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France : La grève des sans-papiers gagne du soutien

Par Ajay Prakash
5 mai 2008

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Depuis le 15 avril, près d’un millier de sans-papiers des industries de nettoyage, du bâtiment, de la distribution, de la sécurité et de la restauration sont en grève en Ile-de-France (en grande région parisienne) et occupent le siège social de plus d’une dizaine d’entreprises et réclament leur régularisation immédiate.

Ces actions sont le signe d’une résistance à une politique d’immigration plus draconienne et à la polarisation sociale ainsi qu’une protestation contre l’augmentation extraordinaire des prix de l’alimentation dans le contexte de réformes gouvernementales d’austérité réduisant les prestations sociales.

Les grèves reconductibles prolongées et toujours plus nombreuses et les occupations des lieux de travail par les sans-papiers et qui se répandent dans toute la France pour exiger la régularisation de leur statut, alarment la CGT (Confédération générale du travail) qui s’occupe de ce conflit.

La CGT qui est étroitement liée au Parti communiste français (PC) a fortement miné le mouvement en abandonnant la revendication clé d’une régularisation de masse, lui préférant la négociation au cas par cas avec les préfets. Ce sabotage du mouvement s’est produit au moment où la grève s’étend à un bon nombre de lieux de travail, est en train de gagner du terrain et de recueillir le soutien d’organisations d’étudiants, de travailleurs et d’associations antiracistes.

Depuis le 28 avril, des dizaines de sans-papiers, dont des enfants, occupent l’église Saint-Paul de Nanterre, près de Paris, et exigent la régularisation de 62 immigrés.

Avec l’intensification de la grève, une délégation conduite par la CGT a été reçue le 21 avril par le ministre de l’immigration Brice Hortefeux, qui avait insisté pour dire que les cinq préfectures touchées par la grève ne considèreraient les « demandes » des travailleurs qu’au cas par cas.

 « Il appartiendra aux préfets de se prononcer au cas par cas, » a rappelé le directeur de cabinet du ministre. « Il n'y aura pas de négociation globale. »

Après cette entrevue, la CGT a annoncé « une sortie de crise » et accepté la position du gouvernement de régularisation au cas par cas. La secrétaire nationale de la CGT Francine Blanche a déclaré : « Nous avons pas mal avancé, on a peut-être devant nous une sortie de crise. »

Une porte-parole de la CGT a dit à la presse que le directeur de cabinet « s'est montré attentif à la situation et a visiblement senti que les choses pouvaient grandir au jour le jour et que de nouvelles occupations pouvaient avoir lieu. » Elle a rapporté que depuis le début du mouvement, la CGT avait reçu de nombreux appels de travailleurs souhaitant être régularisés et qu’elle a « sous la main un gros dossier qui concerne le site d'Eurodisney », faisant référence au parc d’attractions.

Bruno Gagne, secrétaire de la CGT à Montpellier dans le sud de la France a dit à Libération le 25 avril « Certains sans-papiers sont déclarés, mais avec de faux papiers... Nous demandons la régularisation de tous, sans vouloir donner un coup de massue aux employeurs qui acceptent de jouer le jeu… On souhaite trouver un compromis pour que tout le monde sorte gagnant. »

A Lyon, Mohamed Brahmi, délégué CGT en charge de la question, a fait remarquer que le mouvement parmi ces travailleurs prenait « une dimension inimaginable. » « Depuis que le mouvement a commencé à Paris, des dizaines et des dizaines de sans-papiers nous ont contactés, » a-t-il dit.

 « Ils viennent du Mali, du Sénégal, d’Algérie... principalement dans les secteurs du bâtiment, de l’hôtellerie et du nettoyage… Il semble que certaines agences d’intérim se spécialisent dans l’embauche de sans-papiers. Ils ne peuvent pas l’ignorer. Ils en profitent. »

Abdoulaye, un Malien, travaille dans le bâtiment à Lyon depuis des années, paie l’impôt sur le revenu, mais n’a jamais reçu d’augmentation de salaire. Un autre travailleur, Dramane a dit, « Je fais l’enrobé des routes, mais pourtant sur ma fiche de paye je suis aide-maçon. Du coup, je gagne 8,5 euros de l’heure au lieu de 11,5 euros. » La plupart des travailleurs maliens travaillent depuis cinq ans dans le bâtiment, ont été recrutés par des agences d’intérim et n’ont eu aucune augmentation de salaire.

Il est nécessaire de faire remarquer que la CGT encourage depuis longtemps le travail intérimaire, et plus particulièrement avec Manpower. La CGT a été le premier syndicat à signer un accord avec Manpower en 1969 reconnaissant le travail intérimaire trois ans avant que celui-ci ne soit légalisé en France. Depuis lors, les vannes se sont ouvertes à des abus massifs et à la précarité de l’emploi. En 2007, il y avait 700 000 travailleurs intérimaires, soit une augmentation de 4,3 pour cent par rapport à l’année précédente.

La CGT, à la demande du ministère de l’Immigration, a déposé plus de 800 demandes de régularisation dans cinq préfectures (Paris, l’Essonne, les Hauts-de-Seine, la Seine-St-Denis, le Val-de-Marne) pour un examen au cas par cas.

Enhardi par le compromis de la CGT, le ministre de l’Immigration Hortefeux a déclaré dans le Figaro du 24 avril, « J’indique sans ambiguïté qu'il n'y aura aucune opération de régularisation massive. L'Espagne et l'Italie qui l'ont pratiquée il y a quelques années ont d'ailleurs officiellement renoncé à cette politique… Il n'y a là ni improvisation, ni débordement… La loi que j'ai fait voter prévoit d'ailleurs de permettre à titre exceptionnel de régulariser au cas par cas dans des secteurs connaissants de graves pénuries de main-d'œuvre. »

L’éditorial du Monde du 24 avril fait remarquer qu’« il est manifeste qu'au-delà des quelque 600 dossiers de régularisation actuellement rassemblés par la CGT, ce sont des milliers d'emplois, probablement des dizaines de milliers, qui sont concernés. Le président de l'Union des métiers et industries de l'hôtellerie, André Daguin — qui n'apparaît pas comme un dangereux gauchiste — n’a-t-il pas évoqué la nécessité de "régulariser 50 000 travailleurs" ? »

Les deux principales associations d’employeurs de l’hôtellerie-restauration, UMIH et Synhorcat, ont appelé à la régularisation des sans-papiers parce qu’elles savent combien il est difficile de trouver des travailleurs dans ce secteur, mal payé et aux conditions de travail très dures, dans lequel travaillent de nombreux sans-papiers depuis des décennies.

Depuis que le mouvement a été déclenché, il a gagné le soutien de certains employeurs qui ont à tout prix besoin de garder ces travailleurs. D’autres par contre, tel le promoteur immobilier Cogédim, ont cherché à obtenir une ordonnance du tribunal pour « obstruction au droit au travail. » Le magasin Casa Nova en Seine-St-Denis a fait appel à une agence privée de sécurité qui a expulsé manu militari les grévistes et le patron du magasin parisien Fabbio Lucci a fait appel à la police pour les déloger.

Les grévistes demandent que leur cas soit entendu par le ministre du Travail et non le ministre de l’Immigration. « C’est d’abord une histoire de travailleurs, de droit du travail. Il y a le mot travailleur avant le mot sans-papiers », a expliqué Jean-Claude Amara de l’association Droits devant, qui défend les libertés civiles.

Dans une interview télévisée en direct le 24 avril, le président Nicolas Sarkozy a déclaré qu’une régularisation générale conduirait à une « catastrophe » et constituerait un appel d'air qui « profiterait aux trafiquants ».

« On ne devient pas français parce qu'on travaille dans la cuisine d'un restaurant, aussi sympathique soit-il », a-t-il dit. Il a suggéré aux patrons d’embaucher des immigrés au chômage en situation régulière. « Il y a 22 pour cent de chômeurs chez les immigrés réguliers », a déclaré Sarkozy. « On a besoin d'étrangers, on a besoin de quotas pour une immigration économique plutôt que familiale. »

Le Parti socialiste (PS) s’est aligné derrière la politique d’immigration de Sarkozy. Dans un commentaire à la presse, Ségolène Royal, candidate malheureuse à l’élection présidentielle de 2007, a exclu toute régularisation massive de travailleurs sans-papiers et s’est opposée à l’appel des patrons de restaurants qui le demandent.

Les gouvernements socialistes et conservateurs laissent depuis longtemps les travailleurs immigrés sans-papiers se faire exploiter par la bourgeoisie française qui ne les paie que la moitié du salaire minimum (le salaire minimum s’élève à 1 308 euros bruts depuis le 1er mai.) Ces travailleurs ne peuvent pas réclamer des prestations sociales, médicales ou pour accident de travail, que ce soit du gouvernement ou de leur employeur, bien que la majorité d’entre eux perçoivent une fiche de paie, déclarent leurs impôts et cotisent pour l’assurance maladie, la retraite et l’assurance-chômage.

Depuis le 1er juillet 2007, les employeurs sont tenus de vérifier auprès de la préfecture l’authenticité des papiers des travailleurs étrangers. Le gouvernement français a déchaîné une chasse aux sans-papiers massive et exigé que toute administration de l’Etat informe la police de la présence de sans-papiers. Le gouvernement s’est donné pour objectif de déporter 25 000 immigrés cette année, 23 000 ont été déportés l’an dernier et bien plus ont été arrêtés dans des rafles policières massives.

Cette politique a eu pour conséquence que de nombreux sans-papiers ont trouvé la mort en cherchant à échapper à des contrôles de police. Malgré le besoin d’immigrés pour l’économie du pays, le gouvernement français maintient sa position de refus de sans-papiers, insistant sur le fait que s’il en était autrement cela représenterait un revers pour sa politique stricte d’immigration. Le gouvernement français est déterminé à mettre en place le pacte d’immigration commun à toute l’Europe et qui établit des frontières européennes « sûres ».

Le gouvernement nie que le mouvement actuel soit un mouvement de masse et a annulé une réunion avec l’association des métiers de l’hôtellerie-restauration, Synhorcat. « A Paris, il n’y a pas plus de 400 demandes de régularisation, » a dit le ministre de l’Immigration. « C'est aux préfectures qu'il appartient d'apprécier, au cas par cas, les demandes de régularisation en prenant en compte les tensions existantes dans certains secteurs...Il n'est pas question de pourvoir les besoins économiques par la régularisation de sans-papiers. La priorité est de recourir à l'immigration régulière. »

Ces grèves sont les premières en France à concerner la section la plus opprimée et la plus exploitée de la classe ouvrière française et ont une signification politique et sociale profonde. Une semaine avant cette grève, lycéens et enseignants étaient en grève dans de nombreux établissements scolaires contre les suppressions de postes. Depuis le début de cette année, la France a vu plusieurs grèves contre les suppressions de postes, contre les conditions de travail dans la grande distribution et contre les attaques sur les acquis sociaux. L’année dernière, c’était les grèves des cheminots pour la défense de leur retraite.

La CGT et d’autres syndicats n’ont apporté leur soutien à chacune de ces luttes que pour mieux les contrôler et les limiter localement. Il y a actuellement des entraves à ce que le soutien pour les sans-papiers, parmi de larges sections de travailleurs, se développe en un mouvement politique de masse contre le gouvernement Sarkozy et les exigences du grand patronat français et européen. Les trahisons de la CGT et d’autres syndicats ont incité le gouvernement à traquer et déporter en masse les sans-papiers.

La classe ouvrière française doit s’opposer à la politique d’immigration et aux méthodes d’Etat policier de la France et de l’Union européenne (UE) utilisées pour traquer les sans-papiers, dont un nombre non négligeable préfère se donner la mort plutôt que d’être déporté.

Les travailleurs français doivent s’unir avec les immigrés qui agissent pour défendre leurs droits démocratiques, leurs emplois et leur niveau de vie. Un problème social de masse tel l’immigration ne peut se résoudre au cas par cas, car cette politique crée des divisions et devient une arme entre les mains des employeurs et de l’Etat.

La solution à un problème social de masse nécessite une perspective basée sur l’internationalisme socialiste, et qui défende le droit de tous les travailleurs, qu’ils soient en situation régulière ou non, de circuler librement et de travailler dans quelque partie du monde qu’ils souhaitent.

(Article original anglais paru le 2 mai 2008)

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