Les journalistes du World Socialist Web
Site Susan Allan et Richard Phillips accompagnés de John Hulme, photographe
indépendant, se sont récemment rendus en Australie centrale pour exposer les
effets sociaux et politiques de la « réaction d'urgence dans les
Territoires du Nord » menée par le gouvernement fédéral, une intervention
militaro-policière dans les communautés aborigènes [au nom de la protection des
enfants contre les abus sexuels, ndt]. Cet article est le dernier d'une série
d'articles, d'interviews, de films et de photographies (voir séries 1 (portraits) et 2 (conditions sociales)). Les parties une, deux, trois, quatre, cinq et six ont été publiées en anglais respectivement les 21 juin, 26 juin, 2
juillet, 15 juillet, 24 juillet et 6 août.
Lorsque le gouvernement Howard [John Howard, premier
ministre libéral de 1996 à 2007, ndt] a annoncé son « intervention » dans les
Territoires du Nord (NT — l'un des sept états de l'Australie, s'étendant
de la côte nord au désert central) en juin de l'année dernière, la très grande
majorité des Aborigènes ont compris que c'était l'une des atteintes les plus
sérieuses à leurs droits démocratiques et à leurs conditions de vie depuis plus
de quarante ans. Beaucoup d'entre eux ont dénoncé cette intervention comme une « usurpation »
par le gouvernement et les compagnies minières, et ont demandé pourquoi, si le
gouvernement à Canberra était si inquiet du sort des enfants aborigènes, il
était nécessaire de suspendre la Loi sur les discriminations raciales et d'imposer
une « prise en charge des revenus » aux familles dans le besoin [système
où l'argent des aides sociales est directement versé aux commerçants qui ont
une liste limitée des produits qu'ils peuvent fournir, ndt].
Malgré un battage médiatique ininterrompu en
faveur de l'intervention dans les NT, de nombreux travailleurs des centres
urbains australiens étaient également suspicieux. Après plus de dix ans
d'attaques politiques contre les droits démocratiques et les conditions de vie,
entretenues par des mensonges permanents sur la prétendue « guerre contre
le terrorisme », peu d'entre eux faisaient encore confiance au
gouvernement Howard. Le 24 novembre 2007, le gouvernement Howard était chassé
de son poste.
Cette intervention n'était pas l'idée du seul gouvernement
Howard. Elle intégrait les exigences des principales sections du monde des
affaires australien et elle fut acceptée avec enthousiasme par les grands
médias, la bureaucratie du Parti travailliste et divers entrepreneurs
aborigènes fortunés. Elle prolongeait, sous une forme moderne, les mesures
brutales prises contre les Aborigènes des NT depuis plus de deux siècles par
les propriétaires de troupeaux, les entreprises minières et d'autres
représentants du système capitaliste.
Alors pourquoi, dans ces conditions, cette
intervention — et sa poursuite par le gouvernement travailliste de Rudd
[Kevin Rudd, premier ministre depuis décembre 2007, ndt] – n'a-t-elle pas
été combattue par la classe ouvrière ? Et comment peut-on mettre fin au
chômage endémique, à la misère sociale et au harcèlement policier qui affligent
les Aborigènes ?
Incontestablement, le discours « d'excuses »
que Rudd a prononcé devant des membres des Générations volées [enfants retirés
à leurs parents pour la seule raison qu'ils étaient aborigènes, sans avoir à
établir qu'ils étaient victimes de mauvais traitements, par application d'une
loi de 1915, ndt] a servi à détourner l'attention de l'agenda social de droite
de son gouvernement et notamment de la continuation de l'intervention dans les
NT.
Mais la grande majorité des travailleurs
– indigènes ou non – ne conçoit pas toute l'étendue des plans de
Rudd. Peu d'entre eux réalisent que la « prise en charge des revenus »,
la confiscation des terres et autres mesures anti-démocratiques ne constituent
pas, en fin de compte, une question de race, mais de classe — les coups
de semonce d'un assaut généralisé contre les conditions de vie et les droits
fondamentaux de tous les travailleurs.
Cette confusion n'est pas un hasard. C'est
un exemple supplémentaire de l'ampleur de la marginalisation des Aborigènes par
l'élite dirigeante australienne, les grands médias et les bureaucraties
syndicales et travaillistes, et du fossé ainsi creusé entre eux et leurs frères
et sœurs de classe dans tout le pays.
Durant notre visite de l'Australie centrale,
nous avons rencontré des travailleurs âgés qui avaient perdu leur emploi suite à
l'obtention de l'égalité salariale pour les Aborigènes en 1968. Certains
n'ont jamais retravaillé depuis et, avec leurs enfants et petits-enfants, ils
sont pris au piège d'une pauvreté sans fin. Pour des dizaines de milliers de
jeunes Aborigènes des NT aujourd'hui, le simple concept de « classe ouvrière »
est quelque chose qu'ils ont du mal à comprendre, puisque ni eux, ni les gens
qu'ils connaissent n'ont jamais eu de travail.
Comment est-ce arrivé ? Pour répondre, il
nous faut examiner certaines des expériences politiques essentielles de la
classe ouvrière dans la période de l'après-guerre et, en particulier, la
trahison du mouvement de masse qui avait émergé dans les années 1960 et avait
lutté pour mettre fin à l'oppression raciale et à l'exploitation des Aborigènes.
La
confiscation des terres et l'expansion du capitalisme australien
Le capitalisme colonial australien s'est
développé en réponse à un marché mondial en expansion. Il impliquait toute une
série d'escarmouches sanglantes sur plusieurs dizaines d'années pour forcer les
Aborigènes à quitter leurs terres et les remplacer par des moutons, du blé, et
d'autres produits agricoles. La conversion dans le sang des terres tribales en
propriétés privées a commencé au dix-neuvième siècle sur les côtes orientales
des colonies de Victoria, de Nouvelles-Galles du Sud et de Tasmanie. Elle ne
s'est étendue à l'Australie centrale et du Nord qu'à la fin du siècle.
Officiellement, on estime que plus de 1000
aborigènes ont été abattus ou empoisonnés en Australie centrale entre 1881 et
1891, et ce genre de meurtres a continué jusque dans le courant du vingtième
siècle. L'un des massacres les plus connus s'est produit à Coniston en 1928,
environ 300 kilomètres au nord-ouest d'Alice Springs, lorsque des équipes de
tireurs menées par un officier de police ont tué plus de 100 aborigènes,
hommes, femmes et enfants, en représailles à la mort de Frederic Brooks, un
blanc qui vivait dans la région.
Face à ce genre de terrorisme, dépossédés de
leurs terres et affamés, les Aborigènes ont commencé à se rapprocher des
missions religieuses et des petites villes comme Alice Springs et Darwin. Lecamp d'Alice Springs, par exemple, a commencé comme entrepôts de nourriture
puis est devenu un lieu de recrutement pour les propriétaires de troupeaux et
les colons locaux à la recherche d'une main d'œuvre à bon marché [les Town
camps sont des banlieues où les Aborigènes se sont regroupés initialement
parce que leur présence en ville était interdite, ndt]. Les Aborigènes
n'avaient aucun des droits démocratiques fondamentaux et ceux qui parvenaient à
obtenir un travail étaient traités comme de quasi-esclaves ; ils ne touchaient
pas un salaire, mais des rations de tabac, de farine, de sucre, de thé et
d'autres denrées de base.
Parallèlement, les enfants aborigènes de
couples métisses étaient retirés à leurs parents par les missionnaires et les
agents du gouvernement. Comme dans l'intervention actuelle, la justification
officielle pour prendre ces enfants que l'on a appelé les « Générations volées »,
était de les « protéger ». La véritable raison de cette pratique
officielle qui a perduré jusque dans les années 1970 était de les former comme servantes,
ouvriers agricoles, et d'autres emplois à bas salaires et d'« évacuer l'héritage »
des Aborigènes, considérés alors comme une « race inférieure » par
les autorités gouvernementales.
Résistance
de classe
En dépit de leurs conditions de travail dignes
de l'esclavage et du système de paiement en rations alimentaires, un nombre
croissant d'Aborigènes fut intégré à la classe ouvrière, processus qui
s'accéléra avec le manque de main d'œuvre dans les Territoires du Nord
après le début des hostilités de la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup d'entre
eux entrèrent en contact avec des travailleurs socialistes, dont des membres du
Parti communiste australien (CPA), stalinien, qui était à ce moment-là le seul
parti politique ayant une base substantielle dans la classe ouvrière ; et le
seul à s'opposer aux lois racistes pour une « Australie blanche » qui
restreignaient l'immigration et les droits des Aborigènes.
Des sections importantes de la classe ouvrière
aborigène commencèrent à se rendre compte qu'un combat contre leur oppression
devait partir d'une action de classe unie et, dans la foulée de la montée du
militantisme de la classe ouvrière après la seconde guerre mondiale, ils commencèrent
à mener des actions syndicales et politiques contre leurs conditions de travail
épuisantes.
L'une des batailles les plus importantes commença
le 1er mai 1946, lorsque des travailleurs aborigènes des élevages de moutons de
la région de Pilbara en Australie occidentale cessèrent le travail en demandant
un salaire minimum de 30 shillings par semaine au lieu des rations.
Cette extraordinaire grève de trois ans, qui avait
été menée par Dooley Bin Bin et Clancy McKenna, avec leur ami Don McLeod,
membre du Parti communiste, réunit plus de 800 travailleurs aborigènes de 20
propriétés différentes sur une zone de 10 000 kilomètres carrés.
Les grèves de travailleurs aborigènes étaient
illégales à cette époque et le gouvernement travailliste de l'état d'Australie
occidentale y réagit violemment. Des dizaines de travailleurs furent arrêtés
sous la menace des armes à feu, enchaînés par le cou et les pieds, et forcés à
retourner dans les fermes. Les appels adressés à Herbert Johnson, ministre de
l'Intérieur du gouvernement travailliste fédéral et ex-président du Syndicat
des travailleurs australiens, trouvèrent porte close. Johnson défendait
l'inégalité des salaires et déclara qu'il était favorable à l'utilisation de
colliers de chaînes sur les prisonniers aborigènes.
McLeod et d'autres meneurs de la grève furent
emprisonnés de nombreuses fois, mais en une occasion plus de 300 grévistes aborigènes
se rassemblèrent devant la prison de Port Hedland et imposèrent la libération
de McLeod. La grève gagna un soutien politique et financier de la part des
travailleurs de tout le pays et les syndicats imposèrent un embargo interdisant
à leurs membres de travailler pour les employeurs de Pilbara. Bien que les
demandes des travailleurs n'aient pas été totalement satisfaites, et qu'ils
n'aient jamais pu reprendre leur travail, la Haute cour décida en 1949 que les
employés aborigènes avaient le droit de se syndiquer et d'élire leurs
représentants. Plusieurs élevages de moutons commencèrent également à négocier
des accords sur les salaires avec leur main-d'œuvre aborigène.
Plus largement, la grève de Pilbara encouragea
d'autres protestations à la fin des années 1940 et dans les années 1950. Les
employeurs et l'appareil d'Etat réagissaient inévitablement par une répression
brutale, mais l'opposition de la classe ouvrière s'intensifiait.
Les grèves des travailleurs aborigènes à
Darwin au début des années 1950, la campagne pour le droit à la période de
convalescence après une tuberculose de 1963 [campagne de 18 mois relative à une
loi qui garantissait un arrêt maladie se prolongeant jusqu'à ce que le malade
ne soit plus contagieux, une clause en excluait les Aborigènes et métisses sans
ressources, ndt] et, surtout, la grève de Wave Hill en 1966 par les gardiens de
troupeau de la tribu Gurindji, ont été des événements majeurs de la montée du
militantisme des Aborigènes et faisaient partie d'une vague montante d'actions
politiques de la classe ouvrière internationale. Ces batailles reçurent le
soutien des travailleurs et des étudiants des villes d'Australie du Sud, soutien
exprimé très fortement lors du référendum national de 1967 qui accorda la
citoyenneté aux Aborigènes avec 92 pour cent de « oui ».
En 1967 également, les tribunaux du travail
australiens décidèrent que les travailleurs aborigènes devraient recevoir un
salaire égal aux autres et ordonnèrent aux employeurs d'appliquer cette
décision à partir de 1968. Les propriétaires de troupeaux des NT et d'autres
employeurs réagirent en licenciant des centaines d’Aborigènes et en
introduisant de nouvelles techniques d'élevage – avec des motos et des hélicoptères
– pour ne plus dépendre du travail aborigène. Cela entraîna un exode en
masse des travailleurs aborigènes au chômage et de leurs familles des stations
d'élevage isolées vers les petites villes, où ils furent obligés de vivre dans
des voitures abandonnées, des bidonvilles et d'autres abris rudimentaires.
La
grève de Wave Hill
Menée par Vincent Lingiari, la grève des
gardiens de troupeaux aborigènes de la station d'élevage de Wave Hill —
une immense propriété appartenant à l'entreprise agro-alimentaire britannique
Vestey — dans les Territoires du Nord en 1966 a été une expérience
politique fondatrice, plusieurs chansons de l'époque y font référence, dont la
populaire « From little things big things grow » de Paul Kelly et Kev
Carmody. Les enseignements politiques de cette lutte sont cependant peu compris
par les Aborigènes et le reste de la classe ouvrière.
Il y eut un soutien massif en faveur de cette
grève de six ans, avec des réunions publiques, des manifestations et des
milliers de dollars de donations de la part des travailleurs de toute
l'Australie. Mais tout le potentiel politique de cette bataille acharnée —
le développement d'un mouvement socialiste unifiant les travailleurs indigènes
et non indigènes contre le système de profit — ne s'est jamais réalisé.
La responsabilité en incombe au CPA stalinien
et à l'écrivain Frank Hardy, l'une de ses figures emblématiques, qui
prétendaient que la principale question qui se posait aux Aborigènes était
celle des « droits sur le sol ». Aux grèvistes de Wave Hill et à
tous les Aborigènes, y compris les centaines d'entre eux qui avaient été licenciés
par les propriétaires de stations d'élevage et d'autres employeurs après
l'introduction de l'égalité salariale en 1968, ils disaient que leur salut
résidait dans les « droits sur le sol ». Ces droits, affirmait le
CPA, garantiraient « le contrôle des affaires aborigènes par les Aborigènes »
et mettraient fin à l'oppression raciale.
Dans la même perspective, le CPA et une
alliance de prétendus « gauchistes » et de nationalistes noirs
déclarèrent aux travailleurs et aux étudiants que la tâche principale n'était
pas le développement des idées socialistes chez les Aborigènes et d'un
mouvement unifié de la classe ouvrière. Selon eux, un tel développement se
produirait, peut-être, dans un avenir indéterminé, mais la tâche immédiate des
travailleurs des zones urbaines était d'apporter un soutien complémentaire aux
demandes de « droits sur le sol » pour les Aborigènes. En
d’autres termes, le combat contre l’oppression raciale, qui avait
longtemps été associée au combat pour une perspective socialiste qui mettrait
fin au système capitaliste, fut remplacé par la revendication des « droits
du sol », une perspective complètement bourgeoise.
Ces demandes furent une bénédiction pour la
classe dirigeante australienne, et, sans remettre en cause le soutien populaire
de tout le pays pour les grévistes de Wave Hill, elles représentaient une
trahison politique de toute la classe ouvrière, posant les bases d'une division
sur des critères ethniques. « Les droits sur le sol » constituaient
une demande démocratique, mais leur mise en pratique ne pouvait pas suffire à
libérer les Aborigènes de la pauvreté et du racisme, parce que la source de
leur oppression et de leur exploitation était le système capitaliste lui-même,
avec sa propriété privée des moyens de production, y compris les terres.
Les sections les plus conscientes de l'élite
politique australienne l'avaient compris et, au début des années 1970, elles
adhérèrent à la perspective des « droits sur le sol ». Comme l'avait
fait l'administration Nixon aux États-Unis en encourageant le « capitalisme
noir » pour tenter de dissiper les tensions explosives dans les grandes
villes américaines, l'élite dirigeante australienne commença à cultiver une
couche d'entrepreneurs, de bureaucrates et de cadres intermédiaires de couleur
qui allaient défendre la propriété privée et le système de profit.
En 1975, le gouvernement travailliste de
Whitlam accorda aux gardiens de troupeaux Gurindji un titre de propriété sur la
majeure partie de la station d'élevage de Wave Hill et alla jusqu'à garantir
cette décision dans la Loi sur les droits fonciers des Territoires du Nord, qui
fut promulguée en 1976 par le gouvernement de coalition de Fraser.
Après trente années d'applications, il est
intéressant de constater ce que la perspective des droits sur le sol, les
titres de propriété indigènes [Native titles – reconnaissance des
droits de propriété coutumiers d'un groupe aborigène sur un territoire qui
peuvent coexister avec les droits d'un autre groupe ou d'un non-aborigène ;
ils sont souvent présentés comme un exemple de la coexistence de deux systèmes
légaux sur un même territoire, mais en cas de conflit c'est la loi australienne
qui l'emporte, ndt] et les autres mesures qui étaient censées offrir « le
contrôle des affaires aborigènes aux Aborigènes » ont produit.
De grandes parties des NTsont
actuellement sous le contrôle des conseils territoriaux aborigènes. Bien que
des concessions minimes aient été accordées au long des trente dernières
années, dont le droit à la sécurité sociale et à la retraite, ils n'ont produit
aucune avancée durable. Les Aborigènes restent la section la plus marginalisée
de la société australienne, ils subissent les plus hauts taux de chômage, de
pauvreté et de toxicomanie.
Parallèlement, une petite couche privilégiée
d'entrepreneurs aborigènes a émergé, proclamant la nécessité d'un capitalisme
des gens de couleur, tout en s'enrichissant eux-mêmes au détriment de la grande
majorité des Aborigènes. Ce groupe comprend des célébrités telles que Noel
Pearson, directeur de l'Institut pour les politiques et les dirigeants de Cape
York [Un partenariat entre le gouvernement fédéral, l'université et des fonds
privés pour évaluer les choix politiques qui concernent les aborigènes, ndt], Gallarwuy
Yunupingu, ex-président du conseil territorial aborigène des Territoires du
Nord, Tracker Tilmouth [directeur du conseil territorial d'Australie centrale] et
une longue liste d'autres, qui collaborent maintenant avec le gouvernement Rudd
et ses soutiens du monde des affaires. Leurs actions ne sont pas motivées par
un quelconque authentique souci des Aborigènes ordinaires, mais par l'espoir de
parvenir à des accords commerciaux lucratifs avec les corporations minières ou
d'autres branches économiques.
Les conseils municipaux des camps autour des
villes et des communautés isolées n'ont pas été capables d'offrir un avenir
durable à leurs habitants aborigènes. Pour les jeunes, qui représentent près de
la moitié de la population aborigène des NT, la situation est particulièrement
difficile.
Le programme de développement de l'emploi
communal (CDEP) — introduit par le gouvernement Fraser en 1977, puis
démantelé par l'administration Howard et maintenant restauré de manière
sélective par le gouvernement Rudd — n'offre pas non plus d'amélioration.
Ce n'est qu'un programme visant à faire travailler ceux qui sont sous le seuil
de pauvreté pour un salaire de misère, servant à établir un minimum de services
publics dans les communautés aborigènes — alors que ceux-ci sont
considérés comme allant de soit dans le reste du pays. Dans de nombreux
endroits, les services sanitaires et d'éducation de base n'existent même pas.
De plus, au cours des six dernières années,
Tangenteyre [banlieue d'Alice Springs, ndt] et d'autres conseils municipaux des
NT ont commencé à s'accommoder du gouvernement Rudd, négociant des accords pour
transférer leurs terres au gouvernement fédéral ou au gouvernement travailliste
des NT par des locations s'étalant sur 40 ans, ou plus, contre des promesses de
financements futurs. Les financements gouvernementaux ne seront proposés qu'à
des communautés aborigènes déclarées « viables ». Et même là où ils
se concrétiseront, ils ne feront rien pour corriger sérieusement la pauvreté
endémique et les défaillances des services publics.
Tels sont les résultats de trente années de
prétendu « contrôle des affaires aborigènes par les Aborigènes ».
Les
appels au Parti travailliste et autres voies sans issue
Alors que les Aborigènes sont profondément
hostiles à l'intervention du gouvernement, cette opposition n'a pas pu
s'exprimer dans le cadre de la politique officielle. Les Aborigènes sont
paralysés par des responsables qui ne cherchent qu'à conclure toujours plus
d'accords avec les pouvoirs en place, et par une couche de « gauchistes »
qui sèment des illusions dans le Parti travailliste de Rudd en ne parlant pas
de la profonde nature de classe de son programme.
Des organisations comme la Commission pour les
droits de l'Homme et l'égalité des chances (HREOC) et les Verts, par exemple,
se posent en opposants à l'intervention tout en donnant leurs conseils au
gouvernement Rudd sur la manière dont elle devrait être modifiée. Ils servent à
cacher le fait que cette intervention est une attaque contre la position
sociale et les droits démocratiques de toute la classe ouvrière.
Le mois dernier, la sénatrice des Verts, et
porte-parole du Service des affaires indigènes, Rachel Siewert, en a appelé au
Parti travailliste pour qu'il revienne à ses « valeurs fondamentales »,
insinuant que le soutien de Rudd pour l'intervention était une terrible « erreur ».
En fait, l'adhésion du gouvernement travailliste à cette intervention et
l'extension qu'il lui a donné sont des expressions particulièrement nettes de
ses « valeurs fondamentales » — la défense du monde des
affaires australien et du système de profit.
De même, le HREOC a imploré le gouvernement
Rudd de réformer l'intervention sur la base d'un projet en dix points. Ce projet
comprendrait une nouvelle loi contre la discrimination raciale et un nouveau
CDEP, une révision de la « prise en charge des revenus » et du
système de zones d'interdiction de l'alcool [dans certaines communautés, la
police veille à ce que personne n'introduise d'alcool, ndt], ainsi qu'un « passage
en revue et une évaluation drastique » des mesures prises par l'état des
NT, pour les rendre « cohérentes avec les droits de l'Homme tels qu'ils
sont garantis par les lois australiennes et internationales ». Même si
elles sont adoptées, ces « réformes » ne changeront pourtant pas
fondamentalement les conditions de vie et le statut social des Aborigènes
ordinaires.
Quant à la Coalition des droits des Aborigènes
et aux autres coalitions formées pour défendre une mesure particulière, elles
défendent également le bilan historique et le programme de démantèlement social
du Parti travailliste, répétant jusqu'à la nausée que des manifestations plus
importantes forceront le gouvernement à « changer de trajectoire ».
Ce genre d'appels est généralement mêlé à la dénonciation de l'intervention
gouvernementale comme étant le produit de « la société blanche »,
rendant ainsi les travailleurs ordinaires responsables des malheurs de la
population indigène d'Australie, au lieu de s'en prendre au système de profit
et à ses représentants politiques.
La première division dans la société
australienne est entre les classes, pas entre les races, une chose bien mise en
évidence par le soutien apporté à l'intervention par une couche de riches
entrepreneurs aborigènes et de dirigeants indigènes.
Les Aborigènes qui vivent dans les camps
autour des villes et dans les communautés isolées ne peuvent pas sortir de la
pauvreté et de la misère dans le cadre social existant. À l'ère de la production
capitaliste globalisée, il n'y a pas de voie « indépendante » vers le
développement économique et politique des minorités opprimées, que ce soit en
Australie ou ailleurs.
Le Parti travailliste peut trouver opportun de
modifier certains aspects de l'intervention dans les mois à venir, — quelques
amendements mineurs, un changement de nom ici ou là — mais son objectif
central qui consiste à réduire le niveau de vie et les doits démocratiques des
travailleurs sera maintenu.
Notre brève visite en Australie centrale a mis
l'accent sur une vérité fondamentale – la classe ouvrière ne sera jamais
libre tant que les Aborigènes resteront confinés dans le terrible cauchemar
social des camps et des communautés isolées. Ces problèmes ne peuvent pas non
plus êtres réglés par les seuls Aborigènes ; cette tâche relève de la
responsabilité politique de la classe ouvrière dans son ensemble.
La libération des Aborigènes australiens de
plus de deux siècles d'oppression ne peut être menée à bien qu'en s'appuyant
sur une perspective socialiste révolutionnaire, cherchant à mettre fin au
capitalisme et à établir un gouvernement de la classe ouvrière qui réorganisera
fondamentalement la vie économique, politique et sociale pour répondre aux
besoins des êtres humains et non aux exigences de profit des grandes
compagnies. Un tel gouvernement devrait avoir comme première priorité
l'allocation de toutes les ressources nécessaires pour rectifier les crimes
perpétrés contre les populations indigènes tout au long de leur histoire.
Le Parti de l'égalité socialiste (PES) est le
seul parti à lutter pour unifier toutes les sections de la classe ouvrière sur
la base de cette perspective, contre toutes les formes de nationalisme et de
politiques identitaires. Nous incitons les travailleurs et les jeunes à lire le
World Socialist Web Site, à étudier notre programme et à envisager
sérieusement d'adhérer au PES.