Le professeur Norman Finkelstein, un
universitaire juif américain connu pour ses critiques acerbes formulées contre
la politique d’Israël, a été détenu et interrogé le 23 mai à l’aéroport Ben
Gourion de Tel-Aviv pendant 24 heures par le Shin Bet, les forces de sécurité
israéliennes. Il a été interdit d’entrée en Israël et renvoyé à Amsterdam où il
avait tenu une conférence.
Finkelstein était en route pour Hébron, en Cisjordanie
occupée, pour rendre visite à un ami. Sa déportation et son interdiction de
séjour en Israël pour dix ans pour des « raisons de sécurité » sont
une attaque majeure contre la liberté d’expression, le droit des citoyens
israéliens à entendre un point de vue alternatif ainsi qu’une tentative
d’intimider et de faire taire toute opposition internationale exprimée contre
le brutal traitement israélien des Palestiniens.
Cela révèle également la supercherie d’un Etat
palestinien putatif où Israël contrôle les frontières palestiniennes en
décidant qui peut ou ne peut pas y entrer.
Finkelstein, fils de survivants de
l’holocauste, fait partie d’un nombre croissant d’érudits juifs qui ont apporté
une contribution précieuse à l’étude de l’histoire israélienne et que l’on
désigne à présent comme les historiens « nouveaux » ou
« révisionnistes ». Des années durant, il a été le point de mire de
l’opposition permanente exercée contre lui par des professeurs de droite et des
médias pro-israéliens. Il a été visé en particulier pour son opposition aux
accusations d’anti-sémitisme qui sont faites dans le but d’étouffer toute
critique des violations israéliennes des droits de l’homme et de la loi
internationale.
Ce professeur en science politique de 55 ans
est surtout connu pour son livre paru en 2000 et intitulé The Holocaust
Industry (L’industrie de l’holocauste) dont le sujet principal est
l’exploitation de l’holocauste à des fins – soutien pour Israël et appels au
paiement de réparation — qui n’ont rien à voir avec la vérité historique ou les
victimes du génocide nazi. Finkelstein a également rédigé des études critiques
sur le livre de Daniel Goldhagen, Hitler’s Willing Executioners, (Les
bourreaux volontaires de Hitler), qui affirmait que la cause de l’holocauste pourrait
avoir sa source dans l’antisémitisme inhérent au peuple allemand dans son
ensemble.
Dans son tout dernier livre Beyond
Chutzpah : On the Misuse of Anti-Semitism and the Abuse of History (Au
delà du Chutzpah: de l’usage contestable de l’antisémitisme et l’abus de
l’histoire), Finkelstein continue à traiter ces mêmes sujets ainsi qu’à
documenter en détail les violations des droits de l’homme par l’Etat d’Israël.
Parmi les personnes ciblées dans le livre, publié par les Presses de
l’université de Californie, figurent le professeur de droit à l’université de
Harvard, Alan Dershowitz, et d’autres personnes qui ont recouru à l’accusation
d’antisémitisme pour étouffer toute critique de la politique israélienne.
L’année dernière, Finkelstein s’est vu refuser
le poste de professeur titulaire à l’université DePaul de Chicago où il était
chargé de cours depuis six ans, en dépit du soutien de son service, de ses
étudiants et du conseil des facultés de l’université suite à la pression
exercée par ses adversaires qui ne partagent pas ses opinions, y compris
Dershowitz. Après que ses cours ont été annulés pour sa dernière année
universitaire 2007-2008, son bureau lui a été interdit et il a dû démissionner
sous la contrainte.
Après sa descente d’avion, vendredi dernier à
Tel-Aviv, le Shin Bet a détenu Finkelstein dans une cellule de l’aéroport pour
l’interroger sur ses contacts avec le Hezbollah — contre lequel Israël avait
mené en 2006 une offensive aérienne de 33 jours – dans le but de savoir si
celui-ci l’avait envoyé en Israël, s’il avait eu des contacts avec al-Qaïda et
comment il avait l’intention de financer son séjour en Israël.
En début d’année, Finkelstein s’était rendu au
Liban où il avait été invité à parler lors d’une conférence à l’université
américaine de Beyrouth. Il avait également entrepris une tournée en vue de
promouvoir son livre, accompagné de son éditeur arabe et de représentants du
Hezbollah du sud Liban. Par la suite, il a publié des articles sur son voyage
au Liban.
Sur son site web Finkelstein a affiché des
extraits d’une interview qu’il avait accordée en janvier à la télévision
libanaise et dans laquelle il disait qu’il avait été « heureux de
rencontrer les gens du Hezbollah parce que c’est une opinion rarement entendue
aux Etats-Unis ».
Le processus d’interrogatoire du Shin Bet
insinue que Finkelstein est un partisan du Hezbollah ou qu’il est même à sa
solde. De plus, laisser entendre qu’il est aussi lié à al-Qaïda est encore plus
absurde, d’autant plus que le Hezbollah est un parti chiite tandis qu’al-Qaïda
est un groupement musulman sunnite.
Le Shin Bet a dit que Finkelstein
« n’était pas autorisé à entrer en Israël en raison de soupçons qui
pesaient sur lui et de son implication avec des éléments hostiles au
Liban » et parce qu’il « n’avait pas donné aux interrogateurs
l’ensemble des données relatives à ces soupçons ».
Finkelstein a nié ceci dans une déclaration
adressée d’Amsterdam par courriel au journal israélien Ha’aretz. Il a
écrit, « J’ai fait de mon mieux pour fournir des réponses absolument
sincères et détaillées à toutes les questions qui m’ont été posées. Je suis sûr
de n’avoir rien à cacher. Hormis mes opinions politiques et les études que j’ai
menées pour les étayer il n’y a pas grand-chose à dire à mon sujet :
hélas, pas de mission suicide ou de rendez-vous secret avec des organisations
terroristes. » Il a ajouté, « j’appuie la solution des deux Etats
basée sur les frontières de 1967 et j’ai dit à mes interrogateurs que je ne
suis pas un ennemi d’Israël ».
Il a expliqué qu’il était « en route vers
la Palestine pour y rencontrer l’un de mes plus vieux et chers amis, Musa
Abu-Hashhash ».
Finkelstein a dit s’être rendu tous les ans en
Israël au cours de ces 15 dernières années. Il a ajouté qu’il avait été détenu
dans une cellule et qu’il avait connu « quelques moments déplaisants avec
les gardiens ». Finalement, il a utilisé le téléphone portable d’un autre
détenu pour appeler un autre ami qu’il envisageait de rencontrer en Israël, le
journaliste Allan Nairn, qui à son tour a contacté un avocat, Michael Sfard.
Sfard a vu Finkelstein pour lui dire qu’il pourra faire appel contre cette
interdiction. Il a dit que la décision d’interdire à Finkelstein d’entrer dans
le pays « rappelle les pratiques des pays du bloc soviétique ».
Néanmoins, Finkelstein a dit qu’il n’était pas
dans « ses intentions de poursuivre l’affaire », bien que des avocats
en Israël l’encourageaient à le faire pour des motifs politiques.
Selon le Jerusalem Post, Finkelstein a
dit qu’il n’est pas « dogmatique ou fanatique » et alors qu’il croit
que chaque pays a le droit d’interdire l’entrée de son pays, il n’approuve pas
les critères. « Tout comme je serais contre le fait que les Etats-Unis
interdisent l’entrée du pays pour des croyances idéologiques, je le serais aussi
pour Israël », a-t-il dit.
Il a également nié représenter une menace pour
Israël. « Je ne pourrais pas être [une menace] en raison d’un risque
sécuritaire », a dit Finkelstein. « Les Etats-Unis disposent de lois
anti-terroristes tout aussi draconiennes qu’Israël, et le Hamas et le Hezbollah
figurent sur leur liste antiterroriste. Si je représentais une menace
sécuritaire, c’est d’une prison que je m’entretiendrais avec vous. Mais comme
aucune autorité ne m’a contacté, c’est infondé. »
Finkelstein n’avait pas l’intention de se
rendre en Israël, mais il était tenu de passer par les douanes israéliennes
« du fait de la situation », pour rendre visite à un ami à Hébron.
« Israël a le droit de décider qui entre ou non dans son pays, mais la
Cisjordanie n’est pas son pays », a dit Finkelstein. « Il se peut
qu’un jour l’Autorité palestinienne limite mes droits, mais cela regarde
l’Autorité palestinienne », a-t-il poursuivi.
L’association pour les droits civiques en
Israël a qualifié la déportation de Finkelstein d’attaque à la liberté
d’expression. « La décision d’empêcher quelqu’un d’exprimer ses opinions
en l’arrêtant et en l’expulsant est typique d’un régime totalitaire. Un Etat
démocratique où la liberté d’expression est le principe le plus élevé n’étouffe
pas la critique ou les idées pour la simple raison qu’il est embarrassant pour
les autorités de les entendre. Il les confronte dans un débat public », a
dit Oded Peler, l’avocat de l’association.
La décision de déporter Finkelstein est en
nette opposition avec la volonté d’Israël de laisser entrer, à la fois en
Israël et en Cisjordanie, des religieux fanatiques quasi-fascistes d’extrême
droite venant des Etats-Unis et de Russie et qui ont été impliqués dans toutes
sortes d’attaques provocatrices, criminelles et meurtrières contre les
Palestiniens.
Le refus de laisser Finkelstein entrer en
Israël est particulièrement révélateur vu qu’Israël permet à chaque Juif
d’exercer son droit de vivre en Israël en tant que citoyen de ce pays,
contrairement aux Palestiniens qui ont fui leur domicile en 1948 et en 1967 et
à qui on interdit l’entrée ou le droit au retour conformément à la Loi du
retour qui est fondamentale à l’Etat sioniste. Cela prouve que les forces de
sécurité se réservent le droit d’interpréter la loi comme bon leur semble.
Israël est terre d’accueil pour les Juifs de la diaspora uniquement à la
condition qu’ils ne critiquent pas son expansionnisme militaire et son
oppression du peuple palestinien.
La mesure d’interdiction de séjour qui frappe
tout universitaire critiquant la politique d’Israël est d’autant plus
remarquable qu’Israël aime à se présenter dans la région comme un pays phare en
matière de démocratie. En réalité, Finkelstein n’est pas le premier à avoir été
refoulé : Israël refoule régulièrement des universitaires pro-palestiniens
et des militants pour la paix qui font preuve de soutien aux militants
palestiniens.
Ceci montre aussi que les opérations et les
décisions du Shin Bet ne sont soumises à aucune forme de contrôle judiciaire.
Les avocats israéliens disent que les perspectives d’annulation de
l’interdiction d’entrée de Finkelstein sont maigres. Selon Ha’aretz la
cour n’intervient pas une fois que le Shin Bet a décidé que quelqu’un
représentait un risque sécuritaire. Les autorités d’immigration peuvent
empêcher des touristes d’entrer dans le pays sans même avoir à fournir la
moindre explication.
Un article de Ha’aretz a affirmé,
« Compte tenu de ses opinions inhabituelles et extrêmement critiques, l’on
ne peut écarter le soupçon que l’interdiction d’entrer en Israël était plus une
punition qu’une précaution. »
« Le Shin Bet affirme que Finkelstein
représente un risque sécuritaire. Mais il est plus raisonnable de supposer que
Finkelstein est persona non grata et que le Shin Bet dont l’influence a pris des
proportions alarmantes a saisi l’occasion de ses rencontres avec des
responsables du Hezbollah pour le punir », a poursuivi l’article
(soulignement ajouté).
Le fait d’attaquer un critique libéral
d’Israël reflète à quel point la situation est tenduecôté israélien.
Confronté à l’opprobre international et à la dissidence intérieure en raison de
son traitement brutal des Palestiniens et de son attitude belliqueuse envers
l’Iran, Israël recourt à ses forces de sécurité pour étouffer l’opposition et
pour sauvegarder l’hégémonie politique de l’élite financière et industrielle à
Tel-Aviv et à Washington.
Si la presse libérale israélienne a été
touchée au point d’exprimer une certaine inquiétude quant à la déportation de
Finkelstein, on ne peut en dire autant de la presse occidentale. La presse
américaine n’en a presque pas parlé. Le New York Times en particulier
n’a pas mentionné le refoulement de l’un des résidents new-yorkais les plus
connus.
En Grande-Bretagne, le Guardian en a
parlé, mais sans le traiter dans un éditorial ou un article dans la rubrique
« éditorial et opinion ». Il a publié par la suite deux lettres. La
première était de Dershowitz qui a consacré plus d’espace à justifier la
décision de refuser le poste de professeur titulaire à Finkelstein en raison de
son manque d’érudition et de professionnalisme qu’à s’opposer à l’interdiction
d’entrer en Israël. La seconde émanait du BICOM, le centre anglo-israélien de
communications et de recherche, qui a affirmé que la décision d’Israël était
tout à fait légitime.
Le silence de la presse libérale en dit long
sur son attitude à l’égard des droits démocratiques et de la liberté
d’expression. Le silence vaut consentement. Elle ne critique pas les actions
d’Israël parce qu’elle les soutient.