Alors que la prise
d'otages au large de la Somalie entrait dans sa seconde journée jeudi, certains
éléments indiquaient que le gouvernement d'Obama pourrait préparer une nouvelle
intervention militaire, dans la corne de l'Afrique cette fois-ci.
La confrontation
qui se poursuit entre une petite bande de pirates somaliens dans un canot de
sauvetage et un destroyer américain, lequel est rejoint par d'autres navires de
guerre et des avions, fait suite à la tentative avortée de s'emparer du Maersk
Alabama, un cargo de 17 000 tonnes navigant sous pavillon américain.
Après que quatre
Somaliens armés ont réussi à escalader la coque du navire et à s'en emparer,
les 20 membres d'équipage ont opposé une résistance. Cependant, selon les
reportages, le capitaine du navire, Richard Philips, s'est porté volontaire
pour servir d'otage, accompagnant les pirates à bord du canot de survie du
cargo pour empêcher une confrontation entre eux et son équipage.
Contacté par
l'agence Reuters par téléphone satellitaire, l'un des pirates avait l'air aux
abois, disant : « Nous sommes cernés par les navires de guerre et
n'avons pas le temps de discuter, priez pour nous. »
La capture de
navires pour obtenir des rançons est pratiquée dans la région depuis des années
et a connu une recrudescence importante en 2008, le nombre d'incidents au large
de la Somalie et dans le golfe d'Aden se montant à 150. Il y a actuellement 16
navires faisant l'objet d'une demande de rançon.
Les armateurs ont
pour leur part traité ces attaques comme des nuisances qui entament à peine
leurs profits. Ils ont préféré considérer les rançons versées aux pirates comme
faisant partie des coûts d'exploitation plutôt que d'armer leurs équipages
contre eux. Bien qu'ils soient lourdement armés, les pirates n'ont tué personne
jusqu'à présent.
La différence avec
ce dernier incident, cependant, c'est que le Maersk Alabama est le premier
navire américain à se faire attaquer par les pirates. Il fournit ainsi un
prétexte pour une intervention militaire et provoque une vague de chauvinisme
dans les médias, dont certaines sections en viennent à exiger des représailles.
Le chef
d'état-major américain a annoncé jeudi que l'armée américaine intensifierait sa
présence dans la corne de l'Afrique dans les 48 heures qui suivraient. S'exprimant
publiquement en Floride, le général Petraeus, le chef d'état-major, a déclaré,
« nous voulons nous assurer que nous aurons tous les moyens nécessaires
dans les jours qui viennent ». Il n'a donné aucune précision sur ce en
quoi consistent ces renforts.
Le New York
Daily News, citant des sources militaires anonymes, a indiqué jeudi que
« les commandants militaires américains ont déjà mis au point des plans de
bataille pour mettre un terme au fléau de la piraterie en haute mer au large de
la Somalie si le président Obama en donne l'ordre. »
Selon cet article,
ces plans comprennent des attaques contre des villes et villages côtiers d'où
partent les pirates, comme Eyl, Hobyo, Caluula et Haradheere.
Ce journal citait
Robert Oakley, ambassadeur à la retraite qui avait servi en tant qu'envoyé
spécial en Somalie des gouvernements de Bush père et de Clinton dans les années
1990, disant que les forces d'intervention spéciales américaines ont préparé
les plans d'un assaut terrestre.
« Nos gars
des opérations spéciales piaffent d'impatience de faire le ménage. Pour
l'instant personne ne les a laissés faire. Ils ont des plans prêts, mais ils
attendent le feu vert. »
Bien que les
représentants du gouvernement aient indiqué qu'Obama avait reçu plusieurs
briefings sur la prise d'otage, il est resté muet sur cette question, éludant
les questions des journalistes mercredi et jeudi.
Cependant, le
vice-président Joseph Biden a insisté sur le fait que le gouvernement
travaillait « jour et nuit » sur cette crise.
La secrétaire
d'État Hillary Clinton a réagi à la tentative d'abordage mercredi, déclarant
que le gouvernement était « très inquiet » et « suivait les
événements de près ».
Clinton a ajouté,
« Précisément, nous nous focalisons sur cet acte de piraterie en particulier
et la prise du navire qui transporte 21 citoyens américains. Plus largement,
nous pensons que le monde doit s'unir pour mettre un terme au fléau de la
piraterie. »
Les chaînes
d'information de la télévision câblée ont consacré l'essentiel de leurs
reportages à la situation immédiate, se focalisant sur « l'héroïsme »
de l'équipage et se demandant pourquoi on ne pouvait pas arrêter les pirates.
L'éditorial du Wall
Street Journal, la voix la plus obstinée de la droite républicaine, portait
en sous-titre : « Les pirates se répandent parce que le monde les
laisse faire » et blâmait Obama pour n'avoir pas su décider d'une action
efficace.
« Nous ne
demandons pas un retour aux méthodes romaines (comme la crucifixion) pour
traiter les pirates, mais le gouvernement pourrait appliquer les critères de
Stephen Ducatur et bombarder la ville pirate somalienne d'Eyl », affirme
l'éditorial. « Les lois américaines établissent clairement que les pirates
qui attaquent les navires sous pavillon américain méritent de finir leur vie en
prison. Mais traiter les pirates capturés comme des combattants ennemis ne
bénéficiant pas de la protection de la convention de Genève pourrait être utile
dans les cas où les pirates s'en prennent à des navires battant pavillon étranger
et où le droit international est plus ambigu de nos jours. » [Stephen
Ducatur est un officier de la marine américaine qui dirigea le bombardement de
Tripoli en 1804 lors de la guerre entre les États-Unis et les Etats du Maghreb
qui demandaient un droit de passage aux navires occidentaux, ndt].
Pour faire bonne
mesure, l'éditorial insère dans cette question la récente arrestation de
journalistes américains en Iran et en Corée du Nord, suggérant une
« attitude similaire » envers ces pays – y compris des représailles
militaires semble-t-il. Il va jusqu'à reprocher au gouvernement de ne pas avoir
opposé une fin de non-recevoir au juge espagnol Balthasar Garzon qui a accepté
des plaintes déposées contre des membres du gouvernement Bush impliqués dans
des cas de torture – y compris sur des citoyens espagnols – ce qui constitue
normalement une doctrine du gouvernement américain.
« Si le
gouvernement ne protège pas les citoyens américains de l'anarchie légale de
l'Europe postmoderne, comment pouvons-nous espérer qu'il protège les marins
américains de l'anarchie pré-moderne de la Somalie, et encore plus des
tyrannies de Téhéran et de Pyongyang ? » conclut-il.
Il ne fait aucun
doute que si la prise d'otage se poursuit, ce genre de critiques accusant le
gouvernement d'Obama de ne pas prendre d'initiatives militaires décisives se
feront de plus en plus stridentes et se répandront.
Ce qui n'est pas
compris, ou délibérément passé sous silence, par l'establishment politique
et les médias américains, c'est la responsabilité de Washington dans la
création des conditions dans lesquelles la piraterie a pu se développer en
Somalie. Hillary Clinton parle du « fléau de la piraterie », mais les
Somaliens sont les victimes du fléau de l'impérialisme américain depuis des
dizaines d'années.
Aujourd'hui, ce
pays est l'une des trois nations les plus pauvres de la planète. « La
Somalie est le lieu de la pire catastrophe humanitaire du monde »,
déclarait l'association humanitaire Refugees International dans un
communiqué récent, indiquant que plus de 240 000 somaliens vivent
actuellement dans des conditions sordides à Dadaab, au Kenya, le plus grand
camp de réfugiés au monde.
Pour Human
Rights Watch, « La Somalie est une nation en ruine, prise dans l'un
des conflits armés les plus brutaux de la planète. […] Deux longues années d'un
bain de sang qui s'intensifie et de destructions ont dévasté la population du
pays et ravagé la capitale Mogadiscio. »
Dans un rapport
publié à la fin mars, le Bureau des Nations unies pour la coordination des
affaires humanitaires a mis l'accent sur la « crise humanitaire désespérée
du pays », exacerbée par une sécheresse qui a laissé des millions de gens
sans accès à l'eau potable. « Le manque d'eau pousse beaucoup de gens à de
longues marches – jusqu'à 20 km – et d'autres à vendre le peu de biens
qu'il leur reste, pour acheter de l'eau. » déclare l'agence. Pendant ce
temps, les appels de l'ONU pour obtenir de l'aide humanitaire ont été largement
ignorés par Washington et les autres puissances mondiales, seulement 251
millions de dollars ont été levés, soit à peine plus du quart des 918 millions
demandés.
La cause immédiate
de cette catastrophe tient à l'invasion de la Somalie organisée par les
États-Unis, usant de l'intermédiaire des troupes éthiopiennes, en décembre
2006. Cette invasion visait à faire tomber un gouvernement populaire formé par
un mouvement appelé l'Union des tribunaux islamiques (UTI), en s'appuyant sur
des allégations infondées selon lesquelles ses conceptions islamistes en
faisaient des alliés d'al-Qaïda.
En s'opposant à
l'occupation éthiopienne soutenue par les États-Unis, environ 16 000
civils ont perdu la vie, et 1,2 million ont été chassés de leur foyer. Après
que l'Éthiopie a retiré ses troupes de Somalie l'année dernière, le
gouvernement fédéral de transition (GFT), le régime fantoche des seigneurs de
guerre mis en place à l'instigation de Washington s'est effondré et un
ex-dirigeant de l'UTI a été élu président du pays, apparemment avec l'accord du
gouvernement américain.
Ce n'est que le
dernier épisode de la longue histoire des interventions américaines en Somalie,
remontant aux années 1970, et de leur soutien à la dictature brutale de Siad
Barre, que Washington entretenait pour faire contrepoids à l'influence soviétique
en Éthiopie. Avec la dissolution de l'Union soviétique, Washington n'avait plus
besoin de Barre comme pion dans la Guerre froide. Washington a donc retiré son
appui, entraînant l'effondrement du régime et la descente du pays dans une
guerre civile entre clans. Le même schéma a été observé en Afghanistan, avec
les mêmes résultats catastrophiques.
Par la suite,
l'intervention militaire américaine lancée en 1992 par le gouvernement
républicain de George Bush père et poursuivie par le gouvernement démocrate de
Clinton en 1993 sous des prétextes « humanitaires » n'a fait
qu'exacerber ces conflits et aggraver les souffrances des Somaliens. Les
troupes américaines ont dû partir en 1993 après que leur tentative d'assassiner
un seigneur de guerre récalcitrant a entraîné la désastreuse bataille du
« Blackhawk Down » qui coûta la vie à 18 soldats américains.
Après cela la
Somalie a été une fois de plus abandonnée à son sort, hormis l'invasion de 2006
et les frappes sporadiques de missiles par les Etats-Unis.
Au moment même où
Washington et les autres grandes puissances pleurent sur le sort de la Somalie
devenue un État raté, les grandes compagnies européennes profitent de cet état
de fait et de ses longues côtes laissées sans surveillance pour transformer le
pays en dépotoir de déchets toxiques depuis près de 20 ans. Selon une
estimation de l'ONU, le coût pour aller déposer ces chargements en Somalie
n'est que de 2,50 dollars contre 1000 en Europe [1,9 euro contre 750 euros].
Ces déchets comprennent de l'uranium radioactif, du plomb, des métaux lourds
comme le mercure et le cadmium, ainsi que d'autres types de déchets, chimiques,
industriels et médicaux.
Lorsque le tsunami
asiatique a frappé en 2004, la vague a fait remonter ces déchets jusqu'à près
de 10 kilomètres à l'intérieur des terres. Les effets sur la santé des
populations locales ont été désastreux.
Selon certaines
sources, la vague de piraterie actuelle a débuté avec des pêcheurs qui
tentaient d’empêcher les navires étrangers de décharger ces cargaisons mortelles.
En fait, l'armada
américaine (comme les navires de guerre envoyés par plusieurs autres
puissances, dont la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Inde et la Chine) ne
patrouillent pas le long de la côte somalienne pour sauvegarder le droit
international, dont ils n'ont que faire lorsqu'il est question du ravage de la
Somalie elle-même. Le but de l'intervention américaine est d'assurer
l'hégémonie américaine sur les voies maritimes du golfe d'Aden qui a une
importance stratégique étant donné que12 pour cent du pétrole mondial y
transite.
Toute action
militaire en Somalie, qu'elle soit engagée au nom de la suppression de la
piraterie, ou, à nouveau, au nom de l'envoi d'aide humanitaire, sera menée dans
ce dessein impérialiste prédateur.