Les libéraux ont gardé le pouvoir en
Ontario, la province la plus populeuse et la plus industrialisée du Canada, en
obtenant 71 des 107 sièges au parlement provincial lors des élections générales
du mercredi 10 octobre.
Les médias de la grande entreprise ont
proclamé que la victoire des libéraux était un « triomphe » alors que
les libéraux ont en réalité perdu 200 000 voix par rapport aux élections
précédentes en 2003. Leur part du vote est tombée de 4,3 pour cent et n’atteint
plus que 42,2 pour cent.
Le taux de participation ayant atteint un
plancher record de 52,8 pour cent, les libéraux ont à peine obtenu le soutien
d’un Ontarien sur cinq.
Il y a quatre ans, les libéraux avaient
gagné les élections en faisant un appel calculé à la colère populaire envers
les importantes coupes dans les services publics et sociaux du gouvernement
précédent, un gouvernement conservateur se proclamant de droite et qui prenait les
républicains américains comme modèle.
Les libéraux sont le parti traditionnel du
pouvoir de la grande entreprise canadienne au niveau fédéral et au moment où
les conservateurs de Mike Harris et Ernie Eves formaient le gouvernement
ontarien (1995-2003), le gouvernement fédéral de Jean Chrétien et Paul Martin
ont mis en œuvre des politiques de compressions des dépenses sociales et de
diminution des impôts qui ressemblaient beaucoup à celles des conservateurs
ontariens.
Néanmoins, la plus grande partie de la
bureaucratie syndicale a ouvertement appuyé les libéraux de Dalton McGuinty
lors des élections de 2004 et les autres ont donné un soutien tacite à
l’élection d’un gouvernement libéral.
Comme il était prévisible, le gouvernement
libéral de McGuinty a laissé en place les principaux piliers de la
« révolution du bon sens » de leurs prédécesseurs conservateurs. Les
budgets du système de santé, du système de l’éducation et des municipalités ont
été augmentés, mais les augmentations étaient de beaucoup inférieures à ce
qu’il fallait pour contrecarrer les coupes des conservateurs et pour prendre en
compte les besoins accrus d’une population ayant rapidement grandi.
Les libéraux ont laissé en place le régime
fiscal d’Harris et Eves qui favorisait la grande entreprise et les couches les
plus aisées de la société. Le seul changement qu’ont effectué les libéraux fut
d’introduire un impôt régressif sur la santé, dont le poids repose pour sa plus
grande partie sur les épaules du travailleur pauvre et qui, de plus, viole en
réalité le principe de soins de santé universels et gratuits.
Les conservateurs d’Harris et Eves ont mené
une campagne de salissage envers les assistés sociaux, coupant les prestations
de 21 pour cent peu après avoir pris le pouvoir. Après quatre années de règne
libéral, les prestations d’aide sociale sont plus basses que ce qu’elles
étaient avant l’arrivée au pouvoir des conservateurs en 1995, pas seulement en
termes de pouvoir d’achat, mais en termes du montant lui-même.
Les libéraux ont aussi laissé en place la
plus grande partie des lois anti-syndicales du gouvernement Harris.
Cela n’a pas empêché la bureaucratie
syndicale d’appuyer encore plus ouvertement les libéraux lors des élections de
cette année qu’en 2003. Au moyen du groupe qu’elle a financé, « Les
familles travaillantes », les Travailleurs canadiens de l’automobile
(TCA), les syndicats de l’enseignement et de la construction ont travaillé avec
des hauts placés du Parti libéral à l’organisation d’une campagne « pour
rappeler aux travailleurs ce qui se passait il y a quatre ans, ce qui a changé
et ce qui est en jeu pour les familles travaillantes ». En d’autres mots,
ils ont soutenu les libéraux en défendant le mensonge que ces derniers avaient
défendu et continueraient à défendre les services sociaux et publics.
Le
dirigeant des TCA louange McGuinty
Six jours avant les élections, le président
des TCA, Buzz Hargrove, s’est entretenu avec le Toronto Star. Il a
louangé les vertus des libéraux de McGuinty et a dénoncé les sociaux-démocrates
du Nouveau Parti démocrate (NPD), qu’il a accusé de ne pas « comprendre
l’économie ».
« Je ne vois aucune raison de voter
pour le NPD », a déclaré Hargrove avant de continuer en disant que les
libéraux avaient « été plus à gauche que le NPD au cours des quatre dernières
années ».
Pour justifier sa position pro-libérale, Hargrove
a indiqué que le « contrat social » du gouvernement NPD de Bob Rae,
éliminant des emplois et diminuant les salaires a été dur pour un million de
travailleurs du secteur public. Les néo-démocrates de Bob Rae ont été au
pouvoir de 1990 à 1995.
Il n’y a aucun doute que le NPD a mené une
campagne électorale de droite, visant à prouver que le parti est responsable
fiscalement parlant et qu’il n’est pas anti-entreprise. Il n’a même pas demandé
l’abolition immédiate de la taxe sur la santé punitive des libéraux. Le
dirigeant du NPD, Howard Hampton, n’a laissé aucun doute que l’espoir le plus
cher du NPD était d’obtenir assez de sièges pour détenir la balance du pouvoir
dans un parlement où les libéraux sont minoritaires.
Mais l’attaque de Hargrove contre le NPD était plutôt
motivée par son appui au patronat de l’Ontario — même l’habituelle voix pro-conservatrice
de l’establishment financier de Bay Street, le Globe and Mail, s’est
prononcée en faveur de McGuinty — en favorisant la réélection d’un gouvernement
libéral de droite.
Ironiquement, l’ancien premier ministre du NPD Bob Rae, qui
a rejoint le Parti libéral fédéral en 2003, appuyait, tout comme Hargrove, les
libéraux dans l’élection de mercredi dernier.
Entre 1993 et 1995, le président des TCA s’était présenté
comme le leader de la campagne de protestation de la bureaucratie syndicale
contre l’assaut du NPD sur les travailleurs du secteur public et les services
assurés par eux — un assaut qui prépara l’arrivée au pouvoir des conservateurs
d’Harris lors de l’élection de 1995. Les allures de « gauche » que Hargrove
se donnait étaient basées sur l’avantage compétitif du coût de la main-d’oeuvre
dont bénéficiaient les trois grands constructeurs automobile au Canada, grâce à
la faiblesse du dollar canadien et au régime public d’assurance maladie du
Canada. Avec la hausse du dollar canadien et la concurence accrue à laquelle
doivent faire face les Trois Grands, Hargrove a viré à droite, imposant des
suppressions d’emplois et des baisses de salaires, collaborant avec les patrons
de l’industrie automobile et les gouvernements ontarien et fédéral via le
Conseil du partenariat pour le secteur canadien de l’automobile afin
d’augmenter la productivité, faisant du lobbying pour que l’on offre des
subventions massives et des baisses d’impôts à GM, Ford et Chrysler, et
devenant le défenseur le plus enthousiaste du Parti libéral.
Le débat sur les écoles confessionnelles
Dès le début de la campagne, le premier ministre libéral
Dalton McGuinty a tenté de présenter l’élection comme un référendum sur la
proposition des conservateurs d’étendre l’actuelle politique gouvernementale de
financement des écoles catholiques à toutes les écoles confessionnelles. Comme
l’ont même fait remarquer les médias de la grande entreprise, si McGuinty a mis
l’accent sur cette question c’était à cause du fait que les programmes des
libéraux et des conservateurs étaient en de nombreux points semblables.
La proposition des conservateurs de financer publiquement
les écoles confessionnelles — à un montant initial de 400 millions $ par
année — était doublement réactionnaire. Elle avait pour but de défendre le
conservatisme religieux et, sous prétexte de développer le système d’éducation
public, encourager dans les faits l’éducation privée. Et pour ces raisons,
beaucoup d’Ontariens furent indignés par la proposition des conservateurs.
Mais la défense du « système d’éducation public »
par McGuinty était hypocrite et essentiellement motivée par les préoccupations
de l’élite que la politique du multiculturalisme canadien était allée trop loin
et était devenue un frein à la promotion du type d’« identité
nationale » nécessaire à l’Etat pour mobiliser un appui pour ses
politiques au pays et à l’étranger.
Tout en attaquant les conservateurs pour leur désir de
financer les écoles juives et musulmanes, McGuinty et les libéraux ont passé
sous silence leur appui au maintient du financement des écoles catholiques. Le
premier ministre amorça le débat des chefs télévisé en lançant un appel couvert
aux sentiments anti-musulmans, affirmant que le plan des conservateurs pour
défendre les écoles confessionnelles entraînerait des « émeutes » du
type de celles observées à « Paris et à Londres ».
Mais la proposition des conservateurs sur les écoles
confessionnelles s’est retournée contre eux. Le Globe and Mail a dénoncé
le chef conservateur John Tory pour avoir gaspillé ses énergies sur cette
question alors qu’il aurait plutôt dû défendre la privatisation des soins de
santé et les baisses d’impôt.
Faisant face à des dissensions au sein de son parti, Tory
retira son engagement une semaine avant l’élection en annonçant que si les
conservateurs gagnaient l’élection ils permettraient un vote sur la question.
Mais la campagne des conservateurs ne s’en est jamais
remise. Mercredi, les conservateurs n’obtinrent que 26 sièges, presque tous en
région rurale, et recueillirent 3 pour cent de moins du vote populaire que lors
de l’élection désastreuse de 2003, soit 31,7 pour cent. Tory lui-même ne fut
même pas élu.
Le chef du NPD Howard Hampton s’est plaint que la question
des écoles confessionnelles avait étouffé le message de son parti, mais le fait
est que les sociaux-démocrates sont correctement perçus par un grand nombre
d’Ontariens comme un parti de l’establishment et de la grande entreprise.
Le NPD, qui formait le gouvernement ontarien il y a plus de
12 ans, a obtenu 10 sièges avec 16,8 pour cent du vote populaire, soit 2 pour
cent de plus qu’en 2003. Il a ainsi obtenu trois sièges de plus qu’en 2003, mais
en a un de moins que lors du déclenchement des élections.
Les Verts, qui n’ont jamais élu un seul membre au Canada,
ont vu leur part du vote plus que tripler à 8,1 pour cent.
L’establishment sabote l’initiative de réforme électorale
Parallèlement à l’élection parlementaire, un référendum
était tenu le mercredi, proposant de changer le système électoral ontarien
actuel très antidémocratique de la majorité simple, au soi-disant système
proportionnel mixte (MMP). Ce dernier système maintiendrait le système de la
majorité simple par circonscription électorale pour les représentants élus au
premier tour, mais offrirait également des sièges supplémentaires qui seraient
distribués de telle sorte qu’il donnerait aux partis une part du nombre total
de sièges de la législature correspondant à peu près à leur part du vote
populaire.
La proposition de réforme a été rejetée par 63 pour cent
des votants au référendum.
Ce résultat s’explique par le fait que le système MMP a été
très peu présenté et expliqué à la population.
Mais la principale raison pour laquelle la proposition de
réforme a été rejetée réside dans l’opposition de l’establishment dirigeant.
Les médias de la grande entreprise la dénonçaient pour garantir l’instabilité
politique, et pour la prolifération des partis politiques – même si le système
proposé imposait un seuil minimum très élevé de 3 pour cent du vote populaire
exprimé pour qu’un parti puisse obtenir une représentation parlementaire.
Dans un éditorial typique, le Globe & Mail se
plaignait du fait que, « comme la représentation proportionnelle
complète », le système MMP « va faire en sorte que les partis vont
devoir gagner au moins 50 pour cent du vote populaire pour pouvoir former un
gouvernement majoritaire. »
« Les recherches, poursuit le Globe, suggèrent
que si cette version du MMP avait été en place, aucun parti en Ontario n’aurait
gagné de gouvernement majoritaire au cours des 20 dernières années... cela
aurait également signifié qu’il n’y aurait pas eu de révolution du bon sens
sous le gouvernement de Mike Harris en 1995 et aucune victoire claire des
libéraux en 2003 – deux résultats qui… ont donné à ces gouvernements les outils
nécessaires pour imposer des politiques impopulaires. »
Le journal libéral Toronto Star était du même
avis : « Le système proposé est une recette qui a des bonnes chances
de produire des gouvernements minoritaires faibles et instables qui seront
tenus à des intérêts de partis étroits et uniques.
« Personne ne suggère que la majorité simple est
parfaite. Mais le système ontarien actuel est démocratique et robuste, livrant
des gouvernements forts et stables qui marchent. Pourquoi s’évertuer à
« réparer » ce qui n’est pas brisé ? »
L’élite dirigeante capitaliste a d’énormes ressources à sa
disposition, incluant les médias corporatifs, pour façonner l’opinion publique,
supprimer les débats et manipuler les résultats d’une élection. Malgré cela,
elle perçoit une réforme aussi mineure visant à distribuer les sièges au
parlement de manière à refléter plus justement l’appui populaire pour les
partis comme une menace. Sous la menace, elle se rassemble en défense d’un
système électoral dans lequel les gouvernements n’ont plus besoin de chercher à
gagner l’appui du public durant quatre ou cinq ans parce qu’elle trouve de tels
« gouvernements forts » plus efficaces pour la défense de ses
intérêts.
Les trois principaux partis de l’Ontario se sont opposés à
la réforme électorale, soit ouvertement, comme dans le cas du Parti
conservateur, ou sous le hypocritement comme pour les libéraux et le NPD.
Les libéraux prônaient la neutralité, mais imposèrent un
niveau très élevé pour que le référendum passe (60 pour cent du vote et une
majorité dans au moins 60 pour cent des 107 circonscriptions électorales ou districts).
Le NPD prétendait être en faveur du changement, mais
refusait de mener une campagne en sa faveur, prétendant, faussement, que la loi
référendaire empêchait les députés (les membres du parlement provincial) de
faire la promotion de la réforme électorale.
L’opposition massive de l’élite dirigeante à un modeste pas
vers une forme plus démocratique de représentation populaire est une indication
de son hostilité croissante à l’égard des principes démocratiques.