Il y a quelques jours, le Parlement européen
lançait à Strasbourg une grande campagne publicitaire sous le mot
d’ordre : « Elections européennes à vous de choisir ». Le but de
cette action, menée à grand renfort de spots publicitaires, de brochures sur
papier glacé et d’affiches grand format, est d’attirer aux urnes le plus grand
nombre possible des 375 millions de citoyens communautaires habilités voter à
l’élection européenne du 4 au 7 juin.
Les députés européens sont inquiets parce que
le manque d’intérêt est grand pour ces élections.
Selon une enquête Eurobaromètre réalisée à la demande du
parlement auprès de quelque 27 000 citoyens européens, seuls quelque 16
pour cent des personnes interrogées savaient que les élections avaient lieu en
juin. Seuls 34 pour cent ont dit qu’elles iraient « probablement »
voter. Le quotidien français Libération est allé jusqu’à parler d’un
taux d’abstention jamais atteint depuis 1979, date de la mise en place des
élections européennes au suffrage universel. Toujours est-il que lors des
dernières élections il y a cinq ans, quelque 45 pour cent des électeurs étaient
allés voter dans les 25 pays membres de l’époque.
Le désintérêt largement répandu pour ces élections est
l’expression d’un rejet des institutions communautaires auxquelles appartient
le parlement de Strasbourg. Il est à peine un autre parlement dans le monde qui
soit manifestement aussi impuissant et insignifiant que le parlement européen.
Ses décisions ne sont contraignantes pour aucun gouvernement et même les
décisions de l’UE sont adoptées par la Commission européenne et par le Conseil
de l’Union européenne.
Alors que de nombreux parlements nationaux disposent d’un rôle
décisionnel dans la procédure législative pour désigner des chefs de
gouvernement et en partie aussi des ministres, ce n’est pas le cas du parlement
européen. Le président de la Commission européenne est nommé par les chefs d’Etat
et de gouvernements des Etats-membres et n’est que confirmé par le parlement
européen.
C’est aussi sa composition qui donne au parlement européen le
caractère d’un club de discussion. Un grand nombre de partis se servent des
sièges hautement dotés du parlement européen comme d’institutions de prévoyance
pour politiciens de carrière âgés et déçus et pour qui il ne se ne trouve plus
aucun usage. Ce n’est pas un hasard si la langue populaire décrit la sélection
des hommes politiques européens en ces mots : « Si tu as un
grand-père, envoie-le en Europe. »
L’insignifiance politique est inversement proportionnelle à
l’assurance pompeuse affichée par les députés européens qui disent faire partie
de la seule institution supranationale élue au suffrage direct et représenter quelque
500 millions de personnes.
La véritable fonction du parlement européen réside dans le
fait qu’il revêt d’un manteau en apparence démocratique les institutions
communautaires de Bruxelles et le colosse de 40 000 bureaucrates, pour la
plupart royalement rémunérés, qui les accompagne. Ceux-ci ne sont soumis à
aucun contrôle démocratique mais sont par contre assujettis à l’influence des
nombreux groupes de pression économiques qui les entourent.
Tous les gouvernements d’Europe se servent de l’Union
européenne pour rejeter le fardeau de la crise financière et économique sur le
dos de la population. Servent à cet effet les règles en matière de concurrence
édictées par Bruxelles, la suppression systématique des droits démocratiques et
l’établissement d’un Etat policier européen. La Commission européenne est déjà
synonyme de dérégulation, de libéralisation et de suppression des droits des
travailleurs. Au lieu de supprimer les contradictions sociales et régionales en
Europe, elle les aggrave. Les institutions communautaires, y compris le
parlement européen, se comportent, de manière de plus en plus arrogante, comme
l’instrument des puissances européennes et des groupes économiques les plus
influents.
Pour cette raison, le rejet croissant de l’UE par une grande
partie de la population est tout à fait bienvenu.
Mais il n’est pas suffisant d’ignorer l’Union européenne et
les élections européennes et de s’en désintéresser totalement. Si l’avenir de l’Europe devait rester entre les mains de
l’aristocratie financière et de la bureaucratie de l’Union européenne, alors un
désastre serait inévitable. Il est indispensable que les travailleurs
interviennent dans la situation et prennent le sort de l’Europe entre leurs
mains.
C’est pourquoi le Parti de l’égalité sociale Partei für
Soziale Gleichheit (PSG – Allemagne) et le Socialist Equality Party (SEP –
Angleterre) s’engagent ensemble et de façon intensive dans la campagne
électorale actuelle, avec le soutien de tous les partisans du Comité international
de la Quatrième Internationale. Leur objectif est de conférer à l’opposition
grandissante contre l’UE une perspective progressiste, c’est-à-dire socialiste.
La crise financière et économique internationale a d’ores et
déjà des conséquences catastrophiques en Europe. La production industrielle
recule dramatiquement et la récession poursuit sa progression à une vitesse
record. D’après les derniers chiffres, la production industrielle (sans
l’industrie du bâtiment) a, au mois de février, baissé de 18,4 pour cent en
moyenne par rapport à l’année dernière dans les 27 pays de l’UE.
En début de semaine, le quotidien Süddeutsche Zeitung a,
sous le titre « La troisième phase de la crise », décrivait la
situation comme suit : « La crise économique et sa perception dans
l’opinion publique forment un contraste étrange. Les données conjoncturelles
dessinent une courbe de plus en plus négative, les prévisions sont de plus en
plus sombres. Les Allemands restent sereins. » Le calme « aura
bientôt une fin » peut-on lire plus loin. « Car la crise va atteindre
dans les mois à venir sa troisième phase : celle où les systèmes de
protection sociale chancelleront. » Et selon ce journal, cela affectera beaucoup
plus les gens que ne l’ont fait toutes les conséquences de la crise jusqu’ici.
La situation est particulièrement grave en Europe de l’Est. Vingt
ans après l’effondrement des régimes staliniens il est visible pour tout un
chacun que l’instauration du capitalisme a représenté une considérable
régression sociale. Une petite élite composée de nouveaux riches et d’anciens
staliniens a accaparé la propriété publique et se vautre dans une richesse
insolente tandis que la grande masse de la population vit dans une misère
sordide.
Aucun des partis établis ne représente les intérêts de la
population. Cela vaut aussi pour les soi-disant partis de gauche. En Allemagne,
le parti La Gauche d’Oskar Lafontaine, en France, Le Parti de Gauche de
Mélenchon et le Nouveau Parti anticapitaliste de Besancenot, en Italie,
Rifondazione Comunista, en Grèce Syriza ainsi que des formations du même genre
dans d’autres pays fondées dans le but de combler la brèche laissée ouverte par
l’effondrement des partis sociaux-démocrates et staliniens. Ils se considèrent
comme des garants de l’ordre établi et donc du maintien des rapports de
propriété de la bourgeoisie et comme ayant pour tâche primordiale d’empêcher
tout développement révolutionnaire au sein de la classe ouvrière.
Dans ces circonstances, le PSG et le SEP utilisent l’élection
européenne pour faire connaître un programme socialiste et pour développer la
discussion à son sujet.
Au cœur de ce programme se trouve une perspective
internationale qui part de l’idée que les travailleurs doivent s’unir au-delà
des frontières dans le but de lutter contre les baisses de salaire, les
licenciements de masse et la destruction des acquis sociaux. Toutes les
tentatives des gouvernements et des syndicats de faire porter à la population
le fardeau de la crise en montant les travailleurs les uns contre les autres
doivent être rejetées de façon résolue.
Les travailleurs ne portent pas la moindre responsabilité dans
cette crise. Ils n’ont pas été associés aux opérations spéculatives à haut
risque. Ils n’ont pas empoché des millions voire même des milliards d’euros. Au
lieu de mettre à la disposition de l’aristocratie financière des centaines de
milliards pour le sauvetage de ses profits, il faut que celle-ci rende des
comptes et soit tenue entièrement responsable au moyen de sa fortune
personnelle.
La défense principielle des emplois, des salaires et des
conditions de travail requiert une rupture avec les syndicats existants qui, en
acceptant sans cesse de nouvelles concessions et en recourant aux conventions
collectives, imposent une dégradation des conditions de vie et étouffe tout
mouvement indépendant des travailleurs. Des comités d’usine doivent être mis en
place indépendamment des syndicats et des comités d’entreprise afin d’organiser
la résistance sous forme de grèves et d’occupations d’usine.
Il faut faire d’une telle mobilisation le point de départ
de l’établissement de gouvernements ouvriers en Europe qui donnent la priorité
aux besoins sociaux plutôt qu’aux profits des propriétaires de capital. Dans le
contexte de cette lutte pour des Etats-Unis socialistes d’Europe, la campagne
de l’élection européenne prend une grande importance.