Le président du syndicat des Travailleurs canadiens de
l’automobile (TCA), Buzz Hargrove, a signé une entente nommée le « cadre
équitable » avec Frank Stronach, le patron de Magna International bien
connu pour son anti-syndicalisme. En vertu de cette entente, Stronach invitera
les TCA à « organiser » les usines de sa société en échange de
l’abandon par le syndicat de son droit de grève, des procédures de griefs et
autres principes syndicaux.
L’entente deviendra en vigueur seulement après que les
travailleurs l’auront ratifiée dans chacune des usines de l’empire Magna.
Stronach et Hargrove défendent activement l’entente « non
conflictuelle » en vertu de laquelle le syndicat fonctionnera comme un
appendice de la direction dans l’amélioration de la compétitivité et de la
profitabilité et pour bloquer l’opposition des travailleurs.
Dans une presse de conférence donnée conjointement par la
société et le syndicat qui a eu lieu le 15 octobre aux quartiers généraux de
Magna, Hargrove et Stronach n’ont pas ménager leurs efforts pour défendre, au
nom de « l’industrie automobile canadienne », un front commun
employeurs-syndicats contre la menace grandissante que représentent les
importations asiatiques pour les profits de la compagnie et les cotisations
syndicales.
La rationalisation de l'industrie automobile
canadienne à cause de l'impact des importations asiatiques, a dit Hargrove,
force « chacun d'entre nous au même côté de la table, et je sais que cela
a mené Frank et d'autres à dire: "Pourquoi devrions-nous gaspiller des
efforts à nous battre les uns contre les autres au sujet de la présence d'un
syndicat dans une division particulière de Magna alors qu'il est logique de
nous asseoir et d'avoir une relation qui n'est pas traditionnelle, qui n'est
pas conflictuelle ?" »
En d’autres mots, les travailleurs du secteur de l’automobile au Canada
devraient lutter aux côtés de Magna, des Trois Grands de l’automobile et des
autres fabricants de pièces basés au Canada pour tenter de faire porter le
poids de la restructuration de l’industrie automobile sur les travailleurs
d’Asie, du Mexique et également des Etats-Unis.
Dans une déclaration conjointe publiée le 17 octobre dans le Globe and
Mail, la voix traditionnelle de l’establishment financier au Canada,
Hargrove et Stronach ont créé les bases pour une approche corporatiste aux
relations de travail par laquelle « Magna accepte que les TCA sont un
véritable partenaire » et le syndicat « accepte que la culture de
Magna est celle d’une "entreprise équitable" », un euphémisme
pour le rejet de toute conception qu’il existe une contradiction entre les
intérêts du capital et ceux du travail.
Ainsi, l’accord « prévoit plusieurs mesures sans précédent… Plutôt que
d’avoir des représentants syndicaux, des « défenseurs des
travailleurs » travailleront dans le cadre de "comités de
l’équitabilité" dans chaque usine pour prendre des décisions locales et
pour résoudre les problèmes. Plutôt que le système traditionnel des griefs, un "processus
de résolution de conflit" donnera aux travailleurs plusieurs avenues pour
tenter de résoudre et résoudre leurs problèmes. Plutôt que des grèves ou des
lockouts, les questions contractuelles litigieuses iront à un arbitre qui
rendra une décision sans appel. »
Les salaires dans les usines Magna ne sont pas tellement
différents des salaires dans les usines syndiquées par les TCA. Comme le co-PDG
de Magna, Donald Walker, l’a dit, « Quand nos actionnaires prendront connaissance
des détails de l’entente, ils verront qu’elle ne nous rend pas moins
compétitive. » Les analystes des affaires ont fait observer que l’accord
n’affectera pas les coûts opérationnels de la compagnie et que son véritable
objective est l’augmentation de la productivité dans les usines en incorporant
un syndicat qui travaillera main dans la main avec la direction pour étouffer
la dissension, en d’autres mots, en prenant le rôle d’un agent de police de la
classe ouvrière.
Présentement, Magna emploie environ 19 000
travailleurs à salaire horaire et 2000 salariés dans quelque 45 usines et
ateliers de construction à travers le Canada. Presque toutes ces installations
sont demeurées sans représentation syndicale malgré les nombreuses tentatives
des TCA d’obtenir le droit de représenter la main-d’oeuvre. Aussi en activité
aux Etats-Unis, Magna y emploie 18 000 travailleurs dans 72 usines,
desquelles seulement huit sont représentées par le syndicat des Travailleurs
unis de l’automobile. Stronach a affirmé qu’il espère qu’un cadre semblable
soit établi avec l’UAW.
Depuis qu’il a démarré son entreprise dans son propre
garage durant les années 1950, Stronach a fait la promotion d’une culture
d’entreprise paternaliste comprenant des plans de partage des profits, des
lignes téléphoniques mises sur pied par la compagnie pour enregistrer les
plaintes ainsi que des chartes de l’employé servant à encourager
« l’esprit d’entreprise » et étouffer la conscience de classe. Il est
souvent intervenu personnellement à des usines qui étaient ciblées par le
syndicat, avec des interventions mêlant menaces voilées et flatteries, afin de
s’assurer que le syndicat n’obtienne pas une réponse suffisante. Lorsque les
TCA réussirent à établir un avant-poste dans les trois usines Magna de
l’Ontario qui emploient environ 1000 travailleurs, dont l’usine Integram
Seatings près de Windsor, ce fut en négociant des contrats à très long terme
qui abandonnaient le droit de grève au profit d’un arbitrage obligatoire.
Traditionnellement, la syndicalisation d’une usine se
déroule essentiellement par des tentatives des représentants syndicaux de
convaincre individuellement chaque travailleur de signer. Lorsque la majorité
est atteinte, le processus de ratification du syndicat comme seul agent de
négociation des travailleurs est enclenché. Sous le nouveau « cadre »
annoncé, les travailleurs ne votent que sur un projet d’entente déjà établi conjointement
par la compagnie et le syndicat.
L’entente entre les TCA et Magna a soulevé une large
opposition parmi les travailleurs de la base et plusieurs représentants locaux
des TCA ont été obligés de s’y opposer. Mais la haute direction syndicale serre
les rangs dans le but d’étouffer toute opposition. Hargrove, qui avait d’abord
ignoré les critiques face à l’entente, disant qu’elles étaient sans importance et
liées à l’alliance des TCA avec les libéraux, parti de la grande entreprise, a
soudainement changé de direction en appelant une réunion du conseil exécutif
national ce mardi. Ce dernier a accepté l’entente avec Magna par un vote de 16
contre 1. L’ancien président des TCA Bob White a aussi applaudi l’entente,
déclarant que le syndicat devait faire face à de « nouvelles
réalités » et que « la fréquence des grèves est beaucoup moindre que
durant les années 1970 ».
Typique de l’orientation patronale des TCA fut la réaction
de Tim Carrie, président du Local 22 des TCA à London en Ontario, à
« l’association » entre le syndicat et Magna : « Cela aide
à détruire le mythe que les syndicats sont source de problèmes. Voilà une
direction très avertie qui réalise que les syndicats peuvent stabiliser les
lieux de travail et collaborer avec la direction pour améliorer les lieux de
travail. »
Du point de vue de la bureaucratie des TCA, l’objectif de
l’entente avec Magna est d’assurer sa position financière. Les revenus de la
bureaucratie des TCA provenant des cotisations syndicales ont été sévèrement
amputés par la restructuration de l’industrie automobile en Amérique du Nord,
la montée du dollar canadien et la croissante incapacité à attirer de nouveaux
membres et syndiquer d’autres usines.
Au même moment — comme le démontrent aux Etats-Unis les
concessions historiques négociées par l’UAW au cours des dernières semaines
avec GM et Chrysler — les travailleurs de l’automobile des deux côtés de la
frontière font face à des attaques sans précédent sur leurs emplois, leurs
conditions de travail et niveau de vie.
Pendant près de vingt ans, le syndicat des TCA a eu de bons
arguments dans ces négociations avec les Trois Grands à cause des coûts de
production relativement plus bas au Canada à cause de son système de santé
public et de la faiblesse du dollar canadien face au dollar américain, qui
valait presque 60 cents américains il y a quelques années. Ce sont ces faibles
coûts de production et pas un soi-disant plus grand militantisme des dirigeants
syndicaux canadiens qui ont été à la source de la scission nationaliste de 1985
d’avec l’UAW qui a mené à la formation des TCA.
Alors que la scission a été vendue aux membres de la base
par la bureaucratie des TCA comme étant la façon de s’opposer à la politique
des concessions de la direction de l’UAW dirigée par Owen Biber, les TCA ont
été prêts, avant comme après la scission, a coopéré avec les fabricants
automobiles pour réduire les coûts de production. La scission lui a permis de
demander aux compagnies du secteur automobile avec sans gêne de plus en plus
grand de fermer leurs usines américaines et d’éliminer les emplois au sud de la
frontière canadienne de préférence à la réduction de la production à leurs
usines canadiennes, plus profitables.
La concurrence internationale devenant toujours plus
importante et la disparition rapide de l’avantage des coûts de production au
Canada ont jeté la direction des TCA dans une intense crise. En 2002, ils se
sont joints aux Trois Grands de l’auto, aux gouvernements fédéral et ontarien
pour créer le Conseil canadien du partenariat dans l’automobile dont la mission
est de s’adresser aux questions compétitive ». Hargrove et le leadership
des TCA ont utilisé les politiques anti-ouvrières du Nouveau Parti démocratique
(NPD), un parti social-démocrate, lorsqu’il était au pouvoir dans des provinces
canadiennes à diverses occasions pour justifier les TCA de mettre un terme à
leur affiliation depuis des dizaines d’années avec le NPD et de s’allier avec
les libéraux, le parti traditionnel du pouvoir de la bourgeoisie canadienne.
Lors des élections fédérales de 2006, Hargrove a fait campagne pour la
réélection du gouvernement libéral de Paul Martin et a personnellement fait du
porte-à-porte pour la réélection de Belinda Stronach, la fille du propriétaire
de Magna, Frank Stronach et elle-même une ancienne haut cadre de Magna.
Selon Hargrove et Stronach, les discussions sur l’accord
intervenu entre Magna et les TCA ont commencé il y a deux ans. Mais ce n’est
pas un hasard si elles se sont concrétisées à la suite de l’entente intervenue
entre l’UAW et GM par laquelle le syndicat accepte d’imposer des concessions
massives et de prendre la responsabilité de couper dans les prestations de
l’assurance-santé des travailleurs et des retraités de GM en échange du
contrôle d’un important fonds d’investissement.
Comme l’UAW, la bureaucratie des TCA cherche à trouver le
moyen de conserver ses privilèges en jouant un rôle plus actif et plus ouvert
dans l’asssaut contre la classe ouvrière.
Alors que les analystes de l’industrie automobile de Wall
Street et Bay Street se vantent des concessions que l’UAW a donné à GM et
prédisent qu’elles donneront une arme puissante aux Trois Grands de
l’automobile pour forcer leurs travailleurs canadiens à accepter des
diminutions de salaires et de couper des salaires, Hargrove et son proche
associé, Jim Stanford, ont gardé le silence sur l’entente intervenue entre GM
et l’UAW, si ce n’est pour proclamer que les coûts de production au Canada sont
toujours les plus bas!
Il faut donner cet avertissement aux membres des TCA :
le partenariat avec Magna sera suivi par une capitulation semblable aux Trois
Grands de l’automobile à moins que les membres de la base se rebellent contre
les TCA et qu’ils adoptent une nouvelle perspective basée sur la mobilisation
de la classe ouvrière et sur la lutte pour unir les travailleurs de
l’automobile et la classe ouvrière dans son ensemble et par-dessus les
frontières. La vie économique doit être organisée non pour servir les intérêts
du profit des grandes entreprises, et la richesse personnelle, mais plutôt les
besoins des travailleurs et de la société dans son ensemble.
L’urgence de cette lutte a été montrée par l’annonce
d’Hargrove qu’il était prêt à offrir à Toyota et à Honda, qui ont des usines non
syndiquées en Ontario, un accord semblable à celui que les TCA ont négocié avec
Magna. Selon la London Free Press, Hargrove a déclaré que Toyota et
Honda serait en « meilleure position » si « le syndicat
travaillait avec eux pour améliorer la qualité et la productivité que… si
luttent contre nous. »
Nous invitons tous les travailleurs de l’automobile qui
reconnaissent qu’il faut adopter une nouvelle stratégie, radicalement opposée à
celle mise de l’avant par les TCA et qui est nécessaire pour défendre les
emplois, les salaires et les droits des travailleurs à prendre contact avec le
Parti de l’égalité socialiste et le World Socialist Web Site pour
discuter de la construction d’une nouvelle direction de la classe ouvrière.