L’Assemblée nationale a adopté, par une
majorité de 224 voix contre 23, sans grand débat, le plan gouvernemental de
sauvetage des banques de 360 milliards d’euros, ce qui signifie un transfert
massif de fonds publics vers l’élite financière. Ceci fait partie d’une action
coordonnée des gouvernements de l’eurozone (les 15 pays dont la monnaie est
l’euro) et de la Grande-Bretagne, d’une valeur de 2,7 billions d’euros. Le
gouvernement UMP au pouvoir (Union pour un mouvement populaire) a été soutenu
par le Nouveau Centre et le MoDem (Mouvement démocratique de François Bayrou).
Le Parti socialiste (PS) et les Verts se sont abstenus et le Parti communiste
(PCF) a voté contre.
Quarante milliards d’euros sont réservés à la
recapitalisation des banques en difficulté par l’achat de leurs actions et de
leurs avoirs. Les 320 milliards restants sont une promesse de garantie sur les
prêts interbancaires. La ministre des Finances Christine Lagarde a déclaré que
ce plan n’affecterait pas le budget. Ceci implique de lourds emprunts,
l’augmentation de la dette publique déjà énorme qui, actuellement au-dessus de
65 pour cent du PIB, dépasse largement la limite de 60 pour cent imposée par le
pacte de stabilité de l’Union européenne.
La vitesse à laquelle le gouvernement a trouvé
cet argent pour les banques, par rapport à la manière dont il traîne les pieds
pour financer les besoins sociaux essentiels, n’est pas passée inaperçue dans
la population qui compte déjà sept millions de personnes vivant au-dessous du
seuil de pauvreté. Les retraités ont manifesté dans 80 villes de par la France
jeudi dernier contre la baisse de leur pouvoir d’achat et les sommes
scandaleuses mises à la disposition des banques. Les retraites ont augmenté
cette année de moins de deux pour cent alors que l’inflation à la fin du mois
d’août était de 3,2 pour cent.
Les déficits de la sécurité sociale et de l’assurance-maladie pour
2008 s’élèvent à respectivement 9 et 4,1 milliards d’euros. Le gouvernement
s’est servi de ces chiffres, infimes par rapport aux 360 milliards d’euros accordés
aux banques, pour justifier ses attaques sur la santé et les services sociaux.
Laurence Parisot, dirigeante de la principale association de
patrons Medef (Mouvement des entreprises de France) a loué ce plan comme « le
meilleur possible pour la situation actuelle ». Elle a ensuite insisté
pour dire qu’elle attend du gouvernement qu’il poursuive ses mesures
d’austérité et qu’elle demanderait au premier ministre de « retirer de son
projet de budget 2009 la prime transport », qui doit être en partie
financée par les entreprises et qui est censée amoindrir l’augmentation du coût
des transports pour les travailleurs se rendant sur leur lieu de travail.
La commission des finances du Parti socialiste qui s’était
réunie avant le débat parlementaire sur le plan de sauvetage, avait recommandé
unanimement de voter en faveur du plan gouvernemental. Plus tard dans la
journée, quand la réunion de l’ensemble du groupe parlementaire PS a décidé de
s’abstenir, le premier secrétaire du PS François Hollande a expliqué, « Pas
question de s'opposer à un plan qui permet au niveau européen de sortir des
premières tourmentes de la crise financière. Pas question non plus d'approuver
la politique de Nicolas Sarkozy au plan économique, car c'est elle aussi qui
est responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons. »
Le PS est fondamentalement d’accord avec la politique
économique du gouvernement. Une explication plus plausible pour cette
abstention est la nécessité pour le PS de maintenir un semblant d’indépendance
par rapport à Sarkozy. Le porte-parole du PS Julien Dray a dit, « Voter
pour pourrait donner le sentiment du "prélude" à un gouvernement
d'union nationale. »
Le PCF, partenaire cadet du PS depuis des
décennies, au gouvernement comme en dehors, et à présent en alliance électorale
avec le PS et les Verts pour les élections européennes de 2009, y est allé de
sa rhétorique anticapitaliste, faisant remarquer correctement que le plan du
gouvernement représente « une prime à tous les prédateurs ». Mais
cette opposition en paroles est démentie par le soutien accordé par le PCF à la
CGT (Confédération générale du travail, proche du PCF) qui collabore
régulièrement avec le président Sarkozy depuis son élection en mai 2007,
notamment pour le démantèlement des régimes spéciaux de retraite des cheminots
et agents d’EDF et GDF (Electricité et Gaz de France) ainsi que pour la
déréglementation du temps de travail.
L’assurance donnée par le gouvernement que les
banques françaises n’étaient pas gravement touchées par la crise du crédit a
été quelque peu écornée lorsque la banque franco-belge Dexia, qui s’occupe des
finances des collectivités territoriales en Belgique et en France, a dû être
renflouée à hauteur de 6,4 milliards d’euros, à raison de 3 milliards par
gouvernement. Ses actions chutent depuis et des doutes subsistent quant à sa
solvabilité.
Il y a aussi des preuves solides qu’une des
plus vieilles institutions bancaires pour petits épargnants et pour prêts
hypothécaires, la CNCE (la Caisse nationale des caisses d’épargne) fondée il y
a 190 ans et connue sous le nom de l’Ecureuil a une crise de liquidités.
L’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné rapporte dans son numéro du
1er octobre que du fait de l’implication d’une filiale Natixis dans le marché
américain des subprimes, « La CNCE doit trouver 6,5 milliards d’euros…
Avec un tel gouffre à combler, la Caisse va devenir le champion de France des
dépréciations d’actifs, devant le Crédit agricole (près de 6 milliards). »
Au début de l’année, pour ramener ses propres
capitaux au minimum légal, la CNCE avait dû « siphonner 3,2 milliards dans
les coffres de ses 17 caisses régionales… et certaines n’ont plus guère de
réserves ».
Le Canard cite un financier :
« Il y a un consensus des banquiers et du gouvernement pour ne rien dire
sur la situation de l’Ecureuil et éviter de déclencher la panique. »
Une perte supplémentaire de 600 millions
d’euros, due à des opérations spéculatives vient tout juste d’être révélée.
L’annonce faite par Fillon de l’intention du gouvernement de puiser dans les
fonds du produit d’épargne qu’est le Livret A a aussi provoqué une levée de
boucliers et contribué à alimenter le sentiment d’insécurité ressenti par des
millions de familles à faibles et moyens revenus qui comptent sur le livret A.
Les trois principales banques françaises, le Crédit
agricole, la Société générale et BNP Paribas ont nié avoir besoin d’avoir
recours aux fonds publics avancés par l’Etat. Néanmoins, on a une tout autre vision
des choses si l’on considère l’échange suivant qui a eu lieu lors des
discussions enregistrées sur le site de l’Assemblée nationale.
Pressé par Lionel Tardy, député apparenté à l’UMP,
de révéler le montant du crédit toxique dans le système bancaire français,
Georges Pauget, président du Crédit agricole, a répondu, « Pour ce qui
concerne le système bancaire français, je ne peux pas vous faire une réponse
globale actualisée… Seule la Commission bancaire a les chiffres détaillés… Je
n’ai pas les chiffres en tête, mais l’information est disponible, et elle a été
certifiée. »
Tardy a alors suggéré : « Donc, même en France,
on ne sait pas. » Pauget a répliqué : « Si, mais les chiffres
sont dans les mains du gardien du Temple. »
Le Nouvel Observateur cite Fillon disant sur
Radio RTL: « La crise financière n'est pas "derrière
nous". On n'est pas à l'abri d'un accident systémique, entraîné par le
fait que certaines banques peuvent avoir des produits toxiques pour une part
importante dans leur bilan, des banques françaises aussi… Il y a une telle
imbrication dans le système. »
Il poursuit, « Pour le moment on nous fait des
prévisions pour l'année 2009 qui sont de l'ordre de 0,2 pour cent ce qui est
extrêmement faible. C'est une panne de croissance avec des conséquences sur
l'emploi, des conséquences sur l'activité économique, sur le pouvoir d'achat. Mais
si l'Amérique rentre en récession, c'est évidemment une très, très, très
mauvaise nouvelle pour nous parce que ça veut dire que l'ensemble des pays
développés vont connaître une année 2009 très, très difficile. »
Fillon s’y prépare. Il a dit avec insistance que « ce qui
compte pour nous, c'est de tenir les dépenses… on sera intraitable sur les
dépenses. »
Cela signifie que c’est la classe ouvrière qui devra endosser
le fardeau de la crise et le gouvernement fait des préparatifs dans ce sens et
demande le soutien des autres principaux partis. Le proche collaborateur de
Sarkozy, Henri Guaino a insisté pour dire que « ce n'est pas le temps du
débat… sur chaque décision prise », soulignant que le « pouvoir
exécutif est en charge de prendre ses responsabilités. »
L’éditorial du 15 octobre des Echos se concentre sur
les conséquences sociales de la crise. Le journal fait cette mise en
garde : « Les effets sur le moral des Français, et du coup leur
consommation, seront bien sûr inévitables… Selon les 150 DRH (directeurs des
ressources humaines) interrogés, il convient de « prendre au sérieux la
remontée de la conflictualité », de voir que l'exaspération est
perceptible chez « toutes les catégories de salariés » et de ne pas
oublier que la crise financière « va dramatiser le climat social ».
Il suggère que, de concert avec les
patrons et les syndicats, il y ait des augmentations initiales des allocations chômage
afin d’amortir le choc immédiat des licenciements, et que celles-ci soient
ensuite progressivement diminuées afin de contraindre les travailleurs à
accepter des emplois sous-payés et à temps partiel.