WSWS : Nouvelles et analyses : Europe
Quelque 3000 personnes se sont rassemblées samedi 8 novembre pour une manifestation régionale au Havre, capitale de la Normandie, pour la défense des emplois et des services sociaux.
Les travailleurs de Renault avaient la place d’honneur dans la manifestation avec, en tête de cortège le contingent de Sandouville qui va perdre 1150 emplois sur 3700. 4000 emplois supplémentaires sont aussi menacés chez les fournisseurs de l’usine. Des délégations de Renault-Cléon et Renault-Flins participaient aussi à la manifestation.
La présence de travailleurs de nombreuses entreprises, tant du secteur privé que public, et qui sont confrontés à des licenciements et des fermetures, est un signe de l’impact sur la France de la récession mondiale qui s’intensifie.
Le service hospitalier se verra amputer de 800 postes, participant des 20 000 suppressions d’emplois au niveau national d’ici 2012. Des délégations de l’hôpital du Havre et des collectifs de défense des services de santé ont défilé aux côtés des travailleurs de la Poste s’opposant à la privatisation et aux rationalisations qui vont suivre. Il y avait aussi des enseignants venus protester contre la suppression prévue de 13 000 postes l’année prochaine, qui viennent s’ajouter aux 11 000 suppressions de cette année. Il y avait aussi des travailleurs des raffineries Total, de l’usine de mobilier Interiors, de la centrale électrique EDF et des agents des douanes.
La mobilisation reposait sur un appel lancé par des branches syndicales locales de la CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti communiste) de la CFDT (Confédération française démocratique du travail, proche du Parti socialiste) et de SUD (Solidarité-Unité-Démocratie.)
Les travailleurs de Renault-Sandouville ont dit au World Socialist Web Site qu’ils perdaient entre 200 et 400 euros par mois du fait du chômage partiel. Les usines Renault de Flins et de Douai resteront fermées pendant deux semaines et celles de Maubeuge, Batailly et Dieppe pendant une semaine jusqu’au 12 novembre. La production sera aussi arrêtée entre un à quatre jours à l’usine de Bursa en Turquie et sur le site Novo Mesto en Slovénie. PSA Peugeot-Citroën a l’intention de réduire de 30 pour cent la production prévue et a annoncé des mesures de chômage partiel, allant de deux à seize jours sur l’ensemble de ses sites en Europe.
Mais les syndicats ont maintenu la protestation au niveau régional et n’ont fourni aux travailleurs aucune perspective de lutte contre le commencement d’une récession mondiale que beaucoup comparent à celle des années 1930.
Le Parisien écrivait le 29 octobre, « Le quatrième trimestre est catastrophique. Renault et Peugeot prévoient un très fort recul du marché automobile de l'Europe occidentale de l'ordre de 15 à 17 pour cent sur la fin de l'année et de 8 pour cent sur l'ensemble de l'année…Le suédois Volvo va supprimer 850 emplois, en plus des 1400 déjà annoncés, l'américain Chrysler 1800, General Motors envisage des licenciements…Volkswagen pourrait licencier jusqu'à 25 000 travailleurs intérimaires. »
Sous le titre de « La grande panne de l’industrie automobile » Le Figaro déclarait le 10 novembre, « Au total, les constructeurs prévoient pour l'instant de faire disparaître plus de 30 000 postes cette année sur le Vieux Continent. Un chiffre qui pourrait être revu à la hausse si, comme tous les spécialistes le redoutent, les ventes ne repartent pas en 2009. »
L’article citait Carlos Ghosn, PDG de Renault et de Nissan, « Nous n'avons pas encore vu le pire. Même si la crise financière est jugulée, les conséquences d'un affaiblissement de la demande sur les emplois vont désormais se faire sentir. » L’article soulignait que le secteur automobile représente directement et indirectement environ 10 pour cent de la population active française.
Aux Etats-Unis les ventes de voitures ont plongé de 32 pour cent le mois dernier. Il pourrait s’écouler cette année trois millions de véhicules de moins que l’an passé. En Europe, tous les grands marchés, même l’Allemagne et la France, sont en chute libre avec un million de voitures vendues en moins.
Le Figaro ajoutait, « Même les marchés émergents, qui compensaient jusqu'à cet été le recul des ventes, sont touchés par la crise. En Chine, les ventes ont reculé de 1,4 pour cent en septembre. C'est le deuxième mois consécutif de baisse, après un recul de 6,3 pour cent en août. Au Brésil, les ventes ont chuté en octobre (de 11 pour cent) pour la première fois depuis 1999. En Russie, le marché s'essouffle et pourrait passer dans le rouge l'an prochain. »
Le journal économique Les Echos du 10 novembre rapportait que, hors industries agroalimentaires et énergie, la production industrielle française a reculé de 0,8 pour cent en septembre, après avoir cédé 0,5 pour cent en août. C’est surtout l’automobile, avec un recul de 3,1 pour cent, qui en est la cause mais la tendance est également à la baisse pour un large éventail de produits de consommation.
Le solde commercial de la France en septembre a enregistré un déficit de 6,25 milliards d’euros, soit une augmentation par rapport aux 4,8 milliards de juillet et 5,3 milliards d’août. Le rapport entre les exportations et les importations a atteint 84,58 pour cent, soit un déficit annuel de plus de 54 milliards d’euros.
Le World Socialist Web Site avait dans un article précédent commenté la prostration de la CGT devant le président droitier Nicolas Sarkozy, se manifestant par des appels au patriotisme économique contre les travailleurs de Renault et autres marques de voiture à l’étranger. (France : Résistance de façade des syndicats face aux suppressions d’emplois chez Renault)
Un tract de la CGT appelant à la manifestation ne faisait aucune référence à la crise mondiale ni à son impact sur la classe ouvrière européenne. Au contraire, il confinait le problème à la Normandie, déclarant que « C’est toute une région qui risqué d’être sinistrée. »
Faisant référence aux suppressions de postes prévues à Sandouville, le tract de la CGT déclarait que « Toutes les actions menées depuis juillet ont porté leurs fruits. » En vérité, les « actions » ont été minimes, et ont consisté en des arrêts de travail sporadiques de deux heures et quelques piquets. Les syndicats n’ont pas organisé des grèves de toute cette branche industrielle en dépit du fait qu’au-delà de Sandouville il est prévu de supprimer jusque 6000 postes dans les usines Renault en France et à l’étranger. Quant aux « fruits » que ces actions auraient soi-disant portés, cela fait référence aux propositions de formation payée au lieu du chômage et à l’utilisation des journées de congé accumulées au lieu de la perte de salaire lorsqu’il y a mise en chômage partiel.
Le Parti communiste (PCF) n’avait pas de contingent dans la manifestation, mais il y avait quelques personnes arborant des autocollants du PCF. Certains d’entre eux distribuaient des brochures appelant à « transformer profondément le capitalisme », terme si vague qu’il est quasiment impossible de le différencier de l’appel de Sarkozy à une refonte du système financier mondial et à une plus grande réglementation.
Le contingent de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) qui va fonder un Nouveau Parti anticapitaliste, était conduit par son porte-parole national Olivier Besancenot.
Ce contingent s’est totalement adapté au caractère non politique de la manifestation. Besancenot a parlé de favoriser « tous les regroupements pour aller très rapidement vers une grève nationale », mais il n’a exprimé aucune critique à l’égard de la CGT et des autres syndicats pour avoir restreint la protestation. Ni la LCR ni son nouveau parti ne distribuaient de tracts expliquant leur perspective pour une lutte unie des travailleurs. Le contingent LCR se contentait de scander le slogan, « zéro licenciement » chez les enseignants, dans les hôpitaux et chez Renault.
Le manque de confiance dans les perspectives des organisateurs de la manifestation s’est exprimé quand un manifestant de Renault-Sandouville a lancé avec colère à l’équipe de reporters du WSWS, « On sera fini d’ici 2010. »
Un autre travailleur de Sandouville, Grégory, accompagné de ses deux jeunes enfants, a dit qu’il avait des doutes quant à l’avenir de l’usine. « On ne croit pas aux promesses du président. Je ne crois pas que la demande des syndicats pour qu’un autre véhicule soit construit dans l’usine, soit crédible. Cela aurait déjà été fait. J’espère que l’action régionale pourra être efficace. C’est l’avenir de la région qui est en jeu. Ça va être dur. On voit bien ce qui se passe à General Motors aux Etats-Unis, et puis il y a Citroën et Peugeot. Les actionnaires s’occupent juste de leurs profits, ils ne s’occupent pas des travailleurs. Ils sont incapables de voir l’industrie comme un service social. Je suis inquiet pour l’avenir de mes enfants. »
Trois travailleurs plus jeunes, Sébastien, Manu et Ludo ont exprimé le même sentiment : « On ne se bat pas uniquement pour nos emplois, mais pour l’avenir de nos enfants. »
Stéphane, lui aussi travailleur sur la chaîne de montage à Sandouville et portant un autocollant CGT a dit, « Ce qu’il faut c’est un autre mai-juin 68. Il faut construire à partir des luttes locales pour forcer le gouvernement à faire quelque chose. » Il a refusé de commenter la collaboration étroite entre le dirigeant de la CGT Bernard Thibault et le président Sarkozy.
Mathieu Grancher, toujours sans emploi après avoir fini, il y a trois mois, ses quatre années d’étude de mathématiques à l’université, a dit en se fondant sur ses expériences de lutte contre les projets gouvernementaux dans l’éducation, « Les directions syndicales nationales empêchent toujours la lutte. » Son ami Vivien a approuvé : « J’ai vu ce qui s’est passé dans la lutte contre le CPE (Contrat première embauche.) On n’avait pas le soutien des syndicats. »
Patrick, facteur depuis 9 ans, a dit qu’il était contre le plan de privatisation du service postal. « Le public aussi est contre. Il n’y a qu’à voir les dégâts que ça a fait à EDF et GDF (Electricité et gaz de France.) Les actionnaires vont vouloir maximiser les profits et supprimer des emplois. Je ne suis pas pour le renflouement des banques. Elles vont recommencer à jouer avec l’argent public. »
Il n’était pas convaincu de la nécessité pour la classe ouvrière de s’approprier les grandes entreprises et les établissements financiers, mais pensait que le public devrait exercer un contrôle important sur leurs activités. Il a ajouté, « Je suis d’accord, il faut que nous repensions en profondeur la manière d’organiser l’économie et la société. »
(Article original anglais paru le 12 novembre 2008)
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