Le Bloc québécois (BQ), le parti fédéral
défendant l’indépendance de l’unique province canadienne à majorité francophone,
tente de stopper sa perte de popularité en se présentant comme l’unique rempart
contre un gouvernement conservateur majoritaire.
A l’ouverture de la campagne électorale, le
chef du BQ, Gilles Duceppe dénonçait ainsi les conservateurs : « En
2003, inspiré de l’administration Bush, Stephen Harper voulait entraîner le
Canada dans la guerre en Irak et déchirer le protocole de Kyoto, préférant
défendre les pétrolières plutôt que l’environnement. C’est cette ligne
politique à la Bush que Stephen Harper
a mise de l’avant une fois au pouvoir. Cela va à l’encontre des valeurs
universelles que les Québécoises et les Québécois partagent avec de nombreuses
nations dans le monde. »
Les appuis électoraux du BQ se sont
considérablement effrités depuis la dernière élection de 2006 où il avait
obtenu 42 pour cent des voix exprimées au Québec. Les sondages lui donnent aujourd’hui
au plus 35 pour cent des intentions de vote, certains moins de 30 pour cent.
Tentant d’améliorer sa fortune électorale, Duceppe
demande aux fédéralistes de voter pour le BQ pour empêcher l’élection d’un
gouvernement majoritaire conservateur.
« Il y a les Canadiens qui espèrent
fortement que le Bloc québécois batte les conservateurs parce qu'ils savent
bien que si on les prive d'une majorité, ça va rendre service aux Canadiens et
à tout le Canada », a déclaré Duceppe ce dimanche.
Bien qu’il dénonce aujourd’hui le gouvernement
d’Harper pour être trop à droite, le Bloc québécois a joué un rôle clé dans l’arrivée
et du maintien au pouvoir du gouvernement conservateur
minoritaire.
Au cours des années précédant l’élection
fédérale de 2006, au nom de la soi-disant « défense des intérêts du
Québec », le BQ a agi de façon coordonnée avec l’Alliance canadienne, le
parti prédécesseur du Parti conservateur (PC) et ensuite avec les conservateurs
de Harper pour contrer le Parti libéral du Canada (PLC). Lors des dernières
élections en 2006, Duceppe avait minimisé la signification de l’élection de
Harper, déclarant que l’élection du Parti conservateur était l’affaire des
Canadiens. Plus important, le BQ a formé une coalition de fait avec le
gouvernement minoritaire conservateur après son élection en 2006, le soutenant
lors des votes cruciaux du discours du trône et des deux premiers budgets
conservateurs, sans compter que le BQ a voté du côté des conservateurs lors
d’une douzaine d’occasions où une défaite aurait signifié la fin du
gouvernement minoritaire de Harper et l’appel à des élections.
Et dans cette élection encore le Bloc
québécois veut en fait la continuation de la situation actuelle de marchandage
avec les conservateurs. Le BQ ne réclame pas la défaite des conservateurs. Les
bloquistes évaluent qu’ils seront en meilleure position pour obtenir de
nouveaux pouvoirs pour l’État québécois ou de meilleures conditions pour les
grandes entreprises basées au Québec avec un gouvernement minoritaire
conservateur.
Dans l’alliance du BQ avec les
conservateurs, nul doute que le calcul politique ait joué. Le PLC est le
représentant des tendances désirant une centralisation des pouvoirs dans l’État
fédéral et les bloquistes ont espéré que la cause pour l’indépendance se
porterait mieux si les libéraux étaient affaiblis. Aussi pour améliorer sa
fortune électorale, le BQ et les forces qui l’appuie, comme les bureaucraties
syndicales et la soi-disant gauche souverainiste, n’ont pas hésité à s’allier
avec un parti populiste de droite, néo-conservateur et présentant même des
tendances chauvines anti-francophones.
Mais cette alliance n’est pas simplement
conjoncturelle ou tactique. Déjà lors des élections fédérales de 1984et
1988, le PQ, le parti souverainiste provincial, s’était allié aux conservateurs
de Brian Mulroney pour donner à ces derniers la plus grande majorité de
l’histoire canadienne. Après la défaite du gouvernement Mulroney en 1993, les
indépendantistes québécois se sont entendus avec les prédécesseurs du Parti
conservateur actuel, le Parti réformateur de Preston Manning et l’Alliance
canadienne de Stockwell Day, sur la demande de « limiter le pouvoir de
dépenser du gouvernement fédéral ». Une telle mesure est défendue par le
Parti conservateur comme une façon d’instaurer des coupes draconiennes dans ce
qui reste de programmes sociaux et de services publics au Canada et de donner
plus de pouvoirs aux provinces de l’Ouest au détriment du Canada central,
l’Ontario et le Québec.
Le BQ est aussi en accord avec le Parti
conservateur sur un grand nombre de points essentiels, même si le fait qu’il
lui soit impossible de prendre le pouvoir lui permet de faire des appels
démagogiques de gauche. Comme les conservateurs, le Bloc québécois considère
que la guerre en Afghanistan est une « noble cause » dont Gilles
Duceppe se vante qu’il l’a appuyée « à l’origine et continue de le
faire ». Et comme les conservateurs, le BQ se décrit comme un grand
défenseur de la loi et l’ordre, demandant par exemple l’allongement du temps de
prison.
Les accords programmatiques entre le BQ et
le PC s’expliquent par le fait que ces deux partis défendent essentiellement
les mêmes intérêts, ceux du grand capital.
Le Bloc québécois trouve son origine dans une
scission au sein du Parti conservateur en 1990 après que Lucien Bouchard, alors
ministre dans le gouvernement conservateur de droite dirigé par Brian Mulroney,
eut claqué la porte après l’échec de l’accord constitutionnel du Lac Meech. Il
avait été rejoint par une poignée de conservateurs et de libéraux de droite
pour former le Bloc québécois. La création du Bloc québécois avait été appuyée
par le premier ministre québécois de l’époque, le libéral Robert Bourassa.
La signification du programme du BQ en
pratique est montrée par l’historique au pouvoir de son parti jumeau au niveau
provincial, le Parti québécois. Il n’existe pas deux partis plus proches
politiquement et organisationnellement dans la politique canadienne. Les deux
partis s’aident mutuellement lors des élections et développent conjointement
leur stratégie politique.
Le PQ a formé le gouvernement provincial
pendant dix-huit des trente-deux dernières années. Ses deux derniers mandats,
de 1994 à 2003, ont été caractérisés par un assaut général sur les services
publics. Sous le gouvernement péquiste dirigé par Lucien Bouchard, avec le
soutien entier des dirigeants syndicaux, des hôpitaux ont été fermés, des
dizaines de milliers d’emplois ont été éliminés dans le secteur de la santé et
le reste du secteur public et les assistés sociaux ont subi des coupes sauvages
dans les prestations d’aide sociale. Ces attaques ont été justifiées au nom de
la lutte au déficit, avec pour objectif la diminution des impôts pour les
riches. Dégoûtés par la politique du PQ qui a dans les faits formé un des
gouvernements les plus à droite en Amérique du Nord, les travailleurs ont
abandonné en masse ce parti, en grande partie en ne votant pas.
En fait, lorsque le BQ déclare défendre les
intérêts québécois, ce qu’il signifie en réalité, c’est la défense des intérêts
des grandes entreprises au Québec, comme Power Corporation, Bombardier,
Ubisoft, Merck & Frost, Quebecor, Jean Coutu et les autres grandes
multinationales.
C’est ce qui explique que la principale
critique que fait le Bloc québécois du gouvernment Harper est que sa base
électorale se trouvant dans l’Ouest canadien, le Parti conservateur défend les
intérêts des pétrolières albertaines, plutôt que des manufacturières
québécoises. Traditionnellement plus faibles que l’industrie ontarienne plus
près du MidWest américain, les industries québécoises ont été durement touchées
par la hausse du dollar canadien et le ralentissement économique américain.
Le Bloc québécois ne se fait pas que le
défenseur direct des intérêts de la grande entreprise au Québec. Il joue aussi
un rôle essentiel pour le capitalisme québécois et canadien en contribuant à attacher
les travailleurs québécois aux intérêts du capital québécois. Le nationalisme
québécois, qui prend d’ailleurs des formes de plus en plus chauvines, fait
l’argument que les travailleurs québécois ont plus d’intérêts en commun avec
les capitalistes québécois qu’avec les travailleurs canadiens et du reste du
monde.
Le BQ bénéficie en cela de l’appui
indéfectible de la bureaucratie syndicale québécoise, qui s’est tourné vers le
PQ et le nationalisme québécois à la fin des années 1960 - début des années 1970
pour rependre le contrôle d’un soulèvement militant de la classe ouvrière. Plus
tard, le nationalisme québécois a servi de cadre idéologique à la collaboration
corporatiste des syndicats avec le patronat et l’État.
La Fédération des travailleurs du Québec
(FTQ), la centrale regroupant la plus grande partie des travailleurs syndiqués
du secteur privé, a donné son soutien au BQ. « Nous
ne pouvons nous payer le luxe de laisser les conservateurs gouverner pour
l’Ouest en restant les bras croisés devant les milliers de pertes d’emplois au
Québec, dans le textile, la forêt, l’industrie de la fabrication » a
déclaré le président de la FTQ,
Michel Arsenault.
L’autre grande centrale au Québec, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), a
recommandé un « vote utile et stratégique ». Si la CSN ne demande pas explicitement un vote pour
le BQ, elle ne laisse aucun doute sur le parti qu’elle appuie en fait. « Si
dans d'autres comtés, a déclaré la présidente de la CSN Claudette
Carbonneau, la façon de battre les conservateurs c'est d'élire un libéral, un
NPD, et bien go, allons-y… dans près de deux tiers des comtés (au Québec), la
vraie lutte c'est une lutte à deux entre le Bloc et les conservateurs. Dans ce
cas-là, appelons un chat un chat : le vote utile, ça veut dire voter Bloc. »
Les liens entre la bureaucratie syndicale et
le parti pro-entreprise qu’est le BQ dépasse l’accord idéologique. Le chef du
BQ Gilles Duceppe et Pierre Paquette, souvent décrit
comme son dauphin, ont fait carrière dans la CSN avant de joindre le BQ et le président de
la section québécoise des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA-Québec)
est un candidat vedette du BQ dans le compté au nord de Montréal où se trouvait
l’ancienne usine de GM au Québec.
Les liens étroits entre la bureaucratie
syndicale et le BQ sont régulièrement utilisés par les nationalistes québécois
de droite pour faire pression sur le BQ pour qu’il aille plus à droite. Dans
l’actuelle campagne, cette faction va plus loin, appuyant les conservateurs en
déclarant que le BQ a perdu de son utilité. Ce développement est symptomatique
d’un important virage à droite des élites québécoises. Tant les souverainistes
de droite, comme l’ancien ministre péquiste Jacques Brassard dont les propos
ont été largement repris dans la presse, l’ADQ, une importante section
importante du PLQ que les éditorialistes de La Pressesoutiennent
l’élection d’un gouvernement conservateur.
Les travailleurs doivent tirer les conclusions
de l’expérience politique avec le Parti québécois, le Bloc québécois et le
mouvement souverainiste en général. Ce mouvement les dirige tout droit dans un
cul-de-sac. Les travailleurs doivent rompre avec les bureaucraties syndicales
et leur politique nationaliste et syndicaliste et considérer sérieusement
l’option représentée par le Parti de l’égalité sociale, le socialisme et
l’internationalisme.