Le 20 mars, la police a attaqué un groupe de personnes qui
cherchaient à empêcher l’arrestation d’un sans-papiers chinois venu
chercher ses petits-enfants à l’école maternelle Rampal dans le quartier
Belleville de Paris. L’attaque de la police a provoqué une vague
d’indignation parmi les enseignants, les parents, la population ouvrière
du quartier et dans toute la France.
La veille dans l’après-midi, la police avait interpellé
une femme chinoise sans-papiers qui était venue à l’école chercher sa
nièce. Après une demi-heure de discussions, la directrice de l’école,
Valérie Boukobza avait réussi à obtenir sa libération, après toutefois que la
femme ait été fouillée. Habitants du quartier et manifestants avaient ainsi été
alertés de la présence de la police dans le quartier.
Le jour suivant, des policiers faisaient des contrôles
d’identité dans le voisinage de l’école Rampal lorsqu’ils ont
interpellé le grand-père, un sans-papiers dont le nom n’a pas été révélé.
Ils ont encerclé le café où le grand-père attendait ses petits-enfants. Des
membres du Réseau éducation sans frontière (RESF) et des habitants du quartier
ont essayé de s’interposer entre le grand-père et la police et se sont
placés devant la voiture de police qui allait emmener le vieil homme. La police
a riposté en menaçant de lâcher les chiens sur les manifestants et a ensuite répandu
des gaz lacrymogènes, à proximité de la maternelle. Des vidéos de
l’incident circulent sur Internet.
Trois jours plus tard, Boukobza était convoquée par la police.
Elle pensait l’être en tant que témoin des événements. Mais elle a été
placée en garde à vue pendant sept heures pour « outrage et dégradation de
biens matériels », parce qu’elle s’était opposée à
l’arrestation du grand-père chinois. Une foule d’une centaine de
personnes s’est rassemblée devant le commissariat et est restée là
jusqu’à ce qu’elle soit remise en liberté.
Boukobza a catégoriquement réfuté ces accusations. Elle
affirmé dans une déclaration, « Ce que nous avons fait mardi dernier rue
Rampal, beaucoup d’autres l’auraient fait de la même manière. Il ne
s’agit là que du devoir de protection des enfants et de leur famille et
celui de la résistance pacifique à une forme d’oppression. »
Le lundi suivant, 26 mars, 2 000 personnes ont participé à une
manifestation devant le rectorat de Paris à la Sorbonne. Le rassemblement était
à l’appel des syndicats d’enseignants, des organisations de parents
d’élèves et le RESF pour protester contre la détention en garde à vue de
la directrice et exiger qu’il n’y ait pas de poursuites contre
elle.
Le rectorat dont c’est la fonction statutaire
d’apporter son soutien aux enseignants sur les questions juridiques, n’a
pas voulu soutenir Boukobza. Une délégation s’est entendue dire que
« l’affaire s’étant déroulée hors de l’école et du temps
scolaire... si la directrice a commis un délit, le rectorat n’a ni à la
soutenir, ni à la protéger. »
Les syndicats enseignants ont appelé à une grève de
protestation les écoles primaires de la région parisienne le 30 mars. Plus de
80 écoles sont restées fermées ce jour-là et des centaines d’autres ont
été touchées par ce mouvement et de nombreux manifestants sont descendus dans
la rue. Ils exigeaient qu’aucune sanction disciplinaire ne soit prise par
le rectorat à l’encontre de Boukobza.
Depuis, l’affaire a été classée sans suite.
Il faut remarquer que les syndicats enseignants ont appelé à
la grève les enseignants du primaire et non ceux du secondaire, bien que se
produisent des arrestations et des déportations de lycéens et
d’étudiants. RESF rapporte que « Dix-sept lycéens majeurs et sans-papiers
scolarisés en Seine-Saint-Denis ont récemment reçu une obligation de quitter le
territoire français. Le préfet répercute le durcissement de la loi. Il n'a pas
renouvelé cette année sa promesse de laisser tranquilles les élèves sans-papiers
le temps de l'année scolaire. »
Le jour suivant, 10 000 personnes, dont un contingent
d’écoliers de Rampal, un grand nombre de familles entières et de nombreux
enseignants, ont pris part à une manifestation à Paris. Ils ont défilé pour
protester contre « toutes formes de discrimination » et pour défendre
les droits des familles de sans-papiers ayant des enfants. Cette manifestation
s’est déroulée à l’appel de plusieurs organisations, dont RESF, la
FCPE (principale association de parents d’élèves), le DAL (Droit au
logement) et Droit Devant.
Les manifestants scandaient, « C’est pas les
sans-papiers, c’est Sarkozy qu’il faut virer », « Videz
Le Pen et Sarkozy, c’est eux qui doivent partir et nous, on reste ici »,
« Ni arrestation, ni expulsion ! Pour tous les enfants, un même
droit à l’éducation ! », « Ne touchez pas à nos
élèves ! Arrêt, arrêt des expulsions !»
L’élection présidentielle se tiendra le 22 avril. D’après
les habitants du quartier, la police procède de plus en plus souvent dans le
quartier de Belleville à des contrôles d’identité au faciès. Il est
impossible de dire s’il s’agit là d’une provocation
délibérée, orchestrée par le camp de Nicolas Sarkozy, le candidat présidentiel
de l’UMP (Union pour un mouvement populaire) au pouvoir et jusque, il y a
encore quelques jours, ministre de l’Intérieur.
Quoi qu’il en soit, Sarkozy saisit toutes les occasions
possibles, dont la récente émeute provoquée par la police en Gare du nord, pour
attiser les préjugés anti-immigrés et détourner l’attention de la crise
sociale et du bilan du gouvernement de droite, ainsi que de son programme répressif,
anti-social et libéral à tout crin. Il avait, il y a quelque temps, donné
l’ordre que la police évite les interpellations provocatrices à
l’intérieur et devant les établissements scolaires. Devant la réaction de
masse, il a à nouveau requis de la police qu’elle se retienne.
Lundi dernier, Sarkozy a publié un nouveau livre, Ensemble,
dans lequel il dépeint une « France exaspérée par la contestation de
l’identité nationale, par une immigration non maîtrisée», et il tient
pour responsable des troubles sociaux et des émeutes des banlieues de
l’automne 2005, l’immigration, et non la discrimination et le malaise
social qui augmente. Il promet, s’il est élu, de rendre encore plus
difficile pour les immigrés le permis de séjour en France en rendant obligatoires
des tests de connaissance de la langue et de culture générale.
Le large soutien de parents et d’enseignants pour l’hébergement
et la défense des familles sans-papiers, soutien passible de 5 ans
d’emprisonnement et d’amendes considérables, reflète un profond
désir au sein de la population de lutter contre le régime d’Etat policier
qui est en train de se mettre en place.
Selon la presse, enseignants et parents de Belleville ont
décidé de porter des sifflets. Lorsqu’ils aperçoivent des policiers en
groupes, ils sifflent pour alerter les immigrés de la présence des policiers.
Cette hostilité envers la politique officielle, qui parfois se rattache de
façon consciente aux traditions de la résistance à l’occupation nazie et à
la persécution des juifs, ne trouve guère d’expression dans la vie
politique de la « gauche » officielle française.
Le Parti socialiste (PS) avait participé en 2006 à des
manifestations de soutien aux jeunes sans-papiers menacés d’expulsion. Des
personnalités du PS, comme Bertrand Delanoë, le maire de Paris, avaient mis en
scène des cérémonies d’adoption d’enfants sous les objectifs des
photographes invités pour la circonstance. Les alliés de gauche du PS et les
participants de « l’extrême-gauche » à ce mouvement ont gardé
un silence discret sur la vraie politique du PS dans ce domaine et qui est
clairement définie dans son programme électoral : « Nous mènerons une
politique de fermeté à l’égard de l’immigration illégale..... Il
nous faut par conséquent dissuader l’immigration illégale... »
Désireuse de présenter un visage humain contrairement à
l’intransigeance de Sarkozy, la candidate présidentielle du Parti
socialiste, Ségolène Royal a déclaré au plus fort du tollé contre la violence
policière devant l’école Rampal et les arrestations, que les enfants de
sans-papiers actuellement scolarisés devraient “pouvoir y accomplir leur
scolarité » et leurs parents « rester dans le pays,» concluant que
« la régularisation doit suivre la scolarisation. »
Cet écart de l’orthodoxie programmatique du PS a aussitôt
été attaqué par la droite. En l’espace de quelques heures, François
Hollande, secrétaire national du PS et concubin de Royal, a cédé à la pression
et s’est précipité pour les rassurer que le PS était pour « une
régularisation basée sur des critères » et qu’il
« n’envisageait pas de régularisation automatique. » Jean-Louis
Blanco, le directeur de campagne de Royal, a affirmé que « la
régularisation des parents doit suivre la scolarisation de leurs enfants suivant
une enquête au cas par cas » et Royal elle-même a dû lamentablement
revenir sur sa déclaration.
Tout virage brutal à droite par Sarkozy est scrupuleusement repris
par le Parti socialiste. Royal a relevé le défi de l’identité nationale
et insiste pour reprendre à chaque fois la Marseillaise, l’hymne national
français, à la fin de ses meetings. Elle a proposé que chaque foyer ait son
drapeau tricolore et le mette aux fenêtres le jour de la fête nationale, le 14
juillet.
Le camp Sarkozy ne cache pas sa position. En réponse aux
événements et protestations de l’école Rampal, François Baroin qui
remplace Sarkozy au ministère de l’Intérieur, a déclaré, « la
scolarisation ne donne pas droit au séjour, c’est évident, » et qu’« il
pourrait y avoir des expulsions » avant la fin de l’année scolaire
en juillet.
L’année dernière, devant le mouvement étendu contre la
déportation d’enfants de sans-papiers et de leur famille, Sarkozy avait
été obligé d’accepter un moratoire sur les expulsions de ces immigrés. Il
avait promis que pendant les vacances d’été six à sept mille familles
remplissant certains critères seraient régularisées, donnant ainsi espoir à quelque
30 000 candidats à la régularisation qui pensaient remplir les critères et
qui de ce fait avaient révélé leur adresse aux autorités. La plupart de ces
candidatures avaient été rejetées de la façon la plus arbitraire et injustifiée
qui soit. Ce qui primait pour Sarkozy c’était l’objectif de
26 000 déportations d’immigrés en situation irrégulière pour 2007.
L’émergence du nationalisme et du chauvinisme à droite
comme à « gauche » dans les élections présidentielles souligne
l’importance du rassemblement à Paris le 15 avril à la mémoire de
Raveenthiranathan Senthil Ravee (Senthil), trotskyste tamoul, et de sa lutte
pour l’internationalisme socialiste. Un élément essentiel de ce programme
est la défense du droit des travailleurs à vivre, travailler et étudier où ils
le souhaitent partout dans le monde et de jouir de droits démocratiques entiers
et de soutien dans le pays de leur choix. Les personnes qui souhaitent
participer à ce rassemblement peuvent cliquer
ici pour obtenir des détails.