Lundi dernier, l’explosion d’une bombe dans un
train bondé à la gare Dehiwela à Colombo, capitale sri-lankaise, a tué 9
banlieusards et blessé environ 80 autres. L’explosion a eu lieu aux environs de
17 heures 30 et visait délibérément les gens ordinaires qui rentraient de leur
travail. Quelle que soit la personne responsable, l’attentat à la bombe était
un acte criminel destiné à attiser les tensions communautaires en pleine guerre
civile.
Le gouvernement de Colombo et le ministère de
la Défense ont immédiatement accusé les Tigres de libération de l’Eelam tamoul
(LTTE), parti séparatiste, mais sans fournir le moindre élément de preuve. La
police a affirmé qu’une bombe pesant 2,5 kg avait été déposée dans un filet à
bagages du cinquième compartiment. Le lendemain, la police a dit avoir
interpellé un suspect tamoul originaire de la péninsule de Jaffna dans le nord
du pays et qui vivait à Dehiwela.
Bien qu’il n’ait fait aucune déclaration, le
LTTE est certainement capable d’un tel attentat et a, avant cela, visé des
civils innocents dans le sud de l’île à prédominance cinghalaise. En février,
un kamikaze avait frappé à la gare de Colombo, Fort Railway Station, tuant 14
personnes. En juillet 1996, le LTTE avait commis un attentat à la bombe près de
Dehiwela et qui avait entraîné la mort de plus de 56 personnes et blessé quelque
200 autres.
Le LTTE avait accusé l’une des unités
militaires de pénétration profonde d’avoir posé le 23 mars la bombe qui avait
détruit une estafette et tué 16 civils, y compris quatre enfants de moins de 12
ans. L’explosion avait eu lieu dans un territoire contrôlé par le LTTE et
proche de Kilinochchi. Bien que l’armée ait nié toute responsabilité, ses escadrons
secrets à longue portée et ses alliés paramilitaires sont les suspects les plus
probables.
Il est possible que le LTTE ait commis
l’attentat à la bombe du 26 mai à la gare Dehiwela par représailles. Tout comme
l’establishment politique de Colombo, le LTTE se base sur la politique
communautaire, en accusant le « peuple cinghalais » pour la guerre
réactionnaire qui est perpétrée par le gouvernement et l’armée. Le fait de
viser d’innocents civils cinghalais ne fait qu’accroître les tensions communautaires
et joue directement dans les mains du gouvernement.
Il ne peut pas être écarté cependant que
l’armée ou les paramilitaires associés aient commis l’attentat de Dehiwela.
Après avoir replongé en 2006 l’île dans la guerre, le président Mahinda Rajapakse
doit faire face à une crise politique et économique grandissante. Les
offensives de l’armée dans le nord ont clairement échoué et la coalition
dirigeante chancelante est confrontée à un mécontentement croissant au sujet de
la guerre et de son impact économique. Les prix des aliments, du pétrole et
d’autres denrées de base s’envolent.
Le gouvernement Rajapakse a de plus en plus
souvent recours à des méthodes antidémocratiques pour étouffer toute opposition
de la part des médias, des travailleurs en grève et des agriculteurs en colère.
L’état d’urgence qui est en vigueur confère au président des pouvoirs
militaires et policiers extraordinaires y compris le placement en détention
sans jugement. Des centaines de personnes ont « disparu » ou ont été
assassinées par des escadrons de la mort pro gouvernement.
L’armée est tout à fait capable de commettre
un attentat à la bombe à Colombo pour ensuite accuser le LTTE et attiser
davantage encore la haine communautaire. Durant plus de six mois après que Rajapakse
ait remporté les élections en novembre 2005, l’armée et ses alliés
paramilitaires ont mené une guerre ouverte de provocation et de meurtre dans l’est
et le nord du pays et qui avait pour but d’affaiblir le LTTE pour l’inciter à
prendre des mesures de représailles. Ceci a créé les conditions permettant à Rajapakse
de lancer en juillet 2006 des offensives ouvertes et de briser officiellement
en janvier de cette année le cessez-le-feu de 2002.
Les unités de renseignement militaire sont
bien connues pour effectuer des opérations sales. En février de l’année
dernière, l’armée a détenu les dirigeants de l’Organisation de libération
révolutionnaire (RLO) inconnue jusque-là. Durant des interrogatoires, les
détenus auraient avoué avoir reçu un entraînement et des armes du LTTE et avoir
été impliqués dans plusieurs attentats à la bombe dans le sud. Le gouvernement
et l’armée les ont accusés d’être des « Tigres cinghalais » et a
exploité toute cette publicité pour détourner l’attention de ses pratiques
abusives à l’encontre des droits démocratiques.
Le blitz de propagande s’est retourné contre
lui lorsque le Sunday Leader et le Ravaya ont révélé que le
service du renseignement militaire avait été impliqué dans ces activités. L’un
de ses agents, « Sharmal », avait infiltré le RLO, avait pris part à
l’entraînement procuré par le LTTE, était responsable de l’armement et avait
organisé au moins un attentat à la bombe. Sharmal disposait de contacts au plus
haut niveau dans la hiérarchie et avait été présenté par Wimal Weerawansa,
l’ancien dirigeant du groupe parlementaire du parti cinghalais extrémiste Janatha
Vimukthi Peramuna (JVP), au secrétaire d’Etat à la Défense, Gotabhaya Rajapakse,
frère du président.
Plus de quinze mois plus tard, ces prétendus
membres de RLO dont certains sont employés aux chemins de fer, sont encore
détenus sans chef d’accusation. Le gouvernement a utilisé leur arrestation pour
intimider et menacer non seulement les cheminots, mais aussi d’autres sections
de la classe ouvrière qui sont engagées dans des campagnes pour une hausse des
salaires et contre des projets de privatisation.
De plus en plus souvent, le gouvernement Rajapakse
et l’armée agissent au-dessus des lois. Pratiquement personne n’a eu de compte
à rendre pour les nombreux meurtres, disparitions et autres actes crapuleux qui
ont été commis au cours de ces deux dernières années contre des opposants et
des soi-disant sympathisants du LTTE. Le 22 mai, un journaliste influent de la Nation,
Keith Noyahr, a été enlevé et abandonné près de son domicile muni d’un
avertissement de ne plus rien écrire sur la guerre. Rajapakse a annoncé
l’ouverture d’une enquête, mais l’on peut dire d’avance qu’aucun examen sérieux
de l’implication des forces armées dans cet incident n’aura lieu.
Mardi dernier, le secrétaire de la Défense, Gotabhaya
Rajapakse a convoqué les dirigeants de l’Association des journalistes du Working
Journalists’ Association, Poddala Jayantha et Sanath Balasooriya pour une mise
au point de la couverture médiatique des questions militaires. Il les a clairement
mis en garde contre des reportages critiques sur le gouvernement et la guerre.
Conformément à plusieurs articles, le secrétaire de la Défense les a avertis
qu’ils pourraient être mis en danger par des personnes « vénérant »
le commandant en chef de l’armée, le général Sarath Fonseka.
Le gouvernement a profité de l’attentat de Dehiweha
pour justifier la guerre. S’adressant à un groupe choisi de représentants des
médias, le président Rajapakse a déclaré : « Personne ne devrait
s’attendre à ce qu’il y ait un fléchissement dans le combat mené contre le
terrorisme en raison des attaques frénétiques du LTTE. » Il a ajouté sur
un ton hystérique : « Prenez-moi pour cible et épargnez les civils
parce que je suis responsable pour ce qui est fait au LTTE. »
Quelle que soit la personne qui ait perpétré
l’attentat, ceci a certainement procuré une diversion utile au gouvernement qui
est confronté à une colère populaire d’envergure concernant la détérioration du
niveau de vie. Pas plus tard que la semaine dernière, les prix de l’essence, du
diesel et du kérosène ont été augmentés d’environ 25 pour cent, s’ajoutant
ainsi au coût du transport et d’autres denrées de base. Alors que
l’augmentation internationale des prix est une partie intégrante de ces
augmentations, les énormes dépenses militaires contribuent à aggraver
l’inflation qui a atteint près de 30 pour cent en avril.