Les conducteurs de train font face à un front uni constitué
par la direction de la Deutsche Bahn (la société des chemins de fer allemands),
les organisations patronales, le gouvernement, une grande partie des médias et
les syndicats regroupés au sein du DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund), la confédération
des syndicats allemands. Tous sont résolus à faire plier les grévistes et si nécessaire
à détruire la GDL (Gewerkschaft deutscher Lokomotivführer), le syndicat des
conducteurs de train.
Il est extrêmement urgent de soutenir la grève de toutes ses
forces, car il s’agit de questions qui affectent l’avenir de
millions de travailleurs et de leurs familles. La revendication entièrement justifiée
d’un salaire adapté ainsi que le refus d’accepter les pertes de
revenus et l’aggravation des conditions de travail de ces dernières années,
sont devenus une question de principe ainsi qu’une lutte de pouvoir.
Le chef de la Deutsche Bahn, Hartmut Mehdorn, et l’élite
économique et politique qui le soutient sont déterminés à faire passer par tous
les moyens leur projet de société, au centre duquel se trouve la chasse au
profit et l’enrichissement personnel et à l’imposer à
l’ensemble de la population. Pour eux, il est normal que les huit membres
de la direction touchent en tout un salaire annuel de 20 millions d’euros
et qu’ils augmentent leurs fonds de pension de façon draconienne tandis
que, dans le même temps, les salaires réels baissent, les conditions de travail
se détériorent et que de plus en plus de familles sont poussées dans la misère
et le désespoir.
Dans tous les domaines de la société, on veut faire régner une
compétition effrénée. On veut privatiser une entreprise de transport moderne,
qui fonctionne bien et qui fut construite sur des décennies avec l’argent
des impôts, et on veut la transformer en un trust mondial de la logistique
ayant pour seul objectif d’enrichir les actionnaires. Dans ce but, on
veut supprimer des milliers de kilomètres de lignes « non
rentables ». Qu’à travers cela, des régions reculées seront coupées
du reste du pays et qu’on limitera les mouvements d’une masse de
gens, cela n’intéresse pas les avocats de la privatisation. Une seule
chose compte encore : la concurrence et le profit.
Il n’en est pas autrement dans le système de santé,
l’approvisionnement en énergie et bien d’autres services. Dans les états-majors
de la bureaucratie de l’Union européenne à Bruxelles, où tout cela est
planifié, on travaille déjà à la privatisation du réseau routier européen. Le
système de grande envergure de la taxe routière sur les poids lourds, introduit
il y a peu de temps en Allemagne, ne sert pas seulement à faire rentrer des
recettes à partir des camions circulant sur les autoroutes. Bientôt les divers tronçons
d’autoroutes doivent être vendus ou loués à des consortiums financiers
privés qui prélèveront alors une taxe sur les voitures de tourisme.
Le soutien aux conducteurs de train doit devenir le point de départ
d’une large mobilisation politique, dirigée contre l’orgie
d’enrichissement qui met en danger la cohésion sociale et démocratique de
la société. Il est nécessaire pour cela de tirer quelques leçons importantes de
l’évolution de la grève jusqu’ici.
Le rôle de
briseurs de grève joué par le syndicat du rail Transnet et le DGB
Depuis le premier jour de la grève, Transnet, le plus important
syndicat des chemins de fer et qui partage une convention tarifaire commune
avec le GDBA (syndicat représentant les employés fonctionnarisés des chemins de
fer), s’est opposé à la grève. Ce syndicat fonctionne sans s’en
dissimuler et de façon éhontée comme un syndicat jaune et appelle ses adhérents
à se comporter en briseurs de grève. Transnet jouit en cela du soutien du chef
du DGB, Michael Sommer (du SPD) et des dirigeants des divers syndicats
organisés au sein du DGB.
Le chef de Transnet, Norbert Hansen, saisit toutes les occasions
pour vitupérer contre la grève. Lors d’une session extraordinaire du
conseil d’administration de la Bahn AG, jeudi dernier, lui et tous les
autres représentants de salariés présents ont soutenu une motion qui appelait
la direction de la DB à rester dure et inflexible « même si la GDL devait
continuer à faire grève ».
Le principal reproche que fait Hansen à la GDL est que celle-ci
essaierait d’obtenir des droits spéciaux et que ceci constituerait une
violation de la « solidarité » avec les autres salariés des chemins
de fer. Par « solidarité » Hansen entend la collaboration étroite
avec la direction des chemins de fer, pour laquelle il empoche, en tant que président
du conseil d’administration, beaucoup d’argent. Il est un farouche partisan
de la privatisation des chemins de fer et il a fait siens tous les arguments
des possesseurs de capital et des profiteurs.
Un autre reproche de Hansen est que la GDL divise l’unité
tarifaire. Jadis, des accords tarifaires uniques servaient à faire bénéficier
tous les salariés des améliorations qui avaient été obtenues par les sections
les plus fortes du personnel. Depuis que les syndicats ont commencé à approuver
les baisses de salaire et la démolition sociale, c’est le contraire qui
se passe. L’unité tarifaire sert à conclure des accords muselière qui
forcent les employés de l’entreprise à accepter des salaires plus bas et
des conditions de travail plus mauvaises.
Tandis qu’Hansen et d’autres fonctionnaires du DGB
font valoir le « principe du syndicat unifié » et des « tarifs
unitaires » contre la GDL, ils divisent eux, systématiquement les
personnels. A la Deutsche Telekom, le syndicat Verdi et ses fonctionnaires
membres de conseils d’entreprise ont accepté l’externalisation de
50.000 salariés vers une firme appartenant à Telekom, signé des accords
salariaux et des accords d’entreprise qui, pour les salariés,
représentent une baisse de salaire de neuf pour cent en même temps qu’une
augmentation de quatre heures du travail hebdomadaire.
Et ce ne sont pas les exemples qui manquent. Des millions de
travailleurs font actuellement l’expérience que les fonctionnaires
syndicaux et les membres des conseils d’entreprise négocient des détériorations
sociales et les imposent contre la volonté des salariés.
La transformation des syndicats, d’organisations prenant
fait et cause pour une amélioration progressive des conditions de vie des
travailleurs, en associés des entreprises œuvrant aux démolitions sociales
et à la détérioration des conditions de travail en vue de l’augmentation
du profit, n’est pas limitée à Transnet et au DGB. Elle représente un phénomène
international qui est lié à la mondialisation de la production.
Tant que la vie économique se déroulait principalement dans le
cadre de l’Etat national, on considérait une bonne formation, des congés
payés, la formation professionnelle au sein de l’entreprise,
l’assurance maladie et, dans de nombreuses entreprises, des salaires au
dessus de la moyenne, etc., comme un moyen de garantir la qualité de la
production et des services. La mondialisation de la production et la prédominance
des trusts financiers internationaux ont coupé l’herbe sous les pieds de
la politique de l’équilibre social.
Parce que les syndicats s’en tiennent
inconditionnellement au cadre de la production capitaliste et des rapports de propriété
et qu’à travers leur relation étroite avec le SPD ils sont partie
prenante de la politique gouvernementale, ils subissent une spectaculaire évolution
droitière. Ils se considèrent comme une force d’ordre et réagissent avec
une hostilité non dissimulée à tout mouvement indépendant de la classe ouvrière.
Le Rôle de la
GDL
Le syndicat des conducteurs de train ne se distingue de cette évolution
générale vers la droite que parce que la plupart des conducteurs de train à
l’est de l’Allemagne en sont devenus membres. Il y a deux ans, ils
ont insisté pour que la GDL renonce à l’unité tarifaire avec Transnet et
le GDBA et s’oppose aux réductions de salaires. Ce militantisme se reflète
dans une radicalisation grandissante des travailleurs de l’est de
l’Allemagne qui sont le plus fortement touchés par l’impact du déclin
social.
Dans l’ensemble, la GDL est cependant un syndicat de métier
conservateur à la tête duquel se trouve depuis des mois le politicien de la CDU
Manfred Schell. Il se prévaut bien du fait qu’il est le seul député de la
CDU à avoir voté contre la privatisation des chemins de fer au parlement, mais
il recherche depuis des semaines un « compromis solide » avec la direction
des chemins de fer et signale à tout bout de champ qu’il est disposé à
faire des concessions considérables pour ce qui est de la revendication
salariale. Il n’était pas préparé du tout à l’ampleur de la présente
confrontation et à la formation d’un large front de la direction de la DB,
des médias et du DGB. Ses appels à la chancelière montrent clairement
qu’il ne veut pas mener la lutte contre ce cartel de la démolition
sociale.
Il cherche à limiter le conflit à la revendication d’un « accord
tarifaire propre ». Cette revendication pourrait cependant conduire à une
nette détérioration des salaires des conducteurs de train. Il y a quelques jours,
on a lancé dans les médias l’idée d’une externalisation des conducteurs
de train et de leur organisation dans une société indépendante. On pourrait
alors conclure un accord tarifaire propre. La conséquence en serait une
fragmentation du personnel du rail et une tentative de mettre les uns contre
les autres les différentes parties des salariés.
Les conducteurs de train doivent refuser strictement de tels
projets et ne doivent pas laisser la direction de la lutte à Schell et aux gens
qui l’entourent. Ils doivent fonder des comités qui prennent en main la
direction de la grève. Ils doivent s’adresser aux membres des autres syndicats
des chemins de fer afin de les mobiliser contre les activités de briseurs de grève
du chef de Transnet et d’autres. Il faut aussi que la grève soit étendue à
l’ensemble des chemins de fer et conduite de façon illimitée.
Pour cela, les conducteurs de train ont besoin de la solidarité
de l’ensemble de la classe ouvrière.
Internationalisme
Il est avant tout nécessaire de se donner une orientation
internationale et une perspective socialiste. Le fait que les conducteurs de
train allemands soient en grève en même temps que les employés des chemins de
fer français peut sembler à beaucoup être dû au hasard. Mais tandis que les
syndicats de part et d’autre du Rhin maintiennent les luttes salariales
dans le cadre national et recherchent une collaboration avec leurs gouvernements
respectifs, les travailleurs de chaque pays sont eux, confrontés aux mêmes problèmes.
La classe dirigeante européenne coordonne, elle, ses attaques
contre les ouvriers au-delà des frontières nationales. C’est à cela que
sert la bureaucratie de l’UE à Bruxelles. C’est là que sont créées
les conditions juridiques et politiques pour imposer la perspective de la
compétition à outrance et de l’enrichissement effréné d’une minorité
privilégiée de tous les pays.
La classe ouvrière doit opposer à cela sa propre stratégie
internationale. Elle doit organiser une collaboration délibérée avec les
travailleurs des autres pays. Cela exige une rupture politique consciente
d’avec les vieilles organisations nationales et d’avec leur
politique réactionnaire du partenariat social.
La défense des revenus et des droits démocratiques et sociaux
exige une stratégie politique entièrement nouvelle. Au lieu des profits de
l’élite économique, ce sont les besoins de la population travailleuse qui
doivent primer ; il faut avoir un objectif socialiste. Il faut enlever à
l’aristocratie financière le contrôle de la production en général et celui
d’entreprises aussi importantes que la DB et les mettre au service de la
société dans son ensemble
Il y a quelques semaines, le chef de la Deutsche Bahn a parlé
de guerre pour expliquer son attitude inflexible vis-à-vis des conducteurs de
train. Puis, il a mis sur pied un cartel comprenant aussi bien le gouvernement
que le DGB. A présent, la classe ouvrière doit, elle aussi, prendre position et
relever le défi. Elle doit soutenir la grève des conducteurs de train sans
restrictions et en faire une lutte pour une réorganisation socialiste de la société.
Cela exige la construction d’un parti socialiste
international. La rédaction du World Socialist Web Site et le PSG (Parti
de l’égalité sociale) luttent dans ce but. Nous appelons chaque lecteur à
distribuer les articles du WSWS et à prendre contact avec sa rédaction.