WSWS : Nouvelles et analyses : Europe
Au cours d´une action provocante à la veille du sommet de l´OTAN à Bucarest, le président américain s´est rendu à Kiev où il a rencontré le président ukrainien Viktor Iouchtchenko. Bush veut obtenir que l´ancienne république soviétique devienne membre de l´Alliance atlantique.
« Votre pays a pris une décision courageuse » a dit Bush parlant de la demande d´adhésion à l´OTAN faite par Iouchtchenko « et les Etats-Unis soutiennent fermement votre demande. »
Bush a fait l´éloge du gouvernement ukrainien parce qu´il avait envoyé une force militaire symbolique afin d´aider les Etats-Unis dans la guerre en Irak et en Afghanistan et l´OTAN au Kosovo.
Un sondage d´opinion rendu public le mois dernier indique qu´à peine onze pour cent des Ukrainiens soutiennent une adhésion de l´Ukraine à l´OTAN, tandis que 35 pour cent y sont fortement opposés. Cette opposition est particulièrement forte dans l´est du pays.
Des milliers de gens se sont rassemblés sur la place de l´Indépendance à Kiev et ont convergé vers l´ambassade des Etats-Unis. Les banderoles de la manifestation disaient, entre autres : « l´OTAN est pire que la Gestapo » et « Mettez la dictature sanglante de Bush devant un tribunal international. » La foule scandait « Yankee go home ! »
La colère à l´encontre de Bush a été exacerbée par un texte donné à la presse ukrainienne et disant que le président américain était venu à Kiev accompagné par des équipes de tireurs d´élite ayant reçu l´autorisation de tirer sur toute personne suspectée de porter une arme.
V. Geletey, le chef des services de sécurité ukrainiens a fait une déclaration publique intimant aux habitants du centre de Kiev de ne pas « sortir sur les balcons, ouvrir les fenêtres, monter sur les toits des maisons, prendre des photos ou filmer ».
Le gouvernement ukrainien avait demandé à faire partie du Membership Action Plan (MAP) de l´OTAN en janvier, un processus d´adhésion à l´OTAN qui comporte un calendrier et des conditions à remplir. Washington a soutenu la demande d´adhésion immédiatement ainsi que celle de l´ancienne république de Géorgie, voulant aussi obtenir le statut MAP.
Bush a dit après la rencontre avec Iouchtchenko « Je vais continuer d´être clair sur la position de l´Amérique cette semaine à Bucarest. » « Ma visite ici devrait signaler clairement à tous que ce que je dis est sérieux : il est de notre intérêt que l´Ukraine fasse partie [de l´OTAN]. »
En février le gouvernement russe avait réagi à la demande de Kiev en avertissant que si l´Ukraine devenait membre de l´Alliance atlantique et permettait à celle-ci d´établir des bases sur son territoire, la Russie la traiterait comme une cible militaire. « La Russie pourrait pointer ses batteries de missiles vers l´Ukraine » avait déclaré le président russe. « Imaginez cela un instant. »
Le Kremlin s´est aussi fortement opposé à l´inclusion de la Géorgie à l´OTAN, avertissant que cela pourrait conduire à une reconnaissance par Moscou de républiques séparatistes, l´Ossétie du Sud et l´Abkhazie, deux régions voisines de la Russie et se trouvant sur le territoire de la Géorgie.
« Les problèmes les plus importants sont la Géorgie et l´Ukraine », a dit le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov au journal Izvestia lundi. « On les entraîne sans aucun égard dans l´OTAN. Même si, comme on le sait, la grande majorité des Ukrainiens s´y oppose et qu´en Abkhazie et en Ossétie, ils ne veulent même pas en entendre parler. »
Au cours des dix dernières années, l´OTAN a admis dans ses rangs neuf des ex-membres de l´ancien Pacte de Varsovie dirigé par l´Union soviétique, à commencer par la Pologne, la République tchèque et la Hongrie en 1999. Moscou a considéré cette extension comme un processus d´encerclement militaire, qui représenterait un changement qualitatif s´il venait à être étendu à l´Ukraine et à la Géorgie qui faisaient toutes deux partie de l´Union soviétique.
Le gouvernement allemand dirigé par Angela Merkel a dit clairement qu´il s´opposerait à l´admission de ces deux Etats. Comme l´OTAN fonctionne sur la base du consensus, Berlin peut effectivement faire jouer son veto contre une nouvelle extension de l´Alliance.
L´Allemagne dépend fortement de l´énergie en provenance de Russie et elle est le plus important partenaire économique de la Russie. Le capitalisme allemand est de loin la principale source d´investissement direct étranger en Ukraine, y ayant investi quatre fois plus que les investisseurs basés aux Etats-Unis. Ces dernières années, des coupures d´approvisionnement énergétique politiquement motivées ont démontré la vulnérabilité de l´Ukraine vis-à-vis de représailles russes.
Le mois dernier, Merkel a énoncé clairement la position du gouvernement allemand dans un discours prononcé devant les dirigeants militaires à Berlin et auquel assistait aussi le secrétaire général de l´OTAN, Jaap de Hoop Scheffer.
« Les pays qui sont impliqués dans des conflits régionaux et internes ne peuvent pas devenir membre de l´OTAN » a-t-elle dit dans une allusion transparente à la Géorgie et à son conflit avec les mouvements séparatistes d´Abkhazie et d´Ossétie du Sud.
Merkel a poursuivi en déclarant qu´un pays devrait être admis dans l´Alliance atlantique seulement s´il existe « un soutien numériquement suffisant en faveur d´une adhésion à l´OTAN dans la population de ce pays », une condition qui était nettement censée exclure l´Ukraine.
Les responsables allemands ont aussi mis en garde contre le fait qu´une admission de la Géorgie pouvait impliquer l´OTAN dans un conflit avec la Russie à propos de ces deux territoires si le gouvernement de la Géorgie invoquait l´article 5 du traité de l´Alliance atlantique qui oblige celle-ci à venir en aide à ses membres s´ils sont attaqués ou sont menacés d´une attaque.
La position allemande semble largement partagée en Europe de l´Ouest. Le premier ministre français François Fillon a mis en garde dans une interview contre une adhésion des deux anciennes républiques soviétiques à l´OTAN. Il a dit à la station de radio France Inter « nous nous opposons à l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie, car nous croyons que ce n’est pas une bonne solution pour l’équilibre des rapports de puissance en Europe et entre l’Europe et la Russie ». « La France ne va pas donner son feu vert à l'entrée de l'Ukraine et de la Géorgie » a-t-il encore dit, ajoutant que l'avis de la France sur cette question était « différent de celui des Etats-Unis ».
Le secrétaire d´Etat français aux Affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, a souligné dans une interview donnée au New York Times mardi que le gouvernement français était opposé à l adhésion des deux anciennes républiques soviétiques qu´il considérait comme prématurée ; selon lui, l´Union européenne devait œuvrer à développer des liens stratégiques étroits avec ces deux pays. « Parce que nous considérons [une participation à] l´OTAN comme prématurée, d´une certaine manière de tels partenariats deviennent encore plus importants », a-t-il dit.
L`extension de l´OTAN à l´est a été une source de tensions entre l´Europe de l´Ouest et Washington depuis qu´elle a commencé. En 2003, devant l´opposition de l´Europe à la guerre contre l´Irak, un des principaux architectes de cette guerre, le ministre américain de la Défense, Donald Rumsfeld, avait qualifié l´Allemagne et la France de « vieille Europe » et insisté pour que le « centre de gravité » soit déplacé à l´est, où les anciens pays de l´Est étaient étroitement alignés sur la politique de Washington.
Washington considérait l´extension de l´OTAN à l´ancien pacte de Varsovie comme un moyen de faire avancer ses intérêts stratégiques, prenant avantage de la liquidation de l´ancienne Union soviétique en 1991 et de l´ouverture de nouvelles régions au capitalisme.
Face à l´émergence de l´Union européenne et en particulier de l´Allemagne comme principale puissance économique de la région, les Etats-Unis ont essayé de faire avancer leurs propres intérêts en affirmant leur pouvoir militaire et leur suprématie dans l´OTAN, à laquelle ils firent adhérer les anciens pays de l´Est.
La déclaration d´opposition de la part de la France à la politique américaine vient au moment même où le président français Nicolas Sarkozy, déclarait l’intention de son pays de rejoindre la structure militaire de l´OTAN avec laquelle Charles de Gaulle avait rompu en 1966. Selon certains articles de presse parus en France et en Grande-Bretagne, Sarkozy a aussi l´intention d´annoncer au sommet de Bucarest l´envoi d´un millier de soldats dans l´est de l’Afghanistan.
Cela permettrait aux Etats-Unis, qui ont lancé la guerre en Afghanistan et continuent de livrer l´essentiel des combats, de transférer un nombre équivalent de troupes à Kandahar pour y soutenir une force canadienne de quelque 2500 soldats. Ottawa avait menacé de quitter la région si le Canada n´obtenait pas des renforts de la part d´autres membres de l´OTAN.
L´Afghanistan représentera une autre source de vives tensions entre Washington et les membres européens de l´OTAN à Bucarest. De récents articles ont mis en garde contre le fait que l´Afghanistan est un « Etat raté ». Dans un rapport préparé par l´Atlantic Council’s Afghanistan Study Group, l´ancien dirigeant de l´OTAN, le général James Jones exprime ce point de vue sans ambages. « Ne vous y trompez pas, l´OTAN ne gagne pas en Afghanistan. » Ce rapport avertit de ce qu’un échec en Afghanistan mettrait gravement en cause « l´avenir de l´OTAN en tant qu´alliance crédible, cohésive et importante ».
Critiquant l´Allemagne pour son refus d´envoyer des troupes dans les zones de combat dans le sud du pays, le ministre américain de la Défense, Robert Gates, a affirmé lors d´une conférence européenne sur la sécurité à Munich en février, que l´OTAN devenait une « alliance à deux vitesses » dans laquelle certains pays s´offraient « le luxe d´opter seulement pour la stabilité et les opérations civiles, forçant ainsi d´autres alliés à supporter une part disproportionnée des combats et des victimes ».
Le gouvernement Merkel a jusque-là refusé de modifier le statut régissant l´activité des 3.200 soldats allemands présents en Afghanistan. Celle-ci se limite en grande partie à des opérations non militaires de sécurité et de soutien civil dans le nord du pays.
L´hebdomadaire allemand Der Spiegel écrit que les responsables allemands espèrent continuer à faire la sourde oreille sur les questions épineuses comme l´extension de l´OTAN et la proposition de l´administration Bush, à laquelle s´oppose avec véhémence Moscou, du déploiement d´un bouclier antimissile en Europe de l´Est avant la fin de la présidence Bush
« Mais même un nouveau président américain ne rendra pas les choses plus faciles pour l´Allemagne en Afghanistan » commente Der Spiegel. « Bush et tous ses successeurs potentiels ont une chose en commun : appeler à l´envoi de plus de troupes allemandes. Ils sont d´accord sur le fait que ce qu´Obama appelle "le sale travail" dans les zones de combats du Sud et de l´Est ne devait pas être laissé aux seuls Américains, Canadiens, Anglais et Hollandais ».
(Article original anglais paru le 2 avril 2008)
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