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Dans les deux mois qui ont suivi son interview télévisée du 24 avril sur les chaînes nationales, le président français Nicolas Sarkozy a annoncé ou fait voter une série de mesures socialement régressives en dépit de l’hostilité populaire massive et de la colère devant l’inaction de l’Etat face à l’inflation rapide des prix des carburants et des produits d’alimentation. Néanmoins le 17 juin, la dernière grève à l’appel des syndicats contre cette politique n’a pas été très suivie et il n’y a actuellement plus aucune manifestation nationale de prévue.
La chute du nombre de manifestants ne peut être attribuée à un soutien grandissant pour Sarkozy. Dans un sondage BVA daté du 24 juin pour le quotidien économique Les Echos, 63 pour cent des sondés ont dit désapprouver la politique économique de Sarkozy et 71 pour cent ont exprimé leur manque de confiance en sa capacité à réduire l’inflation. La cote de popularité de Sarkozy se situe à 36 pour cent. Le directeur de la Banque de France, Christian Noyer et celui de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet ont tous deux appelé à ce que les hausses de salaire soient maintenues en dessous des augmentions du prix des carburants et des produits alimentaires, ce qui contribuera encore à appauvrir les travailleurs. Le climat populaire en France est de plus en plus à l’amertume et à la colère.
Comme le reconnaissent maintenant largement de nombreux commentateurs, la traîtrise de la bureaucratie syndicale a été le principal élément qui a brisé et isolé l’opposition des travailleurs à la politique gouvernementale. Par une lutte coordonnée, les millions de travailleurs des transports ferroviaires, de la poste, de l’éducation, de l’industrie, des ports, de la restauration, de la distribution, de la pêche, des transports routiers et les ambulanciers qui ont fait grève ces derniers mois auraient pu facilement paralyser l’économie, remettre en question directement l’existence même du gouvernement et de son programme d’attaques sociales. Mais une telle lutte n’est possible que s’il existe une direction politique révolutionnaire dans la classe ouvrière.
Sarkozy n’a pas trouvé un tel adversaire dans la bureaucratie syndicale qui a au contraire cherché à démanteler et à démoraliser l’opposition des travailleurs, tout en proclamant en même temps son accord et sa collaboration avec le gouvernement.
Dans une interview accordée au Financial Times le 18 avril, le dirigeant CGT (Confédération générale du travail) Jean-Christophe Le Duigou a fait l’éloge de Sarkozy en disant, « Il comprend que nous devons donner une place au dialogue. [...] Tout le monde pense que les choses doivent changer. » Sarkozy qui avait reconnu dans un éditorial du Monde le 18 avril que toutes ses réformes avaient été préparées à l’avance avec les syndicats, avait fait leur éloge lors de l’interview télévisée du 24 avril : « Je veux rendre hommage aux syndicats. [...] On ne peut pas gouverner un pays sans de forces syndicales responsables. »
Cela se passait au moment où la bourgeoisie française était confrontée à des manifestations répétées de lycéens s’opposant aux suppressions de postes et aux réformes des programmes dans l’Education nationale; à des travailleurs sans-papiers dans les secteurs de la restauration et du bâtiment réclamant leur régularisation ; à des grèves de travailleurs portuaires dans les principaux ports commerciaux. Dans une série inhabituelle de grèves du secteur privé, les travailleurs de Coca-Cola, des magasins Carrefour, de Virgin Megastore, de la Redoute ont fait grève contre l’inflation et pour des augmentations de salaire, et les travailleurs d’Airbus ont fait grève contre la vente de leurs usines en France et en Allemagne.
Après l’interview télévisée de Sarkozy, dans laquelle il avait annoncé sa détermination à poursuivre ses réformes, les syndicats se sont sentis obligés d’organiser un semblant d’opposition concertée. Mais ils ont compté sur des tactiques bien éprouvées pour diviser le mouvement : appeler régulièrement à des actions d’une journée sur des questions séparées, diviser les manifestations entre les différentes fédérations syndicales, sans cesser en même temps de négocier avec les représentants de l’Etat. L’objectif était d’empêcher que les grèves ne se rejoignent et ne puissent perturber l’économie et ne présentent devant la classe ouvrière la possibilité d’une lutte unie contre l’ensemble du programme économique de Sarkozy.
Le 1er mai, 200 000 travailleurs ont défilé dans tout le pays, bien que les syndicats Force ouvrière et la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) aient organisé des défilés séparés. Les syndicats avaient prévu pour le 15 mai une manifestation conjointe des travailleurs de la fonction publique contre les suppressions de postes dans l’enseignement et la fonction publique. Quand le 7 mai, le ministre du Travail Xavier Bertrand a confirmé son projet de faire passer de 40 à 41 années la durée de cotisation ouvrant droit à une retraite complète, les syndicats n’ont pas appelé les autres travailleurs touchés par cette mesure, dont les cheminots, les travailleurs du transport aérien, de l’énergie, de Telecom et de la poste, à rejoindre l’action du 15 mai, mais ont plutôt appelé à une journée d’action séparée le 22 mai.
Durant la manifestation du 15 mai, plus de 300 000 personnes ont défilé et un million de travailleurs ont fait grève ; cela a été suivi par la manifestation pour les droits à la retraite le 22 mai où 700 000 personnes ont défilé dans tout le pays.
Le jour suivant, les syndicats signaient un accord sur le « dialogue social » et les conditions d’emploi dans le service public. En signant un accord que les grèves des travailleurs du secteur public avaient pour but d’empêcher, les syndicats ont, dans les faits, torpillé la mobilisation des travailleurs du secteur public. Le 24 mai, une manifestation contre les suppressions d’emplois dans l’éducation n’a réuni que 7000 personnes à Paris.
Au moment des grèves croissantes des marins-pêcheurs les 26 et 27 mai sur la question du prix des carburants, les syndicats ont décidé de ne pas appeler à d’autres grèves contre les suppressions de postes dans l’éducation, au motif qu’il était nécessaire de laisser lycéens et enseignants travailler pour les examens de fin d’année. Une déclaration commune des syndicats de l’éducation des différentes confédérations syndicales déclarait qu’elles « renvoy[aient] la question d'une suite à leur mouvement après les vacances d'été ».
Le 10 juin, la mobilisation des fonctionnaires et des cheminots contre les suppressions de postes, la réforme des retraites et la réforme du fret à la SNCF a eu lieu alors que se déroulaient des grèves de travailleurs dans les ports commerciaux stratégiques contre la privatisation, ainsi que des grèves de pêcheurs, de transporteurs routiers et d’ambulanciers et fermiers contre la hausse des prix du gazole. Mais les syndicats n’ont aucunement cherché à organiser une grève plus large du secteur des transports contre la privatisation et la hausse du prix des carburants.
Le 11 juin, les syndicats ont signé un accord sur « seize points de convergence » avec le ministre de l’Education nationale Xavier Darcos, torpillant la relance du mouvement des lycéens après les grandes vacances ce qu’ils avaient faussement suggéré être en train d’envisager le 27 mai. Les 12 et 13 juin, le parlement votait des lois de réforme et de déréglementation du marché du travail, la précédente ayant été signée par les syndicats en janvier. Ces actes montrent de plus en plus clairement aux travailleurs que les syndicats ne s’opposent pas sérieusement au gouvernement, lequel n’a aucune intention de céder devant des grèves isolées.
La manifestation du 17 juin pour les droits de retraite et contre le démantèlement de la semaine de 35 heures, démantèlement auquel les syndicats eux-mêmes avaient participé dans une « position commune » avec les organisations patronales en avril, a rassemblé 500 000 travailleurs dans tout le pays. Des manifestants interviewés par le WSWS remettaient en question les motifs des syndicats et l’utilité des luttes qu’ils menaient. Après la manifestation, le dirigeant de la CFDT (Confédération française démocratique du travail) François Chérèque a expliqué « Nous voulons reprendre le dialogue » avec les employeurs, tandis que le dirigeant de la CGT Bernard Thibault suggérait une autre mobilisation, mais étrangement proposait de la remettre à après les grandes vacances, soit en octobre.
Le discrédit des syndicats est source de grande inquiétude pour le gouvernement de Sarkozy qui craint de perdre sa méthode la plus efficace pour briser l’opposition de la classe ouvrière. Le quotidien Le Monde écrivait le 24 juin : « A l'Elysée] on veille aussi, comme le précise le conseiller social du président, Raymound Soubie, à ce qu'il n'y ait pas "un affaiblissement des syndicats et l'apparition de mouvements incontrôlés" ».
Le commentaire de Soubie explique très bien le rôle de la bureaucratie syndicale : une camisole de force contrôlant les mouvements de la classe ouvrière.
(Article original anglais paru le 30 juin 2008)
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