Dans un rapport
publié cette semaine, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoit une
baisse de 9 pour cent du volume du commerce mondial pour cette année – soit le
déclin le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale. Parmi les pays
développés, la baisse devrait être encore plus sévère, 10 pour cent. Tout en
étant moins affectés, les pays en voie de développement devraient tout de même
subir une baisse de 2 à 3 pour cent – alors qu'ils augmentaient de 15 pour cent
par an en moyenne entre 2000 et 2008.
Les statistiques
de l'OMC montrent un ralentissement des échanges commerciaux, passant d'une
croissance du volume de 6 pour cent en 2007 à 2 pour cent en 2008. Mais
l'impact du chaos financier qui a éclaté aux États-Unis en septembre dernier a
commencé à se faire sentir vers la fin de l'année avec la baisse de la demande
des consommateurs aux États-Unis, au Japon et en Europe. « Depuis que la
récession s'est installée au quatrième trimestre de 2008 il y a bien peu de
raisons d'être optimiste quant aux perspectives du commerce pour 2009 »,
affirme ce rapport.
Dans un article
intitulé « le plongeon, [going under] » publié cette semaine,
le magazine The Economist commentait : « Le monde contemple
des baisses vertigineuses et à peu près universelles des exportations, elles
dépassent les baisses de la production. Parmi les 45 pays pour lesquels la
Banque mondiale dispose de données sur le commerce pour le mois de janvier, la
baisse moyenne des exportations comparées à janvier de l'année dernière s'élève
à 32 pour cent, et 37 pays ont vu leurs exportations baisser de plus d'un
quart. Ces baisses englobent tous les pays, les exportations s'effondrent dans
les pays riches comme dans les pays pauvres. Les exportations de l'Argentine en
janvier étaient inférieures de 36 pour cent à ce qu'elles étaient un an plus
tôt. La baisse pour la même période au Canada a été de 35 pour cent. Les
exportations du Chili ont baissé de 41 pour cent, celles du Japon de 35 pour
cent. »
Les statistiques
officielles publiées cette semaine au Japon sont encore plus sombres – les
exportations ont baissé de 49,4 pour cent en février comparées à l'année
dernière. Ce résultat est le pire depuis que le Japon a commencé à établir
ces statistiques en 1980. Le Japon n'a pu éviter un déficit de la balance
commerciale qu'en raison d'une baisse de 43 pour cent des importations. Son
économie dépend de l'exportation de biens de consommation comme les voitures et
l'électronique vers les États-Unis et l'Europe, mais aussi de la vente de
capitaux et de composants pour la production en Asie, particulièrement en
Chine.
Le rapport de l'OMC
explique : « Même la Chine, avec son économie dynamique, ne peut se
mettre à l'écart du déclin mondial puisque la plupart de ses partenaires
commerciaux sont en récession. Les exportations chinoises vers ses six
principaux partenaires (en considérant l'UE comme un partenaire unique)
représentaient 70 pour cent du total des exportations du pays en 2007. Tous ces
partenaires commerciaux sont actuellement confrontés à une contraction
économique ou un ralentissement et vont probablement faire montre d'une faible
demande d'importations pour quelque temps. » Les exportations de la Chine
sont tombées de 26 pour cent en février comparées à février de l'année
dernière, faisant suite à une baisse de 28 pour cent en janvier.
L'OMC a noté
d'autres signes de la baisse du commerce mondial. Selon l'Association
internationale du trafic aérien (IATA), le transport aérien de marchandises
était en baisse de 23 pour cent en décembre comparé à l'année dernière, la
baisse la plus importante se produisant dans la région Asie-Pacifique avec 26
pour cent. Dans le contexte d'une demande à la baisse pour le transport
maritime, l'indice Baltic Dry – une mesure du coût de l'expédition de
marchandises par mer en grande quantité – a baissé de 94 pour cent entre juin
et décembre 2008. Les statistiques publiées par l'Etat de Singapour la semaine
dernière ont montré une baisse de 19,8 pour cent en février comparé à l'année
dernière du nombre de conteneurs manipulés dans ce port qui est le plus actif
du monde.
Mêmes les
prévisions actuelles de l'OMC risquent pourtant de se révéler trop optimistes.
Comme l'explique le rapport, ses prévisions « supposent le schéma normal
d'une récession où les échanges se réduisent, restent faibles pour un temps
puis reprennent leur trajectoire à la hausse et commencent à revenir à leur
tendance précédente ». Comme le Fonds monétaire international (FMI), l'OMC
prévoit actuellement une contraction globale de 1 à 2 pour cent en 2009. Étant
données les révisions continuelles à la baisse des estimations de la croissance
ces derniers mois, l'hypothèse de l'OMC ne vaut guère mieux qu'une proposition
lancée dans le noir le plus total.
La compression
globale du crédit agit également sur le commerce. On estime à 90 pour cent la
part du commerce mondial dépendant d'une forme ou d'une autre de crédit. Le FMI
prévoit une baisse de 100 à 300 milliards de dollars des crédits alloués au
commerce cette année. Une étude récente du FMI a établi que le manque de
financement du commerce affectait déjà de 6 à 10 pour cent du commerce des pays
en voie de développement.
Ce déclin accentué
du commerce mondial reflète le caractère mondialisé de la production. Un
produit fini est de moins en moins le produit d'un seul pays, il met à
contribution un grand nombre d'autres pays – chacun s'ajoutant aux statistiques
du commerce mondial. En conséquence, au cours des dernières décennies, le
commerce mondial a augmenté plus vite que la production mondiale. Cependant,
l'économie mondiale se contractant, ces mêmes processus amplifient la baisse du
commerce puisque la demande à la baisse pour les produits finis entraîne une
baisse des achats des éléments nécessaires à la production.
Le rapport de
l'OMC explique sans détour que « l'amplitude totale [l'effet des processus
de production globalisés] ne peut qu'être deviné car nous ne disposons pas
d'informations systématiques ». The Economist a estimé que la
« spécialisation verticale » — la spécialisation par pays dans une
étape, ou quelques étapes, du processus de production — a augmenté d'environ 30
pour cent et représentait un tiers de la croissance du commerce sur les 20 ou
30 dernières années.
Cette contraction
du commerce mondial rappelle les années 1930, lorsque le ralentissement
économique alimenta des mesures protectionnistes et l'émergence de blocs
monétaires qui entraînèrent l'effondrement du commerce. Tous les gouvernements
du monde sont bien conscients des dangers d'une nouvelle Grande Dépression,
mais dans la course qu'ils se livrent pour maintenir à flots leurs économies,
ils s'en remettent de plus en plus à des politiques protectionnistes qui
consistent à ruiner leurs voisins.
En publiant ce
rapport cette semaine, le directeur général de l'OMC, Pascal Lamy en a appelé
aux dirigeants qui vont participer au sommet du G20 à Londres pour qu'ils
« se gardent de toute mesure protectionniste supplémentaire qui rendrait
les efforts de relance mondiaux moins efficaces ». Cependant, il y a bien
peu d'espoirs que le sommet du G20 fasse autre chose que des promesses vides
pour éviter le protectionnisme dans le contexte des controverses de plus en
plus âpres sur les causes et les remèdes de la crise.
Lors du précédent
sommet du G20 en novembre, les dirigeants rassemblés ont formellement prêté
serment pour un moratoire d'un an sur les politiques protectionnistes et pour
parvenir à un accord sur le round de négociations commerciales de Doha avant la
fin de l'année dernière. Le round de Doha est toujours bloqué, sans aucun
espoir que des négociations sérieuses soient ravivées dans un avenir immédiat,
et les mesures protectionnistes se sont multipliées.
Un second rapport
de l'OMC produit cette semaine donne une longue liste de nouvelles
tarifications et quotas mis en place par divers pays venant contredire le
communiqué du G20. Parmi les 20 pays se rendant au sommet, seuls deux –
l'Arabie saoudite et l'Afrique du Sud – ne sont pas mentionnés sur cette liste.
Bien que cette
liste « des mauvais élèves » de l'OMC n'ait pas été publiée, l'Associated
Press et Reuters s'en sont procuré des copies et ont publié des
détails. Les États-Unis y sont critiqués pour la clause « achetez
américain » insérée dans leur programme de relance et pour le renflouement
de leurs constructeurs automobiles. L'Union européenne y figure pour avoir
imposé des taxes anti-dumping sur des produits chinois, comme les boulons, les
boutons-pression, les bougies et le fil d'acier, ainsi que pour avoir remis en
place les subventions aux producteurs de lait et imposé des pénalités sur les
importations de biocarburants américains. La Chine a été mentionnée pour le
blocage de l'accès à divers marchés et pour avoir fait preuve de mauvaise foi à
l'égard des exportateurs. Et cette liste n'est pas exhaustive.
Lamy a tenté de
présenter ce rapport sous son meilleur jour, déclarant que la liberté du
commerce avait subi un « dérapage important » tout en disant que rien
n'indiquait une descente vers la guerre commerciale globale, il a averti :
« Le danger aujourd'hui est celui d'une accumulation de restrictions qui
pourrait lentement étrangler le commerce international et saper l'efficacité
des politiques visant à relancer la demande globale et restaurer une croissance
soutenue globalement. »
Cependant,
l'économie mondiale continuant à se contracter, les tensions commerciales ne
pourront que s'aggraver et les mesures protectionnistes peuvent aisément
s'emballer en une véritable guerre commerciale. Même avant que le sommet du G20
ne se réunisse, les divisions entre les grandes puissances au sujet d'un grand
nombre de politiques économiques sont bien trop évidentes.