Des dizaines de milliers de lycéens et
d´enseignants ont manifesté jeudi 10 avril pour la cinquième fois en deux
semaines contre des mesures prises par le gouvernement conservateur du
président Nicolas Sarkozy dans l´éducation et annoncées il y a quelques
semaines par le ministre de l´Éducation Xavier Darcos.
Lors de cette cinquième journée de
protestation, ce sont environ 30 000 lycéens, enseignants et étudiants
venus de toute la région parisienne qui ont manifesté à Paris. Le nombre des
manifestants s´est accru en permanence depuis que celles-ci ont commencé. La
manifestation de jeudi était deux fois plus grande que celle qui a eu lieu deux
jours auparavant.
Il y eut aussi dans les deux dernières
semaines des manifestations importantes en province, comme à Lyon, Grenoble et
Toulouse et dans des villes de moindre importance comme Blois, Tourcoing et
Montpellier. A Toulon selon les chiffres des syndicats 4000 personnes ont
défilé le 4 avril et à Grenoble 6000 lycéens et enseignants ont manifesté le 10
avril.
De nombreux lycées et collèges de la région
parisienne ont été bloqués ou occupés par les élèves. Des assemblées générales où
l´opposition aux nouvelles mesures est débattue par les lycéens, les parents et
les enseignants se sont tenues parallèlement aux manifestations. Ce sont
surtout les lycées professionnels et les établissements de banlieue qui se sont
mobilisés et envoient des élèves aux manifestations, ce qui ne fut pas le cas
dans les mouvements précédents. Les deux principaux syndicats de lycéens
avaient appelé à une « mobilisation massive » le 10 avril.
Les manifestations furent accompagnées d’une
forte présence policière et ont été confrontées à des provocations répétées de
la part des forces de l´ordre et du gouvernement. Suivant un modèle bien
défini, des groupes de jeunes précédent les manifestations et jettent des
projectiles sur la police, à quoi la police répond en chargeant et en arrêtant
des manifestants. Ce qui est ensuite utilisé par le gouvernement afin de
justifier de nouvelles intimidations et de présenter les manifestations comme
« génératrices de violence » et par conséquent illégales. La
manifestation de mardi fut dispersée avant qu´elle ait pu atteindre sa
destination.
Mardi encore, le ministre de l´Education mit
directement sur le même plan l´opposition à ses mesures et un certain nombre d’« incidents »
ayant eu lieu dans des lycées, sur lesquels les médias se sont jetés et au
cours desquels des enseignants et des proviseurs furent molestés. Il dit sur la
station de radio LCI : « … que l'on ait des élèves qui arrivent dans
un établissement pour tout casser, qu'ils molestent nos professeurs ou qu'ils
volent les portables de leurs camarades ou qu'ils cassent la figure à des
proviseurs, tout ça parce qu'à la rentrée prochaine il va y avoir une classe où
ils étaient 32 — ils vont être 33 — ou parce qu'il y avait 100 professeurs -
ils vont être 98 — je trouve que tout ceci prend des proportions qui ne sont
pas raisonnables. »
A plusieurs reprises les forces antiémeutes
ont dispersé des rassemblements pacifiques des lycéens devant leurs
établissements. Le 4 avril à Creil, dans la banlieue sud-est de Paris, la
police a dispersé plus d´une centaine d’étudiants à l´aide de gaz lacrymogènes.
Un lycéen fut arrêté et il ne fut libéré qu’après que des parents et des
enseignants se soient mobilisés. A Gagny, une banlieue de l’Est parisien
l´entrée d´un lycée fut « dégagée » le premier avril par les CRS à
l´aide de gaz lacrymogènes et de flash balls, ce qui déclencha une forte
protestation de la part de jeunes, de parents et d’enseignants dans toute la
région.
La semaine dernière, Darcos essaya de
minimiser les protestations disant qu´elles ne représentaient que deux pour
cent des lycées en France, mais mardi il déclarait que les protestations « prenaient
des proportions hystériques » étant donné ce qui était en jeu. Le
gouvernement accusa aussi les enseignants du second degré d’être derrière les
protestations et de « se servir » des étudiants pour réaliser leurs
propres objectifs. Darcos est cité dans un article du Nouvel Observateur
comme ayant dit, dans ce qui se lit comme une menace voilée « qu’il
souhait [ait] "dire à certains professeurs extrémistes" de réfléchir "au
risque qu'il y a à jeter des élèves dans la rue" ».Darcos a aussi
décidé, quelques jours après le début des manifestations, de payer une prime de
750 euros aux chefs d´établissement, ce que d´aucuns ont considéré comme une
façon de les soudoyer.
Comme dans d´autres pays européens, on se sert
des études Pisa, réalisées sous l´égide de l´OCDE et qui doivent évaluer
l’efficacité des systèmes scolaires de divers pays, afin de justifier
l´imposition de changements drastiques dans l´Education.
Les lycéens et les enseignants protestent
contre une suite de mesures justifiées par le besoin de
« moderniser » un système éducatif obsolète, mais considérées par
beaucoup comme une tentative d´imposer des coupes sombres aux dépens des jeunes
et des personnels de l´éducation et comme aggravant les problèmes qu´ont déjà
les élèves les plus désavantagés à obtenir une qualification.
La mesure sur laquelle les protestations se
sont concentrées jusque-là est l´élimination de plus de 11 200 postes
d´enseignants (dont 8800 dans le secondaire) prévue pour la rentrée scolaire de
2008. Ces suppressions de postes ont été justifiées par le gouvernement par une
réduction du nombre d’élèves du secondaire.
Leo Moreau, le vice-président de l´UNL (Union
nationale des lycéens) un des deux syndicats lycéens participant aux
protestations déclara : « On supprime des postes dans une proportion
bien plus grande que ce que justifierait la baisse démographique. » Il
critiqua aussi la suppression de certaines options comme le dessin, la musique
et même les langues étrangères, ainsi que l’augmentation du nombre d’élèves
dans des classes déjà surchargées.
Cité dans Le Monde du 4 avril Alain
Olive, le secrétaire général de l´Unsa (Union nationale des syndicats
autonomes) un syndicat enseignant, dit que « Sur la lancée actuelle, d'ici
à 2012, ce sont 85 000 postes d'enseignants en moins avec 150 000
élèves en plus dans le système scolaire. »
Le syndicat lycéen FIDL (Fédération
indépendante et démocratique lycéenne) déclara : « Ces suppressions
affectent principalement les lycées des banlieues qui, précisément, auraient le
plus besoin d'effectifs ». La destruction de postes d´enseignants signifie
souvent la disparition de classes ou d´options et a souvent pour résultat une
surcharge de travail pour les enseignants encore en poste. Ceci est présenté
par le gouvernement comme un encouragement à travailler plus et a été fortement
opposé par les enseignants.
Il existe aussi des inquiétudes que de
nombreuses options jugées non essentielles, comme le dessin, la musique théâtre
et d´autres matières similaires seront mises au rebut.
Une autre mesure à laquelle se sont opposés
lycéens comme enseignant est la préparation du « bac pro », le
baccalauréat professionnel non plus en quatre mais en trois ans et
l´élimination du Brevet d´étude professionnel (BEP), une qualification qui peut
être obtenue après deux années de préparation du bac pro. Le bac pro fut
introduit en 1986 et il est jusqu´à présent préparé en quatre ans au lieu de
trois pour le baccalauréat général. Le BEP est aussi une qualification mieux
considérée que le CAP (Certificat d´aptitude professionnelle) introduit en
1919. La suppression du BEP signifie que de nombreux jeunes seront découragés
et interrompront leur scolarité avant de passer un bac pro, ce qui les
laisserait avec une qualification incertaine comme le CAP.
Une troisième mesure à laquelle s´opposent les
lycéens est la suppression de la carte scolaire. Celle-ci réglemente la
distribution des ressources et des enseignants et la répartition des élèves
dans les écoles publiques. Elle fut introduite en 1963 et elle instaurait un
certain niveau d´égalité des ressources et des normes éducatives à travers le
système scolaire d´Etat. Ces dernières années, elle fut remise en cause par divers
gouvernements qui l´ont modifiée en introduisant un système de dérogations. Les
familles aisées sont capables de contourner les règles et de scolariser leurs
enfants dans les écoles et les lycées qui fonctionnent mieux, hors de la carte
scolaire. La candidate du PS à l´élection présidentielle, Ségolène Royal, était,
elle aussi, en faveur d´une modification de la carte scolaire dans le but de
généraliser cette pratique au détriment de districts les plus pauvres.
Le gouvernement Sarkozy a annoncé qu´il
voulait supprimer la carte scolaire qui fait que les enfants sont normalement
envoyés dans l´école ou le lycée des districts dans lequel ils vivent. La
suppression de ce système est la porte ouverte à une éducation à deux vitesses.
Parallèlement à cela, le gouvernement envisage la fermeture des établissements
qui « échouent » et de les rouvrir sous d´autres conditions comme
cela fut fait par le gouvernement Blair en Grande-Bretagne et qui eut des
résultats désastreux.
Sous le mot d´ordre de « rétablir l´autorité
du professeur », le gouvernement veut aussi généraliser la pratique
introduite il y a quelques années de signaler tout « incident » ayant
lieu dans un établissement scolaire à l´autorité judicaire. Cette décision est
considérée comme un abandon du principe éducatif et l´adoption de mesures
autoritaires et répressives.
Malgré l´expérience de la grève des cheminots
contre la destruction des régimes spéciaux et du mouvement étudiant
contre la loi Pécresse de privatisation des universités l´automne dernier, la
perspective des deux principales organisations lycéennes engagées dans les
manifestations et celle des syndicats enseignants est restée la même :
faire pression sur le gouvernement pour l´ouverture d´un dialogue et pour une
discussion des attaques. Le principal but des manifestations est, pour elles,
de garantir que les représentants lycéens soient invités par le gouvernement à
des négociations.
Ainsi, après la manifestation de jeudi
dernier, le président de l’UNL, Florian Lecoultre, cité dans le Journal du
jeudi dit que « Le rapport de forces [était] désormais bien
établi », ajoutant que le ministre ne pouvait plus se permettre de ne pas
écouter les revendications lycéennes.et que « la mobilisation continuera
tant que nous n'aurons pas de réponses ».
La lutte des étudiants en septembre dernier
contre la loi d’« autonomie » des universités de la ministre de
l´Enseignement supérieur s´est finie dans l´épuisement et la défaite après
trois mois de confrontation. L´isolement de cette lutte par les syndicats
d´enseignants et d´autres a permis que les étudiants soient battus. C’était une
répétition de la trahison des cheminots quelques semaines auparavant. Les
leçons de la lutte des étudiants signifient que les lycéens et les enseignants
doivent rompre avec l´influence paralysante des syndicats et des partis
politiques officiels, prendre eux-mêmes la lutte en main et se tourner vers la
classe ouvrière dans son ensemble.
Darcos a expliqué nettement que même s´il
dialoguait avec les organisations lycéennes et enseignantes il ne reconsidèrera
pas ses mesures. Le premier avril il dit que le gouvernement : « ne
reviendra pas sur ces suppressions : elles ont été largement discutées depuis
août, et votées par le Parlement en novembre ». Et d´ajouter « Même
si je voulais revenir en arrière, je ne peux pas. » La bourgeoisie
française réalise ces attaques de grande envergure sur l´Education parce
qu´elle fait face à une compétition intense de la part de ses rivaux
impérialistes dans les conditions d´une sévère crise économique internationale.
Les syndicats ne s´opposent pas à la
discussion d´une « réforme » de l´Education avec le gouvernement.
Leur seule condition préalable est d’être consultés. Le retrait des
suppressions d´emplois est une monnaie d´échange pour commencer une discussion
sur une « réforme plus générale » de l´Education. L’UNL déclare ainsi
le 4 avril sur son site internet qu´elle réaffirme sa demande de retrait des
suppressions de postes comme condition préalable à une réforme réelle de
l´Education.
Dans la même déclaration appelant à des
manifestations les 8 et 10 avril, ce syndicat écrit qu´il souhaite : « une
réforme du lycée… mais considère qu’elle ne peut être réalisée sans
consultation et sur la base de suppression massive des ressources dans le but
de faire des économies de budget sur le dos des lycéens. »
De la même manière la principale revendication
de la FIDL après la manifestation du 3 avril a été d’être reçue par le ministre
de l´Education. Après avoir appelé à deux nouvelles manifestations les 8 et 10
avril la FIDL dit avec détresse qu’elle réaffirmait « sa volonté d’être
reçue par Xavier Darcos, afin qu´il écoute enfin les revendications et les
inquiétudes des lycéens ». Le ministre, face à l’ampleur de la
mobilisation « doit assumer son rôle et recevoir les organisations
représentatives ».