Un comité d’experts formé par le
gouvernement pour se pencher sur l’intervention canadienne en Afghanistan fait
pression pour que la mission de contre-insurrection des Forces armées
canadiennes soit intensifiée pour une durée indéfinie.
Les Forces armées canadiennes (FAC) ont
déployé 2500 soldats et quelque quinze chars Leopard dans la province de
Kandahar au sud de l’Afghanistan, ce qui en fait et de loin la mission la plus
importante des FAC depuis la guerre de Corée.
Dirigée par l’ancien vice-premier ministre
libéral, John Manley, le comité d’experts demande aussi au gouvernement
conservateur de faire pression sur les alliés du Canada dans l’OTAN pour que
plus de soldats soient déployés en Afghanistan et pour qu’ils acceptent un plus
grand nombre de décès dans leur rang pour soutenir le gouvernement de
l’Afghanistan installé par les Etats-Unis.
Depuis l’été de 2005, les FAC sont à la tête
de la guerre de contre-insurrection dans la province de Kandahar, la base
traditionnelle des talibans. En mai 2006, le gouvernement conservateur
minoritaire, avec l’appui du parlement, a reconduit le déploiement jusqu’en
février 2009.
En octobre dernier, le gouvernement
conservateur a nommé un comité d’experts pour le conseiller sur la guerre en
Afghanistan comme partie de ses préparatifs pour prolonger une fois encore
l’opération de contre-insurrection des FAC en dépit de l’opposition massive de
la population canadienne.
Étant donné les membres qui forment le
comité, personne n’a jamais douté que le comité « des sages »
supposément indépendant conclurait que les FAC doivent continuer à jouer un
rôle dirigeant dans la guerre en Afghanistan. Manley et les quatre autres
membres du comité (l’ancien député conservateur Jake Epp, l’ancien PDG de CN
Rail Paul Tellier, l’ancien ambassadeur canadien aux Etats-Unis Derek Burney et
une ancienne consule générale à New York Pamela Wallin) étaient tous bien
connus pour être d’indéfectibles partisans de la mission des FAC en Afghanistan
et d’une collaboration plus étroite avec Washington.
Néanmoins, le gouvernement conservateur n’a
même pas attendu le rapport de son comité pour annoncer lors du discours du
trône l’automne passé qu’il chercherait à obtenir l’aval du parlement au début
de 2008 pour la prolongation de la mission canadienne jusqu’en 2011.
Le comité a appelé pour que l’opération
canadienne à Kandahar se prolonge indéfiniment, utilisés des arguments semblables
à ceux utilisés par les élites américaines pour justifier la prolongation de la
guerre en Irak, c’est-à-dire que les troupes doivent être retirées seulement
lorsque le pays est pacifié et qu’un Etat afghan parrainé par les impérialistes
soit capable de supprimer toutes les tentatives de limiter sa souveraineté.
Dans une entrevue mardi, Manley a dit que cela devrait pouvoir se réaliser en
une dizaine d’années.
Le rapport a aussi offert au gouvernement
des arguments pour faire pression sur les alliés du Canada dans l’OTAN.
Le comité a dit que son soutien à la
prolongation de la mission canadienne en Afghanistan après février 2009 est
conditionnel à ce que le gouvernement canadien fournisse à l’armée des
hélicoptères de transport et des avions de surveillance sans pilote et qu’il
convainque l’OTAN et les autres alliés de déployer 1000 soldats supplémentaires
à Kandahar pour renforcer les opérations de contre-insurrection.
Le comité a aussi recommandé que le
gouvernement canadien retarde le vote sur la prolongation de la mission à la
Chambre des communes au moins en attendant que l’OTAN se réunisse de nouveau au
début d’avril.
On s’attend à ce qu’Harper utilise le
rapport Manley pour faire pression sur les pays regroupés dans l’OTAN, plus particulièrement
la France, l’Allemagne et l’Italie, pour qu’ils lèvent les règles empêchant que
leurs troupes participent à des combats. Il pourra déclarer que la volonté de
la part des partenaires militaires du Canada de porter une part plus importante
du fardeau que représente la lutte en Afghanistan est nécessaire pour obtenir
le soutien de la population canadienne au déploiement essentiel des troupes à
Kandahar.
Au même moment, les mots qu’a choisis le
comité pour énoncer ses conditions sont suffisamment vagues pour que la décision
qu’ont prise récemment les Etats-Unis de déployer 3200 soldats supplémentaires
en Afghanistan soit présenté par le gouvernement Harper comme satisfaisant la
première condition.
Le rapport a été écrit avec l’objectif de
fournir les munitions politiques au gouvernement conservateur pour qu’il puisse
défendre la prolongation indéfinie du déploiement des FAC. Il déclare
qu’« un retrait immédiat de l’Afghanistan… dévaluerait notre
investissement », « déshonorerait » le « sacrifice »
des 78 soldats des FAC tués en Afghanistan et qu’il « minerait notre
influence dans les capitales de l’ONU et de l’OTAN, y compris
Washington. »
Les auteurs du rapport s’efforcent d’argumenter que
l’occupation par l’OTAN de l’Afghanistan, sous l’égide des Etats-Unis, est bien
différente de l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis. En réalité, les deux
sont très similaires. Ces deux invasions furent déclenchées par les Etats-Unis
avec le but d’augmenter leur contrôle géostratégique des ressources pétrolières
mondiales. De plus, al-Qaïda et les talibans sont le résultat du développement
et de l’armement des fondamentalistes islamiques par les Etats-Unis durant la
réactionnaire Guerre froide afin d’affaiblir et renverser l’Union soviétique.
Le gouvernement conservateur, dirigé par le premier ministre
Harper, a placé au haut de sa liste le développement et le réarmement des FAC,
soutenant que l’armée canadienne sera fondamentale pour défendre dans les
décennies à venir les intérêts du Canada — ou plutôt, les intérêts de l’élite
patronale du Canada — sur la scène mondiale. Les conservateurs ont défendu le
déploiement des FAC en Afghanistan, utilisant ce dernier pour raviver la
tradition militariste canadienne et acclimater les Canadiens à la violence et
aux morts.
La commission partage entièrement cette perspective. Manley,
dans son introduction au rapport, acclame la mission des FAC en Afghanistan
pour les soi-disant pouvoir et influence qu’elle donne au Canada dans le monde.
« L’Afghanistan, écrit Manley, offre au Canada une occasion à saisir. Pour
la première fois depuis nombre d’années, nous avons pris, en vue de concourir
au règlement d’un problème d’envergure internationale, un engagement d’une
portée telle qu’il nous confère une influence et une crédibilité
notables. »
Le rapport soutient cependant que l’actuel gouvernement et le
gouvernement libéral qui l’a précédé (et qui a été l’instigateur de la
participation du Canada dans l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan par
les Etats-Unis et de la mission de contre-insurrection des FAC au sud de
l’Afghanistan) n’en ont pas assez fait pour vendre la guerre à la population ou
lui accorder l’importance qu’elle mérite dans les choix du gouvernement.
Le rapport presse le gouvernement à accorder encore plus
d’importance à la guerre : « De manière à assurer une surveillance
politique systématique et constante ainsi qu’une mise en oeuvre plus efficace,
il faudrait mettre de l’avant une approche stratégique canadienne plus intégrée
et plus cohérente, qui relèverait du premier ministre, ce dernier comptant sur
l’appui d’un comité du Cabinet et d’un seul et unique groupe de travail,
composé de représentants de tous les ministères et organismes clés et se
consacrant à temps plein à cette tâche. »
Les médias de l’élite dirigeante ont fortement appuyé la
guerre des FAC en Afghanistan et ont, sans surprise, essentiellement tous
acclamé le rapport Manley.
Le Globe and Mail, la voix traditionnelle de l’élite
financière canadienne, a affirmé que la commission Manley « a prononcé un
plaidoyer éloquent et passionné en faveur du prolongement de la mission de
combat du Canada en Afghanistan ».
Le National Post a critiqué la commission Manley pour
avoir imposé certaines conditions au prolongement du rôle des FAC dans la
guerre en Afghanistan, mais a conclu son éditorial sur le rapport en
déclarant : « M. Manley et son équipe ont avec leur rapport rendu un
important service au Canada. Nous pressons le premier ministre Stephen Harper à
l’utiliser comme rampe de lancement pour revigorer la mission en Afghanistan. »
La Presse, le quotidien le plus
influent au Québec, a déclaré que le « dossier [afghan]
devrait dépasser la politique partisane. Il s'agit d'une affaire d'Etat, dans
le sens le plus noble du terme, qui engage en effet les valeurs, la réputation,
l'influence et le rôle du Canada dans le monde, comme le souligne John Manley.. »
Le Toronto Star, qui est étroitement aligné derrière le
Parti libéral, a poussé Harper à utiliser la rapport de Manley et ses
recommandations selon lesquelles la mission des FAC après février 2009 devrait
être liée à une assistance accrue de l’OTAN afin de rejoindre la position du
Parti libéral.
Mettre de l’avant la recommandation du rapport qui prône le
déploiement de 1000 soldats de l’OTAN à Kandahar, a dit le Toronto Star,
« serait suffisant pour satisfaire aux demandes du chef libéral Stéphane
Dion selon lesquelles notre « mission de combat » devrait prendre fin
au début 2009 et nos troupes remplacées par d’autres troupes de l’OTAN. »
« Harper devrait faire preuve de plus de leadership qu’il
en a montré jusqu’à présent et Dion devrait faire davantage de compromis. Mais,
les deux se doivent, pour nos troupes, d’en arriver si possible à un consensus
bipartite afin d’éviter que la mission ne devienne une question électorale malsaine
qui minera la confiance du public. »
La réalité est que les Libéraux sont très au courant de
l’appui de la grande entreprise pour le rôle de premier plan joué par les FAC
dans la guerre en Afghanistan et plusieurs libéraux importants incluant Manley
et l’actuel numéro deux du parti libéral Michael Ignatieff ont été
fortement identifié à la guerre en Afghanistan et à la « guerre au
terrorisme » de Bush. Les libéraux sont donc sérieusement divisés quant
aux tentatives de Dion de faire un appel mesuré et hypocrite au sentiment
populaire anti-guerre.
Sous Dion, les libéraux ont demandé que le rôle de
contre-insurrection des FAC dans le sud de l’Afghanistan prenne fin en février
2009. Mais ils appuient vigoureusement une présence militaire canadienne
prolongée en Afghanistan et d’autres formes de soutien pour le gouvernement
d’Hamid Karzaï mis en place par les Etats-Unis.
Depuis le dépôt du rapport Manley, Dion a répété sa demande
pour que l’actuelle mission des FAC prenne fin en 2009. Mais, comme l’éditorial
du Toronto Star le suggère, il y a plusieurs manières de remodeler une
présence canadienne continue à Kandahar, par exemple une mission d’« entraînement ».
Pour sa part, la critique libérale en matière d’affaires
étrangères, Bob Rae, a dit que les recommandations de Manley méritent plus de
discussions.
En mai 2006, les libéraux ont fourni suffisamment de votes au
gouvernement conservateur afin qu’il obtienne l’approbation parlementaire pour
prolonger de deux ans la guerre de contre-insurrection des FAC. Depuis le dépôt
du rapport Manley, la presse capitaliste a travaillé avec enthousiasme pour
forcer un consensus bipartite similaire afin de prolonger pour une durée
indéterminée le rôle de premier plan des FAC dans la guerre en Afghanistan.
Derrière ce travail se trouve les ambitions impérialistes de la grande
entreprise canadienne pour gagner de l’influence dans les conseils
impérialistes et se tailler une place dans la redivision de l’Asie centrale,
incluant le développement de ses vastes richesses pétrolières et minérales.
(Article original anglais paru le 25
janvier 2008)