Dans ce qui est l’une des pires atrocités de
l’occupation de l’Afghanistan menée par les États-Unis, plus de 90
civils furent massacrés par une frappe aérienne américaine vendredi dernier
dans la province de l’ouest de l’Afghanistan, d’Herat. Au
moins 60 des victimes étaient des enfants de moins de 15 ans, selon les sources
gouvernementales et militaires afghanes.
Le massacre a été perpétré par ce qui est, pour une population
sans défense au sol, l’un des avions de guerre les plus terrifiants de
l’arsenal américain, un AC-130 « spectre » Gunship. Équipé
d’une mitrailleuse Gatling de 25 mm, d’un canon de 40 mm et
d’un canon howitzer de 105 mm, il est conçu pour dévaster les cibles
exposées avec un torrent de balles et de bombes.
Les victimes faisaient partie d’une foule qui
s’était réunie dans le village d’Azizabad – une communauté
située près d’une base aérienne gouvernementale de Shindand, à quelque
120 kilomètres au sud de la ville de Herat – pour la commémoration du 40e
anniversaire de la mort d’un dirigeant local. Plusieurs des hommes du
village travaillent comme agents de sécurité à la base aérienne.
Comment ont-ils pu être la cible des avions de guerre
américain est encore une question non résolue, empêtrée dans des rapports
contradictoires. Selon les militaires américains, une opération était en cour
contre un groupe rebelle dirigé par un homme appelé Mullah Siddiq. Il est
allégué que les troupes afghanes avaient été prises dans une embuscade en route
pour intercepter Siddiq. Elles ont apparemment réussi à se libérer en luttant
et poursuivirent leurs assaillants jusqu’à Azizabad, où elles appelèrent
en renfort les AC-130 pour dévaster le village.
Le rapport initial rendu public par les militaires américains
mentionnait qu’ils avaient attaqué avec succès une rencontre de militants
taliban dans la province d’Herat, en tuant au moins 30. La vérité émergea
lorsque des autorités locales du district d’Herat, du personnel militaire
afghan, des travailleurs humanitaires, des journalistes et finalement un important
ministre du gouvernement du président Hamid Karzai, visitèrent les lieux.
Vendredi soir, le ministre de l’Intérieur afghan émit
une déclaration selon laquelle « 76 personnes, toutes civiles et pour la
plupart des femmes et des enfants sont devenues des martyres… 19 femmes,
7 hommes et le reste des enfants de moins de 15 ans ». Karzai, qui a
souvent protesté contre les frappes aériennes américaines effectuées à
l’aveuglette, a publié son propre communiqué, condamnant les forces
d’occupation pour avoir « martyrisé au moins 70 personnes, la plupart
des femmes et des enfants ».
Raouf Ahmedi, un porte-parole de l’armée afghane, a dit
au Washington Post que les représentants officiels qui sont allés à Azizabad
samedi, ont compté 60 enfants et 19 femmes parmi les morts. « Nous n’avons
pas trouvé d’indications démontrant qu’ils étaient des talibans »,
a-t-il dit. Un caméraman de l’Associated Press rapporte avoir vu une
vingtaine de maisons détruites et compté 20 tombes fraîchement creusées, dont
certains contenaient plusieurs corps.
Des gens provenant des différentes régions du district
manifestèrent samedi à Azizabad, avec des bannières « mort à l’Amérique ».
Ils auraient mis le feu à une voiture de police et lancé des pierres aux
troupes gouvernementales qui tentaient de distribuer de la nourriture et des
vêtements aux survivants. La police aurait tiré dans la foule pour la
disperser, blessant au moins huit personnes.
Ghulam Azrat, le directeur de l’école local, a raconté à
l’Associated Press : « Les gens étaient très en colère, ils
disaient aux soldats : ‘Nous n’avons pas besoin de votre
nourriture. Nous ne voulons pas vos vêtements. Nous voulons nos enfants. Nous
voulons notre famille. Pouvez-vous nous les redonner ? Vous ne pouvez pas,
alors allez-vous-en. »
Dimanche, le nombre de morts résultant de la frappe aérienne
avait été révisé à la hausse. Le ministre des affaires islamiques Nematullah Shahrani
a raconté à l’Agence France Presse : « Nous sommes allés dans
la région et avons trouvé que le bombardement avait été très intense, beaucoup
de maisons ont été endommagées et plus de 90 non-combattants, incluant des
femmes, des enfants, et des personnes âgées sont morts. La plupart sont des
femmes et des enfants. Ils [les militaires américains] avaient prétendu que des
talibans étaient là. Ils doivent le prouver. À ce point-ci, il n’est pas
clair pour nous pourquoi la coalition a mené cette attaque aérienne ».
Alors que le mot massacre se propageait à travers
l'Afghanistan, Karzai tentait de diffuser les manifestations d'opposition
envers l'occupation américaine en congédiant le commandant en chef militaire de
l'ouest de l'Afghanistan et le chef du commando qui avait lancé l'appel pour
les frappes aériennes. Référant aux fausses allégations selon lesquelles des
talibans avaient été tués, Karzai déclara que les deux avaient été congédiés
pour négligence et pour avoir caché les faits.
Un porte-parole de l'administration Bush, Tony Fratto, publia
un communiqué samedi, qui refusait toujours de reconnaître que les militaires
américains avaient massacré des civils. Fratto déclarait: « Ces rapports
sont examinés et nous allons en examiner les résultats.» Dans des mots pleins
de cynisme, il ajouta: « Les forces de la coalition prennent des
précautions pour éviter la perte de civils, contrairement aux talibans et aux
militants qui visent les civils et les placent en position dangereuse.»
Un communiqué de presse du quartier général militaire
américain nota simplement que « nous sommes au courant d'allégations que
l'engagement dans le district de Shindand de la province d'Herat peut avoir
mené à la mort de civils. »
Le massacre d'Azizabad n'est qu'un incident particulièrement
éloquent dans la mort et les blessures infligées aux civils par les Américains
et l'OTAN. Malgré la propagande selon laquelle des 'précautions' sont prises et
l'observation de règles d'engagement sévères, les forces d'occupation répondent
aux attaques des insurgés dans des zones densément peuplées avec une puissance
de tir nettement supérieure s'appuyant lourdement sur des frappes aériennes
pour empêcher le mouvement des talibans dans les régions rurales.
Comme de plus grandes régions d'Afghanistan tombent sous le
contrôle des talibans, les frappes aériennes sont de plus en plus aléatoires.
Tout mouvement de grand groupe de personnes dans la campagne ou rassemblement
dans un village est considéré comme suspect par les cribleurs assis en toute
sécurité dans une base à examiner quantité d'images satellites à la recherche
de cibles potentielles pour les pilotes volant dans le ciel afghan. Les
célébrations de mariage ont été attaquées de manière répétée au cours des six
dernières années – la plus récente étant le bombardement le 6 juillet
d'un mariage à Nangarhar, dans lequel 47 personnes ont été tuées, incluant la mariée.
Plus de 1000 civils ont été tués jusqu'à maintenant cette
année en Afghanistan, dont près de 400 peuvent directement être attribués aux
forces d'occupation. Les autres sont dénoncés par l'ONU comme étant le résultat
d'attaques suicides, l'explosion de bombes et autres activités menées par les
talibans.
Le nombre véritable de morts de civils est probablement
beaucoup plus élevé. Dans les régions intensément bombardées durant les
offensives majeures des États Unis ou de l'OTAN, certaines des morts n’ont
certainement pas été rapportées. Il y a aussi de bonnes raisons de soupçonner
que plusieurs des quelques milliers d'insurgés allégués qui ont été tués cette année
étaient en fait des non-combattants pris dans le feu croisé.
Marasme grandissant
La sensibilité de personnages comme Hamid Karzai découle de
leur reconnaissance que chaque rapport de la mort d'un innocent alimente la
haine générale ressentie par des millions d'Afghans à l'égard des forces d'occupation
dirigées par les États Unis. De plus, cela accentue l'opposition envers le
gouvernement fantoche de Kaboul, qui est largement considéré comme un régime
corrompu et inefficace à la solde des États Unis.
Avec un appui populaire croissant, les talibans et les autres
milices opposées à l'occupation et basées sur les tribus de la zone frontalière
d'ethnie pachtoune du Pakistan ont recommencé à avoir de l'influence et du
contrôle sur de larges zones des provinces habitées par les pachtounes du sud
et de l'est de l'Afghanistan.
Le nombre de morts du côté des forces d'occupation augmente et
l'insurrection augmente en grandeur et en étendue. Le nombre de morts pour les États-Unis
et l'OTAN en 2008 est actuellement de 194 – déjà le deuxième plus élevé
nombre de morts pour une année, et si la tendance se poursuit, il va dépasser
le record de 232 morts de l'an dernier.
Le nombre de morts du côté de l'armée et de la police afghanes,
plus pauvrement équipées, est beaucoup plus élevé. Le ministre de l'Intérieur
rapportait plus tôt en août que 600 policiers avaient été tués et plus de 800
blessés dans les mois précédents. Il n'y a aucun chiffre de comparaison
concernant les morts du côté de l'armée, mais on en rapporte quasiment à chaque
semaine entre 10 et 20 morts dans les troupes afghanes.
Actuellement, il y a 34 000 troupes américaines en
Afghanistan, aux côtés des 30 000 troupes en provenance des autres pays de
l'OTAN et des alliés américains. L'armée afghane est constituée de 65 000 troupes,
mais la plupart des unités sont incapables d'opérer sans les forces aériennes,
la logistique et les renseignements fournis par le commandement international
des forces de l'OTAN (ISAF).
En réponse, l'administration Bush, avec l'appui du Parti démocrate
et de son candidat présidentiel, Barack Obama, se prépare à déployer 12 000
troupes américaines de combat additionnelles, débutant avec une brigade,
possiblement dès novembre. Le gouvernement britannique est, selon les rapports,
sur le point d'envoyer 4500 troupes additionnelles, les augmentant à plus de 12
000 en Afghanistan. D'autres puissances européennes sont sous pression par
Washington pour envoyer plus de troupes.
Les analystes stratégiques et militaires avertissent,
cependant, que plus de troupes en Afghanistan ne vont pas mettre fin à
l'insurrection armée si la guérilla peut continuer d'utiliser la région tribale
du Pakistan comme zone de sécurité.
Le gouvernement pakistanais subit la pression de
l'administration Bush pour attaquer ces sanctuaires tribaux. Il a ordonné une
campagne sauvage de frappes aériennes contre les villages pachtounes des
districts de Bajaur et de Mohamand. Plus de 300 000 personnes ont été obligées
de fuir la région pour leur vie. Durant la fin de semaine, des conflits et des
bombardements ont été rapportés dans le Waziristan sud – la région qui
est censée être la principale base des talibans afghans.
Pour contrôler pleinement la zone frontalière, cependant, les
militaires pakistanais seront forcés de déployer des dizaines de milliers de
troupes dans la région autonome fédérale administrée par l'Agence tribale
(FATA). Il n'y a pas d'appui populaire au Pakistan pour un tel geste. Un
sondage mené par Terror Free Tomorrow et cité dans le USA Today le 22 août
indique que 55 pour cent des répondants blâment les États Unis pour la violence
tribale à la frontière. Seulement 6 pour cent blâment les militants islamistes.
Dans un autre sondage de l'Institut International Républicain, 71 pour cent
disent être opposés à la coopération du Pakistan avec les États-Unis dans la
guerre en Afghanistan.
Si le gouvernement instable du premier ministre Yousaf Raza
Gilani ordonne un déploiement important de troupes dans la FATA, il va faire
face à un désordre à grande échelle et à une possible mutinerie dans les forces
armées.
Anthony Cordesman, un analyste du Centre d'étude stratégique
international (CSIS), en est arrivé à une conclusion largement acceptée dans
les cercles dirigeants américains concernant la guerre en Afghanistan.
Cordesman écrivit dans un rapport le 21 août : « La
guerre afghane-pakistanaise est une guerre entre deux pays qui ne peut être gagnée
seulement en Afghanistan. À ce point-ci, les forces des États-Unis et de
l’OTAN, et l’armée afghane, sont simplement trop faibles pour faire
face à une insurrection à multiples facettes avec une zone de sécurité de facto
le long de toute la frontière séparant l'Afghanistan et le Pakistan...Il semble
probable que la guerre afghane-pakistanaise va durer une décennie ou plus, et
être un problème majeur pour toute la durée du mandat du prochain président des
États-Unis et du Pakistan ».
Faisant directement écho aux discours de campagne d'Obama,
Cordesman affirmait : « Les États Unis et ses alliés n'ont pas d'autre
choix que de tenter de forcer le nouveau gouvernement pakistanais à adopter une
position plus ferme et agressive .... Des décisions pour prendre des actions
décisives seront pakistanaises, mais les États-Unis devront clairement et
ouvertement dire qu'ils ne pourront pas attendre les prises de décision du
Pakistan et devront traiter le territoire pakistanais comme une zone de combat
si le Pakistan n'agit pas ».
La prochaine administration américaine, qu'elle soit dirigée
par Barak Obama ou John McCain, semble disposée à étendre les opérations
américaines dans la zone qui était autrefois considérée comme « la guerre oubliée »
aux frontières du Pakistan. Le massacre de vendredi dans le village d'Azizabad
est un avertissement de ce qui arrivera dans les régions que les États Unis
traitent comme des « zones de combat ».