Le 10 octobre, les électeurs de l’Ontario, la
province canadienne la plus populeuse et industrialisée, pourront faire un
choix parmi une liste de politiciens capitalistes n’ayant à offrir que
des promesses creuses ou de légères améliorations à leurs vies.
Dans le débat électoral officiel, les véritables
préoccupations des travailleurs – le rôle de combat qu’adopte
maintenant l’armée canadienne en Afghanistan et ailleurs, la pauvreté qui
s’accroît pour de plus en plus de gens, le manque de logements abordables,
la destruction d’emplois décents dans le secteur manufacturier et le
démantèlement des programmes sociaux et des services publics – ne sont
pas prises en compte ou bien font l’objet de vagues références.
L’actuel gouvernement libéral, arrivé au pouvoir en
automne 2003 avec l’appui explicite de la bureaucratie syndicale,
n’a apporté que quelques changements, essentiellement symboliques, à la
Révolution du bon sens : un programme de droite pour la classe dominante
implémenté par les gouvernements conservateurs de Mike Harris et Ernie Eves
entre 1995 et 2003.
Mise à part une seule exception importante — un impôt
régressif sur la santé — les libéraux ont laissé intact le régime
d’imposition des conservateurs. Ce régime a un double objectif :
augmenter les profits des entreprises et les revenus des riches et des super
riches et priver l’Etat des ressources nécessaires pour maintenir les
programmes sociaux et des services publics décents.
Presque immédiatement après avoir pris le pouvoir, les
conservateurs ont sabré l’aide sociale de 22 pour cent et l’ont
gelée pour la durée des huit années où ils étaient au pouvoir. Malgré tout, le
gouvernement libéral de Dalton McGuinty n’a haussé l’aide sociale
que de 5 pour cent au cours des quatre dernières années, condamnant ainsi à la
pauvreté 760.000 personnes, pour la plupart des femmes monoparentales et des
enfants. Au même moment, les frais de scolarité au niveau postsecondaire ont
augmenté beaucoup plus rapidement que le taux d’inflation et les lois
antisyndicales des conservateurs demeurent en vigueur.
Avec l’aide de la bureaucratie syndicale – qui
profite du fait que McGuinty est prêt, contrairement à Harris, à concéder aux
syndicats un rôle dans la restructuration des services publics afin de mieux
servir les intérêts de la grande entreprise – les libéraux se présentent
dans cette élection comme les défenseurs des services publics. Mais
l’argent qu’ont réinjecté les libéraux en santé, en éducation, au
niveau municipal et dans d’autres services est bien loin de combler les
besoins des infrastructures et de personnel causés par les coupures des
gouvernements conservateur et du Nouveau parti démocratique dans les années
1990 et par l’augmentation rapide de la population.
Deux questions ont jusqu’à présent dominé la
campagne : les promesses non tenues des libéraux sortants et la
proposition largement impopulaire du chef conservateur John Tory
d’étendre le financement public aux écoles confessionnelles.
La liste des promesses non tenues des libéraux est en effet
très longue, qu’il s’agisse de l’échec de McGuinty à résoudre
le problème de financement des écoles publiques, son engagement à supprimer
graduellement les centrales énergétiques au charbon, ou sa promesse de ramener
des hôpitaux privés dans le secteur public afin de contrer la privatisation du
système de santé.
Mais le cadre du débat sur les promesses trahies de McGuinty
a essentiellement été décidé par les médias et ses opposants politiques de la
grande entreprise et, conséquemment, s’est concentré sur le fait
qu’il n’ait pas honoré son engagement de ne pas hausser les impôts,
et non sur sa poursuite du programme de droite des conservateurs.
Cette promesse sur les impôts avait été faite à la
Fédération canadienne des contribuables, organisme de droite, durant la
campagne de 2003 dans le but de rassurer la grande entreprise, dans le cas où
certains doutes pouvaient encore persister, que les libéraux ne toucheraient
pas aux principaux piliers de la Révolution du bon sens.
Et c’est exactement ce qu’ils ont fait. En
fait, l’impôt santé de McGuinty est fidèle à la Révolution du bon sens
dans la mesure où ce fardeau pèse beaucoup plus lourd sur les épaules des
sections les moins bien nanties de la société. Pour une personne qui gagne $30.000,
la hausse annuelle de 900$ représente un énorme 24 pour cent
d’augmentation, tandis que pour quelqu’un gagnant 200.000$
l’augmentation n’est qu’un maigre 3 pour cent.
En réalité, cette taxe est davantage une cotisation –
des frais obligatoires pour être inscrit au régime d’assurance maladie de
l’Ontario – qu’un impôt traditionnel.
Si la grande entreprise et les médias ont dirigé leur
attention sur l’impôt santé ce n’est pas parce qu’ils sont
préoccupés par le réel fardeau que cela impose aux travailleurs, mais bien
parce qu’ils veulent faire pression sur le prochain gouvernement ontarien
afin qu’il adopte comme priorité de diminuer les impôts de la grande
entreprise et des mieux nantis.
Ce qu’offrent
les conservateurs
Bien qu’il y a une véritable colère populaire à
l’égard du gouvernement McGuinty pour ses promesses non tenues, le
dossier du précédent gouvernement conservateur de Harris/Eves reste douloureux
dans la mémoire des travailleurs ontariens. L’érosion criminelle de
l’infrastructure sociale qui a mené ou contribué aux désastres tels que
l’empoisonnement fatal du système d’aqueduc à Walkerton en 2000,
l’épidémie de SRAS, la panne majeure d’électricité de 2003, ont été
le résultat direct de la politique de privatisation, baisse d’impôts et
réduction budgétaire des conservateurs.
Conscients de la méfiance publique persistante, les
conservateurs ont tenté de distinguer leur nouveau dirigeant, le bien nommé
John Tory, du virulent anti-syndicaliste et ennemi juré des programmes
d’aide sociale qu’était Mike Harris. Cependant, Tory entretient,
s’il se peut, des liens encore plus étroits avec l’élite des
affaires. Il a été PDG de Roger Media, l’une des plus importantes
entreprises au pays dans le secteur des médias et son père était un proche
conseiller de l’un des plus riches hommes d’affaire au Canada, feu
Kenneth Thomson.
Malgré la quantité de commentaires entourant la proposition
des conservateurs d’étendre le financement des écoles confessionnelles,
très peu d’éclairage a été jeté sur la question durant la campagne
électorale.
C’est une question complexe, mais certains points
essentiels doivent être faits. Aucune des parties dans ce débat public
n’a pris une position de principe en défense du système public
d’éducation ni démasqué cette mesure pour ce qu’elle est : une
mesure réactionnaire. C’est un accommodement idéologique à la droite
religieuse qui constituerait, si mis en place, une extension majeure du
financement du système privé d’éducation au nom du système public. Le
plan des conservateurs propose une augmentation de $800 millions dans le
financement de l’éducation, duquel la moitié serait dédiée aux écoles
religieuses au cours de la prochaine année, pour atteindre la somme de $2,4
milliards en 2011-12.
Il faut dire qu’il n’y a plus que quelques
provinces qui continuent encore de financer les écoles catholique en raison des
arrangements constitutionnels d’avant la confédération. Mais
l’Ontario est la seule province qui accorde le plein financement aux
écoles catholiques tout en ne donnant aucun financement aux écoles des autres
confessions, une situation que même les Nations Unis ont dénoncé.
Compte tenu du changement de visage des écoles ontariennes,
qui ont maintenant une diversité culturelle quasiment sans parallèle dans le
monde, le financement d’une commission scolaire catholique séparée au
côté d’une commission publique, est de plus en plus en contradiction
avec la réalité sociale et vue comme un anachronisme politique. La solution
évidente serait d’avoir une seule commission scolaire, séculaire et
financé par les fonds publics, mais, bien sûr, cette solution n’est
proposée par aucun des principaux partis.
John Tory a cherché à utiliser l’incongruité du
financement de l’éducation pour avancer un programme politique rétrograde.
Mais ça s’est retourné contre lui, élicitant la condamnation non
seulement du public en général, qui est massivement opposé à cette proposition,
mais même de la part de ses propres supporteurs de Bay Street et d’un
membre sortant du caucus conservateur de la législature ontarienne, Bill
Murdoch.
Au début des dernières élections, les sondages
d’opinions indiquaient que la santé était la préoccupation première des
électeurs. A ce moment, l’Ontario faisait face à une pénurie de médecins
et d’infirmières et des longs délais d’attente pour les chirurgies,
en large mesure causés par les coupures du précédent gouvernement conservateur
dans le financement du système public de santé et l’élimination de la
réglementation imposant un standard minimum pour les soins.
L’introduction par les libéraux d’une onéreuse
taxe sur la santé avait été justifiée afin de couvrir les coûts à la hausse des
soins de santé. Malgré cela, en quatre ans, il n’y a eu que très peu
d’améliorations dans le système public de santé et à plusieurs égards, la
situation a empiré. Le problème des longues listes d’attente tant pour
les urgences que les opérations de routine n’a pas été résolu et il y a
toujours un manque flagrant de médecins de famille.
L’échec des libéraux à renverser la vapeur dans la
crise du financement de l’éducation publique aussi bien que dans les
soins de santé a été utilisé par les conservateurs comme argument pour plus de
privatisation. Bien que les conservateurs aient catégoriquement refusé de
retirer leur proposition de financement des écoles religieuses, ils ont tenté
de détourner l’attention vers d’autres questions, la plus notable
étant la proposition de donner aux médecins une plus grande
« flexibilité » à donner des soins dans des cliniques privées : mesure
qui correspond plus à leur programme de privatisation et qui a assuré à John
Tory et à son parti l’appui d’importantes sections de la grande
entreprise.
Les
alliances changeantes du NPD
Les sociaux-démocrates du NPD entrent dans
cette élection avec une popularité en baisse selon les sondages et avec
seulement onze des 103 sièges du parlement ontarien. Lors des élections
précédentes en 2003, le NPD n’avait obtenu que sept sièges, leur pire
résultat électoral depuis 1963, perdant pour un temps le statut de parti officiel.
Mais ils ont réussi à gagner plusieurs élections partielles en faisant appel au
désenchantement populaire envers les libéraux de McGuinty.
Néanmoins, selon les sondages, la part du
vote allant au NPD atteint à peine cinquante pour cent de ce qu’elle
était dans les deux décennies qui ont précédé le gouvernement des
sociaux-démocrates de 1990 à 1995. Les travailleurs n’ont pas oublié
comment le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae, qui avait pris le pouvoir en
promettant de protéger les travailleurs contre l’approfondissement de la
récession, a viré carrément vers la droite : il a augmenté les impôts, imposé
un « contrat social » coupant dans les salaires et les emplois
d’un million de travailleurs du secteur public et lancé un programme de
travail obligatoire pour les assistés sociaux.
Ce sont ces mesures de droite qui ont
ouvert la voie à la prise du pouvoir du Parti conservateur en 1995.
Le NPD s’est adapté au faible soutien
dont il jouit en s’offrant pour faire pression sur tout gouvernement élu
pour qu’il adopte de modestes changements décrits dans un programme
électoral en six points. Ces points comprennent une diminution de cinquante
pour cent de l’impôt spécial sur la santé, une augmentation du salaire
minimum à dix dollars l’heure et une diminution des frais de scolarité.
Les sondages indiquant une forte
probabilité que les élections résultent en un gouvernement minoritaire, le NPD
espère obtenir le vote « stratégique » des travailleurs qui
continuent à le voir comme un véhicule pour faire pression pour des concessions
sur les partis de la grande entreprise traditionnellement au pouvoir, les
conservateurs et les libéraux. Dans de récentes déclarations sur la possibilité
qu’il puisse soutenir un gouvernement libéral minoritaire, le leader du
NPD ontarien, Howard Hampton, pouvait difficilement contenir son
enthousiasme : « La réalité d’un gouvernement minoritaire
en Ontario aujourd’hui est qu’il faudra faire affaire avec le
Nouveau Parti démocrate et nous allons insister pour un programme progressiste. »
Hampton a tenté de distinguer son parti de
celui de Bob Rae en insistant sur le fait que Rae est aujourd’hui dans
les rangs du Parti libéral. Pourtant, Hampton était un membre en vue du
gouvernement de Rae et il a joué un rôle clé dans l’attaque du NPD sur la
classe ouvrière. Il faut aussi rappeler que le NDP au niveau fédéral, dirigé
par Jack Layton, n’a pas hésité à soutenir les libéraux de Paul Martin au
pouvoir, même si le gouvernement libéral de Chrétien/Martin formait le
gouvernement le plus à droite depuis la Crise de 1929.
Alors qu’Hampton espère être en
mesure d’offrir le soutien des sociaux-démocrates aux libéraux après le
10 octobre, une section importante de la direction des syndicats fait
ouvertement campagne pour un gouvernement libéral de façon encore plus décidée
que lors des élections ontariennes de 1999 et 2003.
Les syndicats, avec les Travailleurs
canadiens de l’automobile (TCA) dirigés par Buzz Hargrove en tête,
avaient défendu le vote « stratégique » lors des élections de 1999,
après qu’ils aient mis un frein à un mouvement de masse contre les
conservateurs de Harris. Ce mouvement avait atteint son point culminant en
automne 1997 lorsque les enseignants avaient mené une grève politique.
Dans cette élection, les syndicats des
travailleurs de l’acier, des machinistes, des travailleurs du secteur
public ainsi que le syndicat des communications, de l’énergie et du
papier soutiennent toujours le NPD alors que les TCA, deux syndicats
d’enseignants et plusieurs syndicats de la construction ont formé une
coalition nommée « les familles travaillantes » appelant à un vote
« stratégique » contre les conservateurs, ce qui signifie dans une
majorité de circonscriptions électorales un appel à voter libéral.
A ce point dans la campagne électorale, on ne
peut prédire quelle en sera l’issue. Toutefois, très clairement, peu
importe le parti ou la coalition qui forme le gouvernement, les travailleurs et
leurs familles verront un durcissement de l’assaut sur leur position
sociale.