Le président George Bush a annoncé le 31 juillet dans une
brève déclaration que les cinq dernières brigades de combat et les trois
derniers régiments de marine déployés en Irak et faisant partie du « surge »,
l’intensification des opérations militaires de l’année passée,
étaient rentrées aux Etats-Unis, laissant entrevoir une autre réduction du
nombre de troupes américaines vers la fin de l’année.
La Maison Blanche avait seulement annoncé que Bush ferait une
déclaration sur l’Irak à la suite de plusieurs interviews prudemment optimistes
que le commandant en chef des forces américaines en Irak, le général David Petraeus,
avait données en début de semaine. Celui-ci y réagissait à la confirmation que
les pertes américaines avaient été à leur plus bas niveau en juillet depuis le
début de la guerre. Seuls onze soldats avaient été tués le mois dernier en Irak
dont cinq hors combat. Les 510 victimes parmi les forces de sécurité et les
civils étaient également le bilan le plus bas enregistré depuis deux ans et
demi et ce en dépit d’une série d’attentats à la bombe terribles
survenus au cours de la dernière semaine du mois.
Dans des commentaires faits le 28 juillet à USA Today, Petraeus
a déclaré qu’il y avait une « certaine durabilité » dans la
baisse de la violence. « S’il était possible de réduire davantage
encore ces attaques sensationnelles, alors je pense que l’on se
rapprocherait presque de la normale, ou de la violence cachée » a-t-il
précisé. Dans une interview donnée à Reuters le même jour, le général a reconnu
qu’il était du « domaine du possible » que les forces du
gouvernement irakien assument la sécurité dans l’ensemble du pays
d’ici la fin de 2009 permettant ainsi le retrait de la majeure partie des
troupes de combat américaines dans les prochains 18 mois.
Bush a débuté son discours en faisant référence à la « durabilité »
et au « succès du ‘surge’ » cités par Petraeus. Il a
déclaré que « les progrès faits en Irak » avaient permis au
gouvernement de poursuivre une politique « basée sur le succès » en
retirant régulièrement des unités du « surge », la stratégie
d’augmentation des troupes. Faisant une prudente allusion à
d’autres retraits, le président a dit : « Plus tard dans
l’année, le général Petraeus me soumettra des recommandations concernant
le niveau futur de troupes, y compris des réduction de nos forces de combat si
les conditions le permettent. » Il a annoncé que le service actif en Irak
des unités militaires passerait de 15 à 12 mois à partir du 1er
août.
Mises à part les nuances tactiques, l’évaluation faite
par Bush ne diffère que peu de celle faite par le candidat présidentiel du
Parti démocrate, Barack Obama, lors de sa visite en Irak la semaine dernière.
Obama a refusé de qualifier le « surge » de succès
vu qu’il s’exprime pour la partie de l’élite dirigeante
américaine qui considère que la guerre en Irak dans son ensemble a été une
faute stratégique coûteuse et qui a nui aux intérêts américains en général. Il
a néanmoins déclaré que les « progrès » faits en Irak signifiaient que
sa politique de retrait des troupes de combat dans les 16 mois suivant sa prise
de fonction pourrait avoir lieu, à la condition toutefois que les militaires confirment
que les conditions sur le terrain le permettent.
Bush, tout comme le candidat républicain, John McCain, acclame
le « surge » comme un succès et déclarent qu’il a créé les
conditions d’un retrait des troupes d’Irak. Le général Petraeus
dont Bush et McCain insistent qu’il est la seule personne qualifiée pour
déterminer le rythme des retraits, prévoit qu’il est possible que le plus
gros des troupes de combat pourraient être retirées d’ici début 2010, en
gros la même période que celle avancée par Obama.
Les camps républicain et démocrate s’accordent pour dire
que des dizaines de milliers de soldats doivent rester indéfiniment en Irak
dans le but de protéger l’Etat-client américain mis en place à Bagdad et pour
superviser le bradage des ressources en pétrole et en gaz aux conglomérats
américains de l’énergie.
Derrière l’accord sur le retrait des troupes de
l’Irak il y a le consensus qui s’est formé suite à l’appel
d’Obama pour l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan. McCain
s’est déjà joint à l’appel du sénateur de l’Illinois de
déployer deux ou trois brigades de combat de plus en Afghanistan en déclarant
le 15 juillet que « grâce au succès du ‘surge’, ces forces
étaient devenues disponibles. »
Bien que Bush n’aie pas mentionné l’Afghanistan le
31 juillet, son discours signale que la Maison Blanche a rejoint le consensus. Actuellement,
quelque 147.000 hommes se trouvent en Irak, y compris l’équivalent de 15
brigades de combat. La prochaine grande rotation doit survenir durant les
premiers mois de 2009 où il est prévu que quatre brigades et deux régiments de
marines rejoignent l’Irak pour remplacer des unités qui auront terminé
leur tour de service. Les recommandations que Petraeus fera à Bush le mois
prochain pourraient bien être que « les conditions permettent » que certaines
ou toutes les unités de remplacement pourront aller en Afghanistan.
Les forces américaines et celles de l’OTAN sont
confrontées à une opération insurrectionnelle anti-occupation croissante à la
fois dans le Sud de l’Afghanistan et dans les régions tribales
frontalières du Pakistan. Sur un plan plus fondamental, le nouvel accent placé
sur l’Afghanistan est lié à une reconquête de l’influence
américaine en Asie centrale. Pendant que l’attention des Etats-Unis avait
été absorbée par l’Irak, la Russie et la Chine, étaient occupées par le
biais des activités de l’Organisation de coopération de Shanghai à
établir pratiquement un monopole sur les ressources de pétrole et de gaz
d’Etats d’Asie centrale, tels que le Kazakhstan et le Turkménistan.
Richard Boucher, le sous-secrétaire d’Etat américain
pour l’Asie du Sud et l’Asie centrale, avait révélé dans un
discours tenu en septembre dernier, les véritables motifs de la guerre en
Afghanistan. « L’un de nos objectifs est de stabiliser l’Afghanistan,
de façon à ce que [ce pays] puisse devenir un point de passage et un pivot
entre l’Asie du Sud et l’Asie centrale pour que les ressources
énergétiques puissent couler vers le sud… et que les pays d’Asie
centrale ne demeurent plus étouffés entre les deux énormes puissances de la
Chine et de la Russie mais puissent bien plutôt disposer d’ouvertures
vers le Sud ainsi que vers le Nord, l’Est et l’Ouest, » a-t-il
dit.
La
fragilité politique en Irak
Ce qui a été laissé à l’écart lors de la discussion sur
le « succès » du « surge » c’est le véritable état
des choses à l’intérieur de l’Irak. Au moment même où Bush tenait
son discours, des développements ont souligné la fragilité de l’actuelle
stabilité apparente.
Petraeus a réussi à réduire la violence principalement en supervisant
un bain de sang sectaire et communautaire qui a laissé l’Irak divisé en
sphères d’influence rivales chiite, sunnite et kurde. Rien qu’en
2007, plus d’un million de personnes furent chassées de leurs foyers et
des dizaines de milliers furent tuées lors de combats brutaux entre des milices
loyales aux partis chiites du gouvernement irakien dirigé par le premier
ministre Nouri al-Maliki soutenu par les Etats-Unis et des groupes sunnites armés.
Au cours de l’an dernier, des communautés sunnites
désespérées de Bagdad et des provinces environnantes ont cherché à se protéger
des escadrons de la mort chiites en formant un groupe de miliciens des
« Fils d’Irak ». L’armée américaine rétribue
d’anciens combattants sunnites pour patrouiller les rues, assurer la garde
des postes-frontières et faire la police dans leurs quartiers en échange de
leur collaboration contre les groupes d’insurgés. Il y a présentement
103.000 miliciens des « Fils d’Irak » à la solde de
l’armée américaine. Près de 50.000 de ces miliciens sont employés dans
les banlieues sunnites de Bagdad. Ils considèrent que leur tâche primordiale
est la protection des communautés sunnites contre les forces de sécurité
dominées par les chiites.
Maliki a refusé d’incorporer la majorité des miliciens
sunnites dans l’armée ou la police. Au lieu de cela, il exige
qu’ils se dissolvent, donnant le droit aux forces gouvernementales de
pénétrer dans leurs zones une fois que les forces américaines se seront retirées.
Etant donné l’ampleur des tensions sectaires, ce n’est qu’une
question de temps avant qu’une nouvelle montée de résistance sunnite à la
fois contre l’occupation américaine et le gouvernement fantoche n’ait
lieu.
L’envoi par Maliki cette semaine de quelque 50.000
soldats et policiers principalement chiites dans la province de Diyala et sa
capitale Baqubah, où près de 5.000 anciens guérillas sunnites ont formé des
groupes de « Fils d’Irak », représente une étincelle possible.
Le déploiement des forces gouvernementales visait en apparence
à établir « la loi et l’ordre » et à traquer les derniers
insurgés liés à Al Quaïda qui opèrent dans la province. Un article paru dans le
Los Angeles Times a remarqué que les sunnites considéraient cette
démarche comme une invasion chiite hostile de la région. Un membre de la milice
sunnite à la solde des Etats-Unis a voulu savoir pourquoi les troupes
américaines n’accompagnaient pas la police irakienne majoritairement
chiite lors de leurs opérations de perquisition à domicile. A la réponse donnée
que c’était parce qu’ils faisaient confiance à la police,
l’homme a répliqué : « Alors nous serons tués. »
Les tensions entre communautés s’accroissent aussi dans
la province riche en pétrole de Tamim. Les partis nationalistes kurdes, qui
constituent le deuxième plus important bloc au parlement irakien, essaient
d’incorporer Tamim et sa capitale Kirkouk dans le gouvernement régional
kurde (KRG) qui dirige les provinces avoisinantes d’Irbil, de Dohouk et
de Souleymanieh. Les vastes communautés arabes et turkmènes de Kirkouk rejettent
leurs projets tout comme le gouvernement turc qui craint qu’un
renforcement du KRG ne revigore l’agitation séparatiste au sein de sa
vaste minorité kurde.
Pour asséner un coup aux ambitions kurdes, le parlement
irakien a voté la semaine dernière de ne pas organiser d’élections
provinciales à Kirkouk à la fin de cette année et a décrété que le gouvernement
provincial dominé par les Kurdes devait être remplacé par un conseil comprenant
10 Kurdes, 10 Arabes, 10 Turkmènes et deux Chrétiens. Il a également voté pour
que l’armée et les unités de milice opérant dans la ville et dominées par
les Kurdes soient remplacées par des troupes arabes venant du Sud de
l’Irak.
Le conseil présidentiel de l’Irak qui est présidé par
Jalal Talabani, un dirigeant nationaliste kurde en vue opposa son véto à cette
loi qui a néanmoins provoqué l’indignation dans les milieux nationalistes
kurdes. Jeudi, la majorité kurde de la législature de Tamim a passé une
résolution pour demander que Kirkouk soit incluse dans le KRG indépendamment de
la position adoptée par le gouvernement irakien.
La réaction fut celle de menaces immédiates de conflit.
Mohamed al-Djoubouri, un membre arabe du parlement de Tamim, a dit à
Reuters : « Nous nous opposons totalement à ce que Kirkouk fasse
partie du Kurdistan et considérons ceci comme le début d’une crise et de
dissensions dans la ville. Cela pourrait conduire à une guerre civile à Kirkouk. »
L’on ne peut pas écarter la possibilité que des tensions au sujet de Kirkouk
ne dégénérent en guerre ouverte entre le gouvernement irakien et le KRG qui est
en mesure de mobiliser une armée de plus de 200.000 miliciens peshmerga.
Une invasion de l’armée turque du Nord de l’Irak ne
peut elle non plus être écartée. Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan
a personnellement contacté Talabani jeudi pour lui faire part de son inquiétude
au sujet du vote à Kirkouk et pour mettre implicitement en garde que la Turquie
recourrait à la force pour empêcher que la ville ne soit rattachée à la région
kurde.
Tels sont les fondements pourris du soi-disant
« succès » du « surge » irakien et des projets du
déploiement de troupes supplémentaires en Afghanistan.