Cette déclaration a été distribuée en
polonais lors de la manifestation organisée vendredi à Varsovie contre les
projets du gouvernement conservateur de limiter le droit de grève.
L’énorme degré de polarisation sociale
atteint en Pologne a mené à une vague de conflits sociaux et de grèves.
Présentement, les travailleurs des services publics sont engagés dans des
grèves dures contre le gouvernement conservateur dirigé par Donald Tusk. Les
principaux syndicats du pays, toutefois, font tout ce qui est en leur pouvoir
pour empêcher les grèves, pour isoler les conflits sociauxet pour
étouffer toute action indépendante des travailleurs. A présent, ils sont
arrivés au point de soutenir le gouvernement dans ses projets de miner le droit
de grève comme partie intégrante de la préparation d’une attaque bien
plus agressive contre la population laborieuse.
La fréquence et l’intensité des conflitssociaux ont nettement augmenté en Pologne au cours de ces deux dernières
années. Ceux qui avaient espéré que l’entrée de la Pologne dans
l’Union européenne (UE) entraînerait une amélioration de la situation
sociale ont été déçus. Au lieu de cela, l’adhésion à l’UE n’a
contribué qu’à creuser le fossé entre riches et pauvres. Certes, les
salaires ont augmenté dans certains secteurs industriels en raison de
l’exode considérable de spécialistes et de techniciens vers
d’autres pays européens, mais toute augmentation de salaire est grignotée
par la hausse de l’inflation, notamment des prix de l’énergie et de
l’alimentation.
Les coûts de la vie ont augmenté
considérablement depuis l’adhésion de la Pologne à l’UE. Les prix
des denrées alimentaires de base ont augmenté de l’ordre de 50 à 100 pour
cent, dans certains cas même de 200 pour cent. Les prix de l’électricité
et du carburant ont également fortement augmenté en plus d’une forte
augmentation des loyers et des prix du marché de l’immobilier. Dans le
même temps, le prix des loyers et des logements ont atteint, dans les
principales villes polonaises telles Varsovie, Cracovie, Breslau ou Dantzig, le
même niveau que dans les villes d’Europe de l’Ouest, et ce, en
dépit du fait que le cours fort du zloty par rapport à l’euro ou au
dollar américain aurait dû atténuer la hausse des prix. Au cas où il se
produirait une baisse du cours du zloty dans un avenir proche, une nouvelle
hausse considérable des prix sera inévitable.
Face à cette inflation, même les travailleurs
de certaines industries qui ont bénéficié d’une augmentation de salaire ont
vu leur salaire effectif baisser. D’autres couches de la population,
notamment les employés des services publics n’en ont pas bénéficié et
vivent dans des conditions proches, voire en dessous du seuil de pauvreté.
Alors qu’une couche de super-riches vit dans le luxe et qu’une
petite classe moyenne s’est développée, surtout dans les grandes villes,
la vie de la grande majorité de la population devient de plus en plus
difficile.
Selon l’Annuaire statistique polonais,
66 pour cent des enfants vivent dans des familles subsistant en dessous le seuil
de pauvreté. Environ un tiers de tous les enfants polonais sont insuffisamment
nourris et, en 2005, 12 pour cent de la population devait survivre avec moins
que le minimum vital de 387 zlotys (environ 100 euros) par mois contre tout
juste 4 pour cent en 1996.
Jusque-là, le miracle économique tant annoncé
par le gouvernement Tusk n’a profité qu’aux riches alors
qu’une grande partie de la population voit ses conditions de vie se détériorer.
Dans cette situation, le parti de la Plateforme des citoyens (PO) projette de
nouvelles attaques contre les droits des travailleurs. Au cours des trois
prochaines années, le gouvernement prévoit de privatiser non moins de 740
entreprises publiques. La vente de ces entreprises d’Etat devrait
rapporter 30 milliards de zlotys net (soit environ 8,82 milliards
d’euros). La moitié de cette somme sera restituée aux anciens propriétaires
dont les usines furent nationalisées par le régime stalinien après la guerre.
Les vagues successives de privatisation qui
ont eu lieu en Pologne depuis le renversement de l’ancien régime
stalinien ont régulièrement entraîné une augmentation considérable du chômage
et une baisse des salaires.
Sous le prétexte de la « débureaucratisation »,
le gouvernement projette également de modifier le code du travail. Les restrictions
du temps de travail doivent être assouplies, les droits des femmes enceintes et
des mères de familles doivent être limités et le licenciement doit être
facilité. A long terme, le gouvernement est déterminé à introduire une
soi-disant flat-tax, un taux unique de l’impôt sur le revenu, petit
ou grand. Ceci conduira à un enrichissement supplémentaire des riches et des super-riches
aux dépens de la société en général.
C’est contre une telle politique que les
travailleurs expriment à présent leur colère. Ils ne sont plus prêts à accepter
que chaque aspect de la vie soit subordonné au principe du profit. Ces
dernières semaines, les postiers et les enseignants ont débrayé pour
revendiquer un salaire adéquat. Les mineurs, les médecins, les infirmières et
les employés des douanes les avaient précédés en organisant des mouvements de
grève et des manifestations. Les travailleurs des transports sont sur le point
de démarrer leur propre grève. Mais, le fait est que toutes ces actions sont
restées sans effet et n’ont mené à aucune augmentation de salaire suffisante
pour au moins compenser l’inflation et franchir le seuil de pauvreté.
L’obstacle principal auquel sont
confrontés les travailleurs, ce sont les principales fédérations syndicales.
L’ancien syndicat stalinien, la Convention nationale des syndicats (OPZZ)
tout comme la confédération syndicale polonaise Solidarnosc considèrent que
leur rôle principal consiste à stabiliser l’Etat polonais et non à lutter
pour les droits des travailleurs. La direction de Solidarnosc a joué un rôle primordial
en imposant la restauration du capitalisme en dépit des protestations et des
grèves des travailleurs, et l’OPZZ n’a jamais représenté les
véritables intérêts de la classe ouvrière polonaise. Les deux appareils
syndicaux sont étroitement liés à l’appareil d’Etat et ont même à
plusieurs reprises fait partie récemment du gouvernement. Pour ce qui est des
mouvements de grève actuels, les syndicats font tout leur possible pour les
isoler les uns des autres et les trahir petit à petit. La plupart des grévistes
sont des travailleurs du secteur public partageant donc le même employeur, à
savoir le gouvernement Tusk.
L’étroite collaboration entre les
syndicats et les employeurs s’est déjà traduite par une perte
d’influence massive auprès des travailleurs. Au cours de ces vingt
dernières années, Solidarnosc a perdu 90 pour cent de ses membres et la situation
est identique pour OPZZ. De plus en plus souvent, les travailleurs organisent
des grèves ou des actions indépendantes, ou rejoignent des syndicats plus
petits. Ce fut le cas des conducteurs de tramway silésiens et des ouvriers qui
ont occupé à la fin de l’année dernière la mine de charbon Budryk.
Dans le dernier cas, les travailleurs ont
débrayé indépendamment de l’OPZZ et de Solidarnosc. Ils ont occupé leur
mine pour obtenir une augmentation de salaire et un alignement sur le salaire
moyen des mineurs. L’OPZZ et Solidarnosc ont dénoncé les grévistes auprès
du procureur général et ont même organisé des briseurs de grève pour mener les
grévistes à la défaite.
Les mineurs de Budryk ont toutefois montré à
tous les travailleurs polonais qu’ils étaient capables de lutter
indépendamment des grands syndicats. En raison de la situation sociale actuelle,
ce conflit a considérablement attiré l’attention publique et ce, malgré
son succès relativement limité. En particulier, la lutte a exposé clairement
l’attitude que les syndicats adopteront dans les conflits à venir.
L’OPZZ et Solidarnosc ont de leur côté
réagi en se rapprochant davantage encore de l’Etat et en lui offrant
leurs services pour garantir l’ordre public. C’est ainsi que les
dirigeants des deux syndicats soutiennent, en partie du moins, un projet de loi
gouvernemental qui, dans les faits, supprimerait le droit de grève. Actuellement,
25 pour cent des salariés d’une entreprise doivent voter en faveur d’une
grève pour la rendre légale. Ce chiffre serait porté à 50 pour cent dans la
nouvelle législation. Dans le même temps, les syndicats ne pourront participer
aux négociations salariales que s’ils organisent au moins 33 pour cent
des travailleurs d’une entreprise.
Actuellement, seuls 15 pour cent des travailleurs
polonais sont syndiqués et se répartissent sur plusieurs syndicats différents.
Ceci signifie que la nouvelle loi équivaudrait littéralement à une interdiction
du droit de grève. Toute action de grève ne serait possible à l’avenir
que sous les auspices des deux principales fédérations syndicales. Des
occupations, telles celle qui a eu lieu à Budryk, seraient absolument interdites.
Les principaux syndicats sont ouvertement
opposés aux grèves et collaborent avec l’Etat, la police et le cabinet du
procureur général dans le but de rétablir le contrôle sur les travailleurs qui
sont organisés dans des syndicats plus petits ainsi que sur les couches de
travailleurs non organisés. L’OPZZ a expressément soutenu les réformes qui
restreignent le libre choix des syndicats dans le but d’empêcher
« l’éclatement des syndicats » et de renforcer les
« syndicats représentatifs ».
Dans le climat social actuel, le projet
d’interdire le droit de grève équivaut à une déclaration de guerre contre
la classe ouvrière. Donald Tusk prépare une offensive contre la population
laborieuse au cours de laquelle son gouvernement n’hésitera pas à
recourir aux pouvoirs de la police et même à des mesures encore plus dures. Tusk
est prêt à recourir à l’appareil d’Etat mis en place par son prédécesseur,
les frères Kaczynski, pour défier la population avec l’appui des
bureaucraties de l’OZPP et de Solidarnosc qui sont ses alliés.
Tout dépend du niveau de préparation des
travailleurs pour affronter ce conflit. L’histoire de la Pologne regorge de
cas de luttes combatives et héroïques des travailleurs. Mais le nombre de cas
est tout aussi fréquent où l’élite dirigeante fut en mesure de désarmer
le mouvement ouvrier pour sauvegarder son propre pouvoir. En 1981, sur la base
de la théorie de la soi-disant « révolution autolimitative » avancée
par Jacek Kuron, la direction de Solidarnosc avait refusé de défier la
bureaucratie stalinienne et ouvert la voie à l’instauration de la loi
martiale. En 1989, les mêmes forces furent capables de détourner un mouvement
des travailleurs appelant à la démocratie et à l’égalité sociale en le
dirigeant vers les canaux de la restauration capitaliste et une série
ininterrompue d’attaques contre les droits des travailleurs.
En raison de ces expériences, de nombreux
travailleurs ont tourné le dos aux vieilles bureaucraties et sont en quête de
nouvelles alternatives. Les petits syndicats, tel « Août 80 » qui fut
fondé dans les années 1990 sur des bases extrêmement nationalistes et
droitières, ont amorcé récemment un certain virage à gauche et sont en train de
gagner en influence. Mais il ne suffit pas de tout simplement changer de
syndicat. La politique de Solidarnosc et de l’OPZZ ne s’explique pas
simplement du fait de leur direction corrompue ou de leurs structures
bureaucratiques. La transformation des syndicats est un phénomène international
qui a des causes profondes.
La réémergence de la guerre et du militarisme
et l’imminence d’une récession financière précipitée par le
scandale des prêts hypothécaires aux Etats-Unis donne une idée de la gravité de
la crise du système capitaliste. Dans de telles conditions, une perspective
purement syndicale est vouée à l’échec. Chaque conflit entre les
travailleurs et les entreprises prend immédiatement une tournure politique. La
question qui sous-tend de tels conflits est de savoir si la société doit être
organisée sur la base de la maximisation du profit ou sur la base d’une
planification rationnelle de l’économie dans l’intérêt de la
population en général. Etant donné que les syndicats sont basés sur le principe
de l’accroissement de la valeur de la force de travail des ouvriers au
sein du système capitaliste, ils prennent automatiquement parti pour ce système
en période de crise.
Dans le même temps, la mondialisation de la
production a fauché l’herbe sous les pieds de la réglementation nationale
du marché. Dans leurs luttes pour des salaires plus élevés et pour de
meilleures conditions de travail, les travailleurs sont aujourd’hui, dans
des conditions où à court terme les employeurs peuvent transférer la production
hors des frontières nationales, directement tributaires de leurs collègues dans
les autres pays. Les syndicats, pour leur part, sont organiquement liés à
l’Etat-nation. Leur objectif avait été d’assurer aux travailleurs
une part plus importante du revenu national en réduisant ainsi les antagonismes
entre le travail et le capital. Au fur et à mesure que l’Etat-nation perdait
de l’importance dans la détermination du revenu national, les
bureaucraties syndicales ont réagi en se rapprochant de plus en plus de
l’Etat.
De là on peut avant tout déduire que les
travailleurs requièrent une stratégie internationale. Dans le même temps, il
est tout aussi nécessaire de tirer les leçons de l’histoire polonaise.
Les luttes précédentes avaient été marquées par le manque d’une
perspective politique des travailleurs pour défier à la fois le régime
stalinien et la restauration capitaliste en leur opposant un programme
socialiste authentique. Durant la période d’après-guerre, la bureaucratie
stalinienne avait foulé aux pieds les principes socialistes en établissant sa
propre dictature sur la société. La seule solution aurait été le renversement
de la bureaucratie par une révolution politique basée sur des principes
socialistes. Les crises politiques de 1981 et de 1989 auraient toutes les deux
nécessité un programme qui défende la propriété socialisée en la plaçant sous
un véritable contrôle démocratique ouvrier au lieu de la restituer aux intérêts
capitalistes pour être redistribuée à une infime minorité.
Les conflits qui opposent les travailleurs au
gouvernement Tusk concernent précisément cette question. Ces conflits ne
peuvent pas être gagnés au moyen d’un simple syndicalisme militant ou d’une
perspective nationale. Les conséquences catastrophiques qu’ont entraîné
la restauration capitaliste et la subordination de tous les aspects de la
société à la loi d’airain de la maximisation du profit ne peuvent être combattues
qu’en construisant un parti socialiste international. Tel est
l’objectif du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI)
et du World Socialist Web Site. Nous encourageons nos lecteurs à prendre
contact avec notre comité de rédaction et à contribuer à la construction
d’une section du CIQI en Pologne.