Le 1er février, des milliers d’employés de grandes
surfaces ont fait une grève d’une journée pour exiger des hausses de salaire
afin de compenser la montée des prix. Les travailleurs cherchent aussi à
obtenir de meilleures conditions de travail et s’opposent aux
propositions d’augmenter les heures de travail le dimanche. Il y a aussi
la crainte de voir des caisses automatiques supprimer le travail de milliers de
caissières.
Cette grève a coïncidé avec une chute spectaculaire de la cote
de popularité du président Nicolas Sarkozy dans les sondages.
L’arrêt de travail avait été appelé par les syndicats CGT
(Confédération générale du travail), la CFDT (Confédération française démocratique
du travail) et FO (Force ouvrière) en réponse au refus exprimé le jour
précédent par la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution
(FCD) d’accéder aux revendications des syndicats.
« Nous demandons de vraies hausses de salaire pour
atteindre 1 500 euros bruts », a déclaré Charles Dassonville de la
section distribution de la CGT, ajoutant qu’ils n’avaient pas
l’intention de signer l’accord négocié avec la FCD et qui accordait
quelques concessions mineures. Les employeurs, qui avaient précédemment fait
des retenues de salaire illégales pour les pauses prises toutes les quatre
heures, avaient accepté de mettre fin à cette pratique, ce qui augmenterait les
salaires de 5 pour cent.
La grève a concerné principalement les caissières. Malgré des
tentatives d’intimidation de la part de la direction, 80 pour cent des
hypermarchés, 70 pour cent des supermarchés et 50 pour cent de la logistique
ont été touchés à travers le pays, selon les chiffres des syndicats. Quelque 20
magasins ont dû fermer. Dans bien des cas, la grève a duré plusieurs heures et s’est
accompagnée de rassemblements, de manifestations et de distributions de tracts.
Le Nouvel Observateur a fait le commentaire suivant, « Ce
qui s’est passé hier chez Carrefour, Auchan, Champion, Monoprix et tant
d’autres supermarchés est "historique". C’est la première
grève massive des caissières… Cette grève, c’est celle du nouveau
prolétariat moderne, peu qualifié et à majorité féminine. »
Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, interrogé
sur RMC le 1er février, s’est dit « satisfait »
d’avoir réussi à « conjuguer les efforts de trois syndicats pour
mettre en avant la situation sociale et salariale des personnels de la grande
distribution. »
Cette déclaration est l’exemple même de la suffisance et
du cynisme des bureaucraties syndicales, qui ont répondu à la situation
difficile de ces travailleurs à bas salaire en appelant à une journée
d’action vendredi dernier dans le but uniquement de redorer leur blason
bien terni. Ces bureaucraties syndicales cherchent à enrayer le déclin des
cotisations qu’elles perçoivent de leur base et feront tout ce qui est en
leur pouvoir pour limiter à des protestations inefficaces la lutte contre la
baisse du niveau de vie des travailleurs. Ils n’ont aucune intention de monter
une lutte réelle contre la grande distribution ou de défier politiquement
l’offensive gouvernementale contre les droits des travailleurs.
La CGT et les autres syndicats ont joué un rôle perfide en
aidant Sarkozy à démanteler les régimes spéciaux de retraite, divisant, isolant
et trahissant les cheminots et les autres travailleurs en lutte pour la défense
de leurs droits de retraite au cours des trois derniers mois de l’année
2007. Cette expérience doit servir d’avertissement aux employés de la grande
distribution au moment où ils entrent en lutte contre leurs employeurs.
Les syndicats viennent de signer un accord avec le
gouvernement sur les contrats de travail qui donnent aux patrons des droits
accrus en matière d’embauche et de licenciement. Cet accord détruit aussi
les protections légales contenues dans le Code du travail.
Un rapport récent, préparé pour Sarkozy par Jacques Attali, le
plus proche conseiller de l’ancien président socialiste François
Mitterrand, non content de fortement encourager la réduction du coût du travail
pour augmenter la compétitivité de l’industrie française, propose la
déréglementation du secteur de la vente et la suppression des restrictions sur
le travail du dimanche, une revendication majeure des patrons de la grande
distribution. L’ex-candidate socialiste à la présidentielle, Ségolène
Royal a elle aussi accueilli favorablement ce rapport.
La France compte 1 435 hypermarchés, 5 525 supermarchés
et 4 074 magasins hard discount. Ils emploient près de 636 000
personnes dont 61 pour cent sont des femmes et 39 pour cent des hommes. Selon
les chiffres des syndicats, 63 pour cent sont employés à plein temps et 37 pour
cent à temps partiel.
Les bénéfices de ces hypermarchés sont colossaux. Par exemple
Carrefour compte plus de 12 500 magasins. En 2007, ses ventes ont augmenté
de 7 pour cent en chiffres réel contre 6,3 pour cent en 2006 et 4,3 pour cent
en 2005 d’après les chiffres fournis par l’entreprise. Le chiffre
d’affaire pour 2007 tournait autour de 92,3 milliards d’euros. Le
bénéfice d’exploitation s’élevait à 4,8 milliards et la rentabilité
nette d’exploitation était de 1,8 milliard d’euros en 2006. Auchan
avait un chiffre d’affaire de 35 milliards d’euros et sa
rentabilité nette était de 760 millions d’euros.
Jérôme Bédier, président de la FCD, a dit que la grève était
« incompréhensible » et affirmé, « Il faut rétablir la vérité.
Notre secteur n’est pas un secteur d’emploi précaire : 90 pour
cent des salariés chez nous sont à contrat à durée indéterminée. »
En fait, l’écrasante majorité des employés de ce secteur
est payé au salaire minimum (le SMIC s’élève à 1 280 euros par
mois.) Mais les travailleurs à temps partiel gagnent proportionnellement moins
que le SMIC et les patrons de la grande distribution refusent dans bien des cas
d’embaucher à temps plein, préférant avoir une confortable réserve de
travailleurs pour boucher les trous quand cela s’avère nécessaire. Les
heures supplémentaires ne sont pas payées plus que les heures normales.
En 1993, 8 pour cent de la main-d'oeuvre française gagnait le
SMIC. En 2005 et 2006, ce chiffre avait atteint respectivement 16,3 et 15,1
pour cent.
Le Nouvel Observateur commente, « Alors
qu’il est de bon ton de dire que les 35 heures ont partout été une
calamité, les caissières, elles, se battent aujourd’hui pour des contrats
de 35 heures. Monsieur Bédier ne peut pas ignorer que l’on impose des
temps partiels de 30 heures maximum, avec des amplitudes de travail démentes
qui empêchent toute vie de famille. » D’autres reportages parlent de
contrats minimums bien plus courts encore. Le taux de chômage élevé et les
licenciements dans l’industrie automobile et la sidérurgie ainsi que dans
les entreprises de haute technologie signifient que des travailleurs, qui ont
souvent un niveau de qualification élevé, doivent prendre de tels emplois mal
rémunérés.
Le 2 février, Libération publiait des interviews
réalisées auprès de caissières : « On a des surprises. Au lieu de 9
heures à 15 heures, vous vous retrouvez avec 13 heures à 19 heures, assure
Anne. Pas de pause en dessous de quatre heures de travail consécutives. Des
fois, on vous fait venir pour travailler trois heures quarante-cinq. » Le
journal a aussi signalé que « Les caissières se plaignent aussi des
coupures trop longues. Ainsi Sylvie doit venir un jour de 10 heures 15 à 13
heures 15, puis de 16 heures à 20 heures 30. Et c’est une perte de temps
et d’argent que de rentrer chez soi entre temps. »
Il n’existe quasiment pas de promotion ou de progression
de carrière. A Carrefour, second plus grand détaillant du monde après Wal-Mart,
des salariés ayant 30 ans de carrière gagnent la même chose que des salariés ayant
un an d’ancienneté. Une grande proportion des travailleurs les plus
pauvres se trouve dans le secteur de la grande distribution.
Même ce vivier d’emplois va tarir. On estime que
l’automatisation des caisses de supermarché aura pour conséquence la
perte de 200 000 à 400 000 emplois.
La grève des employés de la distribution de vendredi dernier
reflète une inquiétude grandissante quant à l’envolée des prix de
l’alimentation, du logement et de l’énergie et la chute du pouvoir
d’achat en Europe. Le même jour, il y avait une grève de travailleurs en
Allemagne revendiquant des augmentations de salaire de 8 pour cent et plus. Les
transports urbains de Berlin ont été paralysés pour la première fois en dix ans
et les électriciens et gaziers de Vattenfall ont fait grève et mercredi ce sera
le tour des employés de ThyssenKrupp.
Le Financial Times rapporte dans son édition du 31
janvier que l’inflation dans la zone euro a atteint 3,2 pour cent pour la
première fois en quatorze ans. « Cette augmentation inattendue de
l’inflation, de 3,1 pour cent en décembre, a indiqué que la « hausse »
de l’inflation causée par l’augmentation des prix des carburants et
de l’alimentation s’avère être plus importante et plus durable que
ne l’avait anticipé la BCE [Banque centrale européenne,] » fait
remarquer le journal. « Le taux de janvier était le plus élevé depuis que
la BCE a pris la responsabilité en 1999 de la politique monétaire de la zone
euro qui couvre à présent 15 pays. C’est aussi au-dessus de son objectif
d’un taux annuel « juste en dessous » de 2 pour cent. »
Christine Lagarde, ministre de l’Economie et des Finances,
a annoncé au début de l’année que par rapport aux 2 pour cent
d’inflation de l’année 2007, la France « aura sans aucun doute
plus d’inflation en 2008. »
Le Financial Times (FT) fait remarquer que la Banque
centrale européenne (BCE), en maintenant à 4 pour cent les taux d’intérêt
de la zone euro, n’a pas répondu à la décision de la Réserve fédérale
américaine de réduire de façon draconienne à 3 pour cent les taux
d’intérêt. La décision de la Fed favorise la dépense de dollars et
renforce l’inflation aux Etats-Unis et par là même le déclin de la valeur
du dollar.
La BCE exprime la politique de la bourgeoisie européenne désireuse
de défendre la valeur de l’euro malgré le déclin du dollar. En 2002, un
euro valait près de 98 cents. Aujourd’hui, il vaut 1,48 dollar. La BCE
veut que la perte de compétitivité des produits européens, provoquée par
l’avantage donné aux exportations américaines du fait de la faiblesse du
dollar, soit compensée en forçant la classe ouvrière européenne à supporter un
niveau de vie plus bas.
Le FT explique : « La prévision générale est
que l’inflation annuelle diminuera dans le courant de l’année, mais
ce que la BCE craint c’est que cette hausse temporaire ne devienne
durable si elle est alimentée par des revendications salariales. Les termes
durs employés par la BCE ont pour but depuis peu d’envoyer un signal fort
tant que dure la série actuelle de négociations salariales. »
Le gouvernement Sarkozy subit une forte pression de la part
des bourgeoisies française et européenne l’enjoignant à tenir bon contre
les tentatives de la classe ouvrière de compenser la vie chère par des hausses
de salaire. Les mesures d’austérité commencées en 1983 par le président
François Mitterrand, pris à la gorge par le système monétaire mondial et la
menace de l’effondrement du cours du franc, s’étaient traduites par
un gel des salaires et des attaques sur les programmes sociaux. Les grandes
entreprises exigent à présent que ce processus s’accélère.
D’après un récent sondage publié par TNT Sofres, la cote
de popularité du président Sarkozy a enregistré une chute de 8 points et est
passée de 49 à 41 pour cent. Le sondage indique que 87 pour cent des Français
ne croient pas que le gouvernement soit capable de combattre la hausse des prix
et 70 pour cent pensent qu’il est incapable de faire baisser le chômage.
Quelque 66 pour cent prédisent « de nombreux conflits sociaux » dans les
deux à trois mois à venir et 46 pour cent pensent que ces problèmes pourraient
provoquer des affrontements et des violences.
La grève des travailleurs de la grande distribution est une
indication de plus qu’une grande majorité de la population réagit contre
la politique d’austérité du gouvernement. Ils résistent aux attaques sur
leurs conditions de vie. Il ne fait pas de doute que cette révolte reflète en
partie l’hostilité politique croissante envers le gouvernement de
Sarkozy, les promesses du « président du pouvoir d’achat » se
révélant être des paroles creuses. Son attirance excessive et vulgaire pour la
richesse et pour la compagnie de célébrités superficielles et de millionnaires
confère à ce mouvement une amertume explosive.