Des allégations concernant
d'horribles actes de torture et meurtres commis par l’armée britannique
au sud de l’Irak ont été rendues publiques le 31 janvier dernier.
Se basant sur des déclarations de témoins, des certificats
de décès et des preuves vidéos, les avocats Phil Shiner et Martyn Day ont
déclaré que 22 personnes ont été tuées dans des prisons britanniques après un
affrontement armé près de Majar al Kabir, environ 100 kilomètres au nord-ouest
de Basra, le 14 mai 2004. Les avocats ont allégué que neuf autres personnes ont
survécu à la torture et aux abus.
Shiner a déclaré à Reuters que « Cet incident,
s’il était prouvé, serait le pire abus commis par les troupes
britanniques ou américaines en Irak. Si ces allégations horribles étaient
prouvées, alors il faudrait les mettre dans leur contexte : ce serait le
plus grand abus de l’armée britannique en cent ans. »
Shiner a dit que les allégations étaient les plus horribles
que lui ou Day aient jamais entendues. On s’attend à ce que les
déclarations complètes des témoins, qui sont toujours sous enquête, soient
rendues publiques dans un documentaire de la BBC sur cette affaire.
Jusqu’à la semaine passée, les allégations, et la
cause légale s’y rapportant, étaient interdites de publication par la
Haute Cour à la demande du gouvernement et du ministère de la Défense.
Selon le Guardian, il s’agit dans cette
affaire d’accusations d’abus, de torture, d’exécutions et de
mutilations. Sept cadavres montreraient des traces de mutilation et de torture.
Ces allégations ont tout d’abord suivi un
affrontement armé qui a eu lieu sur l’autoroute reliant Amara à Basra
impliquant les Highlanders d’Argyll et de Sutherland, le régiment Princess
of Wales et des insurgés qui s'opposent à l’occupation britannique et
américaine.
En juin 2004, un article de
Richard Norton Taylor dans le Guardian a affirmé que 28 certificats de
décès avaient été dénombrés. Parmi ceux-ci, on trouvait celui d’Ahmad al
Helfi, un travailleur de 19 ans, qui selon le certificat de décès, arborait des
« marques de coups et de torture sur tout le corps ».
Haider al Lami, âgé de 21 ans, lui aussi un travailleur,
portait de traces de « plusieurs blessures par balle sur tout le corps et
de mutilation des organes génitaux ».
Hamed al Suadi, 19 ans, a « des blessures par balle au
cou et au pied. Il y avait aussi des marques de torture : le bras droit
est fracturé et le visage est complètement déformé. »
Ali al Jemindari, 37 ans, a « plusieurs blessures par
balle à la tête, au visage et sur le corps, avec des marques de coups au cou.
Son bras droit a été brisé au niveau de l’épaule. Il y a une
profonde blessure à la joue droite et l’œil droit a été arraché. »
Les certificats de décès ont été rédigés le lendemain de la
bataille par le docteur Adel Salid Majid, le directeur de l’hôpital de
Majar al Kabir. Le docteur Majid a déclaré au Guardian le 15 mai que
« la police nous a demandé d’envoyer des ambulances à la base
britannique pour récupérer des corps. Lorsqu’elles sont revenues avec 22
corps, nous avons été surpris de constater que certains d’entre eux
avaient été mutilés et torturés. »
L'affrontement armé a suivi la bataille qui avait eu lieu
un jour auparavant à Najaf entre la milice chiite de Moqtada al-Sadr et les
forces américaines lors de laquelle le temple de l’imam Ali avait été
endommagé. Selon un témoin oculaire, le sentiment était à la vengeance dans une
mosquée locale. De jeunes hommes ont pris toutes les armes qu’ils ont pu
trouvées, se sont rendus à l’autoroute pour y attendre que des forces
d’occupation y passent.
Après le combat, lors duquel deux membres des forces
britanniques furent blessés légèrement et au moins 22 combattants irakiens
tués, les forces britanniques capturèrent les survivants et les ramenèrent à
leur base au Camp Abou Naji à Amara.
L’armée britannique
avait à ce moment qualifié les allégations de torture
d’« absurdes ». Mais cette affaire, en plus des centaines
d’accusations reliées à ses activités en Irak, a généré depuis des appels
à une enquête publique. Une enquête de la Police militaire royale (RMP) qui a
duré un an n’a pas trouvé de preuve de mutilation délibérée.
Selon le Telegraph, le juge Thomas de la Haute Cour
britannique avait imposé en décembre dernier un interdit de publication sur les
recours légaux qui visaient à forcer le gouvernement à mettre en oeuvre une
véritable enquête publique. L’interdit a empêché que soient rapportées
les déclarations faites par les familles des victimes et les comptes-rendus des
survivants. Il a aussi interdit que soient divulgués les noms des plaignants
irakiens et ceux des soldats impliqués dans le massacre faisant face à des
accusations au criminel. Thomas avait alors déclaré que la « mauvaise publicité »
entourant cette affaire à la Haute Cour serait « hautement
indésirable ».
Le 31 janvier cependant, l’interdit de publication
fut renversé par le juge Moses à la suite des actions légales entreprises par
les familles des victimes, le Guardian, le Times et la BBC. Tel
que rapporté par le Guardian, le jugement de Moses statuait que la
tentative du ministère de la Défense visant à empêcher les reportages sur les
accusations n’avait aucun fondement légal et que leur gestion de
l’affaire avait été « totalement stupide ».
Concernant l’interdit de divulgation des noms des
soldats, Moses déclara à l’avocat du ministre de la Défense :
« Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Si vous aviez raison, il y
aurait alors une loi pour le ministère de la Défense et une autre pour le
citoyen ordinaire.
« Rien n’indique
que la publication des noms de ceux qui sont sous enquête puisse mettre leur vie en
danger », a ajouté Moses.
Les allégations de Majid al Kabir viennent contredire une
fois de plus l’affirmation principale faite dans un article publié
récemment par l’armée britannique sur des aspects de son règne de terreur
au sud de l’Irak, qui blanchit les mauvais traitements infligés par
l’armée comme étant l’oeuvre d’individus isolés et le
résultat d’une mauvaise organisation et d’un entraînement
insuffisant.
En 2005, le brigadier Sir Robert Aitken fut nommé à la tête
d’une commission par le chef d’état-major de l’époque, Sir
Mike Jackson, pour enquêter sur les circonstances entourant les allégations de
mauvais traitements contre des prisonniers irakiens sous la garde de
l’armée britannique et l’absence de poursuites victorieuses
là-dessus.
Jackson exigea le rapport après que plusieurs révélations
de mauvais traitements et de torture eurent menacé de mettre à nu le caractère
systématique de la violence dépravée sans cesse utilisée pour terroriser la
population civile du sud de l’Irak. Officiellement, et selon les médias
britanniques, l’occupation des zones contrôlées par les Britanniques
était en quelque sorte moins brutale que celle du reste de l’Irak par les
Etats-Unis.
Le rapport de Aitken, publié en janvier de cette année,
s’est concentré sur six dossiers sur lesquels la RMP a enquêté.
Baha Mousa était un travailleur hospitalier de 26 ans,
capturé en septembre 2003 lors d’un raid par des soldats du régiment
Queen’s Lancashire sur un hôtel de Bassora. Mousa, qui avait été témoin
du vol de l’argent de l’hôtel par des soldats, fut arrêté en même
temps que six autres travailleurs à l’hôtel. Tous furent cagoulés,
attachés, maintenus dans des positions inconfortables et violemment battus
durant des jours.
Des photos et des enregistrements montrent que Mousa a
souffert 93 blessures, dont quatre côtes cassées, le nez fracturé, les poignets
fracassés et des traces d’étranglement autour du cou. Un témoin a
affirmé : « J’ai entendu Baha Mousa crier. J’étais
toujours cagoulé, mais ses cris semblaient provenir d’une autre pièce. Je
l’ai entendu hurler : “Pitié aidez-moi, je saigne, pitié
aidez-moi, je vais mourir.” La dernière chose que j’ai entendue de
lui fut : “Mon nez est cassé.” Après, ce fut le
silence. »
Le meurtre de Mousa a mené à l’unique condamnation pour
crime de guerre d’un soldat britannique après que le caporal Donald Payne
eut plaidé coupable à des accusations d’actes de cruauté. D’autres
individus du même régiment, qui avaient plaidé non coupable, furent relâchés
faute de preuves suffisantes. Pendant son procès, Payne déclara qu’il
obéissait aux ordres. Son avocat de la défense fit remarquer que c’était
« incompréhensible » qu’un haut officier de l’armée qui
n’a pas été identifié ne fût pas poursuivi.
Le procès était aussi relié à un jugement de 2007 prononcé
par les juges siégeant à la Chambre des Lords de la Grande-Bretagne selon
lequel le gouvernement contrevenait à la Convention européenne des droits de
l’homme et à la Loi sur les droits de l’homme de la Grande-Bretagne
pour ne pas avoir mené une enquête indépendante.
Ahmed Jabber Kareem se noya à
Basra après qu’il eut été forcé de se jeter dans le canal de Shatt al
Arab lorsqu’il fut menacé avec un fusil. Trois soldats furent acquittés
du meurtre du jeune homme de 16 ans. Saïd Shabram est mort deux semaines plus
tard dans des circonstances similaires. Les chefs d’accusation contre un
officier du 32e régiment du génie et deux soldats furent retirés.
Un jeune homme de 18 ans, Nadhem Abdullah, aurait été battu à
mort en mai 2003 par sept membres du régiment de parachutistes. Les soldats
furent accusés de meurtre, mais ces accusations furent rejetées. Le juge constata
que l’enquête n’avait pas été réalisée adéquatement.
Aitken a aussi enquêté sur les résultats des procès contre les
soldats accusés de brutalité suite à une émeute à Amara en 2004. Une vidéo
montrant des jeunes en train d’être battus par des troupes britanniques
fut envoyée à News of the World. Aucune accusation ne fut portée contre
eux.
Dans le procès du camp Breadbasket, quatre soldats furent
finalement trouvés coupables d’abus après que des images montrant des
prisonniers forcés de simuler des comportements sexuels furent découvertes par
un travailleur d’un magasin où l’on développe les photos.
D’autres images montraient des prisonniers suspendus à un chariot
élévateur.
Selon Aitken, et toute la Commission de l’armée qui a
donné son sceau d’approbation à l’enquête finale, ces procès
étaient regrettables. Il y a bien eu quelques actes de contrition sans
valeur. Sir Richard Dannatt, le chef actuel de l’état-major, s’est
plaint que « nous ne devons jamais plus permettre à quelques personnes de
salir la réputation de la majorité... »
Dans la mesure où les enquêtes reconnaissaient que les abus
trouvaient leurs sources plus loin que les comportements individuels de mauvais
soldats, ce n’était pas vu comme le résultat direct des opérations
d’une guerre illégale d’agression, mais comme la conséquence
d’une mauvaise planification, de ressources militaires inadéquates et de
confusions dans l’entraînement. Les enquêtes ont aussi servi à renforcer
les demandes répétées de l’armée, menées par Dannatt, pour obtenir plus
de ressources.
Discutant du petit nombre de procès légaux par rapport aux
centaines d’allégations des pires formes d’abus, Aitken a prétendu
que les troupes britanniques, après s’être battues dans une guerre de
« haute intensité », étaient mal préparées pour des opérations
policières dans une situation où « il n’y avait pas de corps
policier civil, de système de justice pour s’occuper des délinquants et
de prison pour les détenir. » Les archives nationales ont été détruites.
Il a ensuite présenté une série d’excuses pour la
confiance avec laquelle les soldats battaient à mort des civils irakiens
désarmés. « Mission Command » est le terme de l’armée
britannique pour les mesures par lesquelles les officiers locaux ont une
certaine marge de manoeuvre pour opérer de façon automome : « Les
soldats sont des humains et les humains ont des défauts et, sans supervision,
ces défauts peuvent passer inaperçus. »
Concernant les pratiques de recouvrement de visage et
l’imposition de positions stressantes, Aitken a prétendu que les soldats
semblaient ne pas être au courant de ces « cinq techniques » qui
furent bannies en Irlande du Nord par le gouvernement Heath en 1972. Dans tous
les cas, soutient Aitken, cela doit seulement s’appliquer aux services du
renseignement et en Irlande du Nord et être utilisé seulement pour les
détentions.
Commentant sur l’enquête, le père de Baha Mousa a
déclaré : « En tant que haut gradé de l’armée irakienne, je
suis certain que ces actes terribles n’auraient pu prendre place sans le
soutien de hauts responsables de l’armée britannique. »