La Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) a ouvert
ses portes au public le 10 octobre. Il n’y a pas eu d’inauguration officielle
du musée par le gouvernement de droite, gaulliste, de Nicolas Sarkozy.
Le gouvernement craignait avant tout qu’une ouverture
officielle ne provoque des manifestations publiques de travailleurs, de groupes
de défense des droits de l’homme et d’intellectuels, du fait de la vaste opposition
à la politique d’immigration du gouvernement. Il y a tout particulièrement une
opposition grandissante à un projet de loi d’immigration controversé qui passe
actuellement au parlement, et qui inclut des tests ADN pour les immigrés
souhaitant faire venir leur famille en France, par le regroupement familial.
Le gouvernement ne s’est pas contenté de durcir les lois sur l’immigration,
mais il a aussi intensifié la chasse aux sans-papiers afin d’atteindre son
objectif de 25 000 déportations pour 2007. Un climat de terreur a été attisé
et plusieurs immigrés ont perdu la vie cherchant désespérément à échapper à la
police. Le 20 octobre, des milliers de personnes ont participé à des
manifestations dans une quarantaine de villes pour exprimer leur solidarité
avec les sans-papiers et leur opposition à la nouvelle loi sur l’immigration.
Le projet d’un musée de l’immigration avait été initié sous le
gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin. Mais le comité de la Cité
nationale de l’histoire de l’immigration avait été établi après l’énorme choc
causé par l’élection présidentielle de 2002 où le dirigeant néofasciste raciste
du Front national, Jean-Marie Le Pen, était arrivé au second tour de
l’élection, éliminant Jospin, le candidat du Parti socialiste.
Le parti de Sarkozy, Union pour un mouvement populaire (UMP)
est venu au pouvoir en 2007 en faisant appel à l’électorat néofasciste, à
travers sa propagande nationaliste et ses promesses d’une politique dure contre
l’immigration. Une inauguration officielle du musée aurait été perçue comme une
volte-face et n’aurait pas été acceptable pour ses partisans de l’extrême-droite.
Cherchant clairement à miner le travail et le but du CNHI, le
gouvernement a mis en place deux organisations rivales : « L’Institut
d’études sur l’immigration et l’intégration » et la « Fondation
pour la mémoire de la Guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie
», qui verront
le jour en 2008. Cette dernière institution figurait dans la loi de février
2005 qui stipule aussi que les programmes scolaires devraient reconnaître
« le rôle positif de la présence de la France outremer ». Cette
mesure avait provoqué la mobilisation d’enseignants et de chercheurs et avait
contraint le président Jacques Chirac à retirer cette section de la loi. Mais
la proposition de Fondation était passée dans la loi.
L’Institut d’études sur l’immigration et l’intégration a été
installé le 8 octobre par Brice Hortefeux, le ministre de l’Immigration, de
l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, du gouvernement
de Sarkozy, deux jours seulement avant que le CNHI n’ouvre ses portes au
public. Libération avait posé la question : « Nicolas Sarkozy
tente-t-il de créer des think-tank de droite avec des chercheurs à sa
botte sur les questions d'immigration et de colonisation ? » (2
octobre)
Le journal de poursuivre: « Une pétition contre la
création de l'Institut circule, coordonnée par Patrick Simon, chercheur à
l'Institut national d'études démographiques (Ined) » La pétition
déclare : « L’Institut — dont l'indépendance annoncée n'est assortie
d'aucune garantie institutionnelle — est un nouvel instrument de pilotage
politique des recherches qui déterminera les "champs et sujets pertinents"
sur lesquels engager des travaux scientifiques. »
La pétition exprime aussi une inquiétude sur le fait que la
présidente de l’organisation sera l’historienne Hélène Carrère d’Encausse, dont
les remarques d’un racisme primaire avaient causé choc et émoi lorsqu’elle
avait associé la révolte des jeunes des cités de l’automne 2005, provoquée par
des années de négligence des cités ouvrières par le gouvernement, à la
polygamie existant au sein d’une minuscule minorité d’immigrés africains. (Voir Des dirigeants gaullistes attisent le racisme pour justifier l'état
d'urgence).
Il y a aussi une opposition de taille dans les milieux
scientifiques à la proposition de la Fondation. Patrick Simon a expliqué :
« On assiste à une reprise en main de
la droite en général et du gouvernement en particulier dans le domaine de la
production de recherche sur les questions d'immigration, d'intégration, de
mémoire et d'histoire de la colonisation…Le gouvernement fonde les décisions
qu'il prend sur des diagnostics, et il est important pour lui que ces
diagnostics soient partagés par la communauté scientifique. »
En guise d’exemple, il a indiqué que les chiffres sur l’immigration produits
par le gouvernement et qui montrent que la France accueille davantage
d’immigrés que les autres pays, étaient contestés par les chercheurs.
Gérard Noiriel, directeur de recherches à l’EHESS (Ecole des
hautes études en sciences sociales) et Patrick Weil, directeur de recherches au
Centre d’histoire sociale du 20e siècle à l’Université de Paris 1,
faisaient partie des 8 membres, sur les 12 que compte le comité historique de
la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, qui ont donné leur démission
le 18 mai dernier pour protester contre la création par le président Sarkozy du
ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement.
Ils travaillaient dans ce comité depuis 2003.
Ils ont lancé une pétition internationale intitulée « Non
au ministère de ‘l’Immigration et de l’Identité nationale’ » qui a récolté
jusque-là les signatures de plus de 16 000 historiens, universitaires et
artistes d’universités du monde entier.
Dans leur déclaration expliquant les motifs de leur démission,
les historiens ont expliqué que le but de la Cité était de « changer le
regard de nos contemporains sur leur société en rappelant comment, depuis deux
siècles, les étrangers, venus par vagues successives, ont contribué à
développer, transformer et à enrichir la France. Rendre compte de la diversité
des histoires et des mémoires individuelles et collectives, en faire l'histoire
de tous, avec ses moments glorieux et ses zones d'ombre, aider ainsi au
dépassement des préjugés et des stéréotypes. »
Ils ont dit que le nouveau ministère de Hortefeux remet ces
objectifs en cause parce que, « les mots sont pour le politique des
symboles et des armes. Or il n'est pas dans le rôle d'un Etat démocratique de définir
l'"identité". Associer "immigration" et "identité
nationale" dans un ministère n'a jamais eu de précédent dans notre
République : c'est, par un acte fondateur de cette présidence, inscrire
l'immigration comme "problème" pour la France et les Français dans
leur être même. »
Les historiens ont ajouté, « Ce rapprochement s'inscrit
dans la trame d'un discours stigmatisant l'immigration et dans la tradition
d'un nationalisme fondé sur la méfiance et l'hostilité aux étrangers, dans les
moments de crise. » (Voir http://www.upolin.org)
Patrick Weil a dit de la Cité nationale de l’histoire de
l’immigration: « C'est une histoire qui
intéresse l'ensemble des Français, évidemment…Je pense que (...) ce musée
montre l'apport de l'immigration à l'égard de la France alors que le ministère
(de l'Immigration et de l'Identité nationale) est un signal de méfiance à
l'égard de l'immigration…Le gouvernement est mal à l'aise avec un projet
historique qui rapporte des faits qui se sont produits, plutôt que des
préjugés. »
Gérard Noiriel à qui le magazine l’Express demandait « pourquoi
le débat sur l’immigration était si passionné et politisé en France » a
répondu : « C’est une longue histoire. Dès l’apparition du terme dans
les années 1880, l’immigration a été associée à un problème. Or nous sommes un
des pays qui doit le plus à l’immigration, comme les Etats-Unis, où l’ouverture
d’un tel musée n’a d’ailleurs pas été si compliquée. »
L’histoire cachée
Le musée révèle l’histoire cachée de l’immigration et sa
contribution à la société française. La France connaît un influx important d’immigrés
depuis 200 ans, les premiers principalement en provenance de pays européens. La
Révolution industrielle a contribué à l’augmentation de l’immigration vers les
pays ayant besoin de main-d'œuvre.
Pendant les Première et Seconde Guerres mondiales, un nombre
important d’hommes venus des colonies françaises s’étaient battus et étaient
morts au combat. Pendant la Première Guerre mondiale, la France avait recruté
plus de 400 000 immigrés. Les permis de travail étaient devenus
obligatoires pour eux et cela avait marqué la fin de la liberté de mouvement. A
l’époque, le gouvernement mettait la plupart des immigrés dans des camps, à
l’écart de la population française.
La France perdit 1,4 million de jeunes hommes pendant la
Première Guerre mondiale et eut besoin de main-d'oeuvre supplémentaire pour
reconstruire le pays. L’immigration vers la France passa de 1,5 million en 1921
à 2,4 millions en 1926 et à près de 3 millions en 1931. Durant la crise
économique des années 1930, le gouvernement n’avait pas hésité à renvoyer les
immigrés chez eux ou à les mettre dans des camps d’internement.
Durant la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement de Vichy
qui collaborait avec l’occupant nazi, avait accepté d’aider à déporter les Juifs
vers les camps de la mort nazis. Il persécutait les immigrés et encourageait la
xénophobie.
Après la guerre, le gouvernement français ouvrit ses portes à
l’immigration en provenance des colonies afin de reconstruire le pays. Les
immigrés payèrent le terrible prix de la discrimination : bas salaires et
mauvaises conditions de vie. La plupart vivaient sous des tentes et dans des
bidonvilles jusqu’à ce que le gouvernement commence à faire construire des HLM
(habitation à loyer modéré.)
Depuis le début des années 1970 jusqu’à nos jours, les
immigrés ont toujours servi de boucs émissaires : avec l’augmentation du
chômage, la propagande anti-immigrés aussi s’intensifie.
Alors que le système éducatif français a eu tendance à cacher
l’histoire de l’immigration, le musée de l’immigration offre la possibilité
d’étudier et de comprendre le rôle de l’immigration en France et de contribuer
à contrer la xénophobie et le racisme.
D’après les chiffres de 2006 de l’INSEE (Institut national de
la statistique et des études économiques), la France compte 4,9 millions
d’immigrés nés à l’étranger, ce qui représente 8 pour cent de la population.
La politique d’immigration du gouvernement et la complicité de la « gauche »
Lors de la campagne présidentielle, le Parti socialiste et sa
candidate présidentielle Ségolène Royal avaient adopté un programme droitier
qui ne se distinguait que superficiellement de celui de Sarkozy en matière
d’immigration, entre autres. Le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë,
prenant la parole lors de l’inauguration non officielle du musée, a critiqué le
gouvernement en ces termes: « l'enjeu de la Cité est celui d'un
rassemblement tourné vers l'avenir autour d'une histoire commune, la
politique gouvernementale divise la France et alimente la tentation de
faire de l'étranger le bouc émissaire. »
Il a dit cela alors même qu’il a voté pour le programme électoral du PS et sa
politique appelant à des mesures énergétiques contre l’immigration.
Le mouvement de masse s’opposant aux mesures répressives
contre l’immigration et coordonné par des associations telles RESF (Réseau
éducation sans frontières) et l’UCIJ (Unis contre l’immigration jetable)
exprime l’authentique solidarité de la population avec les immigrés. Ce
mouvement est cependant mêlé à la politique des gens de « gauche »
qui sèment l’illusion qu’il est possible de faire pression sur le gouvernement
pour adoucir sa politique raciste et anti-immigrés.
Ces forces, qui vont du Parti communiste à la LCR (Ligue
communiste révolutionnaire), en passant par LO (Lutte ouvrière) et le Parti
socialiste, refusent de mettre au grand jour l’unité de la gauche et de la
droite sur les questions de restrictions de l’immigration, ainsi que sur la
militarisation des frontières de la Forteresse Europe contre les immigrés au
moyen de Frontex, la police armée des frontières de l’Union européenne.
Comme l’a fait remarquer une déclaration du WSWS: « L’émergence
d’un régime aussi droitier que celui de Sarkozy ne peut s’expliquer simplement
en disant qu’il est le produit de bizarreries personnelles des politiciens au
pouvoir. Ce régime est la réponse collective de la bourgeoisie française face
aux changements énormes qui déstabilisent le capitalisme mondial — l’émergence
des puissantes industries à main-d'œuvre bon marché des pays en voie de
développement et la débâcle de l’impérialisme américain en Irak, Afghanistan et
plus largement au Moyen-Orient ». (Voir : La
lutte contre Sarkozy nécessite une nouvelle perspective politique.)
Les principes humanitaires motivant les personnes qui ont
conçu et mis en place la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et qui
s’opposent à la politique d’immigration brutale de Sarkozy, ne peuvent
prévaloir que sur la base de la suppression du système d’Etats-nations et de
concurrence capitaliste mondialisée. C’est ce système qui conduit à des guerres
et des occupations de type colonial dans l’intérêt des grandes entreprises
transnationales qui comptent sur les divisions nationales, ethniques et
religieuses pour dresser les uns contre les autres travailleurs et communautés.