Un rapport à donner froid dans le dos, rédigé
par une équipe de militaires de haut rang des Etats-Unis et de leurs alliés de
l’OTAN, déclare que cette alliance militaire doit se préparer, du fait des
« menaces asymétriques et des défis internationaux » auxquels fait
face l’Occident, à lancer « en premier » des frappes nucléaires
préventives.
« L'emploi “en
premier“des armes nucléaires doit rester, dans la panoplie de
l'escalade, comme ultime instrument pour empêcher l'usage d'armes de
destruction massive, en vue d'éviter de vrais dangers existentiels » déclare le document qui porte le titre « Vers une stratégie
d’ensemble pour un monde incertain : renouveler le partenariat
transatlantique ».
Parmi les auteurs du document qui a été soumis
au Pentagone et au commandement de l’OTAN, il y a le général en retraite John Shalikashvili
qui a été chef d’état-major des armées sous l’administration Clinton ainsi que les
anciens chefs des forces armées d’Angleterre, de France, d’Allemagne et de
Hollande.
Selon un rapport publié mardi dans le
quotidien britannique The Guardian « Ce manifeste a été écrit à la
suite de discussions avec des officiers du commandement en activité et des
hommes politiques dont bon nombre ne peuvent ou ne veulent pas exprimer leur
opinion en public ». On s’attend à ce que ce soit là un des principaux
sujets de discussion au sommet de l’OTAN qui doit se tenir à Bucarest en
avril.
Ce rapport présente une image sinistre du
vingt-et-unième siècle, décrivant les principales puissances occidentales comme
des nations assiégées par des ennemis réels ou potentiels et par des
changements réels dans la situation mondiale.
Il attire l’attention sur la croissance de la
population et sur le changement climatique comme des faits exacerbant les
conflits internationaux et il met en garde sur le fait que le terrorisme, la
prolifération des armes de destruction massive, la lutte pour des
« ressources raréfiées », en particulier le pétrole, représentent de
nouveaux dangers. Il identifie aussi la Chine, la Russie et l’Iran comme des
ennemis réels ou potentiels.
En réponse à ces prétendues menaces, le
rapport appelle l’OTAN à adopter une stratégie de la « domination de
l’escalade, soit l’utilisation de toute une collection de carottes et de bâtons
et en fait, de tous les instruments de pouvoir, doux et durs, allant de la
protestation diplomatique aux armes atomiques ».
Il avertit de ce que « les formes et les
méthodes traditionnelles des gouvernements et des organisations
internationales », en particulier celles de l’ONU, sont incapables de
procéder avec suffisamment de rapidité pour garantir une telle domination et
que par conséquent une refonte de l’OTAN est nécessaire afin de créer un
instrument adéquat pour une intervention au niveau mondial.
Sur un ton qui rappelle les élucubrations du
Docteur Folamour, le rapport dit : « Les armes atomiques sont le
dernier instrument d’une réponse asymétrique et en même temps l’outil ultime de
l’escalade. »
Il ajoute: « Malheureusement, les armes
atomiques, et avec elles l’option du premier emploi, sont indispensables
puisqu’il n’y a tout simplement pas de perspective réaliste d’un monde sans
armes nucléaires. Au contraire, le risque est imminent que la prolifération
continue et avec elle le danger que la guerre nucléaire, de nature limitée
certes, devienne possible…..En somme, les armes nucléaires restent
indispensables et l’escalade nucléaire continue de rester un élément dans toute
stratégie moderne. »
Le rapport se met alors à décrire
l’« escalade militaire » comme le « dernier pas dans la réponse
symétrique, et en même temps la façon la plus forte de créer l’incertitude dans
l’esprit de l’adversaire ».
Si les passages sur la perspective d’une
frappe nucléaire préventive ne nomment aucune cible spécifique, il n’y a guère
de doute que l’« adversaire » immédiat, dans l’esprit des auteurs du
rapport, est l’Iran. Le document décrit de façon perverse une frappe nucléaire « en
premier » comme un instrument destiné à empêcher la prolifération des
armes nucléaires.
L’Iran est « éminemment suspect de
posséder un programme nucléaire militaire », déclare le rapport. Il
poursuit en disant que « la volonté des Etats-Unis et de leurs alliés de
débarrasser le monde des deux terribles régimes de Saddam Hussein et des
Talibans a laissé un vide dans lequel l’Iran pénètre, tandis que le monde est
incapable de contenir [son] influence grandissante dans la région ».
« En tant que puissance nucléaire, poursuit-il,
l’Iran pourrait devenir insensible à des sanctions internationales. De plus, il
dominerait la région, qui possède les réserves de pétrole et de gaz naturel les
plus importantes au monde. »
Ce dernier point est clairement la principale
préoccupation de l’élite dirigeante, tant aux Etats Unis qu’en Europe. C’est
l’inquiétude que les principales puissances seraient confrontées à un défi
direct au contrôle des ressources énergétiques stratégiques dominées
actuellement par les compagnies pétrolières multinationales.
Le rapport répète, dans l’ensemble, des
positions déjà énoncées par l’administration Bush qui a souligné de façon
répétée que, dans sa guerre mondiale contre le terrorisme et sa confrontation
avec les prétendus « Etats voyous » elle envisageait « toutes
les options », y compris celle de l’emploi d’armes nucléaires.
En 2002, l’administration américaine avait
rédigé une Revue de posture nucléaire (Nuclear Posture Review) qui
définissait le type de politique de la frappe nucléaire en premier, mise en
avant dans le rapport de l’OTAN. Ce document déclarait que les Etats-Unis
« se réservaient le droit de réagir à l’aide de force massive y compris
par l’emploi d’armes nucléaires, à l’utilisation d’ADM [armes de destruction
massive] contre les Etats-Unis, nos forces à l’étranger ou nos alliés et
amis ». Il affirmait ensuite que les Etats-Unis devaient développer
« les capacités de détecter et de détruire les capacités des ADM de
l’adversaire avant que ces armes ne soient utilisées ».
En 2006, le journaliste d’investigation
Seymour Hersh avait cité des sources militaires et des services de
renseignement dans un rapport révélant que l’administration Bush avait fait des
plans pour une attaque préventive de l’Iran ; ceux-ci comprenaient l’utilisation
d’« engins nucléaires tactiques » dans le but d’anéantir non
seulement le programme nucléaire de ce pays, mais encore une grande partie de
ses forces armées et de son infrastructure de base.
Le document soumis à l’OTAN par les anciens
chefs des armées reprend la logique tordue utilisée par l’administration Bush
dans sa tentative de justifier une politique de la guerre préventive.
« L’utilisation de réponses militaires à
un stade précoce est souvent lié à la prévention ou à la préemption, qui sont
toutes deux des éléments de la stratégie moderne », déclare-t-il.
« Toutes deux sont applicables au cours d’un conflit ou d’une crise et
aucune n’est liée de façon nécessaire à un ensemble précis d’instruments, tel
que l’armée. La préemption est la réponse réactive, pour le cas où l’action
d’un adversaire est considérée comme imminente, tandis que la prévention est
une démarche proactive destinée au déni et par conséquent à la conclusion du
conflit, dans une situation où la menace n’est pas encore imminente, mais où
les preuves montrent sans l’ombre d’un doute que le conflit est inévitable. La
préemption est largement considérée comme un acte d’autodéfense en vertu du
droit international coutumier, tandis que la question de la légalité d’une
utilisation préventive de la force reste pour l’instant sans réponse. »
Il s’agit là d’une falsification délibérée et
qui n’a pas de sens. Selon le droit international, « un usage préventif de
la force » ne se distingue pas d’une agression illégale, une « guerre
du choix » lancée par un pouvoir militaire pour éliminer une menace qu’il
perçoit pour l’avenir et qui le mettrait dans une situation de désavantage
stratégique. Au procès de Nuremberg, où fut jugée la direction national-socialiste,
une telle guerre avait été décrite comme le « crime international
suprême ».
Alors que le rapport produit par les ex-chefs
des armées préconise pour l’OTAN le rôle d’un « fournisseur global de
sécurité » indépendant des Nations unies et du droit international, et à
chaque fois que cela est nécessaire, prêt à défier ces deux instances, le gros
du document consiste en une critique inquiète de l’état actuel de l’Alliance
Atlantique.
Il déclare par exemple que les interventions
en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan et en Irak ont toutes été caractérisées
par l’« absence d’objectif politique proprement défini, l’absence d’une
stratégie d’alliance intégrée pour parvenir à cet objectif et l’absence d’une
capacité permettant de réaliser cette stratégie ».
Il ajoute : « De plus, les nations ont
en général imposé trop d’oppositions quant à l’utilisation de leurs forces
armées nationales. Il existe une mauvaise volonté de la part des nations à
transférer l’autorité au commandement opérationnel une fois qu’on se trouve sur
le théâtre des opérations. Enfin, il y a une tendance de la part des nations à
ne pas fournir assez de ressources aux opérations menées. »
Ces déclarations semblent être un reflet
direct des divisions acerbes qui se sont manifestées entre Washington et ses
alliés au sein de l’OTAN en Afghanistan, où les Etats-Unis ont été forcés
d’envoyer des milliers de marines supplémentaires à cause du refus de
l’Allemagne, de la France et de l’Italie d’envoyer plus de troupes ou du fait
qu’elles ont décrété des restrictions aux règles d’engagement pour celles
qu’elles ont déjà envoyées. En même temps, les membres européens de l’OTAN ont
critiqué l’armée américaine pour son usage exagéré de la force, qu’ils ont
rendu responsable de la résistance croissante dans le pays occupé.
Une section du document propose des
changements importants dans la structure du commandement de L’OTAN afin de lui
permettre de « réagir à bref délai et de conduire des opérations à un haut
rythme opérationnel ».
Ces changements comprennent le passage de
décisions consensuelles à l’OTAN à des votes à la majorité afin d’empêcher les
dissensions de bloquer les interventions militaires. Le document exige aussi la
fin de toutes les « oppositions » nationales limitant l’utilisation
des forces armées européennes comme en Afghanistan et les plaçant sous un
commandement centralisé et absolu de l’OTAN.
Le document appelle à ce que l’OTAN nie tout
droit de parole dans les opérations militaires de l’Alliance aux pays membres
qui ne contribuent pas de forces militaires pour les effectuer. Il défend aussi
explicitement le fait que l’OTAN soit prête à effectuer des actions militaires
sans autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies lorsqu’« une
action immédiate est requise pour protéger un grand nombre d’êtres
humains ».
Dans ses conclusions le document
déclare : « Le manque de coopération et même, par moments, la
rivalité entre l’Union européenne et l’OTAN est une chose qui doit être
corrigée. » Il insiste sur le fait que « pour que les Etats-Unis puissent
jouer leur rôle de façon la plus efficace possible, l’accord transatlantique
entre les pays européens, le Canada et leur allié américain doit être
renouvelé ».
La réalité est que cet « accord
transatlantique » est en train de se défaire, du fait du déclin historique
dans la position internationale du capitalisme américain et du tournant opéré
par l’élite américaine vers le militarisme.
Si la bourgeoisie européenne s’est de maintes
façons soumise à Washington, y compris dans la guerre contre l’Irak, et dans
l’escalade des menaces contre l’Iran, ses intérêts et ceux du capitalisme
américain ne concordent pas. La lutte entre les nations capitalistes rivales à
propos des « ressources raréfiées », qui est la source fondamentale
de ces deux conflits, opposera en fin de compte le capitalisme européen à
l’impérialisme américain.
Puis il y a la Chine et la Russie qui
affirment de plus en plus leurs propres intérêts sur le plan international. De
façon significative, la veille même où l’appel de l’OTAN à l’utilisation de
frappes nucléaires préventives a fait la une des titres internationaux, le chef
des armées de la Russie a fait un appel similaire.
« Nous n’avons pas l’intention d’attaquer
qui que ce soit, mais nous considérons qu’il est nécessaire que tous nos
partenaires de la communauté internationale comprennent clairement que, pour la
défense de notre souveraineté et l’intégrité territoriale de la Russie et de
ses alliés, nous nous servirons des forces armées et cela inclura l’utilisation
des armes nucléaires de façon préventive », a dit le général Yuri Bauyevsky.
C’est la nécessité de l’impérialisme américain
de compenser son déclin économique par rapport à ses rivaux européens et
asiatiques, en se servant de sa supériorité militaire pour se saisir des
ressources naturelles vitales et des marchés, qui entraîne le danger d’un
embrasement au niveau mondial. C’est dans ce contexte que les recommandations
des ex-chefs militaires pour des frappes nucléaires en premier et pour des
guerres d’agression prennent toute leur dangereuse signification pour l’avenir
de l’humanité.