Ségolène Royal, candidate malheureuse du
Parti socialiste (PS) à l'élection présidentielle de 2007, a provoqué une
controverse majeure en France lorsqu'elle a pris la défense de plusieurs
groupes de travailleurs qui, menacés de licenciements massifs, ont séquestré
leurs patrons sur leur lieu de travail. De telles déclarations, venant d'une
personnalité politique aussi bien intégrée que Royal dans l'establishment,
donnent une idée de l'intensité des tensions de classes en train d'émerger en
France.
Ces prises d'otages répétées de patrons,
pour exiger des indemnités de licenciement, sont devenues une question
politique majeure en France. Des travailleurs ont retenu leurs employeurs à
l'usine pharmaceutique 3M de Pithiviers, à l'usine d'adhésifs Scapa de
Bellegarde-sur-Valserine, à l'usine Sony de Pontonx-sur-l'Adour, où le PDG de
Sony-France a été retenu, et à l'usine Caterpillar non loin de Grenoble.
Royal a fait ces déclarations dans un long
entretien accordé à l'hebdomadaire Le Journal du Dimanche (JDD) le 4
avril dernier. Lorsqu'on lui a demandé son opinion sur les cadres de
Caterpillar retenus par des travailleurs, Royal a dit, « Ce n'est pas
agréable d'être retenu, et c'est illégal de priver quelqu'un de sa liberté de
mouvement. Mais on ne les a ni brutalisés ni humiliés. Ceux qui sont
fragilisés, piétinés et méprisés ce sont les salariés à qui l'on ment, avant de
les mettre à la porte. »
Elle a poursuivi, « Il y a une
délinquance de certains hyper-privilégiés: une manière de piller les ressources
de sociétés qui licencient. Nous subissons un désordre inique ; il y a une
anarchie profonde du système... Quand on entend des élus de droite expliquer
benoîtement que le bouclier fiscal protège les pauvres, on se croirait sous
l'Ancien régime ! Alors, est-ce le retour de la lutte des classes ?
Peut-être.»
De telles déclarations témoignent des très
grands changements de conscience politique qui se produisent sous l'impact de
la crise économique mondiale. Les travailleurs sont indignés de voir les
centaines de milliards d'euros mobilisés pour renflouer les banques après des
décennies durant lesquelles les gouvernants et les dirigeants syndicaux main
dans la main ont justifié les attaques sur les acquis sociaux au motif qu'il
était impossible de trouver quelques milliards d'euros pour les besoins
basiques de la population.
Tandis que les cadres des banques et de
l'industrie automobile empochent des salaires annuels de sept chiffres tout en
affichant des pertes importantes et en licenciant un grand nombre de
travailleurs, le grand patronat commence à être considéré comme une classe
aussi réactionnaire et parasitaire que l'aristocratie pré-révolutionnaire. Le
fonctionnement du marché capitaliste jette à la rue des centaines de milliers
de travailleurs en France et des dizaines de millions de travailleurs perdent
leur emploi dans le monde entier. Lorsque les personnes qui écrivent les
discours de Royal essaient de trouver les mots pour exprimer le sentiment
populaire sur le capitalisme, les mots qui leur viennent à l'esprit sont
« inique » et « anarchie ».
Lorsqu'elle parle de l'Ancien régime, Royal
s'exprime au nom de ces couches de l'establishment qui craignent que les
luttes des travailleurs pour la défense de leurs emplois et de leur lieu de
travail, avec certains changements de conscience politique, ne fusionnent en
une lutte révolutionnaire des travailleurs pour le pouvoir.
Les kidnappeurs de patrons jouissent
actuellement d'un soutien public significatif. Un article du Monde daté
du 10 avril intitulé « Pourquoi les séquestrations de patrons sont
populaires » donnait le résultat de deux sondages d'opinion sur la
question. Le CSA montre que 45 pour cent des gens sondés trouvent une telle
méthode de protestation « acceptable ». Selon l'IFOP 63 pour cent de
la population comprennent pourquoi les travailleurs retiennent leurs patrons et
30 pour cent soutiennent entièrement de telles actions.
Le Monde ajoute, « La sympathie à
l'égard des grèves et des manifestations semble désormais s'étendre aux actions
plus radicales. Les révélations sur les rémunérations de certains dirigeants,
les annonces successives des plans de licenciement dans des entreprises qui dégagent
des bénéfices, les dividendes versés aux actionnaires dans un contexte de
récession générale, ont provoqué un sentiment d'indignation largement
partagé. »
Une déclaration du 3 avril de Henri Guaino,
conseiller spécial du président Nicolas Sarkozy, donne une idée de l'extrême
anxiété du gouvernement. Faisant référence à une « crise très
profonde » Guaino a dit, « Tout peut déraper, le
risque politique est très fort, le risque de violence, de révolte est très
grand et il peut dégénérer. » Il a ajouté,
« Tous les hommes politiques, tous les dirigeants doivent avoir ce
problème en tête.. »
C'est pour cette raison que la bourgeoisie
se trouve dans l'impossibilité de réagir face à ces kidnappeurs de patrons,
malgré l'existence de peines draconiennes prescrites par la loi pour de telles
actions (cinq ans d'emprisonnement et des amendes pouvant aller jusqu'à 75 000
euros.) Pour le moment, seule une minorité de conservateurs réclament que ces
lois soient appliquées.
Des couches plus larges de la bourgeoisie cherchent
à désamorcer l'hostilité au capitalisme en promouvant faussement certaines
personnalités de l'establishment politique comme les représentants. Dans
ce contexte, il n'est pas inutile de faire remarquer que le JDD qui a
interviewé Royal appartient à Arnaud Lagardère, multimillionnaire ayant des
avoirs dans la finance, les médias, l'industrie de la défense et ami personnel
proche de Sarkozy.
Ils espèrent que malgré la colère sociale
massive il sera possible de licencier les travailleurs et de fermer leurs
usines avec l'aide des syndicats. Ainsi Laurent Joffrin a écrit dans son
éditorial du 10 avril dans Libération que « Dans la plupart
des cas qui nous occupent, les salariésavaient accepté le principe des
réductions d’effectifs. C’est pour obtenir une compensation plus juste qu’ils
ont séquestré leurs dirigeants. » Joffrin fait porter la responsabilité de
tels conflits sur « le manque de dialogue social dans beaucoup
d'entreprises ».
Le JDD a fait des tentatives quelque peu
fausses pour présenter Royal comme une radicale, en écrivant, « Elle que
ses ennemis taxaient de crypto-centrisme est, en réalité, la plus rouge des
socialistes : une femme en colère qui s'adresse à un pays en colère. »
Tandis que les gens cherchent massivement
quelqu'un qui exprime leur opposition instinctive à la crise capitaliste, une
telle promotion semble avoir fait remonter Royal dans les sondages. Dans un
sondage daté des 8 et 9 avril, cherchant à savoir quel politicien était le
mieux à même de se présenter contre Sarkozy, Royal a renvoyé à la seconde place
le dirigeant du Nouveau Parti anticapitaliste Olivier Besancenot en tête depuis
quelque temps. Elle a obtenu 14 pour cent des voix, soit une augmentation de 9
points, Besancenot est resté stable à 13 pour cent et la première secrétaire du
PS Martine Aubry à 9 pour cent.
Mais Royal est un défenseur acharné du
capitalisme et si elle a embrassé les luttes des travailleurs c'est afin
d'embrouiller et d'étouffer, plutôt que de conduire un mouvement politique de
la classe ouvrière contre la crise actuelle. Membre de l'aile droite du Parti
socialiste, elle est connue principalement pour ses tentatives répétées
d'établir une alliance inhabituelle entre le PS et le MoDem droitier de
François Bayrou. Durant sa campagne présidentielle de 2007, elle prônait des
attaques sur les retraites et des peines plus sévères contre les jeunes
délinquants. Après avoir perdu les élections, elle est revenue sur sa propre
revendication d'une augmentation du salaire minimum disant que c'était une
politique irréaliste que d'autres membres du PS lui avaient imposée.
Peut-être que le meilleur antidote à toute
erreur de jugement laissant croire que Royal serait une sorte de partisane
insurgée de la classe ouvrière est sa propre interview au JDD. Sa proposition pour
mettre fin à la crise consiste à intensifier les négociations entre la
direction et les syndicats, bien que ces négociations aient dévasté, durant ces
deux dernières décennies, les retraites et les conditions de travail du
prolétariat, avec les profits ainsi dégagés pour la bourgeoisie allant nourrir
la spéculation financière criminelle qui a conduit à la crise actuelle.
Ainsi Royal a déploré « la faiblesse
syndicale» en ajoutant, « A chaque crise, on apprend que les syndicats ont
tiré la sonnette d'alarme à l'avance en vain. Si on les écoutait, si on
anticipait les difficultés, on diminuerait le malheur. »
Royal s'est déclarée résolument opposée aux
formes de conscience politique et de lutte sociale qui seront nécessaires pour
défendre les travailleurs et l'économie contre les déprédations de la
bourgeoisie. Faisant remarquer qu'elle n'était pas une « Cassandre »,
elle a dit, « je ne prédis ni ne souhaite une insurrection sociale ».
Bien qu'elle ait précédemment décrit la
classe dirigeante comme rappelant, par son arrogance, l'aristocratie de
l'Ancien régime, elle a carrément dit, « Le préjugé des petits contre les
gros est stupide. »