Le service ferroviaire a été largement perturbé dans toute la
France lorsque les conducteurs de trains ont fortement suivi l’appel à la grève
d’une journée, jeudi 6 novembre, lancé par SUD (Solidarité-Unité-Démocratie) et
la CGT (Confédération générale du travail.) Ces deux confédérations syndicales,
représentant 60 pour cent des conducteurs, protestent contre les attaques sur
les conditions de travail dans le secteur du fret de la SNCF (Compagnie
nationale des chemins de fer français.)
C’est la première grève nationale organisée depuis que l’éruption
de la crise financière en septembre dernier a contraint les gouvernements en
France et de par le monde à renflouer les banques à grand renfort d’injections
massives d’argent public, sur fond de récession qui va s’aggravant rapidement et
de chômage en nette augmentation.
La grève a commencé à 20 heures mercredi pour s’achever à huit
heures vendredi matin. La moitié des trains régionaux (TER) et des trains
corail ne circulait pas et la circulation des TVG (train à grande vitesse) était
réduite de 25 à 50 pour cent. Il y avait un train sur deux sur les lignes très
fréquentées du RER (réseau express régional) parisien. Les trains de banlieue
autour des principales gares parisiennes ont été les plus touchés, avec 35 pour
cent seulement des trains de banlieue circulant à partir de la gare de Lyon. Le
métro et les bus parisiens n’ont pas été touchés par ce mouvement.
La CGT et SUD-rail avaient lancé le mot d’ordre de grève le 30
octobre pour s’opposer au projet de la direction de faire appel à des conducteurs
volontaires pour travailler sans se conformer à la réglementation existante. En
juin dernier, les cheminots avaient déjà observé deux jours de grève pour
protester contre ce projet. Les syndicats cherchent à faire pression sur une commission
paritairequi se réunira le 12 novembre prochain pour discuter du projet.
L’Agence France-Presse a rapporté le 3 novembre : « La
direction de la SNCF a lancé cet été un appel à des volontaires parmi les
conducteurs pour travailler sous un statut "transitoire" dans le
domaine du fret. Elle a indiqué que 800 conducteurs sur 4000 avaient répondu à
cet appel. »
La SNCF prétend que pour faire face à la concurrence du privé,
elle doit « faire évoluer les conditions de travail des conducteurs »
du fret en introduisant « des souplesses dans la réglementation »
(c’est-à-dire modifier les temps de repos). Les conducteurs pourront avoir des
missions plus longues et devront être plus souples dans leurs horaires.
Il y a aussi des projets pour rendre les travailleurs « poly-compétents »
c’est-à-dire interchangeables dans la réalisation de différentes tâches dépassant
le cadre du poste pour lequel ils sont employés. Les cheminots voient ceci
comme une régression qui mine leurs conditions de travail et menace celles de
toute l’industrie.
On peut dire que le fait que cette grève des conducteurs ait
été fortement suivie participe du mouvement de résistance grandissante aux
mesures d’austérité du gouvernement et qui se manifestent par des coupes
budgétaires dans l’éducation et la santé, l’allongement incessant des années de
cotisation nécessaires pour profiter d’une retraite à taux plein, l’érosion de
la protection offerte par le Code du travail, l’augmentation du chômage et la
perte du pouvoir d’achat des salaires.
Bien que les conducteurs de trains de passagers ne soient pas
directement touchés par ces changements proposés des conditions de travail de
leurs collègues du secteur du fret, ils ont massivement soutenu l’action. Ceci
est tout à fait significatif car, contrairement aux conducteurs de fret, ils
sont légalement tenus de se conformer à la nouvelle réglementation de service
minimum, imposée au secteur passager au début de l’année en même temps que la trahisonet la défaite de leur lutte pour la défense de leur régime spécial de
retraite. Avec cette nouvelle réglementation, les conducteurs de trains de
passagers sont tenus de notifier, par écrit et deux jours avant, leur intention
de faire grève. On aurait pu s’attendre à ce que cela ait un effet dissuasif.
Fabien Villedieu, conducteur de fret de la gare de Lyon à
Paris et syndiqué à SUD a dit au World Socialist Web Site, « Cette
question du RH007 [le code réglementant les périodes de travail et de repos]
est la continuation de la perte de nos droits, représentée par l’attaque sur
les régimes spéciaux de retraite et la réglementation du service minimum. C’est
la première fois que l’on touche à la réglementation de notre temps de repos de
façon négative. Avant, tous les changements signifiaient des
améliorations. »
« Ils vont commencer par le fret et après ce sera le
tour de tous les cheminots. Un nombre surprenant de conducteurs de trains de
passagers s’est engagé à soutenir l’action. »
Le système ferroviaire français est ouvert à la concurrence du
privé dans le secteur du fret depuis 2006, et les entreprises privées
représentent 10 pour cent du marché du fret ferroviaire. Un tract de la CGT
fait remarquer qu’en 2007, à peine 40GTK (giga tonnes kilomètre) de fret
étaient transportés par la SNCF pour un déficit d’environ 260 millions d’euros
et que la perspective pour les cinq années à venir était de « seulement
44 GTK contre une mobilité forcée, des emplois supprimés, une réglementation
perdant toute substance en matière de santé, de sécurité et de vie de
famille ».
Bruno Duchemin,
secrétaire général du syndicat exclusivement de conducteurs de train, la FGAAC
(Fédération générale autonome des agents de conduite, qui représente près de 30
pour cent des conducteurs) qui n’a pas appelé ses syndiqués et sympathisants à
faire grève, a fait remarquer, « Mais on ne peut pas demander à un
conducteur de travailler huit heures de nuit sans pause. »
Il ne rejette
cependant pas en bloc la réforme et poursuit, « Il faudra trouver des
compensations financières mais aussi des solutions pour la sécurité et le repos
des agents. » Il dit que son syndicat se prépare à une possible « grève
illimitée » à partir du 17 novembre.
Les conducteurs représentent environ 10 pour cent des
160 000 travailleurs employés par la SNCF. La direction essaie de casser
le statut spécial des conducteurs de trains et d’intégrer les conducteurs de
fret dans une « famille du fret » où ils seraient partie intégrante d’une
main d’oeuvre de cheminots du fret incluant toutes les catégories. Cette
suppression de leur statut spécial pourrait alors s’étendre au secteur du
transport des passagers.
La combativité traditionnelle des conducteurs de trains, qui ont
toujours puisé leur force dans leur capacité à stopper immédiatement le trafic
ferroviaire et ainsi faire pression sur le gouvernement, ne suffira pas à faire
reculer le capitalisme français qui cherche par tous les moyens à rester
compétitif en diminuant les droits et le niveau de vie de tous les
travailleurs.
Les travailleurs ne doivent pas mettre leur confiance dans les
actions syndicales sectorielles, ni dans les syndicats pour les défendre contre
cette offensive. La CGT et d’autres syndicats, rejoints par SUD-rail, à la
table ronde de fin 2007, ont négocié la fin de la lutte contre le démantèlement
des régimes spéciaux de retraite. La CGT et la CFDT (Confédération française
démocratique du travail, proche du Parti socialiste) ont collaboré avec le
gouvernement et le patronat cette année pour déréglementer la durée
hebdomadaire du temps de travail avec la « Position commune ».
La lutte pour défendre les droits, les conditions de vie et
les services sociaux des travailleurs ne peut être menée qu’en rompant avec les
syndicats et en construisant des organisations indépendantes de lutte, des
comités d’action qui relient leur lutte avec les collègues de l’ensemble de
l’industrie ferroviaire à l’échelle européenne et avec les travailleurs de tous
les autres secteurs qui sont confrontés à des attaques similaires.
(Article original anglais paru le 7 novembre
2008)