Les conducteurs de train ont étendu leur grève du fret au trafic
passager suburbain et régional et pour la première fois au trafic grandes
lignes, aux premières heures du jeudi 15 novembre. La grève durera jusqu'à
samedi matin et elle a un réel impact. C’est la plus grande grève des
chemins de fers allemands depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
L’impact de la grève est particulièrement sévère à
l’est de l’Allemagne, parce que beaucoup de conducteurs de cette
partie du pays sont organisés dans la GDL (Gewerkschaft der Lokomotivführer).
« Dans les nouveaux Länder (l’ancienne Allemagne de l’Est),
seuls 15 pour cent des trains roulent » a dit un porte-parole de la Deutsche
Bahn (la société des chemins de fer allemands) hier à Berlin. Il a estimé que les
50 pour cent de train régionaux roulant encore à l’Ouest montraient que
le plan d’urgence mis en place par la DB était un succès.
C’est la direction de la Deutsche Bahn qui porte
l’entière responsabilité de l’intensification du conflit. Elle se
refuse obstinément à faire de nouvelles propositions et essaie de forcer les
conducteurs de train à accepter l’accord signé par les syndicats Transnet
et GDBA, qui prévoit une hausse de salaire de 4,5 pour cent et un versement unique
de 600 euros. Etant donné que les salaires des conducteurs de train stagnent
depuis des années et que durant les vingt dernières années ils ont baissé alors
que la charge de travail a très fortement augmenté, cela reviendrait à accepter
la démolition salariale et sociale.
La revendication de la GDL d’un salaire brut de début
d’activité de 2.500 euros qui atteindrait 3.000 euros sur une longue période
de temps, ainsi qu’une réduction du temps de travail hebdomadaire de 41 à
40 heures sont tout à fait justifiées. L’affirmation selon laquelle la
satisfaction de ces revendications n’est pas possible pour des raisons financières,
est fausse.
Selon les calculs de la DB elle-même, le coût supplémentaire
de ces revendications se monterait à 250 millions d’euros par an. Cela représente
exactement 10 pour cent de l’excédent de 2.5 milliards d’euros que
la société a extrait du personnel l’an dernier.
Ce qui suit montre aussi que ce n’est pas l’argent
qui manque : l’ensemble des traitements de la direction a augmenté
de 70 pour cent l’an dernier ; les sommes prévues pour les retraites
des membres du conseil d’administration en activité ou en retraite ont
augmenté de 15,3 pour cent et les traitements des membres du conseil
d’administration sont même montés de 269 pour cent (source :
rapport annuel 2006 de la Deutsche Bahn AG). Le salaire de Mehdorn lui-même
a augmenté de 100 pour cent l’an dernier pour atteindre 3,18 millions
d’euros et celui de sa chef du personnel atteint, lui, 2,1 millions
d’euros.
L’assertion répétée mainte fois que la grève est une
tentative de faire chanter la direction de la DB présente la réalité à
l’envers. C’est Harmut Mehdorn et sa direction qui essaient par
tous les moyens de faire plier les conducteurs de train. Ils veulent faire un
exemple et intimider quiconque oserait lutter contre les baisses de salaire et
la détérioration constante des conditions de travail.
Medhorn est prêt à dépenser beaucoup plus d’argent pour
la répression de la grève que ne lui coûterait la satisfaction des revendications
des conducteurs de train. Hier, alors que la grève était étendue, il a fait
placer des encarts publicitaires couvrant des pages entières dans plusieurs
quotidiens nationaux. Sous le titre « Arrêtez cette folie monsieur
Schell ! » on y reproche à la GDL qu’elle se refuse à
« toute négociation depuis des mois ». L’appel démagogique de
Mehdorn se termine par ces mots : « Arrêtez enfin
d’imposer une grève à tout le pays ».
Le conseil d’administration de la Bahn AG a serré les
rangs autour de son président et fait la déclaration suivante: « Pour ce
qui est de la grève le conseil d’administration soutient la positon de la
direction de ne pas satisfaire la revendication de la GDL de dissoudre l’unité
tarifaire, même si elle devait continuer à faire grève ». Un porte-parole
du service de presse de la société ferroviaire, Volker Knauer, a dit au WSWS
que la déclaration n’avait pas fait l’objet d’un vote mais
que c’était une « prise de position consensuelle ». Les représentants
des salariés siégeant au conseil d’administration auraient selon lui expressément
déclaré leur soutien.
La séance extraordinaire du conseil d’administration
avait été réclamée par le président du syndicat du rail Transnet, Norbert
Hansen, et celui de la GDBA, Klaus-Dieter Hommel (qui siègent tous deux au
conseil d’administration), parce qu’ils voulaient avoir, de la part
du gouvernement, des explications sur un modèle de privatisation en débat actuellement.
Dans une interview donnée au quotidien Süddeutschen Zeitung,le chef de Transnet a attaqué les conducteurs en grève de la pire façon. Il
était « absolument inacceptable qu’à présent toute l’Allemagne
doive souffrir [de la grève] », que des fonctionnaires d’un petit
syndicat essaient de se mettre en avant. Pour la GDL il ne s’agit, selon
lui, que d’obtenir « un avantage par rapport au statut », déclara
Hansen. La grève conduisait à des « dommages permanents pour le site économique
allemand » et devait se terminer le plus rapidement possible.
Le gouvernement fédéral lui aussi, a exigé une « fin
rapide du conflit ». Le vice-porte-parole du gouvernement, Thomas Steg, a dit
hier que la grève des trains provoquait des dégâts importants dans l’économie
nationale et qu’elle représentait un fardeau pour un développement
positif de la conjoncture. Elle freinait la croissance économique en Allemagne
et pouvait, s’il elle se poursuivait, avoir des conséquences plus graves
encore.
Les porte-parole de la politique économique des fractions
parlementaires du SPD et du CDU, Rainer Wend et Laurenz Meyer, ont mis les
conducteurs en garde contre une « lutte pour des intérêts
sectoriels ». Au parlement, Wend a appelé les grévistes à ne pas lutter
« pour des droits spéciaux au détriment de tous les salariés ». Le député
du SPD a concédé indirectement qu’il s’agissait avant tout d’empêcher
que la grève ait un effet de signal. Ce que les conducteurs de train faisaient aujourd’hui,
les ouvriers de la maintenance ou les employés de gare pouvaient le faire
demain, a souligné Wend.
Etant donné la pression grandissante qui s’exerce de
toutes parts, il est extrêmement important de soutenir les conducteurs en grève,
Des membres du WSWS ont distribué des tracts où l’on peut lire :
« Le PSG (Parti de l’égalité sociale) appelle l’ensemble de la
population travailleuse à se solidariser avec les conducteurs de train. Ne
permettez pas que les conducteurs soient isolés par les syndicats du DGB, mis
en difficulté par la direction de la DB et criminalisés par la justice de
classe ! Construisez des comités de solidarité et faites de la lutte des
conducteurs de train le départ d’une large offensive contre la démolition
salariale et sociale et contre la grande coalition de Berlin ! »
Dans la discussion avec les conducteurs de train la question
d’une perspective et d’une collaboration internationale avec les
cheminots français, qui se trouvent également en grève, a joué un rôle
important.
Berlin
Le trafic ferroviaire suburbain de Berlin, dont les trains
circulent normalement toutes les deux ou trois minutes ne circulaient plus que
toutes les 20 à 40 minutes à cause de la grève. De nombreux passagers s’étaient
arrangés autrement. Les gares étaient relativement vides. Les conducteurs de
train en grève de la GDL n’étaient pas présents parce que la direction de
la Deutsche Bahn leur avait interdit de monter des piquets de grève.
A la principale gare de Berlin Est, Ostbahnhof, des membres de
la GDL ont été forcés de quitter le local où ils se reposent normalement ainsi
que l’ensemble de la gare à 5 heures du matin. Les conducteurs s’étaient
retirés dans un petit restaurant près de la gare qui avait mis une pièce à la
disposition des grévistes.
Les conducteurs se sont empressés de parler aux journalistes
du World Socialist Web Site et un certain nombre de grévistes
connaissaient aussi le tract du WSWS sur la grève ainsi que
d’autres articles. Cependant, les conducteurs étaient très sceptiques pour
ce qui était du reste des médias. Un reporter du quotidien à sensation Bild
Zeitung a été incapable de trouver qui que ce soit pour lui donner une
interview et les grévistes ont expliqué qu’ils ne donnaient pas d’interview
à ce « torchon à mensonges ».
Andreas von Rappard a 35 ans, il est conducteur de train et
organisé à la GDL depuis mai 2006. Auparavant il avait été membre du syndicat
Transnet, mais il s’est senti abandonné par cette organisation
« Transnet est tout simplement un instrument de Mehdorn [le chef de la
Deutsche Bahn] », a-t-il expliqué. Rappard s’est levé à 3 heures du
matin et aurait dû commencer son travail à 5 heures, pour une équipe au cours de
laquelle il aurait dû parcourir tout le pays et qui aurait fini à 17h 47. « Je
ne vois ma femme et mes deux enfants que rarement », dit-il.
Il a souligné le fait que le GDL ne faisait pas seulement grève
pour les conducteurs de train, mais pour l’ensemble des personnels du rail :
les techniciens, les chefs de train, le personnel de la restauration, jusqu'à
ceux qui s’occupent du nettoyage. La GDL a donc l’intention de changer
de nom et de s’appeler à l’avenir « syndicat des personnels
des chemins de fer »
Il a dit que ce n’était pas le syndicat qui était responsable
de la division du personnel des chemins de fer. « En réalité, on a été
divisé et battu depuis longtemps. Le fret a sa propre organisation, Railion, le
trafic régional aussi avec Regio, et le trafic grandes lignes avec DB grande
lignes. C’est un total de 60 entreprises qui opèrent actuellement au sein
de la DB. Avec notre grève nous voulons empêcher la privatisation des chemins
de fer et qui frapperait les travailleurs qui travaillent dans les secteurs à
profits de la société.
Quand on lui a demandé son opinion sur l’importance des grèves
du rail en France pour les grévistes allemands il a expliqué qu’il
saluait fortement les grèves de l’autre côté de la frontière. A
l’avenir, la coopération internationale deviendra plus importante, a-t-il
dit. « Ces prochaines années le système de transport européen va être
ouvert à la concurrence du marché libéré. Cela signifie que les personnels des
trains de tous les pays vont pouvoir circuler en Allemagne à leurs propres
conditions. Il est donc encore plus important que nous réussissions maintenant.
Nous avons déjà reçu des salutations solidaires de nombreux travailleurs du
rail à l’étranger. »
Quand on lui a demandé ce qu’il pensait du rôle du gouvernement,
Rappard a dit qu’il espérait encore que la coalition allait intervenir en
faveur des conducteurs de train. L’impact économique serait considérable
si la grève continuait. De ce point de vue, il croyait que les grèves pouvaient
réussir si elles étaient poursuivies avec constance. « Si les collègues
continuent à rester fermes, nous pouvons résister au front uni des entreprises,
du gouvernement et du DGB.
Wolfgang Mielke a 50 ans et il travaille aux chemins de fer
depuis 33 ans. Il voit le rôle du gouvernement de façon critique. « Ils
nous ont qualifiés de maîtres chanteurs, comme si nous étions des
criminels », dit-il. Il espère cependant que la coalition va
s’incliner devant la pression de la grève. « La direction actuelle de
la DB doit être remplacée, dit-il. Si le gouvernement se tourne contre les
conducteurs de train, il va trouver devant lui une vaste résistance. Nos
revendications salariales ne sont rien du tout comparées aux salaires de la
direction. »
« Nous ne nous inclinerons pas »
Francfort-sur-le-Main, 15 novembre.
Une bonne partie du réseau ferré a été paralysé par la grève. En Hesse, près de
la moitié du trafic suburbain et régional a été bloqué. Un plan d’urgence
a été mis en place par la DB pour les grandes lignes et les trains express mais
il ne fonctionnait que de façon sporadique et le fret est touché par la grève
depuis mercredi.
Des reporters du WSWS ont visité les grévistes de la
GDL dans leur QG en face de la gare principale de Francfort. Les bureaux, les couloirs
et les escaliers du bâtiment étaient pleins de conducteurs de train combatifs et
de bonne humeur qui, lorsqu’on le leur demande disent qu’ils sont
aussi prêts à mener une grève illimitée.
Bernd Hauptmann, Monique P. et d’autres collègues le
confirment : « Il est difficile de dire comment cela va continuer »
dit Bernd « mais il n’est pas question d’abandonner ». Et
son collègue d’ajouter « il est possible que cela devienne une grève
illimitée ; cela dépend de la direction de la DB – s’il nous
font une offre ou pas. »
Les quatre cheminots expliquent une fois encore ce qui est en
jeu dans la grève : les conducteurs ne gagnent pas plus de 1500 à 1600 euros
par mois, selon qu’ils travaillent les weekends ou s’ils font les équipes
de nuit. « Cela peut même être moins, si l’un de nous a pris des
jours de vacances et s’il ne reçoit aucun extra. » dit Monique.
Bernd a réfuté des bruits selon lesquels les conducteurs recevaient des
salaires plus élevés : « C’est une honte qu’on dise sans
cesse au public que nous gagnons 2.200 euros nets ; ce chiffre représente
tout au plus le salaire brut et encore pour les tranches les plus élevées. »
Pour cet argent, les conducteurs font un travail pénible au cours
d’équipes compliquées. Ce travail requiert une forte responsabilité, les
conducteurs étant responsables de centaines de passagers dans des trains rapides
qui roulent parfois à vitesse maximum dans des conditions atmosphériques
difficiles.
« Le salaire suffit juste à payer les factures »
explique Bernd, « mais il ne reste rien à la fin du mois. Il dit que de
nombreux conducteurs ont dû venir à Francfort depuis l’est du pays à la
suite de la réunification il y a 17 ans. La plupart sont forcés de faire la
navette et d’avoir un second logement – mais ils ont le problème de
ne pas pouvoir payer deux loyers. » C’est déjà difficile dans
des conditions ou l’achat de choses nécessaires comme une paire de
lunettes ou des frais de dentiste signifie des dépenses supplémentaires. Et les
caisses d’assurance maladie remboursent de moins en moins de frais. »
« Faire grève avec la France »
Quand on leur a demandé leur opinion sur les grèves menées par
les cheminots français les grévistes ont répondu de façon très positive et étaient
tout à fait en faveur d’une action dans l’ensemble de l’Europe.
Lorsqu’un collègue a affirmé que les cheminots français avaient leurs problèmes
à eux, une discussion animée s’est engagée sur la tendance grandissante à
la privatisation encouragée par l’Union européenne à Bruxelles.
« En France la privatisation n’était plus à
l’ordre du jour après les longues grèves des années 1990 » a fait
remarquer un gréviste. « Maintenant, cependant tout est remis sur la
table. On devrait vraiment organiser des grèves communes ».
« Plusieurs conducteurs ont exprimé l’opinion que
la privatisation prévue comportait d’énormes dangers et était la
principale raison de l’attitude inflexible et butée de la direction de la
DB. « Avec la privatisation, tout ce qui compte, c’est la valeur sur
le marché et les profits » dit Monique. « Pour arriver à leurs fins,
ils veulent nous empêcher d’obtenir notre propre accord salarial, peu
importe ce que cela en coûte. Regardez juste ce que cette grève coûte en ce
moment : ça doit aller dans les millions d’euros. Ils auraient pu
augmenter nos salaires depuis longtemps sans que cela leur coûte autant. »
Son collègue Bernd a confirmé que la direction de la DB avait
le soutien d’un front uni comportant l’élite économique et les
partis au gouvernement : « Ce n’est pas seulement la direction
de la DB mais aussi les organisations patronales ; et aucun des partis
politiques ne vaut mieux. Quand j’entends des leaders politiques comme Peter
Struck [du Parti social-démocrate] dire "il est important que la DB reste
absolument ferme" alors là, je ne comprends plus. Après tout, il devrait être
de notre côté. »
Lorsque le WSWS a répondu que c’était la
principale raison pour laquelle les travailleurs avaient besoin d’un
nouveau parti, Bernd a répondu : « Beaucoup de gens ont dit la même
chose chez nous. Le SPD ne changera pas sa politique de droite même s’ils
perdent des voix aux élections. »
Monique a souligné alors le haut niveau de soutien pour les grévistes
de la part de la population en général. « C’est une honte quand les
médias affirment que nous sommes une petite minorité. Cela
n’est pas correct. La GDL a 35.000 membres dont 80
pour cent sont des conducteurs. On peut déjà voir maintenant que nous ne sommes
pas une minorité, mais dans un avenir proche cela deviendra encore plus net.
Nous n’avons pas seulement le soutien des conducteurs de train mais aussi
celui de la population en général. Beaucoup de gens ont de la sympathie pour
notre cause parce qu’ils savent qu’ils sont dans la même situation
et ils sont contents de voir que quelqu’un prend les choses en
main ».