Pendant plus de cinq ans, l’Etat canadien a persécuté
Abousfian Abdelrazik, un citoyen canadien de 46 ans d’origine soudanaise et a,
par ces actions, nié et illégalement redéfini les droits canadiens de
citoyenneté.
En août 2003, Abdelrazik fut arrêté sur
l’ordre du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) par le Soudan,
un pays que le Canada condamne régulièrement pour violations flagrantes des
droits de l’homme. Par la suite, des agents du SCRS ont voyagé vers le Soudan
pour participer à son interrogatoire.
Les autorités soudanaises ont tout d’abord
détenu Abdelrazik pendant 11 mois, où il fut brutalement torturé. Il fut
relâché en juillet 2004, seulement pour être arrêté une seconde fois à la fin
de 2004 et emprisonné et torturé pour un autre 7 mois.
Peu après sa première libération, le
gouvernement soudanais a affirmé qu’il n’avait trouvé aucune preuve qui
soutenait les allégations du Canada et des Etats-Unis selon lesquelles il était
un terroriste islamiste. Ultimement, Khartoum a émis un document formel qui
exonérait Abdelrazik de l’accusation d’être un agent d’Al-Qaïda.
Mais l’Etat canadien a systématiquement
empêché Abdelrazik de retourner au Canada, le privant ainsi de ses droits
fondamentaux de citoyenneté.
Abdelrazik n’a jamais été rendu coupable, ni
même accusé, d’un quelconque crime au Canada ou au Soudan. Le gouvernement
canadien n’a pas entrepris non plus de procédures initiales pour le priver de
sa citoyenneté. (Les citoyens naturalisés qui ont obtenu leur citoyenneté
frauduleusement ou qui ont commis certains crimes peuvent perdre leur statut de
Canadiens.) Malgré tout, Ottawa a quand même empêché Abdelrazik de rejoindre
sa femme et ses enfants au Canada et l’a condamné à vivre dans l’isolement et
la misère au Soudan.
La
« preuve accablante »
Des groupes pour les libertés civiles et le World
Socialist Web Site ont allégué que, au nom de la « guerre contre le
terrorisme », le gouvernement canadien a collaboré avec des gouvernements
étrangers dans la détention sans accusation et la torture de citoyens
canadiens.
Une longue enquête publique sur le cas de
Maher Arar, un canadien d’origine syrienne qui fut appréhendé par les autorités
américaines, ensuite « rendu » à la Syrie où il fut détenu et torturé
pendant plus d’un an, a essentiellement blanchi le rôle joué par le SCRS, la
Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le gouvernement canadien. Le juge Dennis
O’Connor a récemment critiqué la GRC pour avoir étiqueté Arar comme un
terroriste suspect et passé sans restriction cette information aux agences de
renseignement américain. Malgré tout, il a quand même statué que les
autorités canadiennes n’avaient joué aucun rôle dans la déportation d’Arar en
Syrie et qu’elles avaient fait des erreurs de bonne foi en étant complice dans
sa détention et son interrogatoire.
Dans le cas d’Abdelrazik cependant, des
documents du SCRS, tout d’abord révélés par le Globe and Mail au
printemps dernier, se vantent ouvertement que le gouvernement soudanais avait
arrêté Abdelrazik « sur nos ordres ». L’été dernier, des avocats du
gouvernement ont effectivement confirmé le rôle du SCRS dans l’arrestation
d’Abdelrazik, ceux-ci n’ayant pas contesté l’affirmation de son avocat quant à
la responsabilité du gouvernement, lors de procédures judiciaires destinées à
forcer Ottawa à le rapatrier.
Abdelrazik, qui est venu au Canada en 1990 en
tant que réfugié politique et qui est devenu citoyen canadien en 1995, était
depuis longtemps sous enquête par les autorités canadiennes. En fait, la
surveillance de l’Etat était devenue si lourde et agressive qu’elle fut
apparemment un facteur dans sa décision de se rendre Soudan en mars 2003 pour visiter
sa mère souffrante.
En incitant les autorités soudanaises à
emprisonner Abdelrazik en août 2003, les responsables du SCRS ont pu contourner
la Constitution canadienne, qui interdit la détention de personne sans
accusation, et sous-traiter l’interrogatoire d’Abdelrazik à un régime qui, tout
comme la Syrie, a été condamné à maintes reprises pour ses mauvais traitements
de prisonniers.
La complicité de l’Etat canadien dans la
torture d’Abdelrazik est soulignée par l’indifférence de l’actuel gouvernement
conservateur aux traitements qui lui ont été infligés en prison.
Abdelrazik a dit avoir informé ses
interrogateurs du SCRS qu’il était maltraité et il a par la suite tenté de
plaider sa cause auprès d’autres représentants canadiens, mais ceux-ci n’ont
démontré aucun intérêt pour ses mauvais traitements.
En mars dernier, Abdelrazik a rencontré
Deepak Obhrai, un député conservateur et secrétaire parlementaire du ministre
des Affaires étrangères, et a soulevé son chandail pour lui montrer les
blessures subies sous la torture. Mais un mémo émis peu de temps après par une
bureaucrate du ministère des Affaires étrangères rejetait les assertions
d’Abdelrazik. « Les conditions dans les prisons soudanaises sont très
difficiles », a noté Odette Gaudet-Fee, « mais cela ne correspond pas
à de la torture ou des mauvais traitements ». Abdelrazik, a insisté
Gaudet-Fee, « n’a pas été plus maltraité que les autres détenus ».
Dans un affidavit rédigé par l’avocat
d’Abdelrazik, ce dernier témoigne : « Autour de décembre 2003, les
conditions se sont considérablement détériorées, après la fuite de quelques
prisonniers. Je fus transféré en isolement dans une cellule d’environ un mètre
par deux, avec du tapis sur le plancher. Un climatiseur fonctionnait presque
tout le temps, ce qui rendait la pièce très froide. On m’ordonnait souvent de
me tenir debout les mains et le visage vers le mur. Deux fois par jour j’allais
aux toilettes, et j’étais aussi alors battu. On me frappait avec un tuyau de
caoutchouc d’environ 60 centimètres de long, sur le dos, derrière la tête et
les jambes. Cela survenait dans le contexte d’un interrogatoire par les
Soudanais sur la fuite des prisonniers et par deux hommes qui m’ont été présentés
comme étant des Canadiens [les agents du SCRS]. »
Le gouvernement canadien a aussi
probablement joué un rôle dans la seconde longue incarcération d’Abdelrazik,
bien que les agences américaines de sécurité et du renseignement aient aussi
presque certainement été impliquées car Washington, au dire de tous, exigeait
que Khartoum le traite comme un agent d’al-Qaïda.
Les autorités soudanaises l’ont arrêté de
nouveau, peu de temps avant que le premier ministre libéral Paul Martin ne
visite le pays. Abdelrazik avait indiqué qu’il tenterait de rencontrer le
premier ministre canadien pour le mettre au courant de sa terrible situation.
Essentiellement, il
s’agit d’une expulsion
Ce qui est irréfutable est que le
gouvernement canadien s’est assuré qu’Abdelrazik ne soit pas en mesure de
quitter le Soudan après sa première incarcération et il continue à ce jour de
lui refuser le droit de revenir chez lui et de revoir sa famille.
Peu de temps après sa libération en 2004,
la femme d’Abdelrazik paya un billet d’avion pour le ramener au Canada. Mais
Air Canada et Lufthansa refusèrent de lui accorder un billet, car tout juste
après son voyage au Soudan en 2003, le nom d’Abdelrazik avait été placé sur une
liste d’interdiction de vol, vraisemblablement à la demande du gouvernement
canadien.
Après sa première incarcération, le
gouvernement soudanais offrit de rapatrier Abdelrazik sur un avion privé, mais
le gouvernement canadien fit échouer le projet en refusant de défrayer les
coûts.
La question des coûts n’est qu’une excuse
flagrante. A maintes occasions depuis l’été 2004, des avions du gouvernement du
Canada se sont rendus au Soudan pour des voyages officiels de représentants
canadiens, y compris le premier ministre libéral Paul Martin en 2004 et le
ministre conservateur des Affaires étrangères Maxime Bernier en 2008. Mais
Ottawa a toujours refusé d’offrir une place de retour pour le citoyen canadien
Abdelrazik. (Au contraire, Ottawa a accordé un traitement entièrement différent
à Brenda Martin, une femme canadienne qui avait été emprisonnée à Mexico pour
sa participation prétendue dans une arnaque. Le gouvernement conservateur avait
fait pression pour que Martin soit rapatriée au Canada et avait affrété un jet
pour la ramener au pays.)
Dans une tentative d’effacer ses traces, le
gouvernement canadien a répété plusieurs fois qu’il donnerait les documents nécessaires
à un voyage d’Abdelrazik s’il pouvait trouver une compagnie aérienne acceptant
de le ramener au Canada malgré que son nom se trouve sur la liste des individus
interdits de vol sur laquelle l’a mis l’administration le jour même où il était
libéré de son deuxième emprisonnement au Soudan. Mais le gouvernement a refusé
de le faire après qu’Etihad Airway eut accepté de le prendre sur son vol vers
Toronto du 15 septembre 2008.
Le gouvernement, avisé trois semaines à
l’avance du vol, a écrit le 26 septembre à l’avocat d’Abdelrazik au Canada,
onze jours après la date prévue du départ, que « les problèmes n’avaient
pu être résolus à temps pour permettre le voyage de votre client le 15
septembre ».
Et si la voie des airs lui est bloquée, il
ne peut sortir du Soudan et emprunter la voie maritime faute d’avoir un
passeport valide (son passeport est échu lors de son premier emprisonnement),
parce que le gouvernement canadien refuse de lui émettre un.
Redéfinition
des droits de citoyenneté
Les droits fondamentaux de citoyenneté
d’Abdelrazik ont été violés, et cela, sur la base d’allégations que le
gouvernement sait très bien qu’elles ne tiendraient pas la route dans une cour.
Autrement, il chercherait à obtenir son extradition vers le Canada, pas à
l’exiler.
Dans ce processus, le gouvernement canadien
a redéfini en catimini les droits de citoyenneté.
Que cela soit fait en apparence sous la
pression des Etats-Unis ne le rend pas moins pernicieux.
Un document secret préparé par les agences
d’espionnage canadiennes et des responsables de la sécurité de Transports
Canada en avril dernier et qu’a obtenu le Globe and Mail
disait : « Des responsables de haut niveau du gouvernement
canadien doivent être conscients de la réaction possible de nos contreparties
américaines si Abdelrazik devait revenir au Canada étant donné qu’il se trouve
sur la liste des individus interdits de vol. »
« La continuation de la coopération
entre le Canada et les Etats-Unis sur les questions de sécurité est
vitale. »
De plus, il ne faut pas oublié que si
Abdelrazik se trouve aujourd’hui pris au Soudan, ce n’est que parce que les
autorités canadiennes ont incité le Soudan à l’arrêter et ont été complices de
sa longue détention sans accusation et de sa torture.
Depuis juillet 2005, lorsqu’il a été libéré
de sa deuxième incarcération, jusqu’au printemps Abdelrazik a vécu comme un
apatride à Khartoum, forcé par les autorités soudanaises de revenir toutes les
nuits dans une maison sous la supervision de la police. A cause de la publicité
qui a été donnée à cette affaire, Abdelrazik a pu forcer les autorités
canadiennes à lui offrir une forme de refuge dans l’ambassade canadienne à
Khartoum. Mais, selon la presse, il y est traité comme un prisonnier. Pendant
des semaines, le personnel de l’ambassade a même refusé de lui adresser la
parole.
La victimisation d’Abdelrazik par l’Etat a
pris place tant sous le gouvernement conservateur que le libéral. Paul Koring,
le journaliste du Globe and Mail qui a le plus contribué à faire
connaître le cas d’Abdelrazik au public canadien a récemment écrit :
« Il est clair de milliers de pages de documents secrets remontant aussi
loin qu’en 2002 que les plus hauts échelons du gouvernement ont été informés de
l’emprisonnement de M. Abdelrazik à Khartoum, de son interrogatoire par des
agents du SCRS alors qu’il était en prison, de sa libération et du refus des
gouvernements succesifs de renouveler son passeport canadien. »
(Article original anglais paru le 23
octobre 2008)