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La Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a rendu la semaine passée un arrêt selon lequel l’attribution de marchés publics de travaux ne devait pas être liée au respect d’accords salariaux existants signés par des syndicats. Cette décision est une mesure importante pour faire passer les bas salaires partout en Europe.
La décision de cette cour siégeant à Luxembourg fut prise à l’occasion d’un litige sur la construction d’un établissement pénitentiaire à Göttingen, en Basse Saxe. La ville avait décidé de faire construire un nouveau centre pénitentiaire et l’entreprise Objekt und Bauregie avait remporté l’appel d’offre pour un contrat s’élevant à plus de 8,5 millions d’euros. Elle s’engageait par la même à payer ses salariés conformément à la convention collective appliquée dans la région, à savoir 15,24 euros bruts l’heure.
Toutefois, le sous-traitant polonais, qui avait été engagé par la suite, paya ses 53 ouvriers du bâtiment moins de la moitié de ce montant. Sur ce, la ville a réclamé à Objekt und Bauregie une pénalité contractuelle de près de 85 000 euros, donc environ 1 pour cent du montant du marché en se référant à la loi portant sur le respect des accords collectifs en vigueur en Basse Saxe le « Tariftreuegesetz ».
La Cour de justice des communautés européennes vient de se prononcer contre ce procédé. La convention collective des industries du bâtiment a été déclarée généralement non obligatoire et valable seulement sur le plan régional. Ce jugement affecte le respect des accords collectifs de huit Länder en Allemagne.
Il y a quelques mois, deux décisions de la Cour de justice des communautés européennes concernant des conflits sociaux avaient fait grand bruit et soulevé des protestations lorsque les juges luxembourgeois avaient restreint la possibilité des syndicats à mener des actions collectives contre le « dumping social ». Il s’agissait de l’affaire Laval.
L’entreprise de construction lettone « Laval un Partneri » s’était vu attribuer un contrat pour la rénovation d’un établissement scolaire dans la ville suédoise de Vaxholm. Lorsqu’on apprit que Laval payait à ses ouvriers des salaires extrêmement bas, les syndicalistes suédois bloquèrent le chantier en insistant pour que la firme lettone paye ses ouvriers du bâtiment le salaire minimum tel qu’il est en vigueur en Suède.
Les magistrats de l’Union européenne (UE) décidèrent en décembre dernier que les syndicats avaient en principe aussi le droit de bloquer des chantiers dans le but d’appliquer les garanties sociales minimales pour les travailleurs détachés d’un autre pays membre de l’UE, mais qu’ils n’ont pas le droit d’entreprendre des actions collectives afin d’imposer des réglementations qui transgressent le droit national. Etant donné que la Suède, au même titre que l’Allemagne, n’a pas de salaire minimum garanti, la cour a déclaré que le blocus à Vaxholm était disproportionné. Le principe de l’UE « de la libre circulation des biens et des prestations de service » ayant été entravé, les manifestations des syndicats n’étaient donc de ce fait pas compatibles avec le droit communautaire, a jugé la cour.
Peu de temps auparavant, la cour avait rendu sa décision dans l’affaire Viking Line. L’armateur finlandais Viking Line dont les navires voyagent entre la Scandinavie et les Etats baltes, avait voulu faire passer ses ferries sous pavillon estonien, permettant ainsi à la compagnie de remplacer l’équipage finlandais par des marins estoniens considérablement moins bien payés. La CJCE a rejeté les protestations et les plaintes du syndicat des marins finlandais et du syndicat international des travailleurs du transport en déclarant qu’elles contrevenaient au droit communautaire.
Ces trois décisions de la Cour européenne de justice sont une attaque contre les droits fondamentaux et les acquis sociaux. Elles révèlent clairement le caractère de l’UE et des institutions européennes. Une commission totalement non démocratique, composée de juges non élus, prend des décisions limitant le droit de grève et pousse en avant le « dumping social » qui ne sert qu’à accroître les bénéfices de l’élite financière européenne.
Le juge Christiaan Willem Anton Timmermans, qui avait été président de chambre et juge rapporteur dans l’affaire contre le Tariftreuegesetz, est un représentant typique de la bureaucratie communautaire de Bruxelles qui oeuvre systématiquement à la libéralisation du marché du travail européen et à la réduction du niveau social.
Ce juriste hollandais a débuté sa carrière vers le milieu des années 1960 comme référent auprès de la Cour européenne, est devenu ensuite fonctionnaire à la Commission européenne (1969-1977) puis directeur général adjoint du service juridique de la Commission européenne. Il est également professeur de droit européen à l’université d’Amsterdam et entretient des liens étroits avec l’industrie européenne.
Il est instructif de savoir qu’un autre magistrat influent à la Cour de justice européenne, le Français Yves Bot, qui était l’avocat général dans l’affaire précitée est arrivé à une toute autre conclusion. Dans ses conclusions présentées en septembre dernier, Bot est d’avis que la loi du Land de Basse-Saxe sur la passation des marchés publics (Landesvergabegesetz) en question ici, n’enfreint pas la directive européenne sur l’envoi de travailleurs dans d’autres pays de l’UE, vu que cette directive permet aux Etats-membres d’aller au-delà de la réglementation européenne. Une limitation de la libre circulation des biens et des prestations de services est justifiée pour des raisons de protection sociale des travailleurs a expliqué Bot dans sa fonction d’avocat général.
Certes, la cour n’est pas obligée de suivre la décision préliminaire de l’avocat général dont les conclusions sont fondées sur un exposé détaillé des motifs, mais jusque-là elle s’y était tenue dans les deux tiers des cas. Pas dans ce cas cependant.
Les décisions des juges de Luxembourg ont été vivement critiquées par nombre de politiciens, de syndicats et par la presse. Sous le titre « Concurrence déloyale en Europe », le Frankfurter Rundschau a fait le commentaire suivant : « Ça n’a rien à voir avec la liberté. Au contraire, les juges luxembourgeois donnent libre cours aux pratiques abusives et à l’exploitation. Punissant dans le même temps les entreprises qui respectent les conventions collectives et qui versent à leurs salariés des salaires appropriés. »
« Après les deux décisions précédente allant à l’encontre du droit de grève, il nous vient à nouveau du Luxembourg un jugement assez bizarre », a-t-on pu lire dans le Süddeutsche Zeitung. « Il se lit comme si l’UE n’était rien d’autre qu’une union économique. » Le récent jugement rendu par la Cour de Luxembourg est « un affront envers les politiciens qui affirment que l’esprit des traités communautaires renferme aussi des critères sociaux, » écrit ce journal.
Plusieurs représentants syndicaux ont mis en garde contre les conséquences de cette décision en signalant la « clause Monti », ainsi nommée d’après l’ancien commissaire européen, Mario Monti. Suite à la pression exercée par la Confédération européenne des syndicats (CES), Monti avait fait inclure le passage suivant à la législation communautaire sur la libre circulation des biens : « De plus, cette directive devrait être interprétée de sorte à ne pas porter atteinte aux droits fondamentaux tels que reconnus dans les Etats membres et des droits de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, y compris le droit de grève. » Le secrétaire général adjoint de la CES, Reiner Hoffmann, s’est plaint de ce que « la Cour de justice européenne n’ait aucunement tenu compte de la clause Monti. »
En Allemagne, syndicalistes, sociaux-démocrates et La Gauche ont, dans plusieurs commentaires, qualifié les arrêts rendus par les juges de « danger pour l’Europe sociale. » Ils craignent une aggravation des conflits sociaux et lancent des appels à l’adresse du gouvernement. D’aucuns soulignent que la décision de la Cour européenne va à l’encontre du jugement rendu par le Tribunal constitutionnel fédéral allemand qui avait reconnu en 2006 le Tariftreuegesetz allemand sur la base de la loi sur la passation des marchés publics de la ville-Etat de Berlin citée en exemple.
Il est cependant tout à fait ridicule de s’imaginer pouvoir bénéficier d’une assistance quelconque du gouvernement fédéral ou du Tribunal constitutionnel fédéral contre les décisions antisociales rendues par la Cour de justice européenne. En vérité, un tel point de vue met le monde à l’envers. Les institutions communautaires ont été mises en place par les gouvernements européens et les juges de la Cour de justice des communautés européennes ont été nommés par les gouvernements nationaux, sans approbation parlementaire.
Depuis des années, les gouvernements, et tout particulièrement en Europe de l’Ouest, sont confrontés à la résistance aux efforts qu’ils entreprennent pour détruire le système social existant dans l’intérêt des banques et du patronat. C’est pourquoi ils se cachent derrière l’UE qui organise la démolition des conditions sociales pour permettre aux grands groupes de recourir à une main-d’œuvre bon marché en Europe de l’Est et de réduire les salaires à l’Ouest.
Les institutions communautaires, telle la Cour européenne, ont pour fonction d’aider l’élite politique et économique à imposer ses intérêts aux dépens de ceux de la population laborieuse. La lutte contre les décisions réactionnaires des juges de Luxembourg et contre toutes les autres mesures de l’UE allant à l’encontre des acquis sociaux, requiert une lutte politique commune des travailleurs européens sur la base d’un programme et d’une perspective socialistes.
(Article original paru le 14 avril 2008)
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