Les discussions du sommet de l’OTAN qui
s'est déroulé vendredi et samedi ont été dominées par l’occupation de
l’Afghanistan, la guerre la plus longue dans les 60 ans d’histoire de
l’alliance militaire. Une polarisation est en train de se faire entre les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne d’un côté et les principaux pays européens de
l’autre quant à la meilleure façon de poursuivre cette guerre.
Les deux côtés sont prêts à intensifier
le conflit aux dépens des populations afghane et pakistanaise. De plus en plus,
toutefois, les pays européens, avec la France et l’Allemagne en tête, exigent
que leurs propres contributions soient récompensées par une influence plus
grande lors de la prise de décision au sein des organisations impérialistes, y
compris l’OTAN.
Alors que l’Afghanistan arrive en tête de
l’ordre du jour de l’OTAN, le sommet discute également les relations entre
l’OTAN et la Russie, le rôle de la France dans l’alliance et les préparatifs
pour un nouveau concept stratégique. Le sommet a lieu à peine deux semaines
après que le parlement français a pris la décision d’un retour complet dans la
structure de l’OTAN.
Le sommet de l’OTAN fait suite à la
conférence du G20 à Londres à laquelle l’Allemagne et la France ont présenté un
front uni contre les propositions de règlement de la crise économique émises
par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
Il est très improbable que les
divergences en matière de politique étrangère entre les Etats-Unis et les
principaux pays européens soient révélées au public lors du sommet de l’OTAN,
le premier qui a vu la participation du nouveau président américain. Il existe
une longue tradition de dissimulation des tensions qui règnent au sein de l’alliance,
par des déclarations publiques dans lesquelles une unité parfaite est affichée.
Toutefois, au moment même où le sommet du
G20 révélait de profondes divergences entre les partenaires de l’alliance
Atlantique dans leurs politiques économiques, la liste des litiges en matière
de politique étrangère entre les Etats-Unis/Grande-Bretagne et les principaux
pays européens s’allongeait.
Depuis sa création en avril 1949 et
jusqu’à la dissolution du Pacte de Varsovie en juillet 1991, le rôle de l’OTAN
avait été dicté par la confrontation avec l’Union soviétique. Les Etats-Unis
avaient fait fonction de parapluie de protection pour l’Europe de l’Ouest en
jouant un rôle dirigeant au sein de l’alliance. Cette situation fut acceptée
par les gouvernements européens, en dépit de la décision de la France de se
retirer en 1966 des structures dirigeantes de l’OTAN.
Avec l’effondrement de l’Union soviétique
et la dissolution du Pacte de Varsovie, les besoins pour l’Europe de la
protection américaine n’existaient plus et les tâches et les objectifs de
l’OTAN durent être redéfinis. En principe, deux voies étaient possibles. La
construction d’une alliance militaire européenne indépendante allant dans la
direction de la dissolution de l’OTAN ou la transformation de l’OTAN en une
force d’intervention mondiale préservant le rôle dominant des Etats-Unis.
Lors de la conférence qui s’était tenue
en novembre 1991 à Rome, l’ordre du jour préconisait la deuxième option. A la
suite de la déclaration du président américain George Bush senior sur le
« nouvel ordre mondial », les documents stratégiques du sommet de
l’OTAN rayèrent en 1991 l’Union soviétique de la liste des menaces pour la
remplacer par de nouveaux « risques » et « dangers », tels
le terrorisme international, les « Etats défaillants » et les menaces
pour obtenir un accès aux ressources énergétiques et de matières premières. Le
sommet de 1991 avait annoncé la transformation de l’OTAN d’une alliance
principalement de défense militaire en une force d’intervention agressive dont
le but est de protéger les intérêts économiques, politiques et géostratégiques
de ses membres sur le plan mondial.
Conformément à la nouvelle doctrine,
l’OTAN a effectué depuis 1991 une série d’interventions militaires, notamment
dans les Balkans et en Afghanistan. Ces interventions furent soutenues par les
partenaires de l’OTAN de part et d’autre de l’Atlantique.
Lors du sommet du 50ème
anniversaire de l’OTAN en 1999, les Etats-Unis profitèrent une fois de plus de
leur influence pour s’assurer que l’alliance augmente ses paramètres pour des
opérations militaires en minant l’article 5 du traité de l’OTAN qui ne permet
l’action militaire défensive que si un pays membre subit une attaque externe.
La nouvelle doctrine permettait des opérations « out of area » (hors
zone) contre des pays ou des régions et permettait à l’OTAN d’accomplir des
opérations militaires agressives sans autorisation préalable du Conseil de
sécurité des Nations unies.
Durant la même période, sur ordre de
Washington, l’OTAN mena une politique systématique d’encerclement de la Russie.
Après 40 ans de situation d’après-guerre avec l’Union soviétique et ses alliés,
le gouvernement américain se servit de l’OTAN comme d’un moyen d’accroître son
influence dans un certain nombre de pays d’Europe de l’Est pour isoler la
Russie.
Les conséquences de cette politique
devaient surgir violemment en surface l’année dernière suite à l’invasion de
l’Ossétie du Sud par la Géorgie et qui conduisit à une intensification
significative des tensions entre la Russie et les Etats-Unis qui avaient donné
le feu vert à l’invasion.
Les pays d’Europe de l’Ouest, quant à
eux, n’eurent pas de scrupules à mener des guerres « hors zone ». Ils
envoyèrent des troupes en Afrique, participèrent à des missions de surveillance
au Moyen-Orient et déployèrent des troupes en Afghanistan. Dans le même temps,
les élites dirigeantes européennes ont observé avec une angoisse grandissante
comment les Etats-Unis ont transformé l’alliance en un instrument militaire de
plus en plus agressif dans le but de promouvoir les intérêts américains dans le
monde entier. C’est en particulier l’accroissement des tensions entre les
Etats-Unis et la Russie qui a contrecarré les étroites relations tant
souhaitées par les pays de l’Union européenne fortement tributaires des
approvisionnements énergétiques russes.
Par contrecoup, l’Union européenne a
entrepris quelques premières démarches pour développer une force d’intervention
militaire rivale. Elle a mis sur pied une force de réaction de l’OTAN
(« Nato Response Force », NRF, opérationnelle depuis 2006) forte de
25.000 hommes et une force à déploiement rapide totalisant 60.000 soldats.
Néanmoins, les nations européennes
continuent de rencontrer des obstacles financiers et politiques dans leurs
tentatives de créer une capacité militaire pan-européenne. Les dépenses
militaires américaines (quelque 600 milliards de dollars) représentent encore
plus du double des dépenses militaires de l’ensemble des pays de l’UE réunis.
Dans le même temps, les gouvernements européens doivent faire face à une vaste
opposition populaire contre leurs engagements militaires à l’étranger.
Ne pouvant concurrencer directement
militairement les Etats-Unis, les nations européennes ont transposé la lutte au
sein de l’OTAN même. Parce que 21 des 28 membres actuels de l’OTAN sont membres
de l’UE, les élites dirigeantes européennes réclament un plus grand droit
d’intervention dans les décisions de l’OTAN. C’est un aspect primordial de la
récente décision de la France de réintégrer pleinement l’alliance.
La stratégie qui est à présent celle du
gouvernement français avait été révélée dans un papier publié par Le Monde
à l’occasion du 50e anniversaire de l’OTAN. En avril 1999, l’expert en
stratégie, François Heisbourg, avait déclaré : « Pour que la France
puisse jouer à plein son rôle de nation-pilote de l’européanisation de la
défense, il faudra bien qu’elle réintègre pleinement l’OTAN. D’abord parce
qu’elle est aujourd'hui dans la pire des situations: celle où nos aviateurs et
peut-être demain nos soldats prennent des risques sur la base d’ordres élaborés
dans les commandements de l’OTAN alors que nous ne participons pas, au niveau
militaire, à l’élaboration de ces ordres. D’autre part, parce qu’une OTAN dans
laquelle les Européens feraient bloc est une des voies permettant de freiner la
tendance croissante des Américains à agir unilatéralement, ainsi qu’ils le font
déjà en Irak depuis l’opération « Renard du désert ». Ainsi, il
convient tout à la fois d’européaniser l’OTAN et d’« otaniser » l’Amérique.
Cela ne pourra se faire sans une présence française à tous les niveaux.» (Le
Monde, 15 avril 1999).
De tels efforts d’européanisation de l’OTAN
se sont considérablement multipliés ces dernières semaines au fur et à mesure
que la politique étrangère et les priorités militaires du gouvernement Obama
ressortaient clairement.
En novembre 2008, le Conseil national du
renseignement américain (National Intelligence Council, NIC) avait présenté un
rapport d’analyse concernant le rôle futur joué par les Etats-Unis sur la scène
internationale. Le rapport concluait en disant que le monde unipolaire tel
qu’il existe, dominé par les Etats-Unis serait remplacé par un monde
multipolaire dominé par plusieurs puissances régionales. Ce rapport qui
prévoyait une perte considérable de pouvoir et d’influence des Etats-Unis a été
très minutieusement étudié en Europe.
Citant le rapport américain dans sa dernière
édition, la revue Blätter für deutsche und internationale Politik pose la question suivante : « La grande
question qui se pose pour les années à venir est donc : Est-ce que les
Etats-Unis, avec leur nouveau président, Barack Obama, accepteront leur déclin
relatif ou chercheront-ils à intensifier davantage le recours à la
force ? »
Le magazine craint que la récente escalade
militaire américaine en Afghanistan et au Pakistan ne mène à la dernière
variante. La décision d’augmenter la présence de ses troupes en Afghanistan a
été prise par le gouvernement de Washington sans consultation de ses alliés
européens.
Le président français tout comme la
chancelière allemande ont rejeté l’envoi de troupes supplémentaires en
Afghanistan. Dans un important discours prononcé il y a une semaine lors du
sommet de l’OTAN, la chancelière allemande, Angela Merkel, avait exclu l’envoi
de soldats allemands supplémentaires. Dans le même discours, elle avait
clairement expliqué son opposition aux paramètres du « hors zone »
pour les interventions mondiales imposées à l’OTAN en 1999.
Lors de son unique interview donnée avant la
réunion du G20 et du sommet de l’OTAN, le président français, Nicolas Sarkozy,
avait déclaré, « Il n’y aura pas de renforts militaires » de la
France en Afghanistan. Dans la même interview, Sarkozy avait annoncé que la
France jouera un rôle plus important dans l’OTAN. Les présidents français
« avaient envoyé sous la bannière de l’OTAN… des soldats français en
opération sous commandement OTAN. Et regardez cette situation étrange, nous
envoyons nos soldats se battre sous la bannière de l’OTAN, en refusant de
participer au comité qui définissait la stratégie d’emploi de ces soldats.
Est-ce que c’est raisonnable…Je ne le pense pas, » avait déclaré Sarkozy.
Sarkozy et Merkel ont toujours regardé la
guerre en Afghanistan comme un moyen de promouvoir leurs propres intérêts et
aucun des deux n’a critiqué l’augmentation des effectifs des troupes ordonné
par Obama. Merkel, notamment, avait mis en avant l’argument en faveur d’une
aide civile accrue comme étant un complément à la présence des troupes, la voie
empruntée précisément par Obama actuellement. Néanmoins, il a été pris bonne
note à Paris et à Berlin du virage survenu dans la politique étrangère et
militaire américaine.
Tout en maintenant un grand nombre de
troupes de combat en Irak, Obama a déplacé le centre des opérations militaires
américaines des pays arabes et du Moyen-Orient vers l’Asie centrale, une région
d’une importance stratégique pour l’Europe et cruciale pour les réserves
énergétique de ce continent.
La crise économique et financière est en
train de retracer la carte géostratégique. Les tensions entre les grandes
puissances qui couvent depuis longtemps commencent à éclater. C’est la
signification du front commun concernant les questions économiques affiché
contre Washington par Merkel et Sarkozy lors du sommet du G20. Ce n’est qu’une
question de temps avant que ces conflits étouffés n’éclatent au grand jour dans
le domaine de la politique militaire.
Sarkozy et Merkel s’efforcent encore
d’européaniser l’OTAN mais d’une manière qui génère de plus en plus de conflits
entre eux et le gouvernement Obama. Le magazine Blätter für deutsche und
internationale Politik rappelle à ses
lecteurs que l’OTAN avait été en dernière analyse le résultat de l’effondrement
économique du capitalisme dans les années 1930.
L’actuelle crise économique attise les
conflits entre les grandes puissances et qui risquent de briser l’alliance de
l’OTAN en laissant entrevoir le danger d’une nouvelle guerre mondiale.