Le premier ministre canadien Stephen Harper a exprimé sa
consternation lundi face à la détérioration rapide de l’économie canadienne et,
en réponse à la question d’un journaliste, a admis que la possibilité d’une
dépression ne pouvait être écartée.
« La vérité est que je n’ai jamais vu une telle
incertitude en ce qui concerne l’avenir », a déclaré Harper. « Je
suis très inquiet pour l’économie canadienne. »
Harper et ses conservateurs insistent depuis longtemps que
le Canada sera largement épargné par la crise économique mondiale. Au début
octobre, alors que les banques s’effondraient et que les marchés du crédit se
resserraient, le premier ministre avait affirmé qu’il y avait probablement de
bonnes opportunités d’achat sur les marchés boursiers nord-américains.
Le fait que les conservateurs n’aient pas inclus de mesures
pour stimuler l’économie dans la mise à jour fiscale et économique présentée au
parlement trois semaines auparavant, (le gouvernement avait proposé de réduire
les dépenses gouvernementales afin d’éviter un déficit budgétaire), a suscité
un tollé et provoqué une crise politique qui a bien failli défaire le
gouvernement minoritaire conservateur. Ultimement, les conservateurs purent
éviter d’être défaits par une triple alliance des libéraux, du NPD et du Bloc québécois
en gagnant l’appui de la gouverneure générale, qui est non-élue et n’a de
compte à rendre à personne, qui a violé les préceptes fondamentaux de la
démocratie parlementaire canadienne en décrétant la suspension du parlement
jusqu’au 26 janvier. (Voir : Le coup
d’Etat constitutionnel du Canada : Un avertissement à la classe ouvrière)
Une avalanche de mauvaises nouvelles économiques, de
demandes croissantes de l’industrie pour de l’aide d’urgence ainsi que le fait
d’être passés à deux doigts de perdre le pouvoir ont donné matière à réflexion
aux conservateurs.
Harper a indiqué lundi que son gouvernement acceptait maintenant
la nécessité d’une aide économique. « Nous aurons clairement un déficit
budgétaire », a-t-il affirmé à CTV. « Nous aurons à dépenser des
milliards de dollars qui n’étaient pas prévus. »
Le Globe and Mail, La Presse et d’autres
grands quotidiens de la grande entreprise qui ont critiqué les conservateurs
pour ne pas avoir agi au moment même où les Etats-Unis et divers pays européens
prenaient des mesures pour stimuler leurs économies pressent les conservateurs
et les libéraux, maintenant dirigés par le droitiste Michael Ignatieff, de
travailler ensemble pour formuler un budget qui répondra à la crise.
Malgré ces exhortations, il est loin d’être certain que les
principaux partis de la bourgeoisie canadienne en arrivent à un terrain
d’entente. L’élite du Canada demeure profondément divisée sur l’ampleur, la
forme et la cible de toute tentative d’aide économique. Ces divisions ont de
plus un fort caractère régional, opposant le secteur des ressources de l’Ouest
aux manufacturiers de l’Ontario et du Québec.
Alors que les conservateurs, avec le plein soutien des
partis de l’opposition, sont rapidement venus à l’aide des banques avec des
dizaines de milliards de dollars, ils ont dû être encouragés par l’opposition,
le gouvernement libéral de l’Ontario et des sections de Bay Street à fournir de
l’aide aux trois grands constructeurs automobiles de Détroit. Vendredi dernier,
le ministre fédéral de l’Industrie Tony Clement a annoncé que les gouvernements
du Canada et de l’Ontario s’étaient mis d’accord sur un projet d’aide avec les
constructeurs, mais un projet dépendant d’une aide supplémentaire fournie par
le gouvernement américain.
Le premier ministre de la Colombie-Britannique Gordon
Campbell, un droitiste notoire, a régulièrement parlé contre un
« sauvetage » de l’industrie de l’automobile, dénonçant les
travailleurs de l’automobile comme étant des « gros richards », tout
en argumentant que « l’équité régionale » requiert que tout soutien
au secteur de l’automobile vienne avec un soutien comparable pour l’industrie
forestière dévastée de la Colombie-Britannique.
Le premier ministre de l’Alberta, Ed Stelmach, dans une
chronique du National Post où il accueillait la fermeture du parlement
par la gouverneure générale, a expliqué clairement l’opposition de son gouvernement
progressiste-conservateur vis-à-vis le soutien à des industries « non
compétitives » et à des dépenses sociales accrues. « [N]os efforts
doivent être mis sur des mesures qui encouragent une reprise soutenue… Nous
n’allons pas, » écrit Stelmach, « appuyer des politiques qui nous
divisent et qui ciblent des régions et des industries particulières de manière
non équitable. »
Le cabinet conservateur lui-même semble être divisé sur des
bases régionales et idéologiques quant à la façon de réagir à la crise qui
s’accentue. La semaine dernière, peu après que le ministre des Finances, Jim
Flaherty, ait encore jeté de l’eau froide sur les appels pour une action
gouvernementale urgente en disant que « paniquer et faire les mauvais
choix serait dévastateur pour l’économie canadienne », son collègue
ontarien, le ministre de l’Industrie Tony Clement, a dit que les conservateurs
sont prêts à aider les industries en « détresse ».
Pendant ce temps, la crise s’accentue. 70 600 emplois ont
été perdus en novembre, la plus grosse perte mensuelle depuis 1982, amenant le
taux de chômage au Canada à 6,3 pour cent. En tenant compte que les Etats-Unis
sont environ 10 fois plus gros que le Canada, les pertes en novembre au Canada
étaient proportionnellement plus grandes que le demi-million d’emplois
supprimés aux Etats-Unis.
Beaucoup plus que la moitié des emplois perdus au Canada le
mois dernier, 42 000, étaient dans le secteur manufacturier et 66 000
de ces emplois se trouvaient en Ontario, le cœur industriel du Canada et aussi
la province, mise à part peut-être l’Alberta, la plus économiquement intégrée
aux Etats-Unis.
Un rapport de PricewaterhouseCoopers, publié le 8 décembre et
basé sur les déclarations de revenus de 15 compagnies
forestières négociées sur le marché, a dit que l’industrie forestière
canadienne a perdu 553 millions de dollars dans le troisième trimestre de cette
année. Cela inclut 303 millions de dollars en restructuration et en perte de
valeur, c’est-à-dire les coûts reliés aux coupes dans la production et dans les
fermetures d’usine. Et l’avalanche de fermetures est loin d’être terminée. Plus
tôt ce mois-ci, AbitibiBowater a annoncé qu’elle fermait son usine de Grand
Falls-Windsor à Terre-Neuve à la fin du mois de mars, éliminant environ 800
emplois.
Le secteur de la construction de maisons canadien est en train
d’être ravagé. Les mises en chantier ont chuté de 19 pour cent en novembre,
amenant le taux annuel désaisonnalisé des mises en chantier à 172 000, le
plus bas niveau depuis 2001. Les reventes de maisons, pendant ce temps, étaient
de 42 pour cent plus basses le mois dernier qu’en novembre 2007 et sont
maintenant à leur plus bas niveau depuis janvier 2001.
On peut dire que le secteur manufacturier du Canada est en
récession depuis quelque temps, mais l’économie canadienne a été soutenue dans
les dernières années par la hausse du prix des matières premières,
particulièrement la hausse des prix du pétrole. La récente chute dans les prix
des matières premières a secoué l’économie canadienne, faisant baisser la
valeur du dollar canadien — il transige présentement juste au-dessus de 80
cents américains, alors qu’il était près de la parité en juin — et forçant les
compagnies basées sur les ressources à sabrer dans les investissements.
Cela s’applique tout spécialement aux
sables bitumineux de l’Alberta, le centre de l’industrie pétrolière canadienne.
Au cours des dernières semaines,EnCana
Corp, Petro-Canada et Suncor Energy, parmi d’autres, ont retardé des milliards
d’investissements prévus dans le développement de projets d’exploitation des
sables bitumineux. Selon un quotidien, « Le ralentissement signifie en
fait qu’au moins 40 milliards de dollars d’investissements prévus en Alberta pourraient
ne pas se concrétiser. »
L’industrie minière et de la transformation du
minerai diminue aussi radicalement sa production et ses investissements. Rio
Tinto, qui a acheté le fabricant d’aluminium Alcan l’an dernier, a annoncé la
semaine dernière qu’il repoussait ou suspendait « plus de 6,8 milliards $
de dépenses prévues au Canada », y compris une expansion de 800 millions
de ses opérations dans les mines de fer au Labrador et des projets d’aluminerie
au Québec et en Colombie-Britannique. « Tout s’est écrasé avec une ampleur
que personne ne pouvait anticiper » a dit le PDG de Rio Tinto, Dick Evans,
au Globe and Mail.
Xstrata fermera deux mines de nickel à Sudbury
qui étaient autrefois la propriété de Falconbridge et la société brésilienne
Vale fermera la mine Copper Cliff, aussi à Subdury, ayant longtemps appartenu à
Inco.
La crise économique a aussi l’échec de
l’entente d’achat de Bell Canada Entreprises (BCE), une entente qui avait été
célébrée sur Bay Street pour être la plus grande acquisition de l’histoire
canadienne et qui avait demandé un jugement de la Cour suprême pour aller de
l’avant. (La plus haute cour canadienne a renforcé les droits de propriété en
déclarant que le conseil de direction de l’entreprise n’avaient en prendre en
compte que les meilleurs intérêts des actionnaires, et pas ceux des détenteurs
de bons de BCE, lorsqu’il négociait la vente de la compagnie.)
La vente de BCE s’est effondrée après qu’un
audit eut déterminé qu’après l’achat, BCE, dont la valeur des actions en bourse
a diminué brutalement au cours des derniers mois comme celle des autres
compagnies considérées comme très sûres, serait insolvable.
Selon le Wall Street Journal, Nortel
Networks qui, tout comme BCE, a été un des joyaux de la couronne du capitalisme
canadien, considère faire faillite. Le plus grand fabricant d’équipement de
télécommunications d’Amérique du Nord, Nortel a inscrit le mois dernier des
pertes de 3,4 milliards $ pour son troisième trimestre et a annoncé qu’il
mettait à pied cinq pour cent de son personnel, soit 1300 personnes, et gelait
les salaires pour les autres.
Dans une tentative de relancer l’activité
économique, la Banque du Canada a annoncé le 9 décembre une diminution de 0,75
point du taux directeur gérant le taux d’intérêts des prêts interbanques. Cette
diminution a amené le taux à 1,5, soit son plus bas niveau depuis 1958.
Expliquant son geste, la banque a dit qu’elle
n’était plus inquiétée par l’inflation, puisque celle-ci diminuera
nécessairement à cause de la récession mondiale.
Traditionnellement, les banques canadiennes
ont réduit leurs taux d’intérêt en phase avec la Banque du Canada, mais, tout
comme la dernière fois où la banque centrale a diminué son taux directeur, ce
ne fut pas le cas cette fois-ci. Plutôt, elles ont diminué leur meilleur de
taux de seulement 0,5 point qui est maintenant de 3,5 pour cent.
Les banques n’ont accepté d’accorder la
précédente diminution du taux d’intérêt de la Banque du Canada qu’après que le
gouvernement fédéral eut accepté de lancer un programme pour permettre à la
Société d’hypothèque et logement du Canada de racheter 25 milliards $
d’hypothèques. A la mi-novembre, ce programme avait déjà triplé en valeur. Le
gouvernement a aussi dit qu’il garantirait plus de 200 milliards de prêts interbancaires.
Nancy Hughes Anthony, à la tête de
l’Association canadienne des banquiers, a défendu le fait que les banques
commerciales ne transmettent pas les diminutions du taux d’intérêt, disant au Globe and Mail que le coût net d’un emprunt
avait augmenté et continuera d’augmenter jusqu’à ce que « les banques
puissent enlever un peu de pression sur leurs marges de profit ».
Le gouvernement a refusé de critiquer les
banques. Un porte-parole du ministre canadien des Finances, Jim Flaherty a dit
que les banques « prenaient leurs décisions de façon indépendante en
réponse aux mesures prises par la Banque du Canada… Tous les Canadiens
voudraient clairement obtenir de plus faibles taux d’intérêts et que toute la
diminution du taux directeur soit transférée aux consommateurs. Toutefois, nous
sommes dans une situation où les conditions mondiales du crédit ont été
resserrées à un niveau inégalé, rendant le prêt et l’emprunt très difficiles. »
Dans leurs demandes pour une aide gouvernementale,
les représentants des industries auprès du gouvernement font valoir que le
crédit se fait rare. Au Canada comme ailleurs, les banques et les autres
institutions financières qui ont obtenu une aide gouvernementale l’utilise pour
avancer les intérêts de leurs propriétaires, en embellissant les bilans
financiers, en faisant des acquisitions, en payant des dividendes, plutôt que
de faciliter le crédit.
« Notre priorité aujourd’hui est de nous
assurer que les compagnies qui voient une diminution rapide de leurs carnets de
commandes continuent à avoir accès au crédit », a déclaré Jason Myers, le
président des Manufacturiers et exportateurs canadiens. « La question est
vraiment d’obtenir du crédit dès aujourd’hui. »
Les travailleurs au Canada et de par le monde font
face à un assaut massif sur leurs emplois et leurs conditions de vie, alors que
la grande entreprise et l’Etat capitaliste travaillent main dans la main pour
leur faire porter le poids de la crise économique.
Les syndicats et le parti social-démocrate, le
NPD, ont quant à eux fait la preuve de leur soumission entière au système de
profit et de leur inutilité pour défendre les travailleurs. Leur première
réponse à la crise économique a été de se joindre au parti traditionnel du
pouvoir de la grande entreprise canadienne, le Parti libéral, pour former une
coalition sous la direction des libéraux. Un tel gouvernement, s’il devait
jamais prendre le pouvoir, serait un gouvernement de droite qui implémenterait
le plan de 50 milliards en diminution d’impôts pour les compagnies promis par
les conservateurs, qui ferait la guerre en Afghanistan jusqu’en 2011 et qui
organiserait des plans d’aide pour les industries, comme celle du secteur
automobile, où l’aide gouvernementale serait liée à l’élimination des emplois
et à des concessions contractuelles (voir La coalition
libérale-NPD au Canada : un outil de la grande entreprise).
Aujourd’hui, alors que la bourgeoisie
canadienne, en soutenant le coup d’Etat constitutionnel des conservateurs, a
démontré son opposition à la coalition, le NPD a signalé qu’il était prêt à
travailler avec Harper tout autant qu’avec les libéraux. Dans une interview
télévisée dimanche dernier dans l’émission « Question Period » sur le
réseau CTV, le chef du NPD Jack Layton a dit qu’il comprenait pourquoi Michael
Ignatieff, qui est devenu chef du Parti libéral la semaine passée, rechignait à
soutenir la coalition et déclarait qu’elle était avant tout un moyen de faire
pression sur les conservateurs pour qu’ils introduisent un plan de relance
économique dans le prochain budget. « Je peux le comprendre. Il vient de
commencer à ce nouveau poste. Je crois que c’est raisonnable pour lui de
prendre cette position », a dit Layton.
Le chef du NPD a ajouté que, tout comme
Ignatieff, il n’exclut pas soutenir le budget conservateur, même s’il doutait
que les conservateurs prendraient les mesures nécessaires. Faisant montre d’une
indifférence complète aux questions des droits démocratiques soulevées par la
fermeture du Parlement par les conservateurs, Layton a déclaré « C’est la
saison des miracles. Aurons-nous un miracle dans ce budget ? Peut-être
devons-nous être ouverts à cette possibilité. »
(Article original anglais paru le 17 décembre
2008)