Les libéraux, l’opposition officielle au Parlement
canadien, appuient le gouvernement conservateur minoritaire dans ses efforts
pour prolonger la mission de contre-insurrection des Forces armées canadiennes
en Afghanistan et pour faire pression sur l’OTAN en vue d'intensifier la
guerre en Afghanistan.
Mardi dernier, les libéraux ont présenté un long amendement
à une motion conservatrice qui tentait d’obtenir l’approbation du
Parlement afin de prolonger le déploiement des Forces armées canadiennes (FAC)
dans la région afghane de Kandahar jusqu’au moins à la fin de 2011.
L’amendement des libéraux, comme le fit rapidement
remarquer le premier ministre Stephen Harper, s’accorde essentiellement
avec le plan du gouvernement conservateur. « J’accueille
favorablement la plus grande clarté de la position de l’opposition
libérale », a déclaré Harper. « Je crois que c’est un progrès
indéniable... »
Harper fut tellement impressionné par l’amendement
libéral qu’il laissa entendre que les conservateurs pourraient retirer
leur propre motion afin d’en rédiger une conjointement avec les libéraux.
Par la suite, en réponse à un discours du chef du Nouveau
Parti démocratique, Jack Layton, qui attaquait la position libérale, Harper
affirma devant le Parlement : « Je n’ai pas
l’habitude de défendre le Parti libéral... mais les partis qui dirigent
ce pays comprennent que dans un monde dangereux, il faut parfois utiliser la
force pour défendre la paix. »
Par le passé, Harper est allé jusqu’à traiter les
libéraux de pro-talibans.
L’amendement des libéraux vient complètement
discréditer l’assertion souvent répétée du chef libéral Stéphane Dion
selon laquelle son parti s’opposerait à toute prolongation de la
« mission de combat » des FAC, c’est-à-dire son rôle dirigeant
dans la guerre de contre-insurrection, au-delà de février 2009.
(Cette affirmation, comme Dion
lui-même a toujours insisté, n’a jamais signifié autre chose que le
soutien total pour l’occupation de l’Afghanistan par les Etats-Unis
et l’OTAN et le gouvernement fantoche d’Hamid Karzaï. Ce furent les
gouvernements libéraux de Jean Chrétien et Paul Martin, comme l’a souvent
répété Dion, qui déployèrent les forces canadiennes en Afghanistan en automne
2001 et qui, plus tard, chargèrent les FAC du rôle central dans la guerre au
sud de l’Afghanistan. De plus, Dion et les libéraux ont à maintes
reprises dénoncé le NPD pour ses appels, depuis août 2006, au retrait des
troupes canadiennes de Kandahar, qualifiant leur position
d’« irresponsable » et de trahison des obligations internationales
du Canada.)
Les appels du Parti libéral, qui ont maintenant été
abandonnés, pour que le Canada se retire de la mission de combat en Afghanistan
après février 2009 étaient une tentative hypocrite de profiter des sentiments
populaires anti-guerre et d’exploiter l’hostilité à
l’administration Bush, qui est détestée par la majorité des Canadiens
pour sa belligérance et son mépris pour le droit international. Ces appels des
libéraux exprimaient aussi les craintes d’une section minoritaire de
l’élite dirigeante canadienne que l’intervention des FAC en
Afghanistan n’ait assumé un rôle trop important dans la politique
étrangère canadienne.
Mais l’élite patronale du Canada dans son ensemble
soutient fortement l’intervention des FAC en Afghanistan et
l’engagement du gouvernement Harper d’utiliser des FAC mieux
développées et réarmées pour avancer « les intérêts et les valeurs du
Canada », c’est-à-dire les ambitions et objectifs prédateurs de la
grande entreprise canadienne, sur la scène mondiale.
John Manley, ancien vice-premier ministre et ministre des
Finances libéral, qui a présidé la commission d’« experts »,
nommée par le gouvernement conservateur, sur l’avenir de
l’implication du Canada en Afghanistan a vanté l’intervention des
FAC dans ce pays. « Pour la première fois depuis
nombre d’années, nous avons pris, en vue de concourir au règlement
d’un problème d’envergure internationale, un engagement d’une
portée telle qu’il nous confère une influence et une crédibilité
notables », a-t-il dit.
Cela n’est pas qu’une référence aux 2500
soldats canadiens qui sont déployés à Kandahar, le centre historique du
mouvement taliban pachtoune, mais aussi au rôle significatif que joue le
gouvernement canadien dans l’élaboration des politiques du gouvernement
afghan par l’entremise de l’Équipe consultative stratégique dirigée
par les FAC : des conseillers « intégrés » à des ministères
afghans clés y compris le bureau du Président Karzaï.
Les médias ont fortement défendu le rapport du comité Manley.
Déposé le mois dernier, il recommande une présence continue et illimitée des
FAC à Kandahar ainsi qu’un rôle de premier plan pour celles-ci dans la
guerre en Afghanistan, à condition qu’Ottawa fournisse de
l’équipement additionnel et qu’il convainque un allié de déployer
1000 troupes additionnelles pour combattre avec les soldats canadiens dans le
sud de l’Afghanistan.
Les comités de rédaction des
principaux quotidiens du pays, incluant le Toronto Star et le quotidien
montréalais La Presse, deux journaux alignés sur le Parti libéral,
étaient unanimes pour dire que les libéraux et les conservateurs doivent
s’élever au-dessus de la « partisanerie » et qu’au nom de
« l’intérêt national », ils se mettent ensemble pour implanter
les recommandations du rapport Manley.
Mais, au grand désarroi de plusieurs membres du cabinet
minitériel fantôme, Dion a refusé d’endosser le rapport Manley, même
s’il avait été rédigé de manière à donner aux libéraux un moyen de se
rallier à une prolongation de la mission des FAC sans avoir l’air de se
plier devant leurs adversaires conservateurs.
La semaine dernière, Harper a
augmenté la mise en annonçant que les conservateurs mettraient en jeu
l’existence même de leur gouvernement sur le vote de la motion qui
prolongerait, jusqu’en 2011, le rôle central que joue le Canada dans la
guerre en Afghanistan.
Pendant que le néoconservateur National
Post a qualifié la menace de Harper de tenir une élection sur la guerre
afghane de « coup stratégique», plusieurs
autres voix médiatiques ont exprimé de l’inquiétude à l’idée
qu’une guerre très impopulaire parmi la population canadienne, mais
soutenue de façon enthousiaste par l’élite pourrait devenir le pivot
d’un débat électoral.
Par conséquent, les médias de la grande entreprise ont
redoublé leurs demandes pour un consensus « bilatéral » entre les
libéraux et les conservateurs sur la guerre en Afghanistan. Même si Dion et
Harper ont été critiqués par les éditorialistes, ces derniers ont clairement
fait savoir qu’ils souhaitent que les libéraux donnent aux conservateurs
les votes nécessaires pour l’adoption de la motion parlementaire qui
prolongerait la mission de combat des FAC.
Pour sa part, l’armée est intervenue ouvertement dans le
débat, couvrant de mépris les affirmations des libéraux selon lesquelles les
FAC pourraient être redéployées ailleurs ou demeurer dans le sud sans faire la
guerre.
Dion s’est retrouvé très vite menacé d’une révolte
de ses députés les plus importants.
En mai 2006, Michael Ignatieff, qui est présentement le
chef-adjoint du Parti libéral et qui a fini deuxième dans la course qui
l’opposait à Dion pour succéder à Paul Martin comme chef du parti, a
amené, avec l’ancien chef du parti par intérim Bill Graham, plus du quart
des députés libéraux à soutenir une motion d’urgence des conservateurs
pour une prolongation de deux ans de la mission des FAC, c’est-à-dire
jusqu’en février 2009. (Il est à noter que la majorité des libéraux
s’étaient opposés à la motion sur des bases techniques.)
Dans les deux dernières semaines, Bob Rae, l’ancien
premier ministre néodémocrate de l’Ontario qui a fini en troisième place
dans la plus récente course à la chefferie du Parti libéral, s’est joint
à Ignatieff.
Les différences entre la motion originale des conservateurs et
l’amendement des libéraux sont, comme le Globe and Mail l’a
observé : « une question de sémantique plus que de contenu ».
Plus tôt, Dion a dit que si les troupes canadiennes doivent
demeurer à Kandahar après février 2009, elles ne doivent pas s’engager
dans des combats sauf si elles sont attaquées par l’ennemi et elles
doivent éviter les opérations de type « chercher pour détruire ».
L’amendement libéral, tout
comme la motion originale des conservateurs, stipule que les FAC doivent
accorder plus d’importance à l’entraînement des forces afghanes
— ce qui a d’ailleurs toujours été un but important et explicite de
la mission des FAC.
Mais Dion a clairement
indiqué que les libéraux concédaient maintenant le fait que les FAC allaient
mener la guerre. Quoiqu’ils disent, à savoir si oui ou non les FAC sont
en mission de combat, les libéraux ont indiqué qu’ils n’allaient
pas imposer de limite sur la capacité militaire canadienne d’employer la
force, comme l’ont fait l’Italie et l’Allemagne à
l’égard de leurs troupes en service dans les zones moins turbulentes
d’Afghanistan.
« Nous ne donnons pas
d’avertissement, » a dit Dion. « Nous n’allons pas faire
de la mini gestion des militaires. C’est à eux (les militaires) de
décider » de leurs tactiques.
S’il subsistait des doutes sur les intentions des
libéraux, ils ont été écartés dans une série de discussions non officielles
entre leurs dirigeants et les journalistes. Selon le Toronto Star, des
libéraux impliqués dans la rédaction de la motion du parti « ont dit
qu’ils ne s’objecteraient pas à ce que des soldats canadiens
entraînent des soldats afghans à des fins d’opérations offensives dans
lesquelles ils participeraient pour autant que ces opérations soient dirigées
par les Afghans. »
La différence principale entre la motion des conservateurs
et celle amendée des libéraux réside dans le fait que l’amendement
libéral stipule qu’Ottawa doit informer l’OTAN que le déploiement
des FAC à Kandahar va commencer à être réduite en février 2001 et que toutes
les troupes canadiennes se retireront de là au début de juillet 2011. La motion
conservatrice appelle à la poursuite du déploiement au moins jusqu’à la
fin de 2011.
Les libéraux ont également mentionné que le futur
partenaire à Kandahar, qui reste encore à trouver, devrait assumer le rôle
dirigeant dans la guerre contre-insurrectionnelle. Harper a dit qu’il
pourrait bien se ranger à cette position. « Nous voulons avoir ces troupes
supplémentaires et je pense que si nous le disons correctement ce sera clair
pour nos alliés que le Canada se cherche un partenaire. Un partenariat, dans ce
genre de situation, implique typiquement une rotation au sommet. »
La guerre en Afghanistan n’est que la dernière des
occasions dans laquelle les libéraux ont donné aux conservateurs l’appui
dont ils avaient besoin de façon urgente.
À l’automne dernier, les libéraux se sont abstenus de
voter sur le discours du trône, permettant aux conservateurs d’éviter la
défaite. La semaine dernière ils se sont joints aux conservateurs pour adopter
une loi visant à donner une couverture constitutionnelle aux « certificats
de sécurité » — un programme qui donne au gouvernement le pouvoir de
détenir indéfiniment des non-citoyens sur la base d’allégations de liens
terroristes, sans procès et sans même le droit de connaître la preuve détenue
par le gouvernement contre eux.
Dans une large mesure, la presse capitaliste explique
l’unité bipartisane croissante entre les libéraux et leurs rivaux
conservateurs du point de vue de la crise de direction au parti libéral. Il est
mentionné que Dion, un ancien professeur d’université, manque de charisme
et d’instinct politique.
Les libéraux, qui ont été durant le 20e siècle le principal
parti gouvernant de la bourgeoisie canadienne, sont certainement dans une crise
politique. Mais la source de cette crise réside dans l’aliénation croissante
de la population à l’égard des partis traditionnels, qui ont, durant le
dernier quart de siècle, poursuivi une offensive sans répit contre les gains
sociaux de la classe ouvrière gagnés durant les décennies qui ont suivi la
seconde guerre mondiale. La crise réside également dans le fait que
l’élite des affaires appuie fermement les conservateurs et leur programme
de droite.
La direction libérale appuie plusieurs des politiques et
des initiatives du gouvernement Harper, les considérant avec justesse comme la
poursuite de la voie tracée sous le gouvernement libéral de Chrétien et de
Martin de 1993 à 2006 qui, en termes de politique fiscale et sociale, a été le
gouvernement fédéral le plus à droite depuis la grande dépression.
(Article original anglais paru le 15 février 2008)