Pour la première fois depuis 1976, le
dollar canadien a atteint la parité avec le dollar américain après avoir gagné
près de 16% en valeur par rapport à ce dernier au cours des neuf derniers mois.
Cette appréciation frappe de plein fouet le secteur manufacturier pour qui le
marché américain constitue le principal débouché. Les produits manufacturés au
Canada coûtent maintenant plus chers et perdent des parts de marché.
Jean-Luc Trahan, le président des
Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ) note que le huard s’est
apprécié de $0,15 par rapport au dollar américain au cours des six derniers
mois et estime que chaque sou de gain génère un manque à gagner de $400
millions pour les manufacturiers québécois sur une base annuelle. Il en résulte
des ravages au niveau des emplois, avec 52.000 emplois perdus rien
qu’entre janvier et mai 2007. Ce lourd bilan ne peut aller qu’en
s’aggravant avec la brusque montée en valeur du huard.
Le secteur manufacturier représente 20
pour cent du produit intérieur brut canadien et fournit plus de deux millions
d’emplois au Canada, principalement en Ontario et au Québec. Selon
Statistiques Canada, lorsqu’un travailleur du secteur manufacturier, qui
gagne en moyenne $21 l’heure, est forcé de migrer vers un autre secteur,
son salaire diminue de près de 25 pour cent.
La hausse du huard a été accueillie par
de nombreux commentateurs comme synonyme d’une augmentation du pouvoir
d’achat des Canadiens. C’est pourtant loin d’être acquis.
Selon Jayson Myers, président des Manufacturiers et Exportateurs du Canada, il
faudra attendre de six à dix moix avant que les prix au Canada – plus
élevés en moyenne de 20 pour cent par rapport aux Etats-Unis – se mettent
à descendre. Les commerçants n’ont d’ailleurs pas montré la moindre
intention de renoncer à leur pratique actuelle consistant à garder
artificiellement les prix plus élevés pour faire gonfler leurs marges de
profit ; et Ottawa a écarté l’option d’imposer un contrôle des
prix, réitérant sa foi dans les «forces du marché».
Les analystes attribuent à plusieurs
facteurs la montée du dollar canadien : la hausse des prix des ressources
énergétiques – en particulier le pétrole – dont le Canada est un
important exportateur ; les ventes d’entreprises canadiennes à des
intérêts étrangers et la baisse des taux d’intérêt aux Etats-Unis ;
les surplus budgétaires amassés par les gouvernements libéraux et conservateurs
successifs au moyen de vastes coupures dans les services publics et programmes
sociaux fédéraux.
Mais la montée constante du dollar
canadien depuis 2002 reflète avant tout la baisse du dollar américain face aux
principales devises de la planète, qui exprime à son tour le déclin du
capitalisme américain sur la scène économique mondiale. La crise dans le
secteur des prêts hypothécaires à risque, qui a particulièrement frappé
l’économie américaine, n’en est que le plus récent exemple.
Le ministre canadien des Finances, Jim
Flaherty, a dû avouer que la «vraie question aujourd’hui, c’est le
déclin dramatique» de la valeur du dollar américain. La faiblesse du secteur
résidentiel américain et la faible demande dans l’industrie automobile
continuent de susciter des «inquiétudes majeures» pour l’économie
canadienne, a-t-il déclaré.
Perrin Beatty, le président de la Chambre
de commerce du Canada, la plus importante association d’hommes
d’affaires au pays, a dit qu’il était crucial que le gouvernement
crée un environnement favorable à la croissance. «Toutes les compagnies font
face à des changements dramatiques sur les marchés et un dollar fort ajoute aux
pressions sur les manufacturiers qui doivent faire face à une compétition
étrangère profitant d’une main d’oeuvre à bon marché.» Cela fait
longtemps que des couches importantes de l’élite canadienne condamnent la
«paresse» du secteur manufacturier qui traînerait un retard en matière de
productivité parce qu’il hésite à moderniser ses équipements et à mener
une offensive accrue contre les salaires et les conditions de travail.
Dans un article paru dans le National
Post, Flaherty a dit que les baisses d’impôt restaient une priorité du
gouvernement conservateur, spécialement à cause du niveau du dollar canadien.
«Ce que je peux faire au Canada c’est d’aider à augmenter la
productivité par le biais de la politique fiscale. Nous pouvons réduire les
impôts en général, ce que nous faisons déjà et nous prévoyons en faire plus.»
Lors de la réunion annuelle de la Chambre de commerce du Canada, Flaherty a
promis d’introduire différentes mesures fiscales favorables aux
entreprises, notamment sur le coût des emprunts investis dans la machinerie et
l’équipement. Cette promesse pourrait se traduire par une réduction des
taxes de l’ordre de $1,3 milliards.
Cette politique est accueillie par les
autres partis fédéraux. Le Bloc québécois, le parti nationaliste québécois au
Parlement fédéral, critique le gouvernement conservateur pour ne pas avoir agi
assez rapidement et énergiquement pour aider les entreprises avec
l’adoption de mesures fiscales favorables à celles-ci.
Même les sections de la bourgeoisie
canadienne à qui profite la situation actuelle, craignent les impacts de la
montée du dollar canadien. L’Alberta, la province canadienne la plus
riche en pétrole, a connu entre 2003 et 2006 une croissance économique de 4,9
pour cent comparativement à 2,7 pour cent dans le reste du pays. Mais la hausse
du dollar «crée des difficultés pour nos exportateurs», a déclaré le ministre
albertain de l’énergie, Mel Knight. «Du point de vue des revenus
gouvernementaux provenant de l’énergie», a-t-il expliqué, «chaque cent
d’augmentation du dollar sur une période d’un an signifie une
coupure de $123 millions dans nos revenus provenant de l’industrie de
l’Énergie.»
La réponse de l’élite canadienne à
la montée du huard et aux signes annonciateurs d’une crise beaucoup plus
grave qui serait provoquée par une récession aux Etats-Unis, est de réduire
encore plus les taxes sur les entreprises et de pousser les compagnies à être
plus compétitives au détriment des emplois, des salaires et des conditions de
travail.