Le texte qui suit est une conférence de Nick Beams, secrétaire national
du Socialist Equality Party (Australie) et membre du Comité de rédaction
international du World Socialist Web Site, devant des auditoires à Sydney et
à Melbourne en novembre 2009. Nous affichons aujourd'hui la première partie.
La deuxième partie sera affichée demain.
Le
70ème anniversaire du début de la Deuxième guerre mondiale a été accueilli
par un silence étrange, presque incompréhensible, au vu de la catastrophe
qui fut déclenchée. Ce fut l’événement le plus sanglant du vingtième siècle.
Il en résulta plus de 70 millions de morts, dont près de 27 millions en
Union soviétique et jusqu’à 20 millions en Chine.
Nick Beams
La guerre donna lieu à des horreurs indescriptibles: les meurtres
de masse de près de 6 millions de Juifs européens, les bombardements
incendiaires de Hambourg, Dresde et Tokyo et le largage de la bombe atomique
sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, pour n’en nommer que
quelques-unes.
Notre tâche aujourd’hui est de tirer les leçons de la guerre et d’établir
leur signification pour l’époque contemporaine. Est-ce-que la Deuxième
guerre mondiale est un événement historique lointain, relégué aux confins de
notre mémoire et revisité de temps à autre. Ou bien a-t-elle une importance
contemporaine ?
Pour tirer les leçons de la guerre, il nous faut comprendre ses causes.
Et à ce sujet un certain travail préliminaire doit être accompli. Nous
devons nous frayer un chemin au travers de l’épaisse jungle de mythes et de
légendes qui entourent la guerre, des mythes qui sont sans cesse nourris et
recréés dans le but de servir des desseins politiques contemporains.
Selon les légendes qui prévalent, la guerre avait commencé en Europe
quand la Grande-Bretagne, après avoir tenté d’apaiser l’Allemagne nazie,
s'était finalement rendu compte, avec l’invasion de la Pologne en septembre
1939, qu’il fallait prendre position. A partir de ce moment là, la guerre
fut une lutte de la démocratie contre l’agression fasciste. La
Grande-Bretagne, seule debout après la défaite de la France en mai 1940 et
jusqu’à l’entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941, fit face au
danger du nazisme tandis que le premier ministre de guerre d’alors, Winston
Churchill, rassemblait la nation de la petite île dans sa « plus belle
heure. »
Le fait que la Grande-Bretagne se trouvait, au début de la guerre, à la
tête du plus grand empire que le monde ait jamais vu, et qui englobait un
quart de la surface du globe, est tout simplement ignoré. Le mythe est
d’autant plus amplifié au regard du rôle joué par Churchill. Avec l’échec de
la politique de l’apaisement l’on nous fait croire que Churchill, un ardent
défenseur de la démocratie et un adversaire du nazisme et du fascisme, fut
appelé au gouvernement après une traversée du désert politique pour
s’occuper de la Grande-Bretagne à l'heure où elle était en danger.
Comme toutes les légendes politiques, celle-ci est maintenue parce
qu’elle est utile aux objectifs politiques contemporains. Voyons combien de
fois elle fut ressassée ces vingt dernières années. La guerre du Golfe fut
lancée en 1990 pour empêcher que le Hitler du Moyen Orient, le président
irakien Saddam Hussein, n’avale le petit Koweït… Souvenons-nous de
l’apaisement de Hitler à Munich en 1938 ! Puis, fut déclenchée la guerre
contre la Serbie en 1999 pour empêcher le Hitler des Balkans, le président
serbe Slobodan Milosevic, de perpétrer un génocide contre les Kosovars…
souvenons-nous de 1938 ! Et le Hitler du Moyen Orient revint en 2003 au
moment où les Etats-Unis lançaient leur guerre contre l’Irak.
Quelle était vraiment la situation dans les années 1930? La politique de
l’apaisement n’était pas le résultat d’un quelconque échec à tenir tête au
dictateur Hitler, mais impliquait des calculs politiques bien définis.
L’adaptation de la Grande-Bretagne au régime nazi était fondée sur l’espoir
que Hitler appliquerait le programme présenté dans son livre Mein Kampf
et lancerait une guerre contre l’Union soviétique, ce dont l’empire
britannique profiterait. La Grande-Bretagne avait eu pour objectif dès le
lendemain de la Révolution d’Octobre 1917, le renversement du régime
soviétique. Il n’y avait pas de partisan plus passionné de cet objectif que
Churchill qui prônait une intervention militaire des puissances
impérialistes pour « étrangler le bébé bolchevique dans son berceau. »
Quand Hitler était encore un fanatique de droite inconnu et tapant du
poing sur la table dans les brasseries de Munich, Churchill, en tant que
ministre, dénonçait déjà la Révolution russe en des termes que le régime
nazi devait employer plus tard.
Dans un article publié en 1920 sur le rôle infâme de ce qu’il qualifiait
de « Juifs internationaux », Churchill avait écrit : « Les adhérents de
cette sinistre confédération sont pour la plupart des hommes qui ont grandi
au sein des populations malheureuses des pays où les Juifs sont persécutés
en raison de leur race. La plupart, sinon tous, ont abandonné la foi de
leurs ancêtres et effacé de leurs esprits tous les espoirs spirituels d’un
autre monde. Ce mouvement parmi les Juifs n’est pas nouveau. De
Spartacus-Weishaupt à Karl Marx, en passant par Trotsky (Russie), Bela Kùn
(Hongrie), Rosa Luxembourg (Allemagne) et Emma Goldman (Etats-Unis), ce
complot à l’échelle mondiale, pour le renversement de la civilisation et
pour la reconstruction de la société sur la base de l’infantilisme
intellectuel, de la malveillance envieuse et de l’impossible égalité, n’a
cessé de croître continuellement. Il a joué… un rôle clairement
reconnaissable dans la tragédie de la Révolution française. Il a été la
source principale de chaque mouvement subversif du 19ème siècle ;
et finalement maintenant cette bande de personnages extraordinaires venus
des bas fonds des grandes villes d’Europe et d’Amérique ont attrapé le
peuple russe par les cheveux pour devenir les maîtres quasi incontestés de
cet énorme empire. » [1] Bien avant que
les diatribes de Hitler contre le complot judéo-bolchevique ne remplissent
les ondes et les pages des médias, Churchill l’avait mis en avant et, ce
n'est pas un hasard, l’année même où était lancé le tristement célèbre tract
antisémite des Protocoles des Sages de Sion (The Protocols of the
Elders of Zion.)
L’attitude de Churchill envers le fascisme n’a nulle part été plus
clairement résumée que dans un discours qu’il a prononcé le 20 janvier 1927
durant une visite en Italie où le régime fasciste de Mussolini était arrivé
au pouvoir en 1922. « Je n’ai pas pu m’empêcher d’être séduit, » avait-il
déclaré, « comme l’ont été tant d’autres personnes par le comportement
gentil et simple de Signor Mussolini et par son calme, sa sérénité neutre en
dépit des nombreux fardeaux et dangers. Ensuite, tout le monde pouvait voir
qu’il ne pensait à rien d’autre qu’au bien-être du peuple italien… Si
j’avais été un Italien, je suis sûr que j’aurais été de tout cœur avec vous
du début à la fin de votre lutte triomphale contre l’appétit bestial et les
passions du Léninisme. Je tiens toutefois à dire un mot sur un aspect
international du fascisme. A l’extérieur, votre mouvement a rendu un service
à la terre entière. La grande peur qui a toujours affecté chaque dirigeant
démocratique, ou dirigeant de la classe ouvrière, a été la peur d’être
ébranlé ou de se voir dépassé par quelqu’un de plus extrême que lui.
L’Italie a montré qu’il y a un moyen de combattre les forces subversives qui
peuvent rallier les masses des gens, correctement menées, pour estimer et
vouloir défendre l’honneur et la stabilité de la société civilisée. Elle a
procuré l’antidote nécessaire au poison russe. Dorénavant, aucune grande
nation ne sera démunie de l’ultime moyen de protection contre l’excroissance
cancérigène du Bolchevisme. » [2]
En Allemagne, Hitler, qui commençait alors son ascension au pouvoir,
était aussi un grand admirateur de Mussolini en tant que sauveur de la
civilisation contre le Bolchevisme. Voilà pour ce qui est de la légende
selon laquelle la guerre fut déclenchée pour la défense de la démocratie et
pour empêcher la montée du fascisme. Les nazis ne devinrent des ennemis que
lorsqu’on craignit que leur soif de conquêtes ne menace la position de
l’impérialisme britannique.
Si nous arrivons à l’entrée des Etats-Unis dans la guerre, après le
bombardement de Pearl Harbor par l’aviation japonaise le 7 décembre 1941,
une date dont le président Roosevelt dira qu’elle « restera dans l’histoire
comme un jour d’infamie », nous avons affaire à une autre légende. Dans ce
cas, on nous dit que les Etats-Unis n’étaient pas entrés en guerre pour
poursuivre de quelconques ambitions impériales ou pour sauvegarder leurs
intérêts géopolitiques. C’était, pour utiliser à nouveau les mots de
Roosevelt, simplement pour répondre à une « attaque non provoquée et lâche
du Japon. » Rien ne pourrait être plus loin de la vérité. La guerre contre
le Japon était attendue et anticipée. Ce n’était plus qu’une question de
temps, à savoir quand elle commencerait après que les Etats-Unis eurent
imposé en juillet 1941 un embargo sur le pétrole contre le Japon pour lui
faire respecter leur demande de retrait de la Chine. Depuis leur émergence
en 1898 comme principale puissance mondiale, les Etats-Unis insistaient sur
une politique de la « porte ouverte » à l’égard de la Chine. Ils étaient
hostiles aux incursions japonaises, d’abord l’invasion de la Mandchourie en
1931, puis la seconde guerre lancée en juillet 1937 avec la prise de
Beijing.
Des projets de guerre contre le Japon avaient été sérieusement envisagés
par les Etats-Unis bien avant Pearl Harbor. En mars 1939, la marine
américaine avait distribué une version révisée de leurs projets de guerre
appelé Basic War Plan ORANGE. Orange était le nom de code pour le Japon.
Conformément au projet, la guerre avec ORANGE serait « rapidement déclenchée
et sans préavis » et serait une guerre offensive de « longue durée. »
L’objectif du plan de guerre était « d’imposer la volonté des Etats-Unis à
ORANGE en détruisant les forces armées et en perturbant la vie économique
d’ORANGE tout en protégeant les intérêts américains à l’intérieur et à
l’extérieur. » [3]
En septembre 1940, l’attaché naval américain à Tokyo avait envoyé un
rapport à Washington concernant l’état des villes japonaises. « Les tuyaux
sont vieux, usés et ils fuient, » écrivait-il, « les conduites d’eau sont
coupées la nuit. La pression est faible. Les bouches d'incendie ne courent
pas les rues… Des bombes incendiaires larguées en quantité sur une vaste
surface des villes japonaises occasionneraient la destruction d’une bonne
partie de ces villes. » [4] Ce conseil
fut suivi avec un effet meurtrier en mars 1945 lorsque des bombes
incendiaires furent déversées sur Tokyo. L’on a évalué à plus de 100.000 le
nombre de personnes tuées dans l'incendie dévastateur qui s’ensuivit, c'est
à dire un chiffre plus élevé que celui des victimes immédiates du
bombardement atomique d’Hiroshima et de Nagasaki. Une étude officielle
américaine, l’US Strategic Bombing Survey, a conclu que « vraisemblablement
plus de personnes avaient perdu la vie par le feu à Tokyo en l’espace de six
heures qu’à aucune autre période de l’histoire humaine. » [5]
Après s'être frayé un chemin à travers les mythes et les légendes,
retournons à présent aux causes sous-jacentes de la Deuxième guerre
mondiale. Elles ne peuvent être exposées que sur la base d’une analyse
historique allant bien au-delà des événements et des conflits immédiats
survenus durant les années 1930. Ces conflits et les circonstances dans
lesquelles ils ont surgi doivent eux aussi être expliqués.
Tout examen des causes de la Deuxième guerre mondiale doit débuter par le
fait qu’elle a éclaté à peine 21 ans après la fin de la Première guerre
mondiale. C’est-à-dire environ le même laps de temps qui nous sépare de la
chute du Mur de Berlin et de l’effondrement des régimes d’Europe de l’Est et
de l’Union soviétique.
Le déclenchement de la guerre le 4 août 1914 fut un énorme choc. Peu de
gens se doutaient que l’assassinat à Sarajevo six semaines auparavant, le 28
juin 1914, du grand-duc d’Autriche Ferdinand, mettrait en branle une chaîne
d’événements qui allaient plonger le continent européen dans un conflit de
quatre ans et provoquer la mort et la destruction à une échelle inconcevable
auparavant.
Il avait pourtant existé des observateurs extrêmement perspicaces qui
avaient anticipé ce que serait une guerre générale européenne. A la fin de
1887, Friedrich Engels écrivait : « Et finalement, pour l’Allemagne
prussienne il n’y a plus d’autre guerre possible qu’une guerre mondiale, à
savoir une guerre d’une ampleur et d’une violence inimaginables jusque-là.
Huit à dix millions de soldats s’entretueront et dévasteront l’Europe comme
une nuée de sauterelles. Une dévastation en l’espace de trois à quatre ans
comparable aux ravages causés par la Guerre de Trente ans et étendue sur
tout le continent. La famine, les épidémies, le retour universel à la
barbarie tant des troupes que des masses populaires du fait de la misère
profonde ; une désagrégation irréparable de nos mécanismes artificiels du
commerce, de l’industrie et du crédit aboutissant en une banqueroute
généralisée : l’effondrement des vieux Etats et de leur sagesse politique
conventionnelle au point où les couronnes rouleront par dizaines sur la
chaussée et qu’il ne se trouvera personne pour les ramasser… l’impossibilité
absolue de prévoir comment tout cela finira et qui sortira victorieux de la
bataille. Une seule conséquence est absolument sûre : l’épuisement universel
et la création des conditions à la victoire finale de la classe ouvrière.
Telle est la perspective pour l’heure où le développement systématique de la
course aux armements atteindra son apogée et portera finalement ses fruits
inévitables. »
Engels signalait les conséquences d’une guerre entre des Etats-nations
bourgeois dont les économies et donc les capacités militaires s’étaient
rapidement accrues au cours des dernières décennies du dix-neuvième siècle.
La finance et l’industrie capitalistes s’étaient développées dans des
proportions gigantesques. C’était le début de l’époque impérialiste où les
grandes puissances capitalistes étaient engagées dans une lutte de plus en
plus intense à l’échelle mondiale pour la conquête de marchés, de colonies,
de sphères d’influence et de matières premières. De plus en plus, cette
évolution économique entrait en conflit avec les rapports géopolitiques
prévalants.
Après la défaite de Napoléon en 1815, il n’y avait plus eu de conflit
général entre les puissances européennes. Une sorte de Pax Britannica
(« paix britannique ») existait. Mais, à la fin du dix-neuvième siècle, la
Grande-Bretagne avait perdu sa position de domination mondiale.
Antérieurement, c'est avec la France que la Grande-Bretagne avait été en
conflit sur le continent européen. A présent, elle était défiée par une
nouvelle puissance plus dynamique, l’Allemagne. A l’Est, le Japon était en
essor et à l’Ouest, une puissance économique encore plus puissante était en
train d’émerger sous la forme des Etats-Unis où le développement industriel
s’était fait à pas de géants durant les décennies qui avaient suivi la fin
de la guerre de sécession en 1865.
Le mouvement marxiste avait analysé les implications de cette nouvelle
situation et la Seconde Internationale, fondée en 1889, avait adopté une
série de résolutions durant la première décennie du vingtième siècle, en
signalant la menace émergente de la guerre. Ces résolutions insistaient sur
le fait que le mouvement socialiste devait s’opposer à la poussée vers la
guerre et au cas où elle ne pouvait pas être empêchée, d’utiliser la crise
créée par le déclenchement de la guerre pour renverser le système
capitaliste. Cependant, lorsque le 4 août 1914 la guerre éclatait,
littéralement l’ensemble de la direction des vieux partis socialistes
capitula en soutenant sa propre bourgeoisie. Seule une poignée de dirigeants
socialistes, parmi eux notamment, Lénine, Trotsky et Rosa Luxembourg,
maintinrent leur opposition à la guerre.
Suite à cette trahison du socialisme international, les marxistes
révolutionnaires furent confrontés à deux tâches politiques reliées entre
elles : expliquer ce qui avait provoqué la guerre ; les causes et les
implications de l’effondrement de la Seconde Internationale et, sur la base
de cette analyse, avancer une perspective révolutionnaire pour la classe
ouvrière.
En 1915, Trostky avait expliqué les causes essentielles de la guerre dans
son brillant pamphlet La guerre et l’Internationale. Rejetant les
explications fournies par les politiciens impérialistes en exposant leur
fourberie sous-jacente, il prouva que l’éruption de la guerre avait ses
racines dans les contradictions organiques et insolubles du mode de
production capitaliste.
« La guerre actuelle est dans son fondement une révolte des forces
productives contre la forme politique de la nation et de l’Etat. Elle
signifie l’effondrement de l’Etat national comme unité économique
indépendante… La guerre proclame l’effondrement de l’Etat national. Et elle
proclame en même temps l’effondrement du système capitaliste de l’économie.
Au moyen de l’Etat-nation, le capitalisme a révolutionné tout le système
économique mondial. Il a divisé le monde entier au bénéfice des oligarchies
des grandes puissances autour desquelles gravitent les satellites, les
petits Etats qui vivent de la rivalité des grands pays. Le développement
futur de l’économie mondiale sur une base capitaliste signifie une lutte
incessante pour des terrains d’exploitation nouveaux et sans cesse
renouvelés qui doivent être obtenus d’une seule et même source, la terre. La
rivalité économique sous la bannière du militarisme s’accompagne de pillage
et de destruction qui violent les principes élémentaires de l’économie
humaine. La production mondiale se révolte non seulement contre la confusion
produite par les divisions nationales et étatiques, mais aussi contre
l’organisation économique capitaliste, qui est devenue une désorganisation
barbare et chaotique. »
De cette analyse découle les conclusions politiques bien définies et qui
forment le fondement du programme pour lequel la classe ouvrière
internationale devait lutter à présent : « La seule façon pour le
prolétariat de répondre à la confusion impérialiste du capitalisme est
d’opposer à celui-ci, comme le programme pratique du jour, l’organisation
socialiste de l’économie mondiale. La guerre est la méthode par laquelle le
capitalisme, au point culminant de son développement, cherche à résoudre ses
contradictions insolubles. A cette méthode, le prolétariat doit opposer sa
propre méthode, la méthode de la révolution socialiste. »
L’effondrement de la Seconde Internationale avait clairement montré la
signification essentielle de la longue lutte menée par Lénine contre
l’opportunisme durant la construction du parti bolchevique en Russie.
L’opportunisme, fondé sur une adaptation à la bourgeoisie et à
l’Etat-nation, n’était pas au sein du mouvement socialiste une tendance avec
laquelle il était possible de coexister de quelque façon pacifique. La
préparation politique de la classe ouvrière avait lieu au moyen d’une lutte
incessante contre ces tendances qui représentaient les besoins et les
intérêts les plus profonds de la classe capitaliste même.
La perspective de Lénine était de transformer la guerre impérialiste en
une guerre civile. Ceci ne signifiait pas que la classe ouvrière pouvait
déclencher immédiatement une insurrection et une lutte pour le pouvoir,
indépendamment des conditions objectives, mais qu’elle devait procéder en
suivant cette voie. La guerre avait montré que la révolution socialiste
n’était pas, comme la tendance dominante au sein de la Seconde
Internationale l’avait conçu, une sorte d’événement lointain, mais elle
devait être préparée activement dans la lutte quotidienne du parti. Lénine
s’opposait avant tout aux théories de Karl Kautsky, l’influent théoricien du
Parti social-démocrate allemand, qui affirmait que la guerre n’était pas une
issue inévitable du capitalisme et qu’il était donc possible que les grandes
puissances capitalistes parviennent d’une façon ou d’une autre à un accord
pour diviser pacifiquement le monde et établir la paix.
Dans une analyse d'une actualité remarquable, Lénine avait réfuté ces
affirmations en insistant pour dire qu’aucune alliance ne pourrait être
permanente entre les puissances capitalistes parce que celles-ci se
développaient inégalement. Cinquante ans plus tôt, l’Allemagne avait été un
« pays misérable et insignifiant » en comparant sa force capitaliste à celle
de la Grande-Bretagne. A présent, l’Allemagne défiait le vieil empire.
N’importe quelle « paix » établie à l’avenir serait également inévitablement
rompue. Aucune alliance impérialiste ou coalition ne pourrait être
permanente car n’étant inévitablement rien d’autre qu’une trêve entre des
guerres. La paix émanait des guerres et les périodes de paix préparaient le
terrain à de nouvelles guerres. Seule la révolution socialiste et le
renversement du système capitaliste même pourrait mettre un terme à la
guerre et au danger qu’elle représentait pour la civilisation humaine.
Le Traité de Versailles et ses conséquences
Examinons, conformément à l’approche de Lénine, comment la « paix »
établie après la Première Guerre mondiale avait inévitablement conduit à
l’éruption de la Deuxième guerre mondiale.
La guerre avait connu une fin abrupte en novembre 1918 après la défaite
de l’offensive allemande de l’été. Le haut commandement allemand avait pris
la décision de demander la paix par le biais du président américain Woodrow
Wilson qui avait engagé les Etats-Unis dans la guerre en avril 1917. En
1918, un nouvel élément crucial avait marqué la situation politique, la
Révolution russe d’Octobre 1917 et le flux révolutionnaire partout en
Europe. Etait prioritaire dans les calculs politiques de tous les dirigeants
bourgeois européens, la crainte que s’ils ne mettaient pas fin à la guerre,
c'est une révolution socialiste qui y mettrait fin.
La conférence de paix de 1919 à Versailles, et le Traité qui en résulta,
ne résolut aucun des conflits qui avaient déclenché la guerre. En fait, il
les exacerba. Les antagonismes nationaux et les conflits continuaient à
exister et au lieu d’une organisation rationnelle de l’économie européenne,
les conflits économiques entre les grandes puissances s’intensifièrent. Le
pillage au moyen de la guerre fut remplacé par un nouveau système de vol. La
France exigea que l’Allemagne versât des réparations dans un effort
d’empêcher sa résurgence économique. L’Italie et la France devaient de
l’argent à la Grande-Bretagne. Mais la Grande-Bretagne à son tour, devait de
l’argent aux Etats-Unis qui insistaient pour être remboursés. L’argent était
soutiré à l’Allemagne sous forme de réparations qui étaient ensuite
utilisées pour payer la France et la Grande-Bretagne qui, à leur tour, les
utilisaient pour régler leurs dettes envers les Etats-Unis. Les Etats-Unis à
leur tour émirent en 1924 des milliards de dollars de prêts pour sauvegarder
la stabilité économique allemande de façon à ce que l’Allemagne continue de
payer les réparations pour maintenir le fonctionnement des circuits
financiers. Selon les termes de l’économiste britannique John Maynard
Keynes, le monde avait été transformé en une maison de fous économique.
J’aimerais faire remarquer au passage qu’à la suite de la crise de
2007-2008, le système financier mondial a été maintenu par des méthodes qui
ne sont pas moins insensées. Aux Etats-Unis, la Fed, la banque centrale,
prête de l’argent aux banques à un taux d'intérêt de presque zéro. Les
banques utilisent cet argent pour négocier sur les marchés des obligations
et des créances, souvent dans le but d’organiser le financement de dettes
gouvernementales qui se sont constituées lors du renflouement des banques et
des institutions financières. En conséquence, les banques sont en mesure
d’afficher des profits accrus et de verser des bonus prodigieux.