Neuf mois à peine après son élection pour un mandat de cinq
ans, le président Nicolas Sarkozy se heurte à une opposition importante qui
menace de se développer en une crise de grande envergure. Dans les sondages, son
taux de popularité s’effondre au milieu du discrédit de ses promesses de
campagne et du ressentiment croissant d la population à l’égard de sa
politique et de son style personnel ostentatoire. Les politiciens bourgeois et
les médias critiquent de plus en plus son comportement et remettent en question
son aptitude à gouverner.
L’attirance populaire que Sarkozy a suscitée au début,
et qui était largement une attirance par défaut, du fait de la décrépitude et
du conservatisme du Parti socialiste et de la gauche officielle, a volé en
éclats. Il n’a bien sûr pas été en mesure de tenir sa promesse
d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs en relançant
l’économie française à l’aide de mesures pro-patronales ; la
situation économique mondiale l’explique. Ses appels, ouvertement
antidémocratiques, à la religion ou au tout sécuritaire provoquent une
hostilité grandissante.
D’après un sondage CSA publié le 29 février, le taux de
popularité de Sarkozy est à 33 pour cent, avec 61 pour cent de la population
qui le désapprouvent dans l’exercice de sa fonction ; 56 pour cent
des sondés ont déclaré que Sarkozy « incarne mal la fonction
présidentielle ». Pour 65 pour cent des personnes sondées, Sarkozy
« ne fait pas ce qu'il faut pour unifier la France ».
Autre élément témoignant de la crise politique en France, 75
pour cent des sondés pensent que le Parti socialiste, principal parti
d’opposition en France, ne ferait pas mieux que Sarkozy s’il était
au pouvoir.
Sarkozy avait été élu sur la base d’une promesse faite à
la bourgeoisie française de prendre des mesures décisives concernant la
protection sociale dont jouissent les travailleurs français. Mais il ne
l’avait pas ainsi présenté aux masses, il avait brandi le slogan :
« Travailler plus pour gagner plus. » Mais les travailleurs ont
aujourd’hui fait l’amère expérience que les promesses de Sarkozy
d’augmenter le pouvoir d’achat et l’emploi étaient en grande
partie de la poudre aux yeux et un miroir aux alouettes.
Le prix de nombreux produits alimentaires est monté en flèche
et a fait l’objet de nombreux reportages dans les médias. Parmi les plus
importantes augmentations entre novembre 2007 et janvier 2008 on compte,
d’après une étude du magazine Le Nouvel Observateur, le yaourt
(entre 17 et 40 pour cent), le lait (entre 20 et 37 pour cent), les pâtes
(entre 44 et 45 pour cent), le riz (entre 10 et 18 pour cent), le camembert
(entre 12 et 32 pour cent), le beurre (entre 19 et 26 pour cent), les céréales
(entre 14 et 24 pour cent), le pain blanc (entre 6 et 22 pour cent) et le
jambon (entre 18 et 44 pour cent.)
Au même moment, le Commissaire européen aux affaires
économiques et monétaires, Joaquin Almunia a récemment revu à la baisse les
prédictions de croissance pour la zone euro en 2008, de 2,4 à 1,8, avec la
croissance économique de la France estimée entre 1,5 et 1,7 pour cent. Almunia
a invoqué la crise du crédit américain comme facteur majeur de cette baisse.
Avec la situation économique qui empiète toujours plus sur le
pouvoir d’achat, Sarkozy se trouve dans la situation inconfortable
d’avoir éveillé des attentes parmi les masses laborieuses sans être en mesure
de les réaliser. En tant que dirigeant de l’Etat, il n’exerce que
peu d’influence sur bon nombre des phénomènes à l’origine des
tendances inflationnistes ou récessionnistes de l’économie mondiale, par
exemple l’explosion des prix du pétrole ou du gaz naturel dans le monde,
laquelle injecte de l’inflation dans tous les domaines de
l’économie mondiale, et la crise du crédit et des subprimes américains
qui se développe à grande vitesse.
Il y a des signes grandissants d’un changement
d’état d’esprit dans la classe ouvrière française. Il faut tout
particulièrement remarquer, en plus des manifestations continues contre la
politique d’austérité sociale de Sarkozy, l’éruption de plusieurs
grèves de grande envergure et très inhabituelles dans le secteur de la grande
distribution.
Les cercles politiques français craignent aussi que le style
fruste et le manque de bienséance de Sarkozy ne menacent de discréditer la
présidence. Dans un incident qui a fait couler beaucoup d’encre, le 23
février dernier au Salon de l’Agriculture, un homme a refusé de serrer la
main de Sarkozy en lui disant « tu me salis. » Sarkozy a riposté
dans une langue argotique et obscène qui a provoqué une condamnation quasi
unanime dans les médias.
Le quotidien de centre gauche Le Monde a commenté dans
son éditorial du 25 février: « Le chef de l'Etat a confirmé ce sentiment
qu'il préside trop mal à ses propres emportements pour incarner une présidence
sereine et maîtrisée. »
Dans un tour d’horizon de 15 commentaires de presse
négatifs sur cet incident, Le Nouvel Observateur a cité La République
des Pyrénées : « [Les anciens présidents] De Gaulle, Pompidou,
Giscard, Mitterrand, Chirac ont dû, plus d'une fois, essuyer l'insulte
publique, quand ce n'était pas un crachat sur leur costume. Mais chacun d'entre
eux a su, d'une manière ou d'une autre, dominer ses nerfs et opposer
l'indifférence souveraine qui sied au chef de l'Etat [...] Nicolas Sarkozy
n'est pas de cette trempe. »
La relation publique ostentatoire de Sarkozy avec
l’ancien modèle et chanteuse Carla Bruni, avec qui il a passé des
vacances de Noël luxueuses à Louxor en Egypte où il s’est rendu dans le
jet privé du financier Vincent Bolloré, l’a éloigné un peu plus de la
population. Sarkozy a épousé Bruni, en troisièmes noces, le 2 février dernier.
Cette relation a aussi contribué à l’échec des
tentatives maladroites de Sarkozy de courtiser la droite religieuse. Cette
contradiction s’est peut-être le plus clairement exprimée lors de son
discours de Latran du 20 décembre 2007 à Rome. La couverture médiatique
précédant l’événement avait été dominée par des spéculations autour de la
question de savoir si Sarkozy, deux fois divorcé, allait oser emmener sa petite
amie avec lui lorsqu’il irait s’entretenir avec la hiérarchie
catholique.
Finalement, Sarkozy n’avait pas emmené Bruni. Il avait
ensuite fait un discours bizarre frisant le comique, dans lequel il revendiquait
une relation spéciale de la France avec l’Eglise et qui
s’enracinait dans la conversion à la chrétienté du chef germanique Clovis
à la fin du 5e siècle, lequel régnait sur de grandes parties de ce
qui est aujourd’hui la France, ainsi que sur une liste tendancieuse
d’artistes français catholiques.
Le dernier geste de Sarkozy en direction de la droite
religieuse, consistant à envoyer ses salutations publiques le 24 février lors
de l’ordination de quatre prêtres ultra-nationalistes, des lefebvristes,
qui insistent pour célébrer la messe en latin, a été largement critiqué par les
médias. Dans un article faisant remarquer que les lefebvristes sont impliqués
dans des occupations d’églises, techniquement illégales en France, le
quotidien Libération avait cité le journaliste catholique Christian
Terras : « Dans l'architecture mentale de Nicolas Sarkozy, il n'y a
pas de République laïque qui ne puisse exister au sens supérieur. Le sens
supérieur pour lui, c'est la religion [...] Dans le contexte actuel où il
décroche dans les sondages, la religion est un refuge. »
La Ligue de l’enseignement a lancé une pétition
intitulée « Sauvegardons la laïcité de la République » qui a
recueilli 100 000 signatures au cours du mois dernier.
Sarkozy a avancé une nouvelle loi proposant que des criminels ayant
accompli des peines de prison de 15 ans ou plus ne soient pas libérés et soient
détenus indéfiniment en détention préventive. Le Conseil constitutionnel, sans
s’opposer à cette grave incursion de l’Etat dans les libertés
civiles, a hésité à faire appliquer cette loi de façon rétroactive aux
personnes condamnées avant que cette mesure ne devienne loi. Il s’agit
d’un principe fondamental de l’Etat de droit. Ainsi, cette loi ne
prendra pas effet avant au moins 15 ans.
Sarkozy a tenté de circonvenir à la décision du Conseil
constitutionnel sur le principe de non-rétroactivité. Il a envoyé un courrier à
Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, pour lui demander
s’il y avait possibilité d’une « adaptation de notre
droit, » en se présentant en défenseur des victimes de crimes
violents : « derrière ces questions juridiques arides, c'est de
drames humains dont il s'agit. »
La proposition de Sarkozy était elle-même
anticonstitutionnelle, étant donné que l’article 62 de la Constitution
française spécifie que l’on ne peut faire appel des décisions du Conseil
constitutionnel. En réponse, les cercles juridiques français ont lancé une
pétition intitulée « Appel pour un sursaut citoyen » appelant Sarkozy
à se « conformer » à la Constitution et concluant ainsi : « Si
cette doléance n'est pas suivie d'effet, nous, citoyens sincèrement démocrates,
déclarons que monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République, aura alors
perdu toute légitimité, ne pourra donc plus assurer la fonction suprême, et
devra en tirer toutes les conséquences. »
La crise grandissante de la présidence de Sarkozy confirme
l’évaluation qu’avait fait de lui le World Socialist Web Site
au moment de son élection: « Cet arriviste pompeux, ambitieux à
l’excès et carriériste souvent inepte, tire sa force de l’absence
de toute politique indépendante de la classe ouvrière. Une offensive politique
menée avec assurance le réduirait rapidement à sa juste valeur. »
Pour la bourgeoisie française, ces développements posent une
question : Sarkozy est-il un garant fiable de leurs intérêts financiers,
tant à l’intérieur du pays, en matière d’attaques sur les emplois, le
niveau de vie et l’Etat providence, que sur la scène internationale, où
se règleront de nombreux problèmes économiques plus vastes qui menacent la
bourgeoisie française ? Il y a des points d’interrogation non
seulement sur la capacité de Sarkozy à contrôler la classe ouvrière française
mais aussi sur la viabilité de sa politique étrangère.
L’augmentation rapide de l’euro par rapport au
dollar, et l’incapacité e Sarkozy à faire baisser la valeur de
l’euro en surmontant l’hostilité de la Banque centrale européenne à
abaisser les taux d’intérêt, menace de plus en plus la situation de
l’industrie française sur les marchés internationaux. Le Monde a
publié le 26 février un article intitulé « Le déclin du "made in France" »
faisant remarquer que en 1978, 25 pour cent de la main d’œuvre
française travaillait dans l’industrie et 14 pour cent dans les services
marchands, ces chiffres se sont à présent inversés. L’article ajoute que
l’emploi se réduiraitdu fait que les plus grandes industries
françaises — industries de l’automobile Renault et Peugeot-Citroën
et le cimentier Lafarge — transféraient leurs opérations à
l’étranger.
L’internationalisation de sa production nécessite aussi
que l’Etat français développe des méthodes de coercition politique et
militaire pour contrôler les gouvernements locaux et les routes commerciales. Jusqu'à
présent, de telles mesures n’ont pas été entièrement fructueuses. Le
projet d’Union méditerranéenne de Sarkozy, qui donnerait à
l’impérialisme français un meilleur accès à la main-d'œuvre bon
marché d’Afrique du Nord et un meilleur contrôle sur elle, se heurte à
une opposition déterminée de la part de l’Union européenne, notamment de
l’Allemagne. Les propositions françaises de participation à l’OTAN
en échange du contrôle du commandement Sud de l’OTAN basé à Naples, qui
surveille la Méditerranée, sont aussi tombées à l’eau.
L’annonce de Sarkozy, le 28 février lors de sa visite à
Cape Town en Afrique du Sud, de renégocier tous les accords militaires français
avec les pays africains a fait sourciller, ce que Libération a décrit
comme « Sarkozy donne un coup de pied dans le pré carré africain. »
La décision de se ranger derrière l’impérialisme
américain au Moyen-Orient, bien qu’elle ne soit pas encore ouvertement
contestée, a déjà généré une controverse non négligeable. Elle représente un
changement de la politique étrangère française, qui s’était opposée à
l’invasion de l’Irak en 2003 conduite par les Etats-Unis.
L’annonce par le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner le 16
septembre dernier que l’armée française se préparait à la guerre avec
l’Iran en tant qu’alliée des Etats-Unis avait provoqué suffisamment
de remous pour que finalement Sarkozy dise qu’il n’aurait pas
utilisé le mot « guerre».