ces masses doivent être armées d’une perspective et d’un
programme indépendants. Des millions de personnes dans le monde avaient
cherché à intervenir et à empêcher la guerre en Irak au moyen de
manifestations mondiales en février 2003. Mais la faiblesse de ce mouvement
et la source de son échec avaient été son manque de programme indépendant.
Il avait été subordonné aux partis de la bourgeoisie impérialiste, les
Démocrates aux Etats-Unis, le Labor Party en Australie ou bien il avait
nourri de vains espoirs que la France, les Nations unies ou une quelconque
autre puissance interviendrait pour stopper la guerre. Les conséquences
d’une telle orientation furent clairement résumées dans une photo
révélatrice publiée la semaine passée, qui montrait le ministre australien
de la Défense, John Faulkner, Parti travailliste, décernant la médaille de
l’Ordre d’Australie au général américain, David Petraeus, l’architecte du « surge »
irakien.
La grande question qui se pose à nous est la suivante : Le capitalisme
menace une fois de plus de plonger la civilisation humaine dans la
catastrophe. L’humanité a survécu au vingtième siècle… mais, faut-il le
préciser, elle s’en était tirée de justesse. Le temps joue ici un rôle
essentiel. Tout dépend du réarmement politique de la classe ouvrière et de
son imprégnation de la culture du socialisme international. C’est à cette
tâche que le Comité international de la Quatrième Internationale et sa
section australienne, le SEP, se consacrent. Je vous invite à participer à
cette tâche pour sauvegarder l’avenir de l’humanité en rejoignant ses rangs.
Notes:
[1] Winston Churchill, "Zionism Versus Bolshevism" Illustrated Sunday
Herald February 8, 1920
[2] cited in Robert Black, Stalinism in Britain, New Park
Publications, London 1970
[3] Nicholson Baker, Human Smoke, Simon and Schuster, New York
2008, p. 117
[4] Nicholson Baker, Human Smoke, p. 236
[5] New York Times, March 9, 1995
[6] Gerard L. Weinberg ed., Hitler’s Second Book, Enigma Books,
New York 2003, pp.107, 116
[7] cited in Callinicos Imperialism and Global Political Economy,
Polity, Cambridge 2009, p. 168