La campagne
électorale du Bloc québécois (BQ) – le parti régionaliste qui se présente sur
la scène fédérale comme le défenseur des « intérêts du Québec » en
attendant le grand soir de l’indépendance – a été ponctuée d’appels
démagogiques visant à se donner une image progressiste et à dissimuler le
véritable contenu de classe, pro-patronal, de sa politique.
Gilles Duceppe,
le chef du BQ, a maintes fois accusé son vis-à-vis conservateur Stephen Harper
d’être un clone du très-à-droite président américain George W. Bush. Mais il a
omis de rappeler que le mouvement souverainiste québécois a toujours cherché à
gagner les bonnes grâces de Washington. Dans les années 90, par exemple, les
ténors souverainistes ont laissé flotter l’idée qu’un Québec indépendant
pourrait adopter le dollar américain en tant que devise nationale. Plus
récemment, dans un autre signal adressé à Washington, Duceppe a lui-même
endossé la participation canadienne à la guerre d’occupation lancée par les
États-Unis en Afghanistan comme étant une « noble cause ». Il a aussi
qualifié d’« irresponsable » l’appel du NDP, le parti social-démocrate canadien, à mettre fin à la mission de
combat du Canada en Afghanistan.
Un autre appel
populiste lancé par Duceppe durant la campagne électorale est que le BQ serait
le garant de « valeurs québécoises » axées sur la démocratie et la
justice sociale, par opposition au « conservatisme social » de Harper
sur des questions telles que la culture ou l’environnement.
Le fait est que
le mouvement souverainiste a une longue tradition de collaboration avec la
droite canadienne, que ce soit l’appui accordé aux conservateurs de Mulroney durant
les années 80; le rôle joué par Duceppe dans la période précédant les élections
de 2006 pour frayer la voie du pouvoir à Harper; ou les votes subséquents du BQ
pour assurer la survie du gouvernement conservateur minoritaire. De plus, la
véritable orientation socio-économique du Bloc est révélée par la politique
mise en œuvre par son parti jumeau sur la scène provinciale, le Parti québécois
(PQ), qui a éliminé des dizaines de milliers d’emplois dans le secteur de la
santé, sabré dans l’aide sociale, et baissé l’impôt sur les plus riches lorsqu’il
a dirigé le gouvernement du Québec de 1994 à 2003.
Par-delà le
discours populiste de Duceppe, son message politique essentiel s’addresse aux
hautes sphères du monde politique et économique du Québec chez qui s’installe
un doute croissant sur la pertinence même du BQ. Duceppe cherche à convaincre ces
couches dominantes de la société qu’envoyer des députés du Bloc québécois à
Ottawa demeure la meilleure façon de préserver leurs intérêts.
Le gros de
l’élite dirigeante québécoise considère qu’un gouvernement conservateur serait
en meilleure position pour tailler profondément dans les programmes sociaux,
diminuer l’impôt sur les riches et faire valoir les intérêts de cette élite dans
le monde, y compris par l’usage de la force militaire. Dans un contexte où les
sondages prédisent que les troupes de Harper vont au moins conserver leur
statut de gouvernement minoritaire, la classe dirigeante du Québec veut avoir sa
place aux loges du pouvoir et réclame l’élection de conservateurs au Québec
pour obtenir des postes au cabinet ministériel. L’engouement pour Harper a été
renforcé par la reconnaissance officielle de la « nation québécoise »,
geste politique répondant à une revendication traditionnelle de l’élite
dirigeante québécoise qui voit la décentralisation de l’État comme un levier
essentiel pour le démantèlement de l’État-providence. Les écoles et les
cliniques privées se développent au Québec aussi, sinon plus, rapidement que
dans les autres provinces canadiennes.
Reflétant ces
intérêts de classe que son parti représente au fond, Duceppe a fait attention
durant toute la campagne à ne pas réclamer la défaite des conservateurs. Malgré
ses vives dénonciations de Harper, allant jusqu’à l’attaquer personnellement à
la fin de la campagne comme « tricheur », « rétrograde » et
« arrogant », Duceppe n’a jamais écarté la possibilité de (continuer
de) collaborer avec un gouvernement conservateur minoritaire. « Peu importe si c’est rouge, vert, jaune ou bleu, peu importe la
couleur », a déclaré Duceppe. « Nous allons regarder le contenu de chacune
des propositions et évaluer si elle va dans le sens des intérêts du Québec et
des valeurs du Québec. »
Duceppeaccuse les conservateurs d’être « vendus aux pétrolières » de l’Alberta,
mais du point de vue qu’il faut défendre avec autant, sinon plus de vigueur,
les grandes entreprises du Québec.« Le secteur de l’aéronautique, l’industrie pharmaceutique,
l’optique, le matériel informatique, les technologies environnementales et de
transport sont autant de fleurons de notre économie de pointe [celle du Québec] », peut-on
lire dans le programme du BQ. « Comme les entreprises
de hautes technologies sont moins présentes au Canada qu’au Québec », déplore
ensuite le BQ, « Ottawa soutient peu la recherche industrielle ».
Plus loin dans le programme, le BQ réclame des subventions pour moderniser le secteur
manufacturier, l’industrie forestière et l’industrie aéronautique, toutes des
industries relativement mieux développées au Québec qu’ailleurs au Canada.
Le BQ veut aussi
favoriser le développement de l’important secteur hydro-électrique du Québec.
« En réduisant de moitié la dépendance du Québec au pétrole », a
déclaré Duceppe, « nous pouvons accélérer la croissance économique et
réduire sérieusement le déficit commercial. Cela nous donnerait un avantage
stratégique majeur qui pourrait faire du Québec l’une des régions les plus
prospères d’Amérique du Nord. » Le BQ a toutefois signalé qu’il n’était
pas opposé à la potentielle exploitation des réserves de gaz et de pétrole du
fleuve Saint-Laurent.
Dans un effort
pour pousser les troupes de Duceppe encore plus à droite, Jacques Brassard,
ancien ministre du PQ, a dénoncé le Bloc québécois pour avoir abandonné la
lutte pour l’indépendance, pour son « bric-à-brac
idéologique de la gauche » et pour être un « clone du NPD » (le parti
social-démocrate du Canada).
Les
éditorialistes et chroniqueurs de la province ont largement repris et commenté
les propos de Brassard, beaucoup dénonçant le BQ pour être trop proche des
syndicats et beaucoup plus à gauche que l’électorat québécois. Ils ont rappelé
que Duceppe et plusieurs dirigeants du BQ proviennent du milieu syndical.Quelques jours plus tard, cinq anciens députés
du BQ se joignaient à Brassard et dénonçaient le parti dont ils avaient été
députés pour être devenu un « groupe d'intérêt qui défend surtout les
besoins des syndicats ».
Les arguments
avancés par Duceppe pour justifier la présence d’anciens chefs syndicaux au
sein du Bloc – présence encouragée par le mouvement souverainiste pour chercher
à restaurer sa crédibilité minée auprès des travailleurs ordinaires après les années
de mesures anti-ouvrières et pro-patronales du PQ – en disent long sur la
nature de classe du BQ et de ses alliés syndicaux. Duceppe a insisté sur le
fait que la Fédération des travailleurs du Québec, la centrale syndicale
regroupant la majorité des travailleurs du secteur industriel du Québec, a
fondé et gère le Fonds de solidarité. Ce fonds, constitué de l’épargne des
travailleurs, a aujourd’hui des investissements dans plus de 1600 entreprises
au Québec et est plusieurs fois intervenu pour renflouer des compagnies en
difficulté dont les plans de redressement impliquaient des l’élimination d’emplois
et des baisses de salaires.
La bureaucratie
syndicale, un des principaux piliers du mouvement souverainiste québécois, joue
un rôle clé pour tenter de maintenir les illusions des travailleurs dans le
nationalisme québécois en général, et le PQ et le BQ en particulier.
Au cours de cette
campagne, les grandes centrales ont volé à l’aide du BQ. La Fédération des
travailleurs du Québec (FTQ), la centrale syndicale regroupant la majorité des
ouvriers industriels, a demandé « à ses militants, ses militantes de
travailler pour les candidats du Bloc dans les différents comtés du Québec.
C’est important pour nous que les conservateurs ne soient pas élus
majoritairement. » La Confédération des syndicats
nationaux (CSN) a aussi demandé à ses membres de voter pour vaincre les
conservateurs. Mais la présidente a tenu à spécifier que « dans près de deux tiers des comtés (au Québec), la vraie lutte c'est une
lutte à deux entre le Bloc et les conservateurs. Dans ce cas-là, appelons un
chat un chat : le vote utile, ça veut dire voter Bloc. »
Québec solidaire,
un parti souverainiste qui se décrit comme la gauche au Québec et qui compte en
son sein le Parti communiste du Québec et les pseudo-trotskystes de Gauche
socialiste, est intervenu dans les élections fédérales, lui aussi pour demander
de bloquer un gouvernement conservateur majoritaire. « Votons pour un
Québec écologiste, de justice et d’égalité (…) [p]as pour cette société
rabougrie, méfiante et profondément inégalitaire que veulent construire les conservateurs »,
ont récemment écrit les deux dirigeants de Québec solidaire, Françoise
David et Amir Khadir.
Toutes ces forces
qui se donnent une image de gauche jouent un rôle crucial pour attacher les
travailleurs au mouvement souverainiste québécois et finalement à la conception
que la société québécoise n’est pas divisée sur des lignes de classe. Elles
cherchent à stopper l’érosion de l’appui parmi les travailleurs pour le BQ en
le décrivant comme une alternative aux conservateurs plutôt que comme un parti
défendant la grande entreprise québécoise.