La Cour suprême du Canada a annoncé le 15 novembre
qu’elle refusait d’entendre l’appel de deux soldats de
l’armée américaine à qui on avait refusé le statut de réfugié politique
au Canada.
Les deux résistants à la guerre, Jeremy Hinzman et Brandon Hughey,
contestaient la décision du tribunal canadien de l’immigration, confirmée
plus tard par deux cours fédérales, de ne pas accepter que les deux hommes
fondent leur demande d’asile politique sur l’illégalité de la
guerre en Irak.
Hinzman est arrivé au Canada en 2004 après que ses demandes
pour qu’il soit considéré comme objecteur de conscience aient été
refusées à deux reprises par l’armée américaine et après l’annonce
que son bataillon serait envoyé en Irak.
Hinzman n’a laissé aucun doute quant à la nature
politique de son geste. « Ils nous ont dit qu’il y avait des armes
de destruction massive. Ils n’en n’ont trouvé aucune, avait-il
expliqué alors. Ils ont dit que l’Irak était lié aux organisations
terroristes internationales. Ces liens n’ont jamais existés…
C’est une guerre criminelle. Tout acte de violence dans un conflit non
justifié est une atrocité. »
Même si les experts estiment probable que les soldats
américains remis à la justice américaine soient condamnés à cinq années de
prison, l’offense dont Hinzman et Hughey sont accusés – la
désertion – peut les mener devant le peloton d’exécution.
C’est le gouvernement canadien précédent, dirigé par les
libéraux de Paul Martin, qui avait insisté devant de la Commission de
l’immigration et du statut de réfugié (CISR) ayant eu la première à
statuer sur la cause des deux résistants que ces derniers ne pouvaient pas plaider
l’illégalité de la guerre. Le prétexte invoqué par les représentants du
gouvernement était que seule la Cour internationale de justice située à La Haye
avait l'autorité et la compétence pour entendre des témoignages concernant la
légalité de la guerre.
Le CISR s’était rendu aux arguments du gouvernement
canadien. Peu de temps après, deux autres cours supérieures fédérales avaient
refusé de laisser Hinzman et Hughey établir que la guerre en Irak était
illégale. Elles avaient statué sur cette base que les deux hommes ne risquaient
pas une « peine cruelle et inhabituelle » pour avoir quitté
l’armée sans autorisation.
Avec sa décision de refuser d’entendre l’appel, la
Cour suprême a scellé le sort, non seulement de Hinzman et de Hughey, mais
aussi d’une quarantaine d’autres soldats américains ayant demandé
d’être reconnus comme réfugiés politiques. À moins que le gouvernement
canadien ne leur accorde une permission spéciale pour rester au Canada –
ce qui est très improbable compte tenu de l’affinité entre le
gouvernement conservateur de Harper et l’administration Bush – ils
seront expulsés du Canada. Une fois remis aux autorités américaines, ils seront
jugés pour désertion parce qu’ils ont refusé de participer à la guerre
sanglante en Irak.
Cette guerre, il faut le rappeler, a été menée par
l’administration Bush sur la base du principe illégal qu’il
s’agissait d’une « guerre préventive ». Toutes les
justifications officielles qui l’ont accompagnée ont été démasquées comme
étant des mensonges. Selon des études menées par des organismes réputés, la
guerre, et la destruction de la société irakienne qu’elle a occasionnée,
ont causé la mort d’un million d’Irakiens et chassé de leurs
demeures des millions d’autres.
La décision de la Cour suprême mine aussi les efforts d’au
moins deux cent cinquante soldats américains qui, selon les avocats de Hinzman
et Hughey, tentent de fuir les poursuites de l’armée en se réfugiant au
Canada. Potentiellement, des milliers d’autres auraient pu les rejoindre.
Selon les chiffres du Pentagone lui-même, que l’on peut
supposer comme représentant un plancher, la désertion est un phénomène en
pleine croissance. L’armée américaine admet que 4700 soldats ont déserté
l’an passé seulement, une augmentation de plus de 40 pour cent par
rapport à l’année précédente où 3300 soldats avaient déserté et de 80
pour cent par rapport à 2003. Ces chiffres ne comprennent pas les soldats
enrôlés dans l’armée de l’air ou dans la marine.
L’attitude actuelle des autorités canadiennes forme un
contraste frappant avec l’attitude adoptée dans les années 1960 et 1970, lors
de la guerre du Vietnam. Entre 50.000 et 100.000 jeunes Américains désertant
l’armée ou fuyant la conscription obligatoire avaient alors trouvé refuge
au Canada.
Si la décision de la Cour suprême n’a pas fait la
première page des journaux, elle n’a pas passé inaperçue, ayant fait
l’objet d’articles des principaux quotidiens de par le monde. Avec
cette décision, la Cour suprême a inscrit l’adoption par les élites
canadiennes du principe de la loi du plus fort dans la jurisprudence. En
particulier, le plus haut tribunal au Canada a reconnu dans les faits la
légitimité de la guerre en Irak et de façon plus générale de la guerre
d’agression dite préventive.
La position de la Cour suprême souligne le fait que
l’attitude du Canada envers le droit international – et cela vaut
pour les autres puissances occidentales – est entièrement subordonnée à
la défense de ses propres intérêts. Si le droit international entre en conflit
avec ces intérêts, il est tout simplement mis au rancart sans aucune forme de
procès.
Dans la période ayant suivi la Seconde Guerre mondiale, les
élites canadiennes avaient jugé dans leur intérêt de signer des accords et des déclarations
stipulant qu’il était du devoir d’un soldat de refuser des ordres
s’ils vont à l’encontre du droit international. La Cour suprême
vient d’établir que toutes ces signatures n’ont jamais valu plus
que le papier sur lequel elles étaient apposées.
Aujourd’hui, toutes les sections importantes de
l’élite canadienne appuient la décision des cours de ne pas accorder le
statut de réfugié politique aux résistants fuyant l’armée américaine. Les
éditoriaux depuis le début de cette affaire ont insisté pour décrire Hinzman et
les autres soldats comme des « déserteurs, pas des réfugiés ».
D’un côté la grande bourgeoisie canadienne craint
d’être perçue comme ne soutenant pas suffisamment la politique américaine
de guerre de conquête et de mettre en péril l’accès au marché américain
duquel dépend près de 40 pour cent de l’économie canadienne.
De l’autre, le Canada est impliqué dans ses propres
aventures impérialistes, ayant déployé l’armée canadienne en Afghanistan
dans sa première mission de nature offensive depuis la Guerre de Corée dans les
années 1950. Cette guerre est très largement impopulaire et les élites
canadiennes craignent que les résistants américains ne provoquent un phénomène
semblable dans leur propre armée.
L’armée canadienne a déclaré que les conventions de
Genève ne s’appliquent pas en Afghanistan et que les prisonniers capturés
par l’armée canadienne en Afghanistan n’avaient pas à être amenés
devant un tribunal pour déterminer s’ils étaient prisonniers de guerre ou
non selon les conventions de Genève.
Récemment, de nouveaux documents ont indiqué que le
gouvernement canadien était bien au fait que les prisonniers qu’il
remettait aux forces de sécurité afghanes étaient torturés. L’armée
canadienne est, de plus, régulièrement impliquée dans le meurtre de civils. Les
soldats canadiens paient le « prix du sang » pour que les élites
canadiennes puissent être respectées dans les instances dirigeantes
internationales comme l’OTAN et, de façon générale, pour qu’elles
puissent « influencer et modeler des régions et des populations en accord
avec nos intérêts », dans les mots du général Hillier, le chef
d’état-major canadien.