Le président Nicolas Sarkozy a finalement réussi à imposer à
la population française le traité de Lisbonne, avec l’aide indispensable du
Parti socialiste. Le traité a été approuvé par l’Assemblée nationale le 7
février avec une majorité de 336 voix contre 52. La majorité des députés
socialistes ont voté pour, ou étaient absents au moment du vote.
Le traité est une version révisée de la Constitution européenne
qui avait été rejetée de façon décisive par les électeurs français et hollandais
lors des référendums populaires de 2005 du fait qu’il était l’incarnation
de l’économie libérale exigée par le capitalisme européen.
Bien que le Parti socialiste (PS) et son allié à
l’Assemblée nationale, le Parti communiste (PC) n’aient pas
suffisamment de membres pour rejeter le traité, trois jours auparavant ils
avaient eu la possibilité d’exiger du gouvernement qu’il consulte à
nouveau la population française par référendum avant que le traité ne puisse
être ratifié par le parlement.
L’acceptation du traité nécessitait une modification de
la Constitution française, laquelle requiert un vote majoritaire aux trois cinquièmes
du Congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis au Château de Versailles),
unique instance ayant le pouvoir de modifier la Constitution. La modification a
permis l’adoption du traité de l’Union européenne sans référendum.
Alors que le PS et le PC à eux deux avaient effectivement plus de deux
cinquièmes de représentation leur permettant d’empêcher la modification
de la Constitution, ils ont choisi de ne pas le faire.
Les élites dirigeantes françaises et européennes craignaient
que la classe ouvrière française, opposée au démantèlement par Sarkozy de
l’Etat providence et aux attaques sur son niveau de vie et ses droits
démocratiques, ferait une fois de plus capoter leurs projets. En permettant à
Sarkozy d’imposer le traité de Lisbonne, le PS a dans les faits donné son
aval au gouvernement pour que ce dernier mette en place son vaste programme de
« réformes. »
Sarkozy est passé à la télévision le 10 février pour exprimer
son soulagement que « Un traité simplifié… était une solution qui
permettait de dépasser les oppositions entre partisans et adversaires de la
Constitution [européenne]. » En fait, la Constitution européenne et le traité
de Lisbonne sont essentiellement identiques. L’architecte de la
Constitution européenne, l’ancien président Valéry Giscard
d’Estaing, a déjà décrit le traité de Lisbonne comme « une
quasi-copie parfaite du traité de 2005. »
Dans son discours télévisé, Sarkozy a justifié sa décision de refuser
un second référendum en s’appuyant sur les positions antidémocratiques
d’autres gouvernements européens. Il a déclaré, « Pour convaincre tous
nos partenaires d’accepter ce nouveau traité simplifié que nous leur
proposions et qui n’était plus une constitution, il fallait qu’en
cas d’accord nous nous engagions à le faire approuver par voie
parlementaire. Si cette condition n’avait pas été remplie, aucun accord
n’aurait été possible. »
En termes nationalistes, il a essayé de présenter le traité
comme une concession faite au « malaise » ressenti par les Français
et qui les protégerait de la concurrence libérale. « On était au point où
l’Europe n’exprimait plus une volonté collective, a dit Sarkozy,
« où il n’y avait plus en son sein aucun des débats qui font la vie
de toutes les grandes démocraties, où nos entreprises n’étaient pas assez
défendues face aux concurrences déloyales, alors que partout ailleurs elles
étaient protégées. »
Le Parti socialiste a joué un rôle pernicieux en soutenant le
parti au pouvoir UMP (Union pour un mouvement populaire) de Sarkozy sur la
question du traité. Il a systématiquement œuvré pour renverser le vote du
référendum de 2005 et a servilement soutenu la politique européenne de Sarkozy
comme étant un pas dans la bonne direction. Le 7 février, cent vingt et un
députés PS à l’Assemblée nationale ont voté pour le nouveau traité.
Pierre Moscovici, porte-parole en vue du PS sur les questions
de politique étrangère a argumenté : « Nous allons, dans notre
majorité, ratifier ce traité malgré ses lacunes, malgré ses retards, malgré ses
exemptions, malgré son défaut d’ambition en étant conscients que ce
traité n’est pas la fin de l’histoire européenne. »
Les socialistes se sont livrés à toutes sortes de contorsions
quant à la position à adopter à la réunion du Congrès visant à modifier la
Constitution. La direction du PS avait d’abord décidé de boycotter
l’excursion à Versailles. Mais après une réunion des députés PS de
l’Assemblée nationale, leur porte-parole Jean-Marc Ayrault a fait une
volte-face et déclaré que ses membres seraient présents, mais s’abstiendraient
au moment du vote.
Ces manoeuvres de la part du PS proviennent de la peur que
Sarkozy ne perde le vote et que les intérêts de l’impérialisme français
en Europe ne soient menacés. « Certains pensent que si on rejetait la
modification constitutionnelle, cela provoquerait un référendum [sur le traité
de Lisbonne] » a dit Ayrault. « C’est inexact. Cela
provoquerait une crise profonde qui ne déboucherait sur rien. Le traité de
Lisbonne ne pourrait plus être soumis à ratification… Nous ne prendrons
pas la responsabilité au PS de provoquer une crise en Europe. »
A Versailles, le PS a été finalement divisé en trois. 32
sénateurs et députés PS ont voté pour la modification de la Constitution
française défendue par Sarkozy. Parmi eux on compte les célèbres piliers
droitiers de l’establishment tels Jack Lang, Manuel Valls et
Robert Badinter, 121 ont voté contre et 143 se sont abstenus. Ceci a permis à
Sarkozy d’obtenir la majorité aux trois cinquièmes requise. Si tous les
représentants du Parti socialiste avaient voté contre, le processus s’en
serait trouvé bloqué et cela aurait provoqué une crise pour le gouvernement.
Cela aurait pu créer les conditions de l’émergence d’un nouveau
mouvement de la classe ouvrière contre la politique libérale, ce que le Parti
socialiste veut à tout prix éviter.
Le PS a volé au secours du président Sarkozy au moment le plus
opportun pour ce dernier. Sa cote de popularité est au plus bas dans les
sondages depuis sa prise de fonction, avec 39 pour cent seulement de personnes
satisfaites de sa politique en février, contre 65 pour cent en juillet dernier.
Avec l’intensification des attaques de Sarkozy sur le
niveau de vie et les droits démocratiques, le PS vire encore plus à droite. Alors
que les sociaux-démocrates du PS consolident le régime de Sarkozy, l’« extrême-gauche »
telle Lutte ouvrière, ainsi que les Verts et les staliniens du PC
s’accrochent aux basques du Parti socialiste. Leur participation à des
listes électorales communes avec le PS aux élections municipales du mois de
mars sert à aveugler les travailleurs et les jeunes sur la vraie nature du Parti
socialiste et à priver la classe ouvrière de son droit de représentation.
(Article original anglais paru le 16 février 2008)