Plus de 27 000 employés de l’avionneur américain
Boeing de Washington, de l’Oregon et du Kansas sont en grève depuis le 6
septembre cherchant à faire cesser l’externalisation de leurs emplois, empêcher
l’augmentation des coûts de santé et améliorer leurs fonds de pension et
salaires. Le principal concurrent de l’entreprise sur le marché mondial des
grands avions est la compagnie européenne Airbus, basée principalement en
France et en Allemagne.
Le syndicat des travailleurs de Boeing, l’IAM
(International Association of Machinists) fait pression sur l’entreprise pour
qu’elle abandonne les concessions que le syndicat avait acceptées dans le
contrat de 2002 et qui permettent à Boeing d’avoir recours à des vendeurs
extérieurs, au lieu de travailleurs syndiqués, pour livrer directement les
pièces détachées à la chaîne de montage.
Mais l’IAM ne cherche pas à supprimer la
possibilité pour Boeing d’avoir recours à des vendeurs extérieurs, mais cherche
seulement à étendre le droit du syndicat de rivaliser avec eux pour ces
emplois. La bureaucratie syndicale cherche à conserver ses privilèges en
travaillant avec les cadres de l’entreprise pour faire baisser les salaires et
miner les conditions de travail, ce qui permettra aux syndiqués de l’IAM d’être
« en compétition » avec les sous-traitants.
Le WSWS a interviewé Claude Néau, 52 ans qui travaille
à l’usine Airbus de Nantes, dans l’ouest de la France, depuis 9 ans. Membre du
syndicat CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti communiste, et
qui représente sur le site les travailleurs des ateliers) il est ajusteur,
monteur de cellules d’avions.
Claude
Néau : J'ai participé pendant deux semaines à la grève du printemps 2007,
à Airbus Nantes. Lorsque le PDG a démissionné pour incompétence, à cause du retard
de l'A380 et de l'A350, avec une prime de départ et des stocks options de 8,4
millions d'euros, en même temps la direction nous annonçait que nous aurions
moins de 3 € de prime de participation aux bénéfices, alors qu'elle était,
l'année précédente, de 3000 €.
Les départs en
retraites ne sont plus remplacés par des nouvelles embauches, ils licencient
pour le moindre prétexte, la moindre petite faute. Les cadences de production
augmentent sans embauche, de plus en plus de travail part en sous-traitance
vers des entreprises extérieures. La situation est tendue dans les ateliers à
cause du plan « Power8 ». Mais les syndicats arrivent à contenir la
colère des ouvriers par des mensonges des patrons et des appels à rester calme.
WSWS : Que
sais-tu de la rivalité entre Airbus et Boeing ?
CN : C'est
à qui sera le numéro 1 mondial. Boeing à envoyé sa fabrication dans les pays à
bas coût, Airbus emboîte le pas en faisant plus, il installe une FAL (Final Assembly
Line- chaîne de montage finale) en Chine (ce que n'a pas encore fait Boeing),
et oblige les sous-traitants à suivre la même procédure, le même plan de
restructuration.
WSWS :Les ouvriers de Boeing sont en grève parce que Boeing
veut améliorer sa compétitivité en réduisant le niveau d’assurance maladie et
autres avantages, en externalisant les emplois. Les travailleurs veulent
annuler les concessions que le syndicat (IAM) de l’industrie aéronautique a cédées
à Boeing, qui a engrangé 1,4 milliard de bénéfices l’année dernière. Le salaire
des nouveaux embauchés peut ne pas dépasser 12,37 $ de l’heure.
CN : A
Airbus c'est la même chose. Avec la complicité des syndicats, Airbus diminue
nos salaires et nos conditions de travail se dégradent. Des responsables
syndicaux qui sont à des postes clé (chef d'équipe, chef d'atelier) sont là
pour harceler, punir, faire du chantage, discriminer les ouvriers qui ne
suivent pas le syndicat principal (Force ouvrière, FO) tenu par les patrons d’Airbus.
Les augmentations générales sont en dessous du coût de la vie. FO et deux
syndicats plus petits, nous les appelons « l’entente », sont les
serviteurs d'Airbus, ils signent toutes les négociations salariales en dessous
du coût de la vie. Et ils ne défendent que les augmentations individuelles.
WSWS : Le
président de B, Jim McNerny, a envoyé la semaine dernière un message aux
travailleurs de B qui se termine ainsi : « Notre entreprise est plus
forte quand nous tous – syndicats et non-syndiqués tous ensemble, travaillons pour
nos clients et contre nos concurrents, j’espère que ces jours
reviendront. » (Souligné dans l’original)
Il insiste
pour dire que « la question de la compétitivité en ce qui concerne la
grève est d’une « extrême importance ».
CN : C'est
aussi l'argument premier de la part des patrons d'Airbus de dire que l'ennemi
c'est Boeing. Ils sont pour la division entre les travailleurs de chaque pays.
Les syndicats vont encore plus loin. Ils entretiennent la division au sein
d'Airbus, entre les sites français et les sites des autres pays d'Europe. La
CGTse vante de ne pas faire de nationalisme, de division contre les Allemands
(dénoncés comme responsables des problèmes de retard de l'A380). Mais dès qu'il
a été question d'envoyer la production des A320 en Allemagne ils ont su dire
que les Allemands sont les plus avantagés.
WSWS :McNerny insiste sur le fait que « la grève
commence à nuire à nos relations avec nos clients… Préserver notre
compétitivité n’a jamais été aussi important. » Il fait une analyse
détaillée de la compétition entre Eads/Airbus et Boeing faisant remarquer que
« Eads/Airbus devient plus fort aussi. Il se restructure de façon
remarquable et réduit les dépenses face à un dollar faible, et se transforme
rapidement en un modèle de production mondiale à bas coût qui s’étend aussi à
des marchés clés, dont les Etats-Unis. » McNerney fait remarquer que
Eads/Airbus vient juste d’ouvrir une chaîne de montage en Chine et qu’il
« étend sa présence en Afrique du Nord, au Mexique, en Inde et en
Russie. » Il conclut, « Airbus va gagner un important avantage en
matière de coût si nous ne réussissons pas à rivaliser avec eux, avec nos
propres gains de productivité. »
CN: La compétitivité,
c’est un argument avancé aussi par Airbus et les syndicats de
« l'entente » lors de notre grève de 15 jours au printemps 2007. Il
démontre que le système capitaliste, ce n'est que de la concurrence, une
bataille perpétuelle d'une usine contre une autre, d'un pays contre un autre.
« Votre grève nous fait perdre des clients qui vont chez Boeing »
disent les dirigeants d'Airbus, ainsi que les syndicats.
WSWS : Dans
son message McNerny dit que les entreprises automobiles américaines « se
sont endommagées presque fatalement par le passé en promettant des niveaux de
salaire et d’avantages qu’ils ne pouvaient maintenir, en acceptant des
conditions contractuelles (y compris des garanties d’emploi) qui ont limité
leur flexibilité pour gérer leurs entreprises dans un contexte de concurrence
mondiale intense. Aujourd’hui leurs parts de marché ne cessent de chuter et ils
licencient par milliers. »
CN : C'est
ce que disent les patrons d'Airbus des travailleurs français. La main-d'oeuvre
française et européenne coûte trop cher et enlève de la compétitivité face à
Boeing.
Je pense que
si des deux côtés ils utilisent les mêmes armes, les mêmes arguments, la
descente aux enfers peut durer éternellement pour les travailleurs de chez
Boeing et Airbus. Pendant ce temps, les bénéfices des capitalistes de chez
Boeing et Airbus n'arrêtent pas de grossir en accéléré.
WSWS : Un
travailleur de Boeing que le WSWS a interviewé a dit : « Les gens
critiquent les travailleurs d’Airbus. Pourquoi ? Ils sont comme nous. Ils
veulent nourrir leur famille – gagner leur vie décemment, les travailleurs
d’Airbus et nous. » Quel est ton message aux travailleurs de Boeing en
grève ? Quelle perspective devrait être celle des travailleurs d’Airbus et
de Boeing ?
CN :Nous devrions nous battre pour que l'aéronautique
et les autres industries, banques, agroalimentaires, etc., n'appartiennent pas
à une poignée de capitalistes, mais qu’elles soient seulement créées pour les
besoins de la planète. Qu'il n'y ait pas de propriétaire, mais uniquement des
salariés responsables d'un travail : pour la gestion, production,
recherche, etc. Pas de mise en concurrence. Il est possible de subvenir aux
besoins de la planète en ne travaillant que 25 heures par semaine, voire moins.
Il faut avoir une transparence totale des comptes, de la gestion.
Aujourd'hui
avec ce système les syndicats se font acheter et diriger par le patronat.
WSWS :Y a-t-il des partis
politiques en France qui proposent une lutte pour la réorganisation socialiste
de la société ? Que penses-tu de la LCR/NPA (Ligue communiste
révolutionnaire qui est en train de fonder le Nouveau Parti anticapitaliste), et
de LO (Lutte ouvrière) ?
CN :A ma connaissance les partis de gauche ne
proposentque de combattre les injustices dans ce système et
au niveau national. Mais dans la réalité ils ne font rien et accompagnent le
système capitaliste et nationaliste.
WSWS :Quel
avenir pour la classe ouvrière internationale ?
CN : Ce sera l'après capitalisme. Nous
sommes obligés d'y venir et il n'y a pas d'autre alternative ! Il faut
commencer par changer les mentalités des peuples, formatés au capitalisme et au
nationalisme depuis des centaines d'années. Il faut détruire par une révolution
mondiale ce système.