Des travailleurs des usines Caterpillar et Continental en
lutte pour défendre leurs emplois se sont révoltés la semaine dernière contre
les licenciements négociés par les syndicats avec les patrons et le
gouvernement.
Les travailleurs de Caterpillar, confrontés au projet de
suppression de 733 emplois dans les deux usines de Grenoble de l'entreprise
transnationale de machines de construction et d'engins agricoles ont rejeté la
semaine dernière l'accord de compromis de leurs syndicats avec la direction.
Le 1er avril, leurs dirigeants syndicaux qui avaient
retenu pendant une journée quatre cadres dans leur bureau afin d'essayer
d'obtenir de meilleures indemnités de licenciement, avaient rédigé un
« appel solennel » au président Nicolas Sarkozy pour obtenir des
fonds européens et ainsi permettre à l'entreprise de maintenir la production
dans les usines de Grenoble.
Le 19 avril, les représentants syndicaux et la direction
de Caterpillar se sont rencontrés comme convenu sous l'égide du ministère de l'Économie
à Paris où un protocole de sortie de crise a été signé. Celui-ci prévoit la
suppression de 600 postes au printemps. Les 2000 travailleurs restants se
voient confrontés à l'intensification de l'exploitation de par l'annualisation
du temps de travail en octobre prochain.
Le jour suivant, les représentants syndicaux de
Caterpillar, essentiellement des délégués CGT (Confédération générale du
travail, proche du Parti communiste) ont été sifflés lors d'une assemblée
générale de 300 grévistes lorsqu'ils leur ont soumis le protocole juste avant
une réunion au bureau de la DDTE (Direction de l'emploi) de Grenoble pour en
finaliser les détails.
Le quotidien Libération rapporte que, n’étant
pas en mesure de finir leur présentation du protocole, les délégués syndicaux
se sont dépêchés de partir pour la DDTE « pour poursuivre la négociation
du plan de sauvegarde pour l’emploi... Mais près de 200 salariés
mobilisés ont choisi de se rendre ventre à terre à la DDTE pour en interdire
l’accès à leurs représentants...A leur arrivée à la DDTE, les
représentants du personnel ont dû battre en retraite sous des jets
d’œufs, face à un groupe leur criant : “Maintenant, la négociation,
c’est dans la boîte que ça se passe, et c’est nous, les salariés,
qui décidons !" Avant d’entonner : "Aux armes ! Nous sommes les
salariés ! Et nous allons gagner ; Cater’ devra céder !"Un
travailleur remonté a dit: "Ils sont allés faire les beaux à Paris, il y a
eu des choses négociées qui ne devaient pas l’être. Ils n’avaient pas
à signer, on lâchera rien !" »
Un délégué CGT a prétendu que « Ce protocole
n’a pas de valeur légale. On va faire l’AG, discuter avec les
salariés, et poursuivre la négociation. On a signé pour la forme, en signe de
bonne volonté, mais je peux comprendre que les salariés interprètent ça
autrement. » Mais il n'empêche que Caterpillar poursuit en justice le
comité syndical pour rupture de l'accord signé.
Nicolas Benoît, de la CGT qui faisait partie de la
délégation syndicale qui s'est rendue à Paris a dit dans une interview au Monde
que « coincés avec la direction, plusieurs avocats et un représentant de
l'Etat, qui ont fait pression pour que nous signions un protocole de fin de
conflit….Nous avons fini par accepter un compromis car il nous fallait
revenir avec une signature du directeur. » Cherchant à justifier les
concessions marginales obtenues, dont le but évident était d'isoler les
travailleurs plus combatifs, Benoît a déclaré : « Autrement, la
discussion n'aurait servi à rien. »
Il a vivement conseillé de faire confiance à l'Etat pour
trouver une solution : « Nous souhaitons la tenue d'une réunion
tripartite en présence de six représentants du comité de grève, de la direction
de Caterpillar et de l'Etat, ainsi que des élus locaux. » Il a
ensuite proposé un autre compromis : « Un maximum de 450
suppressions de postes, au lieu des 600 annoncées par la direction, ainsi
qu'une annulation pure et simple du projet d'annualisation du temps de travail. »
Benoîta reconnu que la nécessité de revenir avec
une signature du directeur n'avait laissé à la CGT d'autre choix que celui de
renoncer aux emplois des travailleurs. Ceci met le doigt sur les problèmes
politiques qui confrontent la classe ouvrière. Agissant selon la perspective de
collaboration de classes de la bureaucratie syndicale, la réponse de Benoît face
au conflit des intérêts de classes consiste à se ranger du côté des patrons. La
défense des emplois, de l'industrie et du niveau de vie implique à présent une
lutte politique contre non seulement les patrons mais aussi contre les
syndicats et pour le contrôle indépendant de l'industrie par les travailleurs.
Le 21 avril, les travailleurs de l'entreprise allemande de
pneumatiques, Continental, de l'usine de Clairoix en Picardie, apprenant que le
tribunal les déboutait de leur demande d’annulation de la procédure de
fermeture de leur usine entraînant 1 120 licenciements, ont saccagé les bureaux
de la sous-préfecture.
Le 16 mars, des travailleurs de Continental avaient fait
irruption dans une réunion du comité central d’entreprise à Reims et
bombardé leurs patrons d'oeufs et de chaussures. Suite à cela l'entreprise
tient à présent les réunions du comité central de l’entreprise à mille kilomètres
de là, dans un hôtel de Nice, avec des consignes de sécurité très strictes.
Jeudi dernier, des travailleurs allemands de Continental,
dont l'usine aussi va être fermée, ont accueilli leurs collègues français à
leur arrivée en gare d'Hanovre par train spécialement affrété de Paris, pour
une manifestation commune dans les rues de la ville. Ils tenaient une pancarte
sur laquelle était inscrite en français le célèbre appel du Manifeste du Parti
communiste: « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. »
La propagation rapide des conflits de classes marque un
changement par rapport à la période précédente où les grèves se confinaient au
secteur public tandis que les travailleurs du secteur privé ne faisaient pas
grève, en grande partie par peur de perdre leur emploi. Les actions de masse
depuis la période des grèves massives de cheminots de 1995 se sont en grande
partie limitées aux travailleurs du secteur public jouissant de la garantie
d'emploi, luttant pour empêcher l'érosion constante de leurs conditions de
travail. Mais ils ont vu leurs grèves systématiquement étouffées, isolées et
trahies par les syndicats.
Mais du fait de la crise, le nombre de chômeurs en France
augmente de 3 000 par jour. La dernière prévision du FMI (Fonds monétaire
international) d'une contraction de 11 pour cent du commerce mondial pour 2009
suggère que la situation ne peut qu'empirer. La production industrielle pour le
mois de février (à l'exclusion du bâtiment) dans les 27 pays de l'Union
européenne a chuté en moyenne de 18,4 pour cent par rapport à l'année dernière.
Les travailleurs étant à présent immédiatement menacés de chômage et
d'appauvrissement, la véritable intensité des tensions de classes émerge.
De nombreux travailleurs en France cherchant à résister
face au temps partiel et aux licenciements sont dans des usines appartenant à
des entreprises transnationales engagées à dégraisser mondialement et à réduire
les salaires. Caterpillar a licencié 25 000 de ses travailleurs dans le monde
entier ces derniers mois.
Continental, avec l'effondrement mondial des ventes de
voitures, ne fait que commencer avec les fermetures d'usines à Clairoix en
France et Hanover-Stöcken en Allemagne. Les travailleurs ont récemment kidnappé
leur patron à l'usine Molex de Villemur/Tarn qui va fermer en juin prochain
jetant à la rue 300 personnes. Avec ses 40 sites sur tous les continents, mis à
part l'Afrique, l'entreprise est en train de supprimer 8 200 emplois dans le
monde entier, soit 25 pour cent de sa main-d'oeuvre.
Ces évolutions représentent une menace politique majeure
pour le gouvernement conservateur du président Nicolas Sarkozy. Sarkozy a
utilisé la négociation publique avec les syndicats comme tactique centrale
visant à émousser l'opposition populaire à sa politique intérieure, tandis
qu'il poursuit sa politique d'austérité sociale déguisée en « dialogue
social. » L'augmentation des tensions entre les syndicats et la classe
ouvrière va intensifier la crise du gouvernement de Sarkozy déjà impopulaire.
L'Etat prépare la répression frontale des luttes des
travailleurs. Le 17 avril, le premier ministre a demandé aux préfets, dans leur
rôle plus classique de chefs de la police plutôt que de médiateurs triparties,
d'être « vigilants » et de fournir les moyens nécessaires au maintien
de l'ordre sur les lieux de travail.
Les travailleurs doivent combattre la complicité de l'Etat
et des syndicats par leur propre stratégie de classe, en formant des comités
d'usine indépendants sur leur lieu de travail et en lançant une offensive
politique pour rallier un soutien plus large dans la classe ouvrière pour leurs
actions contre le gouvernement.
De tels comités de lieux de travail et de quartiers
doivent se fonder sur la conscience que la crise mondiale du capitalisme
requiert une réponse politique mondiale de la classe ouvrière par-delà les
branches d'industries et les frontières nationales. Ceci requiert le
remplacement des gouvernements capitalistes de l'Union européenne par des
gouvernements ouvriers au sein des Etats unis socialistes d'Europe.