Un article
paru dimanche dans le New York Times sur les manigances en coulisses entre
Henry Paulson, secrétaire au Trésor du gouvernement Bush, et Goldman Sachs, le
géant de la finance dirigé par Paulson avant qu’il ne rejoigne le gouvernement Bush,
jette un éclairage sur les relations corrompues entre les responsables du
gouvernement et les banques et qui sous-tendent le plan de sauvetage s’élevant
à plusieurs billions de dollars.
L’article qui se fonde sur l’agenda officiel de Paulson de
2007 et de 2008 et que le Times a obtenu dans le cadre d’une requête
liée à la Loi américaine sur la liberté de l’Information (Freedom of
Information Act), documente l’étroite collaboration qui a existé durant la
crise financière de ces deux dernières années entre Paulson et son successeur
au poste de directeur général de Goldman Sachs, Lloyd C. Blankfein. L’article
se concentre sur la période de mi-septembre 2008, le point culminant de la
crise lorsque le gouvernement décida d’allouer 85 milliards de dollars pour
sauver de la faillite l’American International Group (AIG), chef de file
mondial de l’assurance et des services financiers.
L’article montre clairement qu’au centre du sauvetage d’AIG se
trouvait la décision d’utiliser l’argent du contribuable pour soutenir les
milliards de dollars dus par l’assureur aux banques de Wall Street pour avoir
souscrit auprès d’AIG des Credit Default Swaps (CDS) dans le but de les
protéger contre le risque de crédit. Les Credit Default Swaps jouent un rôle
crucial dans le vaste édifice de la spéculation au moyen duquel les banques
engrangent des profits faramineux pour récompenser leurs directeurs et leurs
traders en leur versant des bonus et des salaires s’élevant à plusieurs
millions de dollars.
Sur le marché dérégulé du Credit default swap, les banques et
les grands groupes achètent des assurances pour se couvrir contre le risque de
défaillance de titres émis par d’autres banques et d’autres entreprises. Si un
vendeur de swaps, AIG était de loin le plus important, fait faillite, ses
clients risquent de perdre des milliards en risquant eux aussi de faire
faillite.
C’était précisément ce qui s’était passé en septembre 2008
pour les principales institutions financières quand AIG a été au bord de la
faillite. Le Times cite la porte-parole de Paulson, Michele Davis,
disant que les responsables gouvernementaux craignaient que Goldman tout comme
la banque d’investissement Morgan Stanley « pourraient elles aussi faire
faillite dans la semaine… »
Aucune institution n’avait été plus exposée que Goldman Sachs,
la plus rentable des banques d’investissement de Wall Street, et qui était sur
le point de perdre 13 milliards de dollars de CDS et autres produits dérivés
d’AIG.
L’article du Times documente le fait que Paulson, à qui
il avait été interdit de par la loi et le code d’éthique d’entretenir des
relations avec son ancienne banque, avait eu des dizaines de conversations
téléphoniques avec Blankfein, le 16 ou aux environs du 16 septembre 2008, au
moment où Paulson et la Réserve fédérale des Etats-Unis (Fed) avaient annoncé
le sauvetage d’AIG.
En orchestrant le plan de sauvetage des banques, Paulson et
ses collaborateurs, dont le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke et
Timothy Geithner, autrefois le PDG de la Fed de New York et maintenant le
secrétaire au Trésor d’Obama, étaient tous parfaitement conscients des
implications juridiques du rôle joué par Paulson dans le renflouement de
Goldman Sachs avec de l’argent public.
Pour
se procurer une caution juridique, comme le rapporte le Times, Paulson
avait obtenu le 17 septembre deux dérogations à l’éthique peu de temps avant
une conférence téléphonique qui s’était tenue entre lui-même, Bernanke,
Geithner et d’autres contrôleurs de banque pour discuter de la crise financière
de Goldman, Merrill Lynch et Morgan Stanley. Ces attestations avaient été
émises par le propre département du Trésor de Paulson et le conseiller
juridique de la Maison-Blanche.
Comme le remarquait le Times : « En tout et
pour tout, Mr Paulson et Mr Blankfein avaient eu, entre le 16 et le 21
septembre 2008, 24 conversations téléphoniques. A l’apogée de la crise
financière, Mr Paulson avait parlé plus souvent avec Mr Blankfein qu’avec
n’importe quel autre membre du comité de direction, conformément aux
annotations figurant dans ses agendas. »
Le journal signale qu’avant de recevoir des dérogations,
Paulson avait déjà joué un rôle clé dans les décisions qui avaient favorisé de
façon disproportionnée son ancienne banque. En plus de couvrir les créances
douteuses de Goldman garanties par AIG, il s’agissait d’éliminer les rivaux de
Goldman notamment Bear Stearns et Lehman Brother (et plus tard aussi Merrill
Lynch), pour permettre à Goldman de passer du statut de banque d’investissement
à celui de banque d’affaires, et lui faciliter l’accès au financement d’Etat.
Finalement un jugement de la Commission de sécurité et des échanges
(« Security and Exchange Commission, SEC) interdira aux investisseurs de
spéculer sur les titres de Goldman en les vendant à découvert.
Sur la base de telles mesures, ainsi que de billions de
dollars en espèces, littéralement des prêts sans intérêts, des créances
garanties et autres subventions financées par l’argent du contribuable, et qui
furent poursuivies et étendues par le gouvernement Obama, les principales
banques de Wall Street dégagèrent cette année à nouveau des bénéfices
substantiels et versèrent à leurs membres directeurs et à leurs traders des
sommes record de sept et huit chiffres de primes dans certains cas.
Aucune banque n’a aussi bien fait que Goldman qui avait
annoncé un bénéfice net de 3,44 milliards de dollars pour le deuxième trimestre
et qui est en passe de verser cette année à ses salariés une somme record de 22
milliards de dollar de bonus et de salaires.
L’article paru dimanche dans le Times suggère qu’en
plus des violations éthiques et des violations des dispositions légales,
Paulson aurait fait un faux témoignage le mois dernier devant la Chambre des représentants.
Interrogé sur d’éventuels conflits d’intérêts liés au rôle qu’il a joué chez
AIG et Goldman, l’ancien secrétaire au Trésor avait déclaré devant le comité,
« J’aimerais vous dire qu’à aucun moment je n’ai joué un rôle dans les
décisions de la Fed concernant les versements faits aux créanciers ou aux
partenaires d’AIG. »
Mais le journal cite d’anciens responsables gouvernementaux
anonymes disant : « Mr Paulson a joué un rôle majeur dans les
discussions sur le sauvetage d’AIG qui eurent lieu ce week-end [du 13 au 14
septembre 2008] et les participants savaient parfaitement qu’un prêt accordé à
AIG servirait à payer Goldman ainsi que les autres partenaires commerciaux de
l’assureur. »
Le journal omet de mentionner un autre fait accablant. Paulson
qui, comme le remarque le Times, avait personnellement viré le PDG
d’AIG, l’a aussi remplacé par Edward M. Liddy. Selon Wikipedia, l’homme choisi
par Paulson pour superviser le transfert de l’argent des contribuables d’AIG
vers Goldman et les autres créanciers d’AIG « avait siégé de 2003 à 2008
au conseil d’administration de Goldman qu’il avait quitté pour devenir le PDG
d’AIG. Henry Paulson l’avait désigné pour occuper ces deux fonctions. »
Liddy, qui a depuis démissionné de son poste chez AIG, détient plus de 27 000
actions de Goldman Sachs d’une valeur de plus de 3 millions de dollars.
Traduisant le soutien politique du Times pour Obama, le
journal omet de préciser que l’actuel gouvernement compte au plus haut de sa
hiérarchie de nombreux anciens membres de Goldman et des protégés de l’ancien
co-président de la banque, Robert Rubin. Parmi ces derniers, pour n’en
mentionner que deux, se trouvent l’administrateur des fonds du TARP, l’ancien
vice-président de Goldman, Neil Kashkari et Lawrence Summers, le principal
conseiller économique d’Obama. L’article omet également de nommer Geithner,
l’actuel secrétaire au Trésor américain et qui avait joué un rôle clé dans le
renflouement d’AIG.
Le rôle joué par Paulson dans le pillage du Trésor public pour
le règlement les dettes de jeu de Goldman et, plus généralement, pour la
protection de l’aristocratie financière des conséquences de ses opérations
spéculatives, est criminel au vrai sens du mot. Des raisons suffisantes
existent pour lancer une enquête criminelle et, mises à part les violations
potentielles de la loi, les conséquences sociales destructrices de sa politique
pour des centaines de millions de personnes aux Etats-Unis et dans le monde, et
qui est de plus poursuivie par Obama, sont incalculables.
Paulson, toutefois, n’est pas une exception.
Le banquier multimillionnaire qui est devenu ministre est plutôt l’incarnation
de la domination de la vie sociale et politique par une oligarchie financière
dont les influents représentants délaissent leur fauteuil de PDG en échange
d’un fauteuil gouvernemental. Le nettoyage des écuries d’Augias salies par la
réaction et la corruption ne pourra se faire que par la mobilisation
indépendante de la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste
révolutionnaire.