Les incursions militaires
d’Israël dans Gaza et les assassinats de militants sont devenus une
réalité quasi quotidienne depuis le sommet d’Annapolis le mois dernier.
Des douzaines de Palestiniens ont été tués dans de telles attaques.
La conférence
d’Annapolis, à laquelle ont participé 40 nations, dont 16 Etats arabes, a
été présentée comme la reprise des négociations entre Israéliens et
Palestiniens qui allait résoudre tous les problèmes fondamentaux à la base du
vieux conflit d’ici la fin de 2008. Mais ce ne fut en réalité
qu’une vulgaire tentative du président Bush de fournir une couverture à
l’appui des régimes arabes pour les préparatifs d’un assaut contre
l’Iran par Washington.
Mahmoud Abbas, le président
du Fatah de l’Autorité palestinienne, reçut la consigne en des termes on
ne peut plus clairs d’assurer la « sécurité d’Israël » en
écrasant toute résistance à l’occupation et en reprenant du Hamas le
contrôle de Gaza. L’existence de tout futur Etat palestinien dépendrait
alors de la réalisation de cette tâche, le succès de cette dernière étant
décidé par les Etats-Unis. Dans cet ultimatum se trouvait la menace implicite
d’une intervention d’Israël contre le Hamas s’il
n’était pas à la hauteur.
Dans la foulée
d’Annapolis, la conférence des donneurs à Paris fut une sordide collecte
de fonds afin de fournir l’argent dont l’Autorité palestinienne a
besoin pour s’en prendre au Hamas.
Israël avait évité de
lancer une attaque contre Gaza avant Annapolis pour ne pas être accusé de
vouloir saboter le sommet. Depuis, Israël se sent moins contraint et a annoncé
l’expansion de la colonie de Har Homa à Jérusalem-Est et intensifié les
pressions sur Gaza.
Les Forces de défense
israéliennes (FDI) ont mené de multiples opérations dans Gaza, d’où elles
se seraient officiellement retirées en août 2005. Ces attaques visent à
détruire les positions du Hamas et d’autres groupes militants et à les
empêcher de tirer des roquettes ou creuser des tunnels entre Gaza et
l’Egypte. Elles ont continué l’assaut durant le congé religieux
musulman, Eid al-Adha.
Ehoud Barak, le ministre
israélien de la Défense, a annoncé le 13 décembre que Sdérot, la ville
israélienne qui a été la cible de la majeure partie des roquettes Qassam tirées
de Gaza, serait placée sous le contrôle de l’armée. Cela indique de
possibles préparatifs pour des attaques massives contre Gaza.
La semaine dernière, Israël
a mené plusieurs frappes aériennes contre Gaza, tuant au moins 12 personnes,
dont un important militant. Israël s’est ainsi embarqué dans une
politique délibérée d’assassinats de membres du Djihad islamique, le
groupe que l’on croit être derrière les tirs quotidiens de roquettes
Qassam dirigés contre les villes du sud d’Israël.
Jeudi de la semaine
dernière, une force d’infanterie accompagnée de blindés et
d’ingénieurs fit une incursion de 2,5 kilomètres à l’intérieur de
Gaza et attaqua le camp de réfugiés de Maghazi. Au cours de la bataille qui
dura toute la journée, elle a tué sept Palestiniens, de présumés militants
selon les FDI, et en a blessé plusieurs autres, dont un preneur de son pour la
chaîne Reuters et un caméraman du Hamas. Les FDI ont décrit cette attaque comme
étant une « mission de routine ».
Vendredi, les FDI ont
abattu Majed Harazed, qui a été décrit par Israël comme le plus important
militant à avoir été tué durant la dernière année, près de la ville de Gaza de
Khan Younis.
En tout, plus de 20
militants ont été tués au cours de ces opérations de la dernière semaine.
D’importants
responsables de la Défense cités par le Jerusalem Post ont affirmé
qu’ils n’étaient pas surpris de l’évaluation du ministère des
Affaires étrangères de jeudi dernier selon laquelle 2008 allait être
l’année où Israël irait en guerre contre Gaza.
Les attaques militaires
d’Israël viennent dans la foulée d’un blocus économique de Gaza qui
a amené sa population au bord de la famine. L’an dernier, Israël avait
imposé des sanctions économiques à Gaza à la suite de l’élection qui avait
porté le Hamas au pouvoir. Israël bloqua ses frontières avec Gaza, y compris
Karni, le seul passage utilisé par Gaza pour livrer ses produits de
l’agriculture vers Israël et le monde extérieur. De sévères restrictions
ont aussi été imposées aux Gazans passant par Rafah, la frontière avec
l’Egypte.
Comme si
l’étranglement économique et un quasi-emprisonnement n’étaient pas
assez, Israël a maintenant réduit radicalement les approvisionnements en
carburant et en électricité et envisage même de les arrêter complètement.
Les raids d’Israël se
sont poursuivis malgré deux propositions du Hamas de mettre un terme aux
attaques de roquettes en échange d’un arrêt des opérations israéliennes
contre Gaza, de la suspension de l’embargo économique et de la
réouverture de ses frontières.
Le premier ministre Ehoud
Olmert a réitéré sa position selon laquelle il n’allait pas approuver une
entente avec le Hamas tant que ce dernier ne reconnaîtrait pas Israël,
cesserait la violence et accepterait les accords de paix passés. Deux anciens
ministres à la Défense, Shaul Mofaz et Benyamin Ben-Eliezer, aujourd’hui
respectivement ministre des Transports et ministre des Infrastructures, ont
déclaré qu’il n’était pas essentiel que le Hamas reconnaisse
Israël, mais seulement qu’il cesse de tirer des roquettes sur Israël et
faire du trafic d’armes à Gaza, et qu’il libère Gilad Shalit, le
soldat dont la capture le 25 juin 2006 avait fourni le prétexte à une offensive
majeure contre Gaza l’été dernier. Mais Olmert a rejeté toute possibilité
de trêve avec le Hamas.
« Cette guerre
va se poursuivre », a-t-il déclaré à ses ministres. « L’Etat
d’Israël n’a aucun intérêt à négocier avec ceux qui refusent
d’adhérer aux principes fondamentaux du Quartette », faisant ainsi
référence au Quartette international pour le Moyen-Orient : les
Etats-Unis, l’Union européenne, la Russe et les Nations unies.
« Cela vaut pour le Hamas, le djihad islamique et tous les autres »,
a-t-il déclaré.
La raison officielle des
actions d’Israël serait les tirs de roquettes contre les villes du sud d’Israël,
notamment Sdérot. Mais sa réaction est complètement disproportionnée par
rapport aux pertes subies. Durant les années qui ont suivi le premier tir de
roquette en 2001, 5900 roquettes et mortiers se sont abattus sur Israël, tuant
18 personnes et en blessant environ 600. Plus de 1000 roquettes ont été tirées
depuis juin de cette année.
Bien que plusieurs sections
de l’establishment politique israélien souhaiteraient déclencher une
guerre totale contre le Hamas et Gaza, il leur en faudrait plus pour un casus
belli.
Yoel Marcus a expliqué les
calculs d’Israël dans un commentaire dans le journal Ha’aretz,
intitulé « Un Viêt-Nam nommé Gaza », qui s’opposait à une telle
guerre.
Il fit remarquer que 18
morts paraissaient dérisoires par rapport au nombre d’Israéliens tués
dans des accidents de la route, soit 210 au cours des six derniers mois ou 35
décès par mois. « Selon l’opinion mondiale, le nombre de décès
causés par des attaques aux roquettes Qassam au cours des six derniers mois est
négligeable, et certainement pas suffisant pour justifier une Troisième Guerre
mondiale », a-t-il écrit.
Marcus a affirmé que
l’ancien chef israélien Ariel Sharon avait « considéré
l’option d’un bombardement aérien des zones à partir desquelles les
roquettes Qassam sont tirées, mais avait laissé tomber l’idée après avoir
reconnu que quiconque déclencherait le bombardement systématique d’une
population civile allait probablement se retrouver au Tribunal pénal
international de La Haye.
« Même
aujourd’hui, alors que grandit la demande de la population pour
l’envoi de l’armée à Gaza, cette option n’est pas aussi
simple qu’elle n’y paraît. Il est impossible de déclencher une
guerre dans une zone densément peuplée, aux petites ruelles abritant des milliers
de femmes et d’enfants, sans l’appui de l’opinion publique
internationale. Et nous ne pouvons obtenir un tel appui après n’avoir
souffert que le kidnapping d’un unique soldat et 18 décès en six
ans », a-t-il ajouté.
« Ayant appris
les leçons de la Deuxième Guerre du Liban — qu’afin
d’éradiquer le terrorisme, il faut une M-16, pas un F-16 — envoyer
une force terrestre massive à Gaza pour une large opération du type
"Bouclier défensif" pourrait nous coincer dans une guerre sanglante
durant des mois et même des années. » Il ajouta que cela nécessiterait le
rappel des réservistes israéliens.
Le fait que Marcus puisse
écrire que l’invasion de Gaza pourrait déclencher une Troisième Guerre
mondiale signifie que Jérusalem et Washington savent que cela précipiterait
dans la région une guerre beaucoup plus importante. En effet, toute guerre
contre Gaza ou le Liban viserait d’abord et avant tout l’Iran et la
Syrie.
Malgré de tels dangers, le
droitier Jerusalem Post a confirmé que des opérations militaires étaient
en préparation. Il a déclaré dans un éditorial que « depuis plusieurs mois
à Jérusalem, dans les couloirs des quartiers généraux de l’armée à Kirya,
flotte l’idée qu’une opération de grande envergure contre Gaza
serait la seule véritable façon pour le partenaire de paix du premier ministre
Ehoud Olmert, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, de
prendre le pouvoir à Gaza ».
Et cela ne serait pas
qu’une petite opération. Le Post croit qu’en premier lieu
Israël bombarderait des airs les positions du Hamas et assassinerait les
leaders militaires et politiques de ce dernier. Ayant tiré les leçons de la
guerre au Liban, les FDI enverraient rapidement d’importantes forces
terrestres pour stopper les tirs de roquettes et traquer les présumés
terroristes en fouillant toutes les résidences des rues densément peuplées de
Gaza. Elles patrouilleraient la frontière égyptienne pour empêcher le trafic
d’armes vers Gaza ainsi que la frontière nord d’où sont tirées les
roquettes.
Le Post a admis
qu’il y avait deux problèmes. Quel prix Israël était-il prêt à
payer ? On évalue officiellement que les pertes israéliennes seraient plus
élevées que les 119 soldats qui sont morts lors de la guerre contre le Liban.
Plus important encore,
Israël se doit d’avoir une stratégie de sortie. « Il est facile
d’entrer, mais plus difficile d’en sortir », a déclaré un
important responsable à la Défense cité par le Post. Le journal a ajouté
que peu croyaient, à l’intérieur des FDI et de Shin Bet, les services de
sécurité israéliens, qu’Abbas serait en mesure de prendre le pouvoir à
Gaza.
Pour ces raisons, le
gouvernement Kadima d’Olmert et ses partenaires de la coalition peuvent
bien avoir décidé, pour l’instant du moins, de ne pas procéder à une
invasion massive. Mais la logique de la situation mène inexorablement à une
telle issue.