Le dirigeant gaulliste, Nicolas Sarkozy, qui
sera investi président de la République mercredi 16 mai, propose des postes
ministériels à d’anciens ministres du Parti socialiste. Avant même sa
prise de fonction officielle, il a rencontré les dirigeants de toutes les
principales fédérations syndicales de France.
Le nouveau gouvernement ne sera mis en place qu’après
l’installation de Sarkozy à l’Elysée mais l’on s’attend
à ce que le président, nouvellement élu, nomme jeudi au poste de premier
ministre, son proche collaborateur François Fillon, et qu’il dévoile la composition
du gouvernement lundi prochain au plus tard. Le gouvernement aura un caractère
provisoire et ne prendra sa forme définitive qu’à l’issue des élections
législatives du 17 juin.
Ces derniers jours ont été dominés par
d’intenses consultations et les spéculations sont allées bon train quant
à la composition du futur gouvernement. Vendredi dernier, Sarkozy a rencontré
Hubert Védrine, l’ancien ministre du gouvernement de la Gauche plurielle
(1997-2002) conduit par l’ancien dirigeant du Parti socialiste Lionel
Jospin. Selon les médias, Sarkozy a proposé à Védrine d’occuper la
fonction de ministre des Affaires étrangères dans son propre gouvernement.
L’on rapporte que Bernard Kouchner, qui
durant un court laps de temps avait été ministre de la Santé dans le
gouvernement Jospin, se serait, lui aussi, vu offrir le poste de ministre des
Affaires étrangères. La carrière politique de Kouchner a suivi bien des
méandres. Le cofondateur de Médecins sans frontière (MSF) a occupé un certain nombre
de postes gouvernements importants entre 1988 et 1993 sous plusieurs premiers
ministres socialistes. Entre 1999 et 2001, il avait été le Représentant spécial
des Nations unies au Kosovo. Il avait ensuite rejoint le gouvernement Jospin et
en 2003 il avait soutenu l’invasion américaine en Irak.
Le troisième ancien membre du gouvernement
Jospin à être pressenti pour un poste ministériel est Claude Allègre. Camarade
d’enfance de Jospin et ministre de l’Education nationale entre 1997
et 2000, il a refusé de soutenir la candidate du Parti socialiste, Ségolène
Royal, lors de la récente élection présidentielle.
Il a déjà été fait mention dans la presse que Védrine
et Allègre ont rejeté l’offre de Sarkozy – du moins pour le moment.
Toutefois, Allègre a accueilli avoir enthousiasme le nouveau président.
« L’homme m’impressionne, il a du charisme, et en plus il est
très sympathique », a-t-il dit au Figaro.
Kouchner, par contre, se serait dit intéressé
par un poste ministériel. Selon des sources proches de Sarkozy, Kouchner est
« prêt à entrer dans le gouvernement ».
Il reste à voir si le nouveau gouvernement
comprendra vraiment un membre du Parti socialiste. Mais le simple fait
qu’une telle éventualité soit sérieusement envisagée a une grande
signification politique. Cela démontre une fois de plus que le succès de
Sarkozy est moins le résultat de sa propre force que celui de la faillite de la
« gauche » française.
Le World
Socialist Web Site avait expliqué dans un précédent article que la victoire
électorale de Sarkozy était en premier lieu le résultat de la politique
droitière et couarde des organisations qui par tradition se basaient sur le
soutien de la classe ouvrière. (Voir « La victoire électorale de Sarkozy
et la faillite de la "gauche" française »)
Sarkozy, est à
présent tributaire du soutien de ces mêmes organisations de
« gauche » pour poursuivre son programme d’attaques contre les
travailleurs, une politique néo-libérale qui est largement rejetée par la
population française.
A court terme, il
espère qu’en cherchant à recruter d’anciens ministres du Parti
socialiste, il pourra améliorer les chances de son parti dans les élections
législatives à venir. Il tient à apaiser les craintes selon lesquelles son
style conflictuel pourrait provoquer un conflit social incontrôlable. Et, comme
le montre la réaction du quotidien Libération, ses efforts ne sont pas
infructueux.
Ce journal dit de
gauche qui avait soutenu Royal lors de la campagne électorale, écrit à présent
que l’on pourrait interpréter les offres de Sarkozy comme
s’agissant « d’un simple débauchage tactique en vue des
législatives. » Il poursuit en disant que « quelques hirondelles de
gauche ne font pas le printemps d’un gouvernement qui restera
essentiellement de droite. »
Pourtant, Libération
continue en disant, « Il faudrait être bien sectaire pour ne pas approuver
que son gouvernement, si c’est le cas, soit moins conservateur ou libéral
que ce qu’on craint. Jugeons sur les actes... »
En fait, Sarkozy
n’a fait aucune concession quant à son programme droitier favorisant le
patronat. Il a prévu de placer à tous les postes clés du gouvernement,
économie, finances, emploi, etc. des hommes de confiance réputés pour leur
adhérence opiniâtre à la politique néolibérale.
Sarkozy lui-même entretient
avec les milieux d’affaires bien en vue des relations bien plus étroites que
ne l’avait fait aucun autre président avant lui. Les témoins de mariage
de Sarkozy avaient été deux industriels bien en vue. Après son élection du 6 mai,
il avait passé quelques jours de vacances à bord d’un yacht luxueux prêté
par un ami milliardaire et son frère Guillaume avait été vice-président de
l’organisation patronale Medef jusqu’il y a deux ans.
Le nouveau
président n’est pas prêt non plus à dévier d’un iota de sa ligne
dure à l’encontre des jeunes délinquants et des immigrés.
L’on
s’attend à ce que l’application de son programme entraîne une
résistance féroce. Le magazine allemand Der Spiegel met en garde en
disant : « Jusque-là, presque toute tentative de réforme de la part d’un
gouvernement français a abouti à des barricades en feu. » Il cite ensuite
un proche influent de l’ancien chancelier allemand, Gerhard Schröder, qui
remarquait : « Sarkozy doit d’abord passer le test des
barricades ».
C’est la
raison pour laquelle Sarkozy tend à présent la main à d’anciens ministres
socialistes. Il sait qu’ils n’ont aucune différence politique de
principe avec lui et qu’ils sont prêts à l’assister pour supprimer
toute opposition à sa politique. Il en va de même des syndicats.
Lundi et mardi,
Sarkozy a reçu, les uns après les autres, les dirigeants des principales
fédérations syndicales. C’est une première. Normalement, de telles
rencontres n’ont lieu qu’après la prise de fonction officielle du
nouveau président.
Le secrétaire
général de Force ouvrière (FO), Jean-Claude Mailly a exprimé sa satisfaction d’avoir
été invité. « C’est une première, » a-t-il dit dans une
interview accordée à Libération. « Nous allons écouter ce
qu’il a à nous dire. Pour notre part, nous souhaitons discuter du fond et
de la méthode. »
Mailly a exprimé
son empressement à coopérer avec Sarkozy. Il a déclaré, « Soit le
gouvernement nommé voudra aller très vite et imposer un certain nombre de
mesures, soit il fera preuve de pragmatisme et ouvrira, selon les thèmes
abordés, une consultation, une concertation ou une négociation. C’est
évidemment pour cette seconde méthode que nous allons plaider. Une question
comme l’assurance-chômage, par exemple, nécessite une négociation. »
D’autres
dirigeants syndicaux ont avancé une position identique. Tous ont déclaré leur
disposition à collaborer avec le gouvernement dans l’application des
« réformes » (synonyme de coupes dans les acquis sociaux) à condition
d’être acceptés comme partenaires.
François Chérèque
de la CFDT a dit : « Les réponses aux questions économiques et
sociales qui ont occupé une place centrale dans le débat public devront se
construire avec la participation active des partenaires sociaux... La méthode
que choisira le chef de l’Etat pour impulser les réformes sera
déterminante. » Bernard Thibault de la CGT a souligné son accord de
principe avec cette position : « Les syndicats ne sont ni une force
d’opposition a priori ni une force d’accompagnement a
priori », dit-il.
Le journal
conservateur Le Figaro a fait connaître sa satisfaction : « Non que
les syndicats mettent en doute le résultat de l’élection. Au contraire,
tous ont unanimement salué le réveil démocratique et la légitimité que son
score confère à Nicolas Sarkozy. »
Alors que
certains anciens ministres socialistes sont en train de préparer leur éventuelle
entrée dans le gouvernement dirigé par Fillon, le Parti socialiste dans son
ensemble est en train de préparer un virage à droite plus marqué. Dimanche, le premier
secrétaire du Parti socialiste a annoncé de nouveaux projets pour créer
« un grand parti de la gauche » après les élections législatives. Il
devrait, a-t-il dit, couvrir « tout l’espace qui va de la gauche,
sans aller jusqu’à l’extrême gauche, jusqu’au centre gauche
ou au centre. »
« Centre »
est le terme officiel employé dans la politique française pour décrire
l’UDF, le parti bourgeois de droite de François Bayrou. La dernière
déclaration en date de Hollande doit donc être vue comme une tentative pour resserrerles rangs avec Bayrou. Même le terme de « social-démocrate »
qui a traditionnellement une connotation de droite au sein du Parti socialiste
français, est trop à « gauche » pour Hollande. La social-démocratie
est « un modèle vieillissant, c’est un vocabulaire qu’on
utilisait dans les années 1970 ou 1980 », a-t-il dit.